Augmentation de capital : décision du 18 septembre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 22/03712

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Augmentation de capital : décision du 18 septembre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 22/03712

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

1ère CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 18 SEPTEMBRE 2023

N° RG 22/03712 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-M2IZ

S.A.S. KHEPHREN

c/

SA ASTERIA

Nature de la décision : APPEL D’UNE ORDONNANCE DE REFERE

Grosse délivrée le : 18 septembre 2023

aux avocats

Décision déférée à la cour : ordonnance de référé rendue le 07 juin 2022 par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX (RG : 2022R00374) suivant déclaration d’appel du 29 juillet 2022

APPELANTE :

S.A.S. KHEPHREN, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 1]

Représentée par Me Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Me Nicolas MONNOT de la SELARL GASTAUD LELLOUCHE HANOUNE MONNOT, avocat plaidant au barreau de PARIS

INTIMÉE :

SA ASTERIA, immatriculée au RCS de LUXEMBOURG sous le n° B100164, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 2]

Représentée par Me Claire LE BARAZER de la SELARL AUSONE AVOCATS, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Me Thierry FRADET, avocat plaidant au barreau de TOULON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 juin 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sylvie HERAS DE PEDRO, Conseillère, qui a fait un rapport oral de l’affaire avant les plaidoiries,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : M. Roland POTEE

Conseiller : Mme Sylvie HERAS DE PEDRO

Conseiller : Mme Bérengère VALLEE

Greffier : Mme Séléna BONNET

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

La société Gipsi a été constituée le 5 mars 2001 entre M. [I] [Y] et M. [R] [Z], dont chacun détiendra in fine 50% des parts, soit 203 actions chacun pour un total de 406 actions.

Les deux associés vont ensuite créer, chacun, une société holding, la société Asteria pour M. [Z] et la société Montesquieu Finances pour M. [Y], auxquelles sont apportées les actions de la société Gipsi.

En 2004, la société Gipsi est devenue actionnaire à hauteur de 71,18% du capital social de la société Cheops Technology France, dont M. [I] [Y] est également président.

Les relations entre M. [Y] et M. [Z] se sont dégradées.

La société Khephren a été constituée le 7 juin 2018 entre la société Akhenaton Finance, la société Hourgade Invest, M. [S] [V], M. [G] [C], M. [E] [U] et M. [M] [O].

La société Gipsi, dont le président est M. [Y], a cédé à la société Khephren le 25 juillet 2018 71,18% des parts qu’elle détenait dans le capital de la société Cheops Technology, pour un prix de 21 480 117 euros.

Le 11 août 2022, M. [Y] prend la direction de la société Khephren.

Entre-temps, par actes du 2 mai 2022, la société Asteria, considérant que la cession par Gipsi à Khephren est intervenue en fraude de ses droits, l’a assignée aux fins de voir annuler les assemblées générales d’octobre 2017 et de novembre 2017 qui auraient permis cette opération et en dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité délictuelle de même qu’elle déposait plainte au pénal.

Ces actions sont pendantes devant le tribunal de commerce et une enquête préliminaire est en cours.

Par ordonnance du 12 avril 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a autorisé la société Asteria à saisir à titre conservatoire, les actions détenues par la société Khephren dans le capital de la société Cheops Technology France pour sûreté conservatoire et avoir paiement de la somme de 105 000 000,00 euros (105 millions d’euros) qu’elle estime correspondre à son préjudice né selon elle de la minoration de la valeur des titres vendus.

La société Khephren, qui soutient que la société de droit luxembourgeois Asteria ne justifierait d’aucune créance à son encontre, l’a assignée en rétractation le 27 avril 2022 devant le tribunal de commerce de Bordeaux.

Par ordonnance de référé du 7 juin 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

– débouté la société Khephren de sa demande de rétractation de l’ordonnance rendue le 12 avril 2022,

-dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

-condamné la société Khephren aux dépens.

Le 1er juillet 2022, un procès-verbal de transaction a été signé entre Khephren, Gipsi, Montesquieu Finances, Hourgade Invest, Akhenaton Finance, la Sci Mykerinos, [I] [Y], M . [T], représentant légal de Hourgade et M. [K], représentant légal d’Akhenaton d’une part et la société Asteria et M. [Z] d’autre part pour la vente de ses actions par Asteria à Gipsi pour la somme de 40 millions d’euros, à condition qu’Asteria renonce à toutes actions en justice.

