Responsabilité et indemnisation suite à un accident de la circulation

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Responsabilité et indemnisation suite à un accident de la circulation

L’Essentiel : Un grave accident de la circulation s’est produit le 2 avril 2014 à [Localité 9], impliquant une moto et une voiture. La conductrice de la moto, assurée par la Mutuelle des motards, a percuté frontalement le véhicule de M. [N], assuré par MMA. Après des poursuites judiciaires, le tribunal de Lille a reconnu un accord sur la limitation de l’indemnisation de la conductrice, tout en condamnant la Mutuelle des motards et AXA à indemniser M. [N]. En appel, la cour de Douai a confirmé ce droit à indemnisation, ordonnant une expertise médicale pour évaluer les préjudices subis.

Accident de la circulation

Un grave accident de la circulation a eu lieu le 2 avril 2014 à [Localité 9]. La conductrice d’une moto, assurée par la Mutuelle des motards, a tenté de dépasser une voiture devant elle, assurée par AXA France IARD. En se déportant sur sa gauche, elle a percuté de manière frontale la voiture conduite par M. [N], qui circulait en sens inverse et était assuré par MMA IARD et MMA assurances mutuelles.

Procédures judiciaires

La conductrice de la moto a engagé des poursuites contre les assureurs des deux véhicules pour obtenir une indemnisation de ses préjudices. Le tribunal de grande instance de Lille a rendu un jugement le 28 février 2020, reconnaissant un accord entre la conductrice de la moto et MMA sur la limitation de son droit à indemnisation, tout en condamnant la Mutuelle des motards et AXA à réparer l’intégralité des dommages subis par M. [N].

Appel et décisions de la cour d’appel

La Mutuelle des motards a fait appel du jugement, contestando la décision sur l’indemnisation de M. [N]. La cour d’appel de Douai, par un arrêt du 18 novembre 2021, a confirmé le droit à indemnisation intégrale de M. [N] et a ordonné une expertise médicale. L’expert a conclu à la consolidation de l’état de M. [N] en 2022.

Assignation de M. [N]

M. [N] a assigné la Mutuelle des motards et AXA devant le tribunal judiciaire de Lille, demandant diverses indemnités pour préjudices subis à la suite de l’accident. Il a sollicité des sommes pour les préjudices extra-patrimoniaux, la perte de gains actuels et futurs, ainsi que des frais de justice.

Conclusions des parties

La Mutuelle des motards a demandé un sursis à statuer en attendant la mise en cause de la CPAM et a proposé une liquidation de préjudices, tandis qu’AXA a demandé à être mise hors de cause, arguant que M. [N] n’avait plus d’intérêt à agir contre elle. Les deux parties ont contesté les demandes de M. [N] concernant les pertes de gains.

Décision du tribunal

Le tribunal a rejeté la demande de mise hors de cause d’AXA et a confirmé que la Mutuelle des motards et AXA devaient indemniser M. [N]. Il a statué sur les préjudices temporaires et permanents, acceptant certaines offres d’indemnisation tout en rejetant les demandes de M. [N] concernant les pertes de gains professionnels.

Indemnisation accordée

Le tribunal a accordé à M. [N] des indemnités pour l’assistance par tierce personne, le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances endurées, le préjudice esthétique temporaire, l’incidence professionnelle et le déficit fonctionnel permanent, tout en déduisant les provisions déjà versées.

Dépens et frais de justice

La Mutuelle des motards a été condamnée aux dépens de l’instance, et il a été décidé qu’elle devait également verser une somme à M. [N] au titre des frais de justice. Le tribunal a précisé que l’exécution provisoire du jugement était de droit, sans nécessiter de demande spécifique.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de l’accord entre la conductrice de la moto et la Mutuelle des motards sur l’indemnisation des postes extra-patrimoniaux ?

L’accord entre la conductrice de la moto et la Mutuelle des motards sur l’indemnisation des postes extra-patrimoniaux a été pris en compte par le tribunal dans son jugement. Selon l’article 1 de la loi du 5 juillet 1985, qui régit l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, il est précisé que « les victimes d’accidents de la circulation ont droit à une réparation intégrale de leur préjudice ».

