Augmentation de capital : décision du 22 février 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 21/00614

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Augmentation de capital : décision du 22 février 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 21/00614

MINUTE N° 108/23

Copie exécutoire à

– Me Joseph WETZEL

– Me Julie HOHMATTER

Le 22.02.2023

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIERE CHAMBRE CIVILE – SECTION A

ARRET DU 22 Février 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : 1 A N° RG 21/00614 – N° Portalis DBVW-V-B7F-HPTE

Décision déférée à la Cour : 27 Octobre 2020 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG – 1ère chambre civile

APPELANT – INTIME INCIDEMMENT :

Monsieur [U] [R]

[Adresse 1]

[Localité 6] (SUISSE)

Représenté par Me Joseph WETZEL, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me AZEVEDO, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMES – APPELANTS INCIDEMMENT :

Monsieur [J] [G]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Société […] MANAGEMENT

prise en la personne de M. [J] [G], liquidateur

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentés par Me Julie HOHMATTER, avocat à la Cour

Avocat plaidant : Me PLANÇON, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 09 Mai 2022, en audience publique, un rapport ayant été présenté, devant la Cour composée de :

Mme PANETTA, Présidente de chambre

M. ROUBLOT, Conseiller

Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRET :

– Contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

– signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

Vu le jugement du 27 octobre 2020 du tribunal judiciaire de Strasbourg,

Vu la déclaration d’appel de M. [R] effectuée le 15 janvier 2021 par voie électronique,

Vu la constitution d’intimée de M. [G] et de la société […] Management prise en la personne de M. [J] [G], liquidateur, du 10 février 2021,

Vu les conclusions de M. [R] du 9 février 2022, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour,

Vu les conclusions de M. [G] et de la société […] Management du 14 décembre 2021, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour,

Vu l’ordonnance de clôture prononcée le 6 avril 2022,

Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l’article 455 du code de procédure civile, pour l’exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION :

La société […] ([…]) faisant face à des difficultés financières, une procédure préventive de mandat ad hoc a été ouverte sur sa demande, par ordonnance du 12 septembre 2012 désignant Maître [M] en qualité de mandataire ad hoc, avec pour mission ‘de négocier avec l’ensemble des créanciers un accord qui permettre la poursuite de l’activité, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif.’

Par lettre du 23 novembre 2012, signée notamment par la société […] Management représentée par M. [G], et par M. [R], il était indiqué que la situation de la société a nécessité un plan de restructuration qui a fait l’objet d’un audit. ‘Le plan de restructuration, les décisions opérationnelles qui le sous-tendent et leurs mises en oeuvre, les prévisions d’activités et de compte d’exploitation, ainsi que les prévisions de trésorerie fin 2012 et 2013 sont des éléments déterminants dans la décision des investisseurs de renforcer les fonds propres de la société […].’ Il était alors indiqué que ‘l’opération d’augmentation de capital envisagée pourrait donc porter, dans les conditions prévues aux présentes, sur un montant global de 1 900 000 euros. La participation des différents investisseurs à cette augmentation de capital sera la suivante : M. [R] : 200 000 euros (…..), […] Management : 200 000 euros, cette participation intervenant avant le 31 mars 2013, cette date pouvant être prolongée au plus tard au 30 juin 2013 sur accord d’OTC Asset Management.’ Il était précisé que M. [R] et la société […] Management disposaient d’une option pour augmenter leur participation à hauteur d’un certain montant.

