Transfusions sanguines et responsabilité : enjeux d’indemnisation et de preuve

·

·

Transfusions sanguines et responsabilité : enjeux d’indemnisation et de preuve

L’Essentiel : Le 13 novembre 1979, madame [C] a subi une intervention chirurgicale à la Maternité du Centre Hospitalier de [Localité 4], où elle a reçu des transfusions sanguines. En 1995, elle découvre sa contamination par le virus de l’hépatite C, qu’elle attribue à ces transfusions. L’ONIAM reconnaît l’origine transfusionnelle et indemnise madame [C]. En 2022, AXA conteste le remboursement demandé par l’ONIAM, arguant des irrégularités dans le titre de recettes. Le tribunal annule ce titre pour vice de forme, mais condamne AXA à rembourser l’ONIAM et à indemniser la CPAM pour ses frais médicaux.

Contexte de l’affaire

Le 13 novembre 1979, madame [C] a été hospitalisée pour une intervention chirurgicale à la Maternité du Centre Hospitalier de [Localité 4], où elle a reçu des transfusions sanguines. En 1995, elle a découvert qu’elle était contaminée par le virus de l’hépatite C, qu’elle a imputé aux produits sanguins reçus lors de son hospitalisation. Elle a alors demandé une indemnisation à l’ONIAM, qui a reconnu l’origine transfusionnelle de sa contamination et a signé des protocoles transactionnels avec elle.

Procédure judiciaire

L’ONIAM a émis un avis de sommes à payer à la compagnie AXA, lui demandant de rembourser 24 534,39 euros versés à madame [C]. AXA a contesté ce titre devant le tribunal administratif de Marseille, qui s’est déclaré incompétent. En août 2022, AXA a assigné l’ONIAM en justice, et la CPAM des Bouches du Rhône a été appelée en intervention forcée. Les deux affaires ont été jointes par ordonnance en mai 2024.

Arguments de la compagnie AXA

Dans ses conclusions, AXA a demandé l’annulation du titre de recettes, arguant qu’il était entaché d’irrégularités externes et internes, notamment l’absence de preuve d’indemnisation préalable de la victime et l’absence de signature de l’ordonnateur. AXA a également contesté la responsabilité du CTS de [Localité 3] et a mis en doute l’origine transfusionnelle de la contamination de madame [C].

Réponse de l’ONIAM

L’ONIAM a rejeté les demandes d’AXA, affirmant que les transfusions administrées à madame [C] provenaient bien du CTS de [Localité 3] et que la responsabilité de ce dernier était établie. L’ONIAM a également produit des preuves d’indemnisation versées aux consorts [C] et a demandé le remboursement de la somme versée, ainsi que des intérêts légaux.

Position de la CPAM

La CPAM des Bouches du Rhône a également demandé à être indemnisée par AXA pour des frais médicaux et des arrérages d’une pension d’invalidité, totalisant 112 524,58 euros, ainsi qu’une indemnité forfaitaire de gestion.

Décision du tribunal

Le tribunal a annulé le titre exécutoire émis contre AXA en raison d’une irrégularité formelle. Cependant, il a condamné AXA à rembourser l’ONIAM pour l’indemnité versée aux consorts [C] et à payer des intérêts légaux. AXA a également été condamnée à verser des sommes à la CPAM pour ses débours et à couvrir les frais d’expertise. Les dépens ont été mis à sa charge.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les irrégularités externes du titre exécutoire émis par l’ONIAM ?

L’article L212-1 du code des relations entre le public et l’administration stipule que :

« Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur, ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. »

Dans cette affaire, le titre à recouvrer mentionne comme ordonnateur monsieur [S], directeur de l’ONIAM, et est revêtu d’un timbre humide avec la mention “pour le directeur et par délégation, le directeur des ressources [K] [T]”.

Cependant, l’ONIAM n’a pas produit la décision de délégation de signature qui aurait pu être prise au profit de monsieur [T].

Ainsi, le tribunal n’est pas en mesure de vérifier la qualité de l’auteur du titre exécutoire, ce qui constitue une irrégularité externe.

En conséquence, le tribunal a annulé le titre exécutoire pour non-respect des dispositions de l’article L212-1.

Quelles sont les implications du recours subrogatoire de l’ONIAM ?

L’article 67 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, complété par l’article 72 de la loi n° 2012-1404, impose à l’ONIAM l’indemnisation des victimes de contaminations transfusionnelles par le virus de l’hépatite C.

Il lui permet également, après cette indemnisation, de demander à être garanti par les assureurs des structures concernées, conformément à l’article L. 1221-14 du code de la santé publique.

De plus, les articles L. 1142-15, L. 1142-24-7 et L. 1142-24-17 du code de la santé publique prévoient que lorsque l’ONIAM s’est substitué aux assureurs, il est subrogé dans les droits des victimes contre les personnes responsables des dommages.

Ainsi, même si le titre exécutoire est annulé pour une irrégularité formelle, cela n’empêche pas l’ONIAM de présenter une demande reconventionnelle pour le remboursement des sommes versées, ainsi que des intérêts moratoires.

Comment l’ONIAM prouve-t-il l’existence des contrats d’assurance ?

La société AXA conteste son statut d’assureur du CTS de [Localité 3]. Cependant, l’ONIAM a produit un avenant à un contrat d’assurance responsabilité civile conclu le 16 mars 1978, avec effet au 18 janvier 1978, entre la compagnie UAP et le Centre de transfusion sanguine de [Localité 3].

Ce contrat, d’une durée d’un an avec tacite reconduction, est corroboré par une lettre de la compagnie UAP datée du 20 mai 1992, attestant que la police d’assurance couvrait les dommages corporels, matériels et immatériels.