Cet article souligne que l’indemnisation doit couvrir l’ensemble des préjudices, qu’ils soient patrimoniaux ou extra-patrimoniaux. L’accord intervenu entre les parties sur les préjudices extra-patrimoniaux signifie que la Mutuelle des motards a reconnu sa responsabilité pour ces postes de préjudice, ce qui a permis au tribunal de statuer sur les autres demandes d’indemnisation.

Il est donc essentiel de noter que cet accord ne limite pas le droit à indemnisation de M. [N] pour les autres préjudices, mais établit un cadre pour la réparation des préjudices extra-patrimoniaux, conformément à la loi.

Quelles sont les conséquences de l’arrêt du 18 novembre 2021 sur le droit à indemnisation de M. [N] ?

L’arrêt du 18 novembre 2021 a des conséquences significatives sur le droit à indemnisation de M. [N]. En effet, cet arrêt a confirmé le droit à indemnisation intégrale de M. [N] et a précisé que la Mutuelle des motards et la société AXA sont les débiteurs de l’indemnisation.

Conformément à l’article 1351 du Code civil, qui stipule que « l’autorité de la chose jugée s’attache à la décision qui a statué sur le fond », cet arrêt est devenu irrévocable, ce qui signifie que les parties ne peuvent plus contester le droit à indemnisation de M. [N].

De plus, l’arrêt a également précisé que la Mutuelle des motards doit garantir la société AXA des condamnations prononcées à son encontre, ce qui établit une obligation de solidarité entre les assureurs. Cela signifie que M. [N] peut demander l’indemnisation intégrale de ses préjudices à l’un ou l’autre des assureurs, qui sont tenus de se répartir la charge de l’indemnisation.

Comment le tribunal a-t-il évalué les préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux de M. [N] ?

Le tribunal a évalué les préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux de M. [N] en se basant sur les éléments de preuve fournis, notamment les rapports d’expertise et les documents financiers.

Pour les préjudices patrimoniaux, le tribunal a pris en compte les pertes de gains professionnels actuels et futurs. Selon l’article 2 de la loi du 5 juillet 1985, les préjudices patrimoniaux doivent être évalués en fonction des revenus perdus en raison de l’accident. Cependant, le tribunal a constaté que M. [N] n’avait pas fourni de preuves suffisantes pour établir une perte de revenus avant l’accident, ce qui a conduit au rejet de sa demande pour les pertes de gains professionnels.

Concernant les préjudices extra-patrimoniaux, le tribunal a accepté les offres de la Mutuelle des motards pour le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances endurées et le préjudice esthétique temporaire, conformément à l’article 3 de la même loi, qui stipule que les préjudices extra-patrimoniaux doivent être réparés intégralement.

Ainsi, le tribunal a accordé des indemnités pour ces postes de préjudice, en tenant compte des évaluations faites par l’expert et des accords entre les parties.

Quelles sont les implications de l’article 700 du Code de procédure civile dans cette affaire ?

L’article 700 du Code de procédure civile prévoit que « le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ».

Dans cette affaire, le tribunal a condamné la Mutuelle des motards à verser à M. [N] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700, en reconnaissance des frais engagés par M. [N] pour faire valoir ses droits. Cette disposition vise à garantir que la partie qui a dû engager des frais pour obtenir réparation de son préjudice puisse être indemnisée pour ces coûts.