Selon un pacte d’actionnaires, souscrit entre, d’une part, M. [G], et, d’autre part, diverses personnes dont M. [R] et la société […] Management représentée par son gérant M. [G], il était indiqué, en préambule, qu’en exécution d’une lettre signée le 23 novembre 2012 (la Lettre) entre les parties, la société (qui est la société […]) procédera d’ici le 31 décembre 2012 à une augmentation de capital (L’investissement) comportant une émission réservée d’un certain nombre d’actions à un certain prix mentionnés dans le protocole, ‘pour un montant total de 1 000 000 euros qui sera intégralement souscrite par les Investisseurs, étant précisé qu’il a été accordé à […] Management un délai pour libérer son apport expirant le 31 mars 2013, pouvant être prorogé au 30 juin 2013 avec l’accord d’OTC Asset Management’, ainsi que d’autres émissions de bons de souscription d’actions, et qu’en conséquence de l’Investissement, le capital social de la société avant exercice des BSA et BSPCE émis lors de l’Investissement sera de 1 900 000 euros. En outre, il rappelait que conformément aux termes de la Lettre, […] Management et M. [R] pourront décider d’augmenter leur participation et en rappelait la limite et les modalités.

Selon procès-verbal des délibérations de l’assemblée générale extraordinaire du 21 décembre 2012 de la société […], était notamment approuvée l’augmentation de capital d’un montant de 1 900 000 euros par création d’actions nouvelles.

Le 24 décembre 2012, une procédure de conciliation a été ouverte au profit de la société […].

Le 18 mars 2013, un protocole d’accord de conciliation était signé, au terme duquel les banques acceptaient de maintenir leurs concours en contrepartie des engagements pris par les actionnaires dans la lettre du 23 novembre 2012, le pacte d’actionnaire et le procès-verbal des délibérations de l’assemblée générale extraordinaire du 21 décembre 2012. Ce protocole d’accord de conciliation prévoyait aussi que la société […] Management apportera en numéraire avant le 31 mars 2013, cette date pouvant être prorogée au 30 juin 2013, la somme de 200 000 euros.

Le 6 mai 2013, une ordonnance a donné force exécutoire au protocole de conciliation.

La société […] Management n’a pas versé la somme de 200 000 euros.

Par jugement du 4 novembre 2013, la société […] a été mise sous procédure de sauvegarde, puis, par jugement du 24 mars 2014, en liquidation judiciaire, Maître [M] étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire.

Par jugement du 30 mars 2016, le juge de l’exécution a notamment constaté la caducité de l’accord de conciliation.

Par arrêt du 12 décembre 2016, la cour d’appel a infirmé le jugement sur un autre chef de dispositif, a constaté que le commandement de payer délivré le 9 octobre 2013 ne pourrait plus servir d’acte préparatoire à une saisie vente future, a dit que la société […] peut exécuter, dans la limite de la prescription, l’accord de conciliation du 18 mars 2013, constaté par ordonnance du 6 mai 2013 qui lui a donné force exécutoire, et qui n’est devenu caduc que pour l’avenir, dans ses dispositions concernant l’engagement de la société […] Management à apporter la somme de 200 000 euros avant le 30 juin 2013, débouté la société […] Management de ses autres demandes, et statué sur les frais et dépens.

M. [R] a agi en réparation de son préjudice, la société […] Management et M. [G] formant des demandes reconventionnelles en réparation de leur préjudice.

Par jugement du 27 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Strasbourg a rejeté les demandes et statué sur les frais et dépens.

1. Sur les demandes de M. [R] :

M. [R] conclut à l’infirmation du jugement et demande la condamnation solidaire de la société […] Management et de M. [G] à lui payer les sommes de :

– 200 000 euros en remboursement de son apport à la société […], son investissement ayant été réalisé en pure perte,

– 1 226 023 au titre du préjudice du gain manqué,

– 50 000 euros au titre du préjudice moral et de réputation.

A titre subsidiaire, il demande leur condamnation à lui payer la somme de 613 012 euros au titre de la perte de chance.

Il leur reproche d’avoir manqué à leurs obligations d’apporter la somme de 200 000 euros, commis des manoeuvres dolosives, notamment en dissimulant l’ampleur des besoins financiers réels et commis des fautes de gestion de la société […], révélées par le rapport de la société FITECO, ce qui, selon lui, a conduit à la perte de confiance des investisseurs et des créanciers, menant rapidement à la cessation des paiements et à sa liquidation, et par conséquent à la perte de son investissement, et à la perte du gain qu’il aurait pu réaliser et un préjudice moral.

