Activité de retouches photographiques :  incompétence du conseil de prud’hommes  

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Activité de retouches photographiques :  incompétence du conseil de prud’hommes  

L’activité de retouches photographiques relève de la liberté créative du photographe journaliste. Cette activité ne rentre pas dans le périmètre des activités de journalisme. En l’absence de preuve du lien de subordination vis à vis de l’éditeur de presse (groupe Marie Claire) le litige relatif au paiement de cette activité de retouche ne relève pas de la compétence du conseil de prud’hommes. 


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 2

ARRÊT DU 19 JANVIER 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/05036 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFV2U

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Mars 2022 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° 21/01716

APPELANT

Monsieur [K] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Alexandra JOUCLARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C0161

INTIMÉE

S.A.S. MARIE CLAIRE ALBUM

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédéric GRAS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1051

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 84 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Olivier FOURMY, Premier Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur FOURMY Olivier, Premier président de chambre

Madame ALZEARI Marie-Paule, Présidente

Madame LAGARDE Christine, conseillère

Greffière lors des débats : Mme CAILLIAU Alicia

ARRÊT :

— contradictoire

— mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile

— signé par Olivier FOURMY, Premier président de chambre et par Alicia CAILLIAU, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [K] [Y] est photographe, collaborateur régulier de la société Marie Claire Albumdepuis 1993. Il en est devenu salarié en 1993.

La société Marie Claire Album SAS (ci-après, la ‘Société’) est une société éditrice de presse ayant pour objet l’édition de revues et de périodiques, qui édite notamment le magazine « Marie Claire Idées » spécialisé dans les loisirs créatifs et la décoration, ainsi que le site en ligne dédié au titre « Marie Claire ». Marie Claire Album compte près de 200 salariés et totalisait en 2020 un chiffre d’affaires de plus de 59 millions.

La convention collective applicable est celle des journalistes du 1er novembre 1976.

Le 23 septembre 2020, M. [Y] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.

C’est dans ce contexte que le 5 juillet 2021, M. [Y] saisissait le conseil de prud’hommes de Bobigny.

Par un jugement contradictoire du 28 mars 2022, le conseil de prud’hommes de Bobigny a ordonné la jonction avec l’affaire RG F 21/02970, s’est déclaré incompétent et a invité les parties à mieux se pourvoir.

M. [Y] a interjeté appel de ce jugement le 4 mai 2022.

Par ordonnance du 2 juin 2022, la juridiction du premier président de la cour d’appel de Paris a autorisé M. [Y] à assigner à jour fixe la Société.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions transmises au greffe par RPVA le 4 mai 2022, M. [Y] demande à la cour de :

‘ titre principal,

— renvoyer l’affaire devant la commission arbitrale des journalistes qu’il a saisie le 23 juin 2021 en vertu de l’article 81 alinéa 1er du code de procédure civile et de l’article L.7112-4 du code du travail ;

‘ titre subsidiaire,

— infirmer la décision déférée et rendue le 28 mars 2022 par le conseil de prud’hommes de Bobigny, en ce qu’elle a considéré le conseil de prud’hommes incompétent et renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;

— renvoyer l’affaire devant le conseil de prud’hommes de Bobigny autrement composé afin d’examiner le fond du litige ;

En tout état de cause :

— condamner la Société à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la Société aux entiers dépens.

Par dernières conclusions transmises au greffe par RPVA le 16 novembre 2022, la Société demande à la cour de :

— relever que M. [Y] ne peut revendiquer la qualité de journaliste professionnel, ne produisant pas de carte de presse et ne démontrant pas avoir pour activité principale le journalisme alors même qu’il travaille en tant que photographe immatriculé comme travailleur indépendant pour la publicité et de nombreux annonceurs ;

— dire n’y avoir lieu à renvoi devant la commission arbitrale des journalistes pour fixer l’indemnité de licenciement due dès lors que la qualité de journaliste professionnel de M. [Y] n’est pas établie au regard des faits ;

— relever que les faits litigieux dénoncés par M. [Y], en ce qu’ils concernent son activité de travailleur indépendant facturant ses prestations sous un numéro SIRET, ne relèvent pas d’une activité salariale et ne peuvent constituer une modification essentielle du contrat de travail ;