Il est important de noter que cette indemnité est distincte des dépens, qui comprennent les frais de justice, et elle est destinée à couvrir les frais d’avocat et autres dépenses liées à la procédure. Le tribunal a également précisé que l’équité commandait de ne prononcer aucune autre condamnation à ce titre, ce qui montre une volonté de ne pas alourdir la charge financière de la partie perdante au-delà de ce qui est raisonnable.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
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Chambre 04
N° RG 22/07366 – N° Portalis DBZS-W-B7G-WS6E

JUGEMENT DU 14 JANVIER 2025

DEMANDEUR :

M. [T] [N]
[Adresse 7]
[Localité 5]
représenté par Me Florence MAS, avocat au barreau de LILLE

DEFENDEUR :

La compagnie d’assurance MUTUELLE DES MOTARDS, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Jean-françois SEGARD, avocat au barreau de LILLE

La CPAM de [Localité 9], prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 6]
défaillant

La S.A. AXA FRANCE IARD, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Localité 8]
représentée par Me Daniel ZIMMERMANN, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Ghislaine CAVAILLES, Vice-Présidente
Assesseur : Leslie JODEAU, Vice-Présidente
Assesseur : Laurence RUYSSEN, Vice-Présidente

Greffier : Yacine BAHEDDI, Greffier

DEBATS :

Vu l’ordonnance de clôture en date du 20 Octobre 2023.

A l’audience publique du 21 Octobre 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 14 Janvier 2025.

JUGEMENT : réputé contradictoire, en premier ressort, et mis à disposition au Greffe le 14 Janvier 2025 par Ghislaine CAVAILLES, Président, assistée de Yacine BAHEDDI, greffier.

Un grave accident de la circulation s’est produit le 2 avril 2014 à [Localité 9].

Dans une rue à double sens ne comportant que deux voies de circulation, une dans chaque sens, séparées par une ligne blanche continue, la conductrice d’une moto assurée par la Mutuelle des motards a entrepris de dépasser la voiture qui la précédait, assurée auprès de la société AXA France IARD. Ce faisant, la conductrice de la moto s’est déportée sur sa gauche et a violemment heurté de manière quasiment frontale, la voiture conduite par M. [N], venant en sens inverse et assurée auprès des sociétés MMA IARD et MMA assurances mutuelles.

La conductrice de la moto a agi contre les assureurs des deux voitures et leurs conducteurs respectifs en indemnisation de ses préjudices devant le tribunal de grande instance de Lille qui, dans un jugement rendu le 28 février 2020 a principalement pris acte d’un accord conclu entre la conductrice de la moto et les sociétés MMA sur la limitation de son droit à indemnisation mais également dit que la Mutuelle des motard et la société AXA seront tenues de réparer l’intégralité des conséquences dommageables subies par M. [N] à la suite de cet accident.

La Mutuelle des motards a fait appel des dispositions du jugement ayant rejeté sa demande en réduction du droit à indemnisation de M. [N] et sur la condamnation aux dépens. Par arrêt du 18 novembre 2021, la cour d’appel de Douai a confirmé le droit à indemnisation intégrale de M. [N] mais également dit que la Mutuelle des motards devra garantir intégralement la société AXA des condamnation prononcées à son encontre au titre de la réparation du dommage subi par M. [N] et elle a ordonné une expertise médicale de M. [N].

L’expert [I] a mené ses opérations d’expertise en 2022 puis déposé son rapport, concluant notamment à l’acquisition de la consolidation de l’état de M. [N].

Par actes d’huissier des 15 et 16 novembre 2022, M. [N] a fait assigner les sociétés Mutuelle des Motards et AXA France IARD (ci-après, AXA) devant le tribunal judiciaire de Lille. Il demande au tribunal de :

Vu la loi du 5 juillet 1985,

– Déclarer sa demande recevable et bien fondée, et en conséquence :
– Acter l’accord trouvé avec la Mutuelle des motards sur l’indemnisation des postes extra-patrimoniaux ;
– Condamner en conséquence la société AXA, garantie par la Mutuelle des motards, à lui verser au titre des préjudices subis consécutivement à l’accident du 2 avril 2014, les sommes de :
– 17 630 euros au titre des préjudices extra-patrimoniaux,
– 24 202 euros au titre de la perte de gains actuels,
– 393 909,60 euros au titre de la perte de gains futurs ;
– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;
– Condamner la société AXA, garantie par la Mutuelle des motards, à lui verser la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société AXA, garantie par la Mutuelle des motards, à supporter les dépens en ce compris le coût de l’expertise ;
– Et dire que, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, Maître Florence Mas pourra recouvrer directement les frais dont elle a fait l’avance sans en avoir reçu provision.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 février 2023, la Mutuelle des motard demande au tribunal de :