Il soutient aussi que les manoeuvres dolosives de M. [G] ont surpris son consentement et sa participation à une entreprise manifestement et irrémédiablement compromise lors de son investissement, alors qu’il n’aurait pas investi en connaissance de cause. Il fait aussi valoir que l’investissement de […] Management constituait une condition impulsive et déterminante de l’engagement de M. [R], des associés de la société […] et de ses créanciers.

Sur le manquement à l’engagement de participer à l’augmentation de capital :

M. [R] reproche, d’abord, à la société […] Management, par l’intermédiaire de M. [G], d’avoir manqué à son obligation de participer à l’augmentation de capital à hauteur de 200 000 euros.

Il soutient qu’en se focalisant sur la validité ou l’efficacité de l’accord de conciliation, le tribunal a occulté les autres obligations librement consenties par la société […] Management et M. [G], qu’ils étaient liés par des obligations contractuelles résultant de la lettre d’accord du 23 novembre 2012, du pacte d’actionnaire du 21 décembre 2012, du procès-verbal d’assemblée générale extraordinaire du 21 décembre 2012 et du protocole d’accord de conciliation du 18 mars 2013. Il ajoute que la présente procédure n’a pas pour objet de statuer sur la validité de l’accord de conciliation, dont de nombreuses décisions ont constaté la régularité.

Les intimés répliquent que la société […] Management n’avait plus vocation à exécuter l’accord de conciliation à compter du 25 mars 2013 eu égard au fait que son consentement avait été vicié. Ils soutiennent que la signature de M. [G], en sa qualité de dirigeant de la société […] et de la société […] Management, à l’accord de conciliation a été escroquée et son consentement a été vicié par dol. A ce titre, ils font valoir que dès le 25 mars 2013, soit sept jours après l’accord de conciliation, M. [G] a reçu une lettre de M. [R], président du conseil de surveillance, le qualifiant de pire dirigeant qu’il soit et le sommant de s’expliquer sur de prétendues pratiques frauduleuses contraires à l’intérêt social de la société. Ils ajoutent que dans ce courrier, la société […] faisait référence à un conseil d’administration du 21 mars 2013 et lui reprochait, en sa qualité de président du directoire, de ne pas avoir respecté les préconisations du rapport […] suite à l’audit réalisé en vue de la signature de l’accord de conciliation ; et qu’une relance lui a été adressée par lettre du 30 avril 2013. Ils font encore valoir que, le même jour, M. [R], président du conseil de surveillance, lui supprimait toute rémunération de ses fonctions de président de directoire et de salarié. Il est ainsi soutenu que la société […] et les actionnaires, dont M. [R], ont fait en sorte d’obtenir la signature de M. [G] à l’accord en sa qualité de dirigeant de la société […] et de la société […] Management, pour immédiatement s’en débarrasser, de sorte que la signature de M. [G] a été escroquée et son consentement à l’accord a été vicié pour dol. Ils précisent que ce n’est pas la lettre en elle-même qui constitue le vice du consentement, mais le fait qu’elle a été envoyée 7 jours seulement après la signature de l’accord de conciliation, tout comme la suppression de ses rémunérations, 7 jours après cette signature. Il est soutenu que si M. [G] avait su, fin 2012, que les actionnaires de la société […] et M. [R] avaient pour intention de se débarrasser de lui dès l’accord de conciliation signé, il n’aurait jamais accepté d’engager la société […] Management pour l’apport de la somme de 200 000 euros dans le cadre d’une augmentation de capital d’une société qu’il était destiné à quitter.

