L’Essentiel : Le 4 novembre 2012, une victime a chuté dans une discothèque gérée par une société à responsabilité limitée, entraînant des blessures graves. La victime et son assureur ont assigné la société gérante et son assureur devant le tribunal de grande instance pour obtenir une indemnisation. Après plusieurs décisions judiciaires, en mars 2023, la victime a de nouveau assigné la société gérante, son assureur, ainsi qu’une caisse primaire d’assurance maladie. La société gérante et son assureur ont contesté la recevabilité des demandes, mais le tribunal a rappelé que la prescription avait été interrompue, condamnant les défendeurs à verser des frais à la victime.
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Résumé des faits de l’affaireLe 4 novembre 2012, une victime a chuté dans une discothèque gérée par une société à responsabilité limitée, entraînant des blessures graves, notamment une fracture luxation de la cheville droite. En conséquence, la victime et son assureur ont assigné la société gérante et son assureur devant le tribunal de grande instance de Pontoise pour obtenir une indemnisation. Décisions judiciaires antérieuresLe tribunal a déclaré la société gérante entièrement responsable de l’accident lors d’un jugement rendu le 14 mars 2017, mais a suspendu les demandes de paiement en attendant un rapport d’expertise. En octobre 2017, le juge a ordonné le retrait de l’affaire en raison de l’absence de rapport d’expertise. En juin 2021, l’instance a été déclarée périmée. Nouvelle assignation et expertiseEn septembre 2021, la victime et son assureur ont de nouveau assigné la société gérante et son assureur, cette fois devant le juge des référés, pour demander la désignation d’un expert judiciaire. Une mesure d’expertise a été ordonnée en février 2022, et le pré-rapport a été déposé en mars 2023. Demandes des partiesEn mars 2023, la victime a assigné la société gérante, son assureur, ainsi qu’une caisse primaire d’assurance maladie pour obtenir une indemnisation. En réponse, la société gérante et son assureur ont demandé au juge de déclarer les demandes de la victime irrecevables, arguant que la prescription avait couru. Arguments de la victimeLa victime a contesté cette irrecevabilité, soutenant que la prescription n’avait commencé à courir qu’à partir de la date de consolidation de son état de santé, fixée au 25 avril 2013. Elle a également affirmé que les assignations en référé avaient interrompu le délai de prescription. Analyse juridiqueLe tribunal a rappelé que l’action en responsabilité pour dommage corporel se prescrit par dix ans à compter de la consolidation du dommage. Il a également précisé que la péremption d’instance n’éteint pas l’action, mais seulement l’instance. En l’espèce, la prescription a été interrompue par l’assignation en référé de septembre 2021. Décision finaleLe tribunal a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société gérante et son assureur, les condamnant in solidum aux dépens et à verser à la victime une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles. L’affaire a été renvoyée pour conclusions au fond en avril 2025. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la durée de la prescription applicable aux actions en responsabilité pour dommage corporel ?La durée de la prescription applicable aux actions en responsabilité pour dommage corporel est régie par l’article 2226 du code civil. Cet article stipule que : « L’action en responsabilité née à raison d’un évènement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé. » Dans le cas présent, la consolidation du dommage a été fixée au 25 avril 2013, ce qui signifie que le délai de prescription a commencé à courir à partir de cette date. Ainsi, la victime dispose d’un délai de dix ans pour agir en justice, soit jusqu’au 25 avril 2023. Il est donc essentiel de vérifier si des actes interruptifs de prescription ont été réalisés durant cette période. Les effets de la péremption de l’instance sur la prescriptionLa péremption de l’instance est régie par l’article 389 du code de procédure civile, qui précise que : « La péremption de l’instance n’éteint pas l’action ; elle emporte seulement extinction de l’instance sans qu’on puisse jamais opposer aucun des actes de la procédure périmée ou s’en prévaloir. » Cela signifie que, bien que l’instance ait été déclarée périmée, cela n’éteint pas l’action en responsabilité de la victime. Cependant, les actes effectués dans le cadre d’une instance périmée n’ont pas de valeur interruptive du délai de prescription. Dans cette affaire, la péremption de l’instance a été constatée le 10 octobre 2017, ce qui a eu pour effet d’interrompre les effets de l’instance sur la prescription. Comment la demande en justice interrompt-elle le délai de prescription ?L’article 2241 du code civil stipule que : « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription. » Cela signifie que l’introduction d’une action en justice, y compris une demande en référé, a pour effet d’interrompre le délai de prescription. Dans le cas présent, l’assignation en référé du 6 septembre 2021 a valablement interrompu le délai de prescription décennale. De plus, l’article 2239 du code civil précise que : « La prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande d’instruction présentée avant tout procès. » Ainsi, le délai de prescription a également été suspendu pendant la réalisation de l’expertise ordonnée par le juge des référés. Quelles sont les conséquences des frais de justice en cas de perte du procès ?Les conséquences des frais de justice en cas de perte du procès sont régies par l’article 696 du code de procédure civile, qui dispose que : « La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. » Dans cette affaire, la S.A. ALLIANZ IARD et la S.A.R.L. FMP, parties perdantes, seront condamnées in solidum aux dépens. De plus, l’article 700 du code de procédure civile prévoit que : « Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. » Ainsi, les parties perdantes devront également payer à la victime une somme équitable pour couvrir ses frais irrépétibles. |