– Surseoir à statuer dans l’attente de la mise en cause de la CPAM de [Localité 9] [Localité 10] ;
– Liquider le préjudice de M. [N] de la manière suivante :
– Assistance tierce personne temporaire : 280 euros
– Perte de gains professionnels actuels : REJET
– Perte de gains professionnels futurs / incidence professionnelle : REJET
– Déficit fonctionnel temporaire total et partiel : 1 829,65 euros
– Souffrances endurées : 3 000 euros
– Préjudice esthétique temporaire : 500 euros
– Déficit fonctionnel permanent : 10 800 euros
– Déduire la somme provisionnelle déjà versée pour un montant de 2 700 euros ;
– Limiter la dette indemnitaire de la mutuelle des motards à une somme totale de 13 709,65 euros,
– Rejeter toute demande présentée par M. [N] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 février 2023, la société AXA demande au tribunal de :

Vu l’arrêt du 18 novembre 2021,
– Juger que M. [N] n’a plus d’intérêt à agir à son encontre ;
– Ordonner en conséquence sa mise hors de cause ;

Subsidiairement,
– Juger que la Mutuelle des motards devra la garantir intégralement de toute condamnation susceptible d’être prononcée à son encontre au profit de M. [N] ;
– Condamner M. [N] et / ou la Mutuelle des motards à lui payer une indemnité de procédure de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Les condamner aux dépens.

Par acte d’huissier du 19 juillet 2023, M. [N] a fait appeler en déclaration de jugement commun la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 9]-[Localité 10] (ci-après, CPAM).

La CPAM n’a pas constitué avocat.

La jonction des deux instances a été ordonnée le 2 octobre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la qualification du jugement :

L’assignation ayant été délivrée au siège de la CPAM et, la décision étant susceptible d’appel, il sera statué par jugement réputé contradictoire, conformément à l’article 474 du code de procédure civile.

Conformément à l’article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparait pas, il est néanmoins statué sur le fond ; le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable, et bien fondée.

Sur le défaut d’intérêt à agir, la demande de mise hors de cause de la société AXA et l’identité des débiteurs de l’obligation d’indemniser :

Il n’est pas contesté que l’arrêt du 18 novembre 2021 n’a fait l’objet d’aucun recours et qu’il est devenu irrévocable.

Il en résulte donc nécessairement, bien que les parties n’ont en pas débattu, qu’il a été irrévocablement statué sur le droit à indemnisation intégrale de M. [N] mais aussi sur l’identité des deux débiteurs de l’indemnisation, la Mutuelle des motards et la société AXA avec la précision que la première doit garantir la seconde des condamnations prononcées à son encontre au titre de la réparation du dommage subi par M. [N].

Outre qu’une éventuelle fin de non recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir ne relevait que du juge de la mise en état au sens de l’article 789 du code de procédure civile et aurait dû être soulevée par conclusions qui lui auraient été spécialement adressées, il doit être observé que la société AXA procède à un raccourci lorsqu’elle explique que la charge définitive de l’indemnisation doit reposer sur la Mutuelle des motards, qui est un assureur solvable.

Le tribunal ne saurait revenir sur ce qui a été définitivement jugé par la cour d’appel et les débiteurs de l’indemnisation restent la Mutuelle des motards et la société AXA tandis que la première doit garantir la seconde.