Ils font encore valoir que l’accord de conciliation était caduc au 31 mars 2013, illégal et n’est pas opposable à la société […] Management. En outre, est invoqué une fraude et une volonté de nuire, à M. [G] et donc à la société […] Management, de la part de M. [R], ainsi qu’une exception d’inexécution.

Sur ce,

Il est constant que la société […] Management n’a pas apporté la somme de 200 000 euros comme elle s’y était engagée dans la lettre du 23 novembre 2012, engagement mentionné dans le pacte d’actionnaire également souscrit par la société […] Management. Il est également constant que M. [G] ne s’est pas engagé à titre personnel à effectuer un tel apport.

Si dans le dispositif de leurs conclusions, les intimés demandent à la cour de dire et juger que le consentement de M. [G] et de la société […] Management dans le cadre de l’opération d’augmentation de capital de la société […] SA a été vicié par dol, ils ne précisent pas quel acte ou engagement en serait entaché.

Dans le corps de leurs conclusions, les intimés invoquent un vice du consentement dont M. [G] en sa qualité de dirigeant des sociétés […] et […] Management aurait été victime lors de la signature de l’accord de conciliation. Ils ne font pas valoir qu’un autre acte ou engagement aurait été concerné par un vice du consentement, et en tous les cas, n’en citent aucun. D’ailleurs, les moyens de nullité sont pris d’un dol qui aurait été révélé par deux lettres reçues quelques jours après la signature de l’accord de conciliation.

Or, dès lors que la société […] Management s’était engagée, dans la lettre du 23 novembre 2012, ainsi que dans le pacte d’actionnaire, à effectuer l’apport précité, et que M. [R] invoque la violation de ces engagements, indépendamment de ceux pris dans l’accord de conciliation, les moyens pris de l’existence d’un vice du consentement affectant l’accord de conciliation, de sa caducité ou de son illégalité, de la fraude lors de la signature de cet accord ou encore du caractère inopposable de cet accord de conciliation sont inopérants.

En outre, l’absence de versement à M. [G] de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, mise en oeuvre par la société […] comme il le soutient, ne peut constituer une exception d’inexécution à l’obligation de la société […] Management, en fût-il le gérant, de verser la somme de 200 000 euros.

Les moyens de défense des intimés ne peuvent donc être accueillis.

La société […] Management n’a pas exécuté son obligation d’apporter la somme de 200 000 euros résultant de son engagement pris les 23 novembre 2012 et 21 décembre 2012.

S’agissant du lien de causalité entre les fautes reprochées et le préjudice invoqué :

M. [R] soutient que le non-respect de ces obligations contractuelles d’investir la somme de 200 000 euros dans la société […] concomitamment avec les autres actionnaires, la révélation des manoeuvres dolosives et les fautes de gestion commises par M. [G] en qualité de dirigeant de la société […], ont conduit à une perte de confiance des investisseurs et des créanciers, menant rapidement à la cessation des paiements puis à sa liquidation, et par conséquent à son préjudice. Il fait valoir que c’est l’ensemble des fautes reprochées qui ont causé son préjudice consistant en la perte de l’investissement réalisé et le gain qu’il aurait dû en retirer et en un préjudice moral.

Il ajoute que c’est le principe même de l’absence de tout investissement de M. [G] et des principaux dirigeants de l’entreprise, alors qu’ils s’y étaient engagés, aggravé par la révélation des fautes de gestion, qui a conduit les actionnaires et créanciers à refuser de poursuivre leurs soutiens financiers, puisqu’il s’agissait d’une condition essentielle et déterminante de l’engagement des actionnaires et d’une condition essentielle et déterminante de l’accord de conciliation avec les créanciers du 18 mars 2013. Il ajoute que cette perte de soutien financier à un moment crucial, aggravée par le défaut de versement de la somme due par la société […] Management, a entraîné la défaillance de la société […].