N° RG 23/01962 – N° Portalis DB3U-W-B7H-NA3S
64B
[G] [O]
C/
CPAM DE L’OISE, S.A. ALLIANZ IARD, S.A.R.L. FMP
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PONTOISE
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ORDONNANCE D’INCIDENT
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Ordonnance rendue le 04 février 2025 par Marie VAUTRAVERS, Vice-Présidente, Juge de la mise en état de ce Tribunal, assistée de Cécile DESOMBRE, Greffier, statuant publiquement, par décision contradictoire et en premier ressort, mise à disposition au greffe le jour du délibéré ;
Date des débats : 10 décembre 2024
DEMANDERESSE
Madame [G] [O], demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Marion SARFATI, avocat au barreau du Val d’Oise
DÉFENDERESSES
CPAM DE L’OISE, dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée par Me Marie LAINEE, avocat au barreau du Val d’Oise
S.A. ALLIANZ IARD, dont le siège social est sis [Adresse 1]
S.A.R.L. FMP, dont le siège social est sis [Adresse 3]
représentées par Me Eric AZOULAY, avocat au barreau du Val d’Oise
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Le 4 novembre 2012, Madame [G] [O] a chuté alors qu’elle se trouvait dans une discothèque gérée par la S.A.R.L FMP, et subi notamment une fracture luxation fermée trimalléolaire de la cheville droite et une dermabrasion à la face antéro-interne de la cheville.
Par acte en date du 4 décembre 2014, Mme [O] ainsi que son assureur la société GMF ASSURANCES, ont fait assigner la S.AR.L. FMP ainsi que son assureur, la S.A. ALLIAND IARD devant le tribunal de grande instance de Pontoise, principalement aux fins d’indemnisation de son préjudice.
Un jugement du tribunal de grande instance de Pontoise en date du 14 mars 2017 a déclaré la S.A.R.L. FMP entièrement responsable des conséquences dommageables de l’accident survenu le 4 novembre 2012 et a sursis à statuer sur les demandes en paiement en attente du dépôt du rapport d’expertise ordonné par la même décision.
Une ordonnance du juge de la mise en état du 10 octobre 2017 a ordonné le retrait du rôle dans l’attente du dépôt de son rapport par l’expert désigné.
Par ordonnance du 3 juin 2021, le juge de la mise en état a constaté la péremption de l’instance.
Par acte en date du 6 septembre 2021, Mme [O] ainsi que la société GMF assurances ont fait assigner la S.A.R.L. FMP ainsi que la S.A. ALLIANZ IARD devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Pontoise afin de solliciter la désignation d’un expert judiciaire.
Une ordonnance du juge des référés du 2 février 2022 a ordonné une mesure d’expertise et l’expert a été déposé le 23 mars 2023 son pré-rapport l’attente du rapport définitif.
Par actes en date des 9 et 22 mars 2023, Mme [O] a fait assigner la S.A.R.L. FMP, la S.A. ALLIANZ IARD ainsi que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) du Val d’Oise devant le tribunal judiciaire de Pontoise notamment aux fins d’indemnisation de son préjudice.
Par conclusions d’incident du 13 septembre 2023 la S.A. ALLIANZ IARD et la S.A.R.L. FMP ont saisi le juge de la mise en état aux fins de voir déclarer irrecevables les demandes de Mme [O].
L’audience d’incident a été fixée le 10 décembre 2024, et la décision a été mise en délibéré au 7 janvier.
Prétentions et moyens des parties
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 13 septembre 2023, la S.A. ALLIANZ IARD et la S.A.R.L. FMP demandent au juge de la mise en état de :
– Déclarer irrecevable Mme [G] [O] en ses demandes ;
– Condamner Mme [G] [O] à payer à la S.A. ALLIANZ IARD la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner Mme [G] [O] à payer à la S.A.R.L. FMP la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, elles font valoir que les demandes formulées par Mme [O] sont irrecevables en indiquant que l’instance introduite en 2014 n’a pas interrompu le délai de prescription quinquennal de droit commun, dès lors que sa péremption a été constatée. Elles expliquent ainsi que le premier acte interruptif est intervenu le 6 septembre 2021.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 17 janvier 2024, Mme [G] [O] demande au juge de la mise en état de :
– Débouter la S.A. ALLIANZ IARD et la S.A.R.L. FMP de sa demande d’irrecevabilité ;
– Condamner in solidum la S.A. ALLIANZ IARD et la S.A.R.L. FMP à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que ses demandes ne sont pas prescrites dès lors que la prescription de son action n’a commencé à courir qu’à la date de la consolidation de son état de santé fixé au 25 avril 2013. Elle explique ainsi qu’en raison de la prescription décennale en matière de préjudice corporel, ses demandes sont recevables. En outre, elle ajoute que les assignations en référé ont régulièrement interrompu le cours de la prescription jusqu’au dépôt du rapport du docteur expertale le 23 mars 2023.