Il en va de même de l’équivoque de la formulation des demandes de M. [N] au dispositif de son assignation puisqu’il demande la condamnation de “la société AXA, garantie par la Mutuelle des motards” alors que dans les motifs, il explique avoir conclu un accord avec la Mutuelle des motards sur ses préjudices extra-patrimoniaux mais trouver insuffisante l’offre faite par la Mutuelle des motards sur les préjudices patrimoniaux. La société AXA n’est guère mentionnée dans les motifs de son assignation.
Le tribunal déduit de cette équivoque que M. [N] demande en réalité la condamnation de la Mutuelle des motards et la société AXA, tout en prenant acte de ce que la première doit garantir la seconde.

En conséquence, la fin de non recevoir et la demande de mise hors de cause seront rejetées.

Sur le sursis à statuer :

Postérieurement à la notification des conclusions de la Mutuelle des motards sollicitant le sursis dans l’attente de la mise en cause de la CPAM, cette dernière a été appelée en déclaration de jugement commun et les affaires ont été jointes.

Il n’y a donc pas lieu de sursoir.

Sur le montant de l’indemnisation des préjudices patrimoniaux :

Les préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

L’assistance par tierce personne :

M. [N] accepte l’offre de la Mutuelle des motards à hauteur de 280 euros pour 4 heures d’aide non spécialisée du 4 avril au 4 mai 2014.

Les parties étant d’accord, il revient à M. [N] la somme de 280 euros.

Les pertes de gains professionnels actuels :

Il s’agit du préjudice patrimonial temporaire subi par la victime du fait de l’accident, c’est à dire des pertes de revenus éprouvées par cette victime du fait de son dommage jusqu’à la date de consolidation.

A ce sujet l’expert, qui a retenu une date de consolidation au 2 avril 2016, laquelle n’est pas contestée, a conclu au sujet des pertes de gains professionnels :

“M. [N] signale ne pas avoir repris son poste de travail après l’hospitalisation initiale [dans la nuit du 2 au 3 avril 2014]. On rappelle que les arrêts de travail n’ont pas été fournis lors de l’expertise et qu’il subsiste une incertitude concernant la qualification de son contrat de travail à l’époque des faits. Néanmoins, en raison de l’immobilisation par attelles des membres supérieurs et inférieurs gauche durant un mois au décours de l’accident, on pourrait retenir au besoin sur cette période une perte de gains professionnels actuels. M. [N] n’a pas pu reprendre son activité de travailleur sur chantier et il signale des douleurs articulaires notamment aux chevilles toujours invalidantes. Cependant ces douleurs sont consécutives à la maladie goutteuse présentée par le patient et qui a été exclue de la prise en charge lésionnelle. Ce sont ces douleurs qui ont fait l’objet d’une demande de reconnaissance de travailleur handicapé et ont incité le patient à adapter son activité professionnelle. De ce fait, il n’y a pas lieu de retenir d’incidence professionnelle post-consolidation.”

M. [N] demande une somme de 22 509,12 euros aux motifs qu’antérieurement à l’accident, ses revenus moyens nets s’élevaient à 1 693,53 euros par mois (moyenne qu’il calcule sur les fiches de paye 2011, 2012 et 2013) tandis que l’expert considère l’arrêt de travail du 4 avril au 4 mai 2014 justifié. Il explique qu’après l’accident ses revenus moyens nets s’élèvent à 755,65 euros (moyenne qu’il calcule sur les fiches de paye 2017, 2018, 2019 et 2020).

En défense, la Mutuelle des motards conclut au rejet en l’absence de preuve de l’existence de la perte alléguée. Elle ajoute que M. [N] n’a appelé à l’instance ni l’organisme social, ni son employeur ni sa caisse de prévoyance. Elle note que l’expert a pu concevoir la possibilité d’une interruption du travail à raison des attelles à l’épaule et au genou gauche mais souligne qu’aucune pièce n’établit la réalité d’une rémunération mensuelle de M. [N] à l’époque de l’accident. Elle observe qu’il est présenté des fiches de paie afférentes à du travail temporaire d’octobre 2011 à juillet 2012, puis de mai à juillet 2013 alors que les autres documents produits sont ensuite postérieurs à 2017.