Tout en faisant valoir que le rapport de M. [C], expert judiciaire, qui a été rendu dans le cadre de l’action en insuffisance d’actif engagée contre M. [G], constitue une analyse nécessairement rétrospective et n’est pas contradictoire, il fait valoir que la conclusion principale de ce rapport est néanmoins que, sans conteste, la situation de la société […] était déjà irrémédiablement compromise au moment de l’investissement de M. [R].

Il soutient alors que M. [G] ne pouvait raisonnablement ignorer le caractère irrémédiablement compromis de la société […] et la réalité de sa situation économique et financière au moment de l’investissement. Il invoque des manoeuvres dolosives de M. [G], en soutenant qu’il avait l’objectif de surprendre son consentement et sa participation dans une entreprise manifestement et irrémédiablement compromise et soutient qu’il n’aurait pas investi en connaissance de cause.

En réplique, la société […] Management et M. [G] soutiennent que M. [R] ne démontre pas que, faute d’avoir voulu participer à l’augmentation de capital, il n’aurait pas lui-même consenti et que ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas injecté la somme de 200 000 euros dans l’augmentation du capital de la société […] que celle-ci a fait l’objet d’une liquidation judiciaire et que M. [R] a perdu la somme qu’il avait investie. Ils invoquent comme cause de cette liquidation la gestion désastreuse de la société par les dirigeants qui ont succédé à M. [G], qui ont notamment laissé un directeur commercial détourner la majeure partie des clients, tout en soutenant que le rapport de M. [C], expert judiciaire désigné dans le cadre de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif engagée contre M. [G], a conclu que M. [G] n’est pas responsable de la liquidation de la société […], la cause principale et originelle de la défaillance de l’entreprise résidant dans les pertes considérables réalisées depuis l’exercice 2007 qui se sont élevées à environ 10 millions d’euros. Il ajoute que ses fautes de gestion n’ont pas contribué à l’insuffisance d’actif et que la liquidation judiciaire n’est pas de son fait ni d’une hypothétique perte de confiance des investisseurs, mais est à rechercher dans des causes structurelles et conjoncturelles.

Si le rapport de l’expert judiciaire M. [C] a été ordonné dans le cadre d’une instance à laquelle n’étaient pas parties les intimés, il a cependant été produit aux présents débats et a ainsi été soumis au principe de la contradiction. M. [R] se prévaut d’ailleurs de certaines de ses conclusions, selon lesquelles ‘la situation était si complexe et si lourdement obérée fin 2012 par l’échec des paris stratégiques sur lesquels […] a fondé son activité, qu’en l’absence d’apports financiers bien plus conséquent que celui qui a été réalisé dans le cadre de l’accord de conciliation, on peut comprendre que les successeurs de M. [G] aient eux aussi échoué dans la tentative de redressement de l’entreprise’.

Par ailleurs, avant d’énoncer ce paragraphe, l’expert judiciaire avait conclu, sans que cela soit contredit par des éléments invoqués ou produits par les parties, que ‘la cause principale et originelle de la défaillance de l’entreprise réside avant tout dans les pertes considérables réalisées depuis l’exercice 2007, qui se sont élévées à environ 10 M€. Ces pertes sont notamment la conséquence de l’option stratégique d’investir dans une activité (…) risquée par nature (…). Et en l’absence de rentabilisation suffisamment rapide des investissements, la société ne disposait pas de fonds propres nécessaires à leur financement. (…) L’importance des pertes est sans commune mesure avec l’incidence des éléments relevés par le rapport FITECO (loyers […] Immobilière, prestations SCI Mas de Provence, contrat de sous-location BTC Trade dépenses injustifiées…) ou avec les recommandations non appliquées du rapport […] (réduction des loyers et de la rémunération de M. [G],…), ou encore avec la promesse d’apport de 200 000 euros non honorée par M. [G].’

L’expert ajoute ‘Ces griefs (…) ne sont pas à mon sens susceptibles d’avoir eu une incidence, même cumulée, suffisante pour pouvoir être considérés comme des causes significatives de l’impasse financière dans laquelle s’est trouvée la société […]’.