— confirmer le jugement d’incompétence du conseil de prud’hommes à statuer sur une prise d’acte dont les faits litigieux ne concernent pas le salariat et relèvent de l’exercice de travailleur indépendant inscrit au répertoire SIREN et donnant lieu à facturation avec TVA et dispense de précompte de cotisations de sécurité sociale.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées et soutenues à l’audience, conformément aux dispositions de l’article 455 du code procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Au soutien de ses prétentions, M. [Y] fait valoir que la commission arbitrale des journalistes est compétente en application des articles 81 alinéa 1er du code de procédure civile et L.7112-4 du code du travail. En effet, cette dernière s’est saisie de l’affaire qui oppose les parties avant l’audience du 15 novembre 2021 et le jugement rendu par le conseil de prud’hommes le 28 mars 2022.

De plus, il convient de rectifier la reconnaissance de sa qualité de journaliste professionnel dans la mesure où le conseil des prud’hommes s’est livré à une appréciation erronée des faits, sans débattre au fond.

‘ titre subsidiaire, le conseil de prud’hommes de céans a violé l’article 81 du code de procédure civile en ne désignant pas la juridiction estimée compétente ainsi que les articles 4 et 5 du code de procédure civile en dénaturant ses prétentions. En outre, en l’absence de tout débat au fond, c’est à tort qu’il a conclu à son incompétence.

En réplique, la Société soutient que le conseil de prud’hommes n’est pas compétent pour statuer sur une relation contractuelle non salariale. En effet, l’acte litigieux retenu par M. [Y] comme fondant sa prise d’acte de la rupture de son contrat de travail ne relève pas de son activité salariale.

Par ailleurs, M. [Y] ne justifie pas répondre aux conditions nécessaires pour revêtir la qualité de journaliste : il ne dispose pas de carte de presse, ne rapporte pas la preuve que le principal de ses ressources résulte du journalisme, ses travaux de retouche n’ont pas de lien avec l’actualité et la ses bulletins de salaires ne font pas mention de sa qualité de journaliste.

En outre, la commission arbitrale des journalistes n’est compétente que pour fixer l’indemnité de licenciement des journalistes ayant plus de 15 ans ou licenciés pour faute grave, « (s)i l’employeur est à l’initiative de la rupture », conformément à l’article L. 7112-3 du code du travail. Dès lors, sa saisine ne peut fonder la reconnaissance de la qualité de journaliste professionnel de M. [Y], le conseil de prud’hommes étant seul compétent en la matière. Pour sa part, l’URSSAF n’a pas reconnu à M. [Y] la qualité de journaliste professionnel.

Sur ce,

Il est constant que l’origine de la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par M. [Y] trouve son origine dans le fait que, à compter du mois de juillet, 2020, la Société aurait refusé de lui régler le montant de 50 euros par page au titre de frais de ‘retouche’.

Il est constant que M. [Y] est un photographe professionnel et qu’il a créé une activité artisanale de photographe depuis 1984, pour laquelle il est inscrit en tant qu’entrepreneur individuel et dispose d’un numéro de SIRET comme de SIREN.

Il est également constant que M. [Y] est enregistré auprès de l’AGESSA, qui peut être qualifié de système de sécurité sociale des artistes-auteurs.

Il en résulte, conformément aux dispositions de l’article L. 8221-6 du code du travail, une présomption de non-salariat, laquelle peut être combattue par la preuve contraire.

En l’occurrence, elle peut l’être d’autant plus facilement, en apparence, que M. [Y] bénéficiait d’un contrat de travail avec la Société, depuis plusieurs années, au moment où il a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Il importerait donc d’examiner précisément celui-ci. Force est de constater qu’aucune des parties n’a estimé utile de le soumettre à la cour.

Les bulletins de paie de M. [Y], dont le plus ancien soumis à la cour remonte au mois de janvier 2017, se présentent tous de manière similaire, qui font apparaître des ‘piges’, qui précisent les pages sur lesquelles des photographies ont été reproduites et mentionnent un « Total Piges Rédac ». Le montant mensuel réglé à M. [Y] varie donc en conséquence.

La cour relève qu’aucun de ces bulletins ne mentionne de rubrique ‘retouche’ ou qui pourrait être assimilée.