Le tribunal entend bien qu’il est peu probable de conserver ou d’obtenir un emploi d’intérimaire comme finisseur, cimentier, coffreur ou brancheur tout en étant porteur d’une attelle au bras et à la jambe gauche pendant un mois puis en subissant des douleurs au genou gauche.

Il doit cependant être constaté que les fiches de paie produites (PC 5) ne montrent aucune activité professionnelle entre le 5 juillet 2013 et le 1er mai 2017 étant rappelé que l’accident est survenu le 2 avril 2014. M. [N] ne démontre donc aucune activité professionnelle durant quasiment une année avant l’accident. Il ne produit pas non plus de pièces en rapport avec une recherche d’emploi du 5 juillet 2013 au 2 avril 2014 et n’établit, par conséquent, pas qu’il aurait perdu, en raison de ses blessures, la possibilité d’en obtenir un.

Il n’est donc pas établi que M. [N] aurait perdu des gains professionnels avant la consolidation.
En conséquence, la demande doit être rejetée.

Les préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation)

Les pertes de gains professionnels futurs :

Il s’agit d’indemniser la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus consécutive à l’incapacité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du dommage. Cela peut provenir soit de la perte de l’emploi, soit de l’obligation d’exercer un emploi à temps partiel. Toutefois, ce poste n’englobe pas les frais de reclassement professionnel, de formation ou de changement de poste qui sont pris en considération dans l’incidence professionnelle.

A ce titre, M. [N] réclame l’indemnisation de la différence entre ses revenus antérieurs et ses revenus postérieurs à l’accident précédemment détaillés de la date de consolidation jusqu’à ses 62 ans, soit 937,88 euros par mois, 12 mois par an pendant 35 ans.
Il considère que l’expert se contredit en excluant toute perte de gains ou incidence professionnelle alors qu’il ne souffre pas exclusivement des conséquences de la maladie goutteuse mais aussi de celles de l’accident lui laissant un déficit fonctionnel permanent.

En défense, la Mutuelle des motards conclut au rejet car M. [N] a travaillé en intérim comme ouvrier avant et après l’accident tandis que les douleurs articulaires causées par la maladie goutteuse ne sont pas imputables à l’accident.

Sur ce, M. [N] ne produit qu’un unique avis d’imposition, celui sur les revenus de 2015 et non pas la totalité de ses avis d’imposition de 2011 ou 2012 jusqu’à 2022, c’est à dire deux ou trois ans avant l’accident jusqu’à la dernière année complète avant clôture de l’instruction prononcée le 20 octobre 2023.
Il fournit une pièce 5 contenant des fiches de paye pour du travail intérimaire mais rien n’établit qu’il s’agit de la totalité des fiches qu’il a reçues durant cette période alors que l’intérim est, par définition précaire et que les revenus d’un tel travail sont particulièrement variables.

Il ne fournit donc pas d’éléments suffisants pour permettre au tribunal d’étudier sérieusement ses revenus antérieurs et postérieurs à l’accident pour déterminer s’il a subi une perte.

Dans ces conditions, sa demande doit être rejetée.

Le tribunal estime cependant devoir livrer une analyse complémentaire.
A supposer que les pièces produites correspondent à la totalité des revenus perçus, ce qui n’est pas démontré, à la lecture des fiches de paye de M. [N], du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, soit 24 mois avant l’année au cours de laquelle l’accident est survenu, il a perçu un revenu moyen net imposable de :
(2 076,86 + 1 388,30 + 1 644,72 + 1 089,44 + 585,60 + 1 847,31 + 756,24 + 2 112,73 + 131,94) / 24 = 484,71 euros.

Postérieurement à l’accident et à la consolidation, à la lecture de fiches de paye des années 2017, 2018 et 2019 sans tenir compte des 1er, 2 et 5 janvier 2020, ces derniers n’étant pas révélateurs d’une année, il aurait perçu un revenu moyen net imposable (les montants sont repris dans l’ordre de la pièce 5 qui n’est pas l’ordre chronologique) :
(2 457,08 + 1 228,54 + 1 228,54 + 2 152,31 + 1 138,44 + 136,49 + 394,81 + 387,39 + 237,97 + 79,25 + 483,60 + 88,75 ) / 36 = 272,61 euros.