Le 11 août 2018, M. [I] [Y] est devenu le président de Khephren à la place de M. [T].

Ce protocole n’a pas reçu exécution à ce jour.

La société Khephren a relevé appel de l’ordonnance du 7 juin 2022 par déclaration du 29 juillet 2022.

Par conclusions déposées le 16 mai 2023, la société Khephren demande à la cour de :

– déclarer la société Khephren recevable et bien fondée en son appel,

Y faisant droit,

– infirmer l’ordonnance de la présidente du tribunal de commerce de Bordeaux rendue le 7 juin 2022 en tant qu’elle a :

* débouté la société Khephren de sa demande de rétractation de l’ordonnance rendue le 12 avril 2022,

* dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

* condamné la société Khephren aux dépens,

Et statuant à nouveau,

– rétracter en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 12 avril 2022 par la présidente du tribunal de commerce de Bordeaux à la requête de la société Asteria,

– ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire des droits d’associés pratiquée par la société Asteria entre les mains de Cheops Technology le 15 avril 2022 et dénoncée le même jour à la société Khephren,

– débouter la société Asteria de toutes ses demandes,

– condamner la société Asteria à payer à la société Khephren la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Asteria aux entiers dépens de l’instance.

Par conclusions déposées le 26 mai 2023, la société Asteria demande à la cour de :

– confirmer l’ordonnance rendue par Mme la présidente du tribunal de commerce de Bordeaux du 7 juin 2022,

En conséquence,

– débouter la société Khephren de sa demande de mainlevée de la saisie conservatoire des droits d’associés détenus par celle-ci dans la société Cheops Technology France,

– condamner la société Khephren au paiement de la somme de 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

L’affaire a été fixée à bref délai à l’audience rapporteur du 2 février 2023, avec clôture de la procédure le 19 janvier 2023.

L’affaire a été renvoyée à l’audience rapporteur du 12 juin 2023, avec clôture de la procédure le 30 mai 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application de l’article L511-1 du code des procédures civiles d’exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement.

La société Khéphren fait valoir pour l’essentiel que la tenue des assemblées générales des 27 octobre 2017 et 14 novembre 2017 n’a pas été irrégulière puisque Astéria a été convoquée, que la cession de la participation de Gipsi dans Chéops était motivée par la volonté de pérenniser le développement et la croissance de Chéops après que Gipsi ait pris le contrôle de cette dernière en 2004 dans le but de se spécialiser dans l’activité de cloud computing, que Khéphren a été créée le 1er juin 2018 pour acquérir la participation majoritaire que Gipsi avait dans Cheops, que la valeur des titres a été déterminée par deux experts indépendants en 2017 avant la cession et n’a donc pas pu être minorée, qu’il n’y a pas eu de dissimulation de l’opération de cession qui a été rendue publique et a fait l’objet d’une déclaration à l’AMF, que Astéria n’avait pas à être informée préalablement s’agissant d’un acte de gestion, que le projet de décembre 2021 de Khéphren de vendre à Amorgos sa participation dans Cheops, rendu public le même jour, n’a d’autre but que de donner un nouveau souffle à l’entreprise, qu’il n’existe aucun motif de mettre en cause le prix projeté de 180 millions d’euros alors que la vente par Gipsi à Khéphren a eu lieu trois ans et demi plus tôt, qu’il n’existe donc pas de principe de créance au profit d’Astéria d’autant qu’elle ne peut se prévaloir de l’existence d’un préjudice personnel distinct de celui de Gispi, que ses actions civiles sont ainsi vouées à l’échec, qu’une simple plainte pénale est insusceptible de caractériser le principe d’une créance, qu’en outre, il n’y a aucune circonstance menaçant le recouvrement de la créance alléguée puisque la situation financière de Khéphren est florissante et enfin que la saisie conservatoire lui occasionne un préjudice très important en ce que l’acheteur a résilié le projet de vente compte tenu des actions en justice diligentées par Astéria contre Khéphren.

La société Astéria conclut à la confirmation de l’ordonnance entreprise, faisant valoir pour l’essentiel que la société Gipsi a procédé à une cession d’actions qu’elle détenait de Chéops en lui dissimulant volontairement l’opération, que grâce à des man’uvres, le groupe Fleuriot en a minoré le prix pour maintenant projeter une revente à un prix 10 fois supérieur en fraude de ses droits, que sa créance s’élève à 105 millions d’euros correspondant à sa part et que le recouvrement de cette créance est menacé compte tenu de la dissimulation dont a fait preuve le groupe Fleuriot et des sommes dont il a déjà bénéficié de manière frauduleuse et du fait que l’acheteur est une société étrangère.