En l’absence d’éléments permettant de remettre en cause ces conclusions, il convient de retenir que ni le manquement de la société […] Management à son engagement d’apporter 200 000 euros, ni les fautes de gestion reprochées à M. [G] et résultant du rapport FITECO n’ont eu un lien de causalité avec la déconfiture de la société […], mais que celle-ci a eu pour cause des pertes considérables réalisées depuis l’exercice 2007 et ‘l’absence d’apports financiers bien plus conséquents que celui réalisé dans le cadre de l’accord de conciliation’.

Il sera d’ailleurs relevé que si le jugement de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg du 23 avril 2021 rejetant l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif dirigée contre M. [G] a relevé, comme le soutient M. [R], des fautes de gestion à son encontre, il a également retenu, en se fondant sur l’expertise judiciaire précitée, l’absence de lien de causalité avec l’insuffisance d’actif.

En outre, M. [R] ne démontre pas l’existence d’une perte de confiance des investisseurs et actionnaires, d’un désinvestissement ou arrêt d’investissement de leur part.

Enfin, s’agissant des manoeuvres dolosives invoquées :

M. [R] soutient avoir été trompé par les manoeuvres dolosives de M. [G], dans le seul but d’obtenir son consentement en vue de sa participation à l’augmentation du capital du 21 décembre 2012. Il lui reproche de lui avoir dissimulé la situation largement obérée de la société […] au moment de son investissement.

Invoquant le rapport […], tout en soutenant qu’il a été orienté et alimenté par M. [G] seul, ainsi que la confirmation du rapport par M. [G] au directoire et par courriel en indiquant que cette opération était indispensable pour reconstituer les fonds propres et assurer la pérennité de l’entreprise, il soutient que c’est sur la base de toutes ces informations, que M. [G] l’a convaincu d’investir à la fin de l’année 2012, alors qu’il résulte d’un nouveau rapport que la société était déjà dans une situation irrémédiablement compromise au moment de l’investissement, ce que M. [G] ne pouvait raisonnablement ignorer, et que cette connaissance s’induit de son comportement passif aux diverses interpellations et de son retrait aux opérations de financement en présence de ses nouveaux partenaires financiers.

Les intimés font valoir que l’analyse de M. [R] est parcellaire lorsqu’il affirme que le rapport […] concluait au possible redressement de la société grâce à l’investissement prévu de 1,9 millions d’euros et contestent toute intention dolosive.

Le rapport […] produit aux débats indique, en préambule, avoir été réalisé à partir des informations fournies par la société […] et ses dirigeants et que la société […] est la seule responsable de l’exactitude et de l’exhaustivité des informations et des situations comptables et des budgets communiqués.

Il n’est cependant pas démontré que ces informations n’étaient pas exactes.

Le rapport fait état qu’au 30 septembre 2012, la société […] a réalisé un chiffre d’affaires de 20,5 M€ pour un résultat déficitaire de – 1 M€, qui vient s’ajouter aux 3,8M€ de pertes réalisées sur les exercices 2009 à 2011, et qu’elle ne dispose, comme financement, que de facilités de caisse pour un montant de 1,2 M€ utilisé à hauteur de 14 M€.

Il précise que la société se trouve en état de cessation des paiements avéré. Il détaille les principales hypothèses du plan envisagé, contenant des actions visant à la réorganisation de la société, et leurs impacts sur le résultat, en indiquant une perte nette prévisionnelle de l’exercice pour 2012 de 711 k€ et un résultat normatif sur l’exercice 2013 de 654 k€. Il précise que, pour l’exercice 2012, le financement de la perte de l’exercice et l’apurement du passif porte le besoin de financement global à 4,4 M€, qui oscille selon les hypothèses entre 3,5 et 4,5 M€. Il liste alors les leviers dont dispose […] pour combler ce besoin, et notamment, cite trois leviers, dont l’un est la structuration d’un financement mixte de 2.340 k€ basé à la fois sur un apport en fonds propres de 1.700 k€, d’un prêt de restructuration de 340 k€ et de la remise en place des concours bancaires dénoncés à hauteur de 300 k€.