Toujours en supposant que ces pièces sont complètes, elles sont évocatrices d’une perte des revenus tirés de son travail, de l’ordre de de 212 euros par mois.

Toutefois, à cette période, outre les séquelles de l’accident impliquant une perte de 20° de l’amplitude du genou gauche et les éléments persistant de stress post-traumatique évalués par l’expert à 8 %, il subissait aussi les douleurs articulaires d’une maladie goutteuse pour laquelle il est suivi depuis avril 2017.
L’expert a expliqué que cette maladie métabolique est d’origine multifactorielle mais non traumatique, ce qui l’a conduit à l’exclure des suites de l’accident. Chez M. [N], cette pathologie a causé des douleurs articulaires diffuses mais le touchant plus particulièrement aux chevilles. Cette conclusion de l’expert n’est pas contestée.

Les douleurs articulaires diffuses affectent aussi la capacité de travail d’un ouvrier du bâtiment et n’ont donc pu manquer de nuire à ses recherches d’emploi.

A défaut de meilleur élément d’appréciation, la perte devrait donc être considérée comme pour moitié imputable à l’accident et pour moitié imputable à la maladie goutteuse de sorte que sa perte de gains ne pouvait pas être évaluée, comme soutenu sur une base de 937,88 euros par mois.

L’incidence professionnelle :

Ce poste n’a pas pour objectif d’indemniser la perte de revenu liée à l’invalidité permanente mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle, de l’augmentation de la pénibilité du travail qu’elle occupe ou de la nécessité de changer de profession. Ce poste comprend les frais de reclassement professionnel, de formation ou de changement de poste, et plus largement tous les frais nécessaires à un retour de la victime dans la sphère professionnelle. Enfin, ce poste de préjudice comprend également la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap, c’est à dire le déficit de revenus futurs, estimé imputable à l’accident, qui va avoir une incidence sur le montant de la pension auquel pourra prétendre la victime au moment de sa prise de retraite.

M. [N] soutient que si le tribunal ne retient pas sa perte de gains professionnels, il est fondé à présenter la même réclamation au titre de l’incidence professionnelle, soulignant que si a repris des fonctions d’ouvrier dans le bâtiment sa résistance aux conditions de travail difficiles est affectée par le déficit fonctionnel tandis que la Mutuelle des motards fait valoir la même argumentation que celle avancée pour les pertes de gains.

Sur ce, les pertes de gains professionnels ne sauraient se confondre avec l’incidence professionnelle compte tenu des deux définitions rappelées plus haut. Le tribunal ne peut donc suivre ni l’une ni l’autre analyse.

En revanche, il est certain d’une part que M. [N] n’a pas subi de réorientation professionnelle suite à l’accident mais d’autre part que la diminution de l’amplitude du genou gauche rend plus pénible le travail d’un ouvrier du bâtiment et le dévalorise sur le marché de l’emploi puisque de telles fonctions impliquent des efforts physiques et beaucoup de mouvement.

Ces éléments suffisent à établir l’existence d’une incidence professionnelle qui mérite réparation à hauteur de 50 000 euros.

En conséquence, il revient à M. [N] la somme de 50 000 euros.

Les préjudices extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation) :

Le déficit fonctionnel temporaire :

M. [N] accepte l’offre de la Mutuelle des motards à hauteur de 1 829,65 euros au regard des périodes de déficit fonctionnel temporaire retenues par l’expert :
– déficit fonctionnel temporaire total du 2 au 3 avril 2014,
– déficit fonctionnel temporaire de 25 % du 4 avril au 4 mai,
– déficit fonctionnel temporaire de 10 % du 6 mai 2014 au 2 avril 2016.

Les parties étant d’accord, il revient à M. [N] la somme de 1 829,65 euros.