La CPAM du Val d’Oise n’a pas conclu à l’incident et s’est constituée postérieurement aux conclusions notifiées.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
Aux termes de l’article 2226 du code civil en son premier alinéa, l’action en responsabilité née à raison d’un évènement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé.
En application de l’article 2239 du même code, la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande d’instruction présentée avant tout procès. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée.
Enfin, en application de l’article 2241 du même code, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription.
Il résulte de la combinaison de ces deux textes que la prescription est interrompue par l’introduction d’une instance devant le juge des référés. Lorsque ce dernier ordonne une expertise, la prescription est en outre suspendue le temps de la réalisation de l’expertise.
Aux termes de l’article 389 du code de procédure civile, la péremption de l’instance n’éteint pas l’action ; elle emporte seulement extinction de l’instance sans qu’on puisse jamais opposer aucun des actes de la procédure périmée ou s’en prévaloir.
Enfin, il est constant que la péremption d’instance emporte extinction de l’instance, sans qu’on puisse opposer aucun des actes de la procédure périmée ou s’en prévaloir. Il en résulte que les actes effectués dans le cadre d’une instance dont la péremption a été constatée n’ont pas de valeur interruptive du délai de prescription.
En l’espèce, Mme [G] [O] explique avoir été victime d’un évènement au sein de la discothèque qui a entraîné un dommage corporel caractérisé notamment par une fracture luxation fermée trimalléolaire de la cheville droite et une dermabrasion à la face antéro-interne de la cheville. Si les demanderesses à l’incident contestent leur responsabilité dans ce dommage, la nature de la demande n’est pas contestée, à savoir une action en responsabilité née à raison d’un évènement ayant entraîné un dommage corporel.
Ainsi, la prescription applicable aux demandes formulées par Mme [O] est une prescription décennale.
Aucune des parties ne conteste la date de la consolidation du dommage initial, fixée par le pré rapport de l’expert au 25 avril 2013. Il en résulte que le point de départ de la prescription est fixé au 25 avril 2013.
Ni l’assignation au fond du 4 décembre 2014 ni le jugement avant dire droit du 14 mars 2017 n’ont interrompu le délai de prescription, dès lors que la péremption de cette instance a été déclarée par ordonnance du juge de la mise en état du 10 octobre 2017, devenue définitive. En revanche, l’assignation en référé du 6 septembre 2021 a valablement interrompu le délai de prescription décennale, qui a en outre été suspendu le temps de la mesure d’expertise, entre le 2 février et le 23 mars 2023.
Il en résulte qu’à la date de l’assignation délivrée dans le cadre de la présente instance, le 9 mars 2023, la prescription décennale n’était pas acquise. En conséquence, la fin de non-recevoir soulevée sera rejetée.
Sur les frais du procès
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
La S.A. ALLIANZ IARD ainsi que la S.A.R.L. FMP, parties perdantes, seront condamnées in solidum aux dépens.
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
La S.A. ALLIANZ IARD et la S.A.R.L. FMP, parties perdantes, seront condamnées in solidum à payer à Mme [O] une somme qu’il est équitable de fixer à 1 500 euros. Elles seront par ailleurs déboutées de leur propre demande de ce chef.
Rejetons la fin de non-recevoir soulevée par la S.A. ALLIANZ IARD et la S.A.R.L. FMP au titre de la prescription ;
Condamnons in solidum la S.A. ALLIANZ IARD et la S.A.R.L. FMP aux dépens de l’incident;
Condamnons in solidum la S.A. ALLIANZ IARD et la S.A.R.L. FMP à payer à Mme [G] [O] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de l’incident ;
Déboutons la S.A. ALLIANZ IARD et la S.A.R.L. FMP de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Renvoyons l’affaire à la mise en état du 03 avril 2025 pour conclusions au fond de la S.A. ALLIANZ IARD et de la S.A.R.L. FMP.
Ainsi fait et jugé à Pontoise, le 4 février 2025.
Le Greffier, La Présidente,
Madame DESOMBRE Madame VAUTRAVERS
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