Il conclut à un plan de restructuration cohérent, tout en indiquant que ‘toutefois, la réussite de ce plan repose sur une extrême réactivité et des engagements irrévocables’, citant notamment la ‘mise en place du financement mixte, capital, FDES et découverts de 2.340 k€ d’ici le 15 novembre’.

Par ailleurs, le rapport du directoire du 21 décembre 2012 invoqué par M. [R] évoquait que les comptes de la société arrêtés au 31 décembre 2011 font apparaître un report à nouveau déficitaire de 4 870 894 euros, les capitaux propres ressortant à 2 731 272 euros et que le montant minimum des pertes probables de l’exercice en cours s’élève à 2 731 00 euros, qu’il était proposé de réduire le capital social à 0 et de réaliser concomitamment une augmentation de capital en numéraire de 1 900 000 euros.

Il était mentionné que ‘cette opération est indispensable pour reconstituer les fonds propres et assurer la pérennité de l’entreprise’, comme l’indiquait également M. [G] par courriel du 22 décembre 2012 à la société […] Management.

Contrairement à ce que soutient M. [R], le rapport […] n’indique pas clairement que la société […] est viable moyennant une augmentation de capital.

En outre, il résulte des indications précitées que ce rapport n’a pas caché la situation obérée de la société […]. De plus, il n’est pas démontré que le rapport […] soit fondé sur des éléments financiers ou comptables erronés ou manipulés. Si les conclusions de ce rapport et de l’expert judiciaire peuvent être différentes, elles résultent d’une appréciation de chacun d’eux, de surcroît réalisées à des périodes différentes.

Il n’est ainsi pas démontré l’existence de manoeuvres dolosives, ni d’intention dolosive de la part de M. [G] ou de la société […] Management.

En outre, il ne peut être considéré que l’affirmation ‘cette opération est indispensable pour reconstituer les fonds propres et assurer la pérennité de l’entreprise’ contenue dans les documents précités, puisse constituer une manoeuvre dolosive et en tous les cas soit de nature à induire en erreur, de surcroît intentionnellement, les investisseurs, et en particulier M. [R], et ce notamment alors qu’il indique avoir eu connaissance du rapport […].

M. [R] reproche aussi à M. [G] des manoeuvres dolosives lui laissant croire que la société […] Management investirait une somme de plus en plus importante.

Cependant, les accords prévoyaient uniquement une faculté d’investir une somme supplémentaire à celle de 200 000 euros et non une obligation ; et il ne peut être tiré comme conséquence du souhait, exprimé en novembre 2012 selon les mails produits, de la société […] Management d’obtenir une telle option, qu’elle-même ou M. [G] auraient laissé croire à un engagement pour une somme supérieure.

M. [R] soutient aussi que l’investissement des intimés constituait un élément essentiel et déterminant dans sa propre décision d’investir.

Sont invoqués à ce titre des courriers du 25 mars 2013 de M. [R], lesquels sont postérieurs à l’engagement pris par M. [R] les 23 novembre 2012 et 21 décembre 2012, et de surcroît à l’accord de conciliation du 18 mars 2013. En outre, ces lettres, rédigées par M. [R], ne contiennent que les seules affirmations de ce dernier, et sont insuffisantes à établir que cet investissement était déterminant de son engagement.

Il lui reproche encore d’avoir obtenu un délai, en sachant qu’il n’investirait pas.