Les souffrances endurées :

M. [N] accepte l’offre de la Mutuelle des motards à hauteur de 3 000 euros pour les souffrances endurées évaluées par l’expert à 2,5 / 7.

Les parties étant d’accord, il revient à M. [N] la somme de 3 000 euros.

Le préjudice esthétique temporaire :

M. [N] accepte l’offre de la Mutuelle des motards à hauteur de 2 000 euros pour le préjudice esthétique temporaire évalué par l’expert à 2,5 / 7 au titre du port des attelles pendant un mois.

Les parties étant d’accord, il revient à M. [N] la somme de 2 000 euros.

Les préjudices extra-patrimoniaux permanents (après consolidation) :

Le déficit fonctionnel permanent :

M. [N] accepte l’offre de la Mutuelle des motards à hauteur de 10 800 euros pour le déficit fonctionnel permanent évalué par l’expert à 8 %

Les parties étant d’accord, il revient à M. [N] la somme de 10 800 euros.

Sur la déduction des provisions déjà versées :

Il n’est pas contesté que la Mutuelle des motards a versé des provisions à hauteur de 2 700 euros (PC Mutuelle des motards 6).

Sur la demande de jugement commun :

Cette demande est sans objet dès lors que la CPAM est partie à l’instance et que le jugement est réputé contradictoire à l’égard de toutes les parties dont la CPAM.

Sur l’exécution provisoire :

Selon les articles 514 et 514-1 du code de procédure civile :

“ Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.

“ Le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire.
Il statue, d’office ou à la demande d’une partie, par décision spécialement motivée. […]”

Il n’est pas nécessaire d’ordonner l’exécution provisoire du jugement puisqu’elle est de droit et qu’aucune des parties ne sollicite de dérogation tandis que le tribunal n’envisage pas de rédoger d’office.

Sur les dépens et les frais de l’article 700 du code de procédure civile :

Les articles 696, 699 et 700 du code de procédure civile prévoient que :

“La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.”

“Les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.[…]”

“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; […]
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. […]”

La Mutuelle des motards succombe principalement et supportera les dépens de la présente instance avec distraction au profit de Maître Florence Mas.
L’expertise judiciaire ayant été ordonnée par la cour d’appel de Douai statuant au fond, son coût entre dans les dépens de l’instance d’appel et il a déjà été statué sur leur sort dans l’arrêt du 18 novembre 2021.

L’équité commande de condamner également la Mutuelle des motards à payer à M. [N] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’équité commande de ne prononcer aucune autre condamnation à ce titre.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Rejette la fin de non recevoir tirée du défaut de M. [T] [N] à agir contre la sociétéAXA France IARD ;

Rejette la demande de mise hors de cause de la sociétéAXA France IARD ;

Condamne la Mutuelle des motards et la société AXA France IARD à payer à M. [T] [N] les sommes suivantes en réparation du préjudice subi à la suite de l’accident survenu le 2 avril 2014 :

280 euros au titre de l’assistance par tierce personne temporaire,
1 829,65 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
3 000 euros au titre des souffrances endurées,
2 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,
50 000 euros au titre de l’incidence professionnelle,
10 800 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,

Rappelle que la Mutuelle des motards est tenue de garantir intégralement la société AXA France IARD des condamnations prononcées à son encontre au titre de la réparation du dommage subi par M. [T] [N] ;

Rejette les demandes formées au titre des pertes actuelles et futures de gains professionnels ;

Dit que le paiement des sommes précitées interviendra sous déduction des provisions déjà versées par la Mutuelle des motards à hauteur de 2 700 euros ;

Condamne la Mutuelle des motards aux dépens de la présente instance, lesquels n’incluent pas le coût de l’expertise judiciaire exécutée par le docteur [I] ;

Autorise Maître Florence Mas à recouvrer directement les dépens dont elle a fait l’avance sans en avoir reçu provision ;

Condamne la Mutuelle des motards à payer à M. [N] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit n’y avoir lieu à aucune autre condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Le Greffier, La Présiente,


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