Il résulte des pièces produites par M. [Y] que certaines des photos correspondant à ces bulletins de salaire faisaient l’objet d’une retouche, laquelle était réglée par facture séparée à M. [Y], en sa qualité d’artisan photographe. En d’autres termes, le paiement de la photographie (des photographies) et celui de l’éventuelle retouche (l’examen des factures montre que toutes les photographies n’étaient pas retouchées) étaient distincts, les factures pouvant d’ailleurs être réglées selon une périodicité distincte.

Par courriel en date du 23 septembre 2020, M. [Y] a reproché à la Société d’avoir décidé unilatéralement la suppression du « poste de retouche numérique », créé selon lui en 2013 « pour pallier à une décision de l’URSSAF d’obliger le groupe Marie Claire à cesser de payer les photographes en droit d’auteur pour ceux qui relevaient de ce régime. Le groupe a décidé de baisser le prix de la page d’environ 50€ pour compenser les charges sociales (…) ». IL ajoute : « Outre cette baisse de prix de la page de plus de 20%, c’est un préjudice moral me concernant puisque cela fait plus de 25 ans que je travaille pour le journal ».

La cour ne peut que constater que M. [Y] n’apporte pas la preuve de ce qu’il avance.

Contrairement à ce qu’il soutient, et à ce qu’il a également écrit dans sa requête en vue de la saisine de la Commission arbitrale des journalistes, M. [Y] ne démontre aucunement qu’après le mois de juillet 2020, son mode de rémunération aurait été modifié.

Les éléments qu’il produit démontrent, au contraire, qu’il a toujours perçu deux types de rémunération distinctes, en tout cas depuis 2017 : un salaire et un paiement sur facture pour les retouches éventuellement apportées aux photographies publiées dans certains numéros.

La cour souligne que ces modes de rémunération n’ont pas été interrompus au mois de juillet 2020, contrairement ce qu’il affirme, puisqu’au mois de novembre 2020, il a adressé une facture d’un montant total de 240 euros.

Le montant des salaires qu’il a déclarés au titre des revenus de l’année 2020 est sensiblement supérieur à celui des deux années précédentes.

La cour ne peut qu’observer, par ailleurs, que les déclarations des revenus non commerciaux et assimilés faites par M. [Y] sont pour le moins surprenantes, pour l’année 2019. Alors que l’une fait, comme les années précédentes, références à des salaires perçus de la Société pour un montant de 11 000 à 12 000 euros, une autre mentionne une somme de plus de 114 000 euros, que rien ne vient expliquer.

La cour doit cependant constater que, si cette somme était exacte, l’affirmation de M. [Y] selon laquelle ses ressources auraient baissé de 20% suite à une modification de la politique de rémunération de la Société serait pour le moins contredite.

Enfin, M. [Y] ne démontre en aucune manière que la totalité des photographies pour lesquelles il percevait un salaire faisait l’objet d’une retouche.

Il n’apporte pas davantage la preuve de ce qu’à compter de juillet 2020, il y aurait eu suppression de la rémunération des retouches au profit d’une « rémunération en salaire à hauteur de 180 euros par pige ».

En tout état de cause, M. [Y] n’apporte aucune démonstration de ce que son activité de retouche, qui relève de sa liberté de créateur, aurait été soumise à un quelconque lien de subordination de la part de la Société.

De l’ensemble de ce qui précède, il résulte que, à supposer qu’il existe, le litige relatif au paiement par la Société de l’activité de retouche de M. [Y] ne relève pas de la compétence du conseil de prud’hommes, dont la décision sur ce point sera confirmée, avec la précision que le tribunal compétent est, faute de toute autre précision, le tribunal de commerce de Bobigny.

La question de savoir si M. [Y] doit être considéré comme un journaliste est une question distincte, qui ne relève pas de l’examen du présent dossier et il n’y a pas lieu de suivre les parties dans leurs explications ou argumentations sur ce point, observation faite que la commission arbitrale des journalistes a déjà été saisie par M. [Y], tandis que ce dernier n’a pas saisi la juridiction prud’homale pour faire juger que sa prise d’acte doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

M. [Y], qui succombe, sera condamné aux dépens.

Il sera débouté de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article’700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du 28 mars 2022, le conseil de prud’hommes de Bobigny, avec cette précision que la juridiction de renvoi compétente est le tribunal de commerce de Bobigny ;

Condamne M. [K] [Y] aux dépens ;

Déboute M. [Y] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de toute demande autre, plus ample ou contraire.

La greffière, Le président,


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