S’agissant du délai obtenu, M. [R] n’est pas non plus fondé à lui reprocher avoir obtenu un délai au 31 mars 2013 pour investir alors que les autres actionnaires avaient investi dès le 21 décembre 2012, dès lors que de tels délais différenciés avaient été prévus dans les accords signés par tous les investisseurs.

Il lui reproche en outre d’avoir su que la société […] Management n’investirait pas et qu’il a dissout et mis cette société en liquidation amiable dès le 9 mars 2013 sans informer les parties contractantes et en signant l’accord de conciliation du 18 mars 2013.

Sur ce point, il résulte d’un courriel du 19 décembre 2012 qu’un remplacement de la société […] Management par une autre structure avait été envisagé. Cependant, une telle modification n’a pas eu lieu et le pacte d’actionnaires réitérant les engagements de la lettre du 23 novembre 2012 a été signé par la société […] Management sans faculté de substitution.

En outre, il résulte du procès-verbal de l’assemblée générale la société […] Management du 9 mars 2013 qu’a été décidée la dissolution anticipée de ladite société et de sa mise en liquidation amiable, M. [G] étant désigné liquidateur.

Cependant, à supposer même que la société […] Management savait, lors de son engagement pris le 23 novembre 2012 et réitéré dans le pacte d’actionnaires ainsi que lors de l’assemblée générale du 21 décembre 2012, qu’elle ne pourrait pas investir la somme de 200 000 euros comme elle s’y était engagée, il a été vu que le défaut de versement de cette somme n’a pas eu de lien de causalité avec la déconfiture de la société.

Ainsi, M. [R] ne démontre pas la preuve de manoeuvres dolosives, ni d’intention dolosive, ni que l’engagement de la société […] Management ait été une condition déterminante de l’engagement.

Ne démontrant pas l’existence de fautes en lien de causalité avec son préjudice, ses demandes seront dès lors rejetées, le jugement étant confirmé de ce chef

2. Sur l’appel incident :

2. 1. Sur la demande de condamnation de M. [R] à payer à M. [G] la somme de 1 036 800 euros à titre de dommages-intérêts pour la contrepartie de sa clause de non-concurrence non perçue du fait des agissements de M. [R] :

M. [G] soutient que M. [R], président du conseil de surveillance de la société […], ne lui a jamais payé l’indemnité de non-concurrence comme il s’y était engagé dans le cadre du pacte d’associés, qu’en refusant de la payer, il a commis une faute en lien avec son préjudice.

Cependant, il résulte du courrier de la société […] du 29 juillet 2013 et de la fiche de paie invoquée par M. [G], que c’est la société […] qui est tenue au paiement de cette indemnité de non-concurrence.

En outre, comme le soutient M. [R], l’article 11.2 du pacte d’actionnaire relatif à l’obligation de non-concurrence, prévoit que le ‘Fondateur recevra de la Société’ une somme en contrepartie. La ‘Société’ visée dans ce pacte est la société […].

Il n’est ainsi pas démontré que M. [R] ait, à titre personnel, commis une faute.

La demande de M. [G] dirigée contre M. [R] n’est pas fondée. Sa demande sera rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.

2.2. Sur la demande de condamnation de M. [R] à payer à M. [G] une somme de 10 000 euros à titre de préjudice moral pour procédure abusive et dilatoire :

M. [G] ne démontre pas que l’action introduite par M. [R] revêt un caractère abusif ou dilatoire, de sorte que sa demande sera rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.

2.3 Sur la demande de condamnation de M. [R] à payer à la société […] Management une somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral :

La société […] Management ne démontre pas non plus que l’action engagée à son encontre soit abusive ou dilatoire. Sa demande sera rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.

3. Sur les frais et dépens :

Chacune des parties succombant, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a statué sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile.

A hauteur d’appel, chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.

L’équité commande de ne pas prononcer de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile, de sorte que les demandes seront rejetées.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg du 27 octobre 2020,

Y ajoutant :

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens ;

Rejette les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

La Greffière : la Présidente :

 


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