Il ressort des pièces versées et des débats que pas plus en cause d’appel qu’en première instance, la Sas Khephren ne produit le justificatif de la convocation de la Sa Asteria à l’assemblée générale du 14 novembre 2017.

En effet, si la Sa Asteria a été convoquée à celle du 27 octobre 2017, une deuxième assemblée générale a dû avoir lieu puisque le quorum n’était pas atteint pour les décisions à prendre en assemblée générale extraordinaire, que la lecture des procès-verbaux montre que ce sont ces assemblées générales auxquelles la Sa Asteria était absente qui ont permis à Gipsi de procéder à l’augmentation du capital social et de supprimer le droit préférentiel.

C’est à la suite de ces assemblées générales que [I] [Y] a procédé à une augmentation du capital social par la création d’une action pour un montant de 600 euros souscrite par M. [T], directeur général de Gipsi, décision notifiée par Gipsi à la Sa Asteria par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 22 décembre 2017, permettant ainsi à Montesquieu Finances dirigé par [I] [Y], en réunion avec M. [T] d’obtenir une majorité décisionnelle (203 actions pour Montesquieu Finances + 1 détenue par M. [T] = 204 contre 203 détenues par la Sa Asteria).

C’est à la suite de cette augmentation de capital que la décision de cession a été prise, le 25 juillet 2018.

Cependant, c’est à tort que la Sa Asteria se prévaut d’une éventuelle annulation des assemblées générales du 27 octobre 2017 et 14 novembre 2017 pour défaut de convocation de l’un des associés.

En effet, si un telle annulation était prononcée par la juridiction saisie, elle aurait pour effet de replacer les parties en l’état antérieur à ces assemblées générales et à la vente conclue à la suite de ces assemblées générales.

C’est ainsi que les titres détenus dans Cheops réintégreraient le patrimoine de Gipsi et que cette dernière serait tenue de restituer le prix de vente à Khephren.

Asteria, associée de Gipsi, ne peut donc soutenir qu’elle détient une créance fondée en son principe sur ce fondement.

La Sa Asteria soutient encore que son action en responsabilité délictuelle ne manquera pas de prospérer.

L’éventuelle dissimulation par [I] [Y], dirigeant de Gipsi, de l’opération de cession à la Sas Khephren, puis le projet de revente annoncé par les médias par la Sas Khephren, désormais dirigée par [I] [Y], à Amorgos à un prix 8 fois supérieur ne sont pas des éléments suffisants pour établir l’existence d’une créance fondée en son principe au bénéfice de la Sa Asteria, associée de Gipsi, à l’encontre de la Sas Khephren.

En outre, il sera observé que c’est à tort que la Sa Asteria évalue cette créance à la différence entre le prix de vente dans la cession projetée, divisée par deux compte tenu de ce qu’elle possède la moitié des actions de Gipsi, qu’en effet, son préjudice ne pourrait résulter que d’une perte de valeurs de ses actions en raison de la cession de l’actif principal de la société et de la perte de chance de percevoir des dividendes résultant de cette activité.

Enfin, il est constant qu’un simple dépôt de plainte pénale ne peut avoir pour effet de caractériser l’existence d’une créance fondée en son principe,

L’ordonnance déférée du 7 juin 2022 qui a rejeté la demande de rétractation de l’ordonnance du 12 avril 2022 sera réformée et il sera dit qu’il n’y a pas lieu à autoriser une saisie conservatoire au profit de la Sa Asteria.

Sur les autres demandes

En application de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

La Sa Asteria, succombant, en supportera donc la charge.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.

L’équité ne commande pas d’allouer d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirme l’ordonnance du 7 juin 2022 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau dans cette limite,

Rétracte l’ordonnance sur requête rendue le 12 avril 2022 par la présidente du tribunal de commerce de Bordeaux,

Ordonne la mainlevée de la saisie conservatoire des droits d’associés pratiquée par la Sa Asteria entre les mains de Cheops Technology le 15 avril 2022 et dénoncée le même jour à la Sas Khephren,

Y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu à allocation d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

Condamne la Sa Asteria aux entiers dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Bérengère VALLEE, conseiller, en remplacement de Monsieur Roland POTEE, président, légitimement empêché, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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