Ainsi, la société AXA, venant aux droits de la compagnie UAP, est bien l’assureur du CTS pour les activités concernées.

Quelles sont les conditions de la responsabilité du CTS de [Localité 3] ?

L’article L1221-14 du code de la santé publique stipule que :

« Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l’hépatite B ou C causée par une transfusion de produits sanguins sont indemnisées au titre de la solidarité nationale. »

Les victimes doivent justifier de l’atteinte par le virus et des transfusions reçues. L’ONIAM a produit une enquête transfusionnelle établissant que les produits sanguins administrés à madame [C] provenaient du CTS de [Localité 3].

Le rapport d’expertise a également confirmé la nature transfusionnelle de la contamination.

La société AXA n’a pas réussi à prouver que les produits transfusés n’étaient pas à l’origine de la contamination, ce qui engage la responsabilité du CTS.

Comment l’ONIAM prouve-t-il l’indemnisation des consorts [C] ?

L’ONIAM a produit des protocoles d’indemnisation signés par les consorts [C] et des attestations de paiement.

Ces documents montrent que des sommes ont été versées à madame [C] et à ses ayants droit, ce qui prouve l’indemnisation effective.

Ainsi, la société AXA ne peut contester son obligation de garantir les dommages causés par son assuré, et elle est condamnée à rembourser l’ONIAM.

Quelles sont les conséquences des intérêts dus par la société AXA ?

L’article 1231-6 du code civil précise que les dommages et intérêts dus pour retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent en intérêts au taux légal, à compter de la mise en demeure.

La créance du tiers payeur, ici l’ONIAM, est soumise à ces dispositions.

Les intérêts dus par la société AXA commenceront à courir à partir de l’émission du titre le 6 décembre 2018, et en vertu de l’article 1343-2, ces intérêts produiront eux-mêmes des intérêts au bout d’une année entière.

Quelles sont les demandes de la CPAM des Bouches du Rhône ?

La CPAM des Bouches du Rhône a justifié un recours de 112.524,58 € pour ses débours liés à la contamination de madame [C].

Elle a également demandé 1.191 € au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion, conformément à l’article L376-1 du code de la sécurité sociale.

La société AXA a été condamnée à verser ces montants, en raison de son obligation de garantir les dommages causés par son assuré.

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N° 25/ DU 30 Janvier 2025

Enrôlement : N° RG 22/08671 – N° Portalis DBW3-W-B7G-2JDD

AFFAIRE : S.A. AXA FRANCE IARD (SELARL ABEILLE AVOCATS)
C/ OFFICE NATIONAL D’INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX (SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS) et autres

DÉBATS : A l’audience Publique du 28 Novembre 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président (juge rapporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente
Assesseur : BERTHELOT Stéphanie, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : ALLIONE Bernadette

Vu le rapport fait à l’audience

A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 30 Janvier 2025

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par ALLIONE Bernadette, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDERESSE

Société AXA FRANCE IARD
SA immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n° 722 057 460, dont le siège social est sis [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal en exercice domiciliée en cette qualité audit siège

représentée par Maître Bruno ZANDOTTI de la SELARL ABEILLE AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE

C O N T R E

DEFENDEURS

OFFICE NATIONAL D’INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX (ONIAM)
dont le siège social est sis [Adresse 5], pris en la personne de son représentant légal en exercice domiciliée en cette qualité audit siège

représenté par Maître Patrick DE LA GRANGE de la SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Maître Emmanuelle YAGOUR

CPCAM DES BOUCHES DU RHONE
dont le siège social est sis [Adresse 1], pris en la personne de son représentant légal en exercice domiciliée en cette qualité audit siège

représentée par Maître Régis CONSTANS de la SCP VINSONNEAU PALIES-NOY-GAUER & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

EXPOSÉ DU LITIGE :

Faits et procédure :

Le 13 novembre 1979, madame [C] a été hospitalisée à la Maternité du Centre Hospitalier de [Localité 4] pour y subir une intervention chirurgicale.

A cette occasion, madame [C] aurait bénéficié de transfusions sanguines.
Le 24 octobre 1995, madame [C] a découvert être atteint par le virus de l’hépatite C.

Imputant sa contamination aux produits sanguins qu’elle aurait reçus, madame [C] a saisi l’ONIAM d’une demande d’indemnisation amiable.

L’ONIAM a conclu à l’origine transfusionnelle et a signé avec madame [C] des protocoles transactionnels.

Par avis de sommes à payer n° 2 628 émis par l’Agent Comptable de l’ONIAM à l’encontre de la compagnie AXA, l’ONIAM sollicite le règlement de la somme de 24 534.39 euros qu’il indique avoir versé à la victime en raison de sa contamination par le virus de l’hépatite C.

Afin de contester ce titre la compagnie AXA a introduit un recours devant le tribunal administratif de Marseille, lequel, par ordonnance du 5 juillet 2021, s’est déclaré incompétent au profit des juridictions de l’ordre judiciaire.

Par acte d’huissier du 26 août 2022 la compagnie AXA FRANCE IARD a fait assigner l’ONIAM devant ce tribunal.
Selon exploit du 4 mars 2024 l’ONIAM a fait appeler la CPAM des Bouches du Rhône en intervention forcée.
Les deux instances ont été jointes par ordonnance du 21 mai 2024.

Demandes et moyens des parties :

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 2 septembre 2024 la compagnie AXA FRANCE IARD demande au tribunal d’annuler le titre de recettes n°2 628, de débouter l’ONIAM de sa demande reconventionnelle de condamnation à titre subsidiaire, de sa demande de condamnation aux intérêts au taux légal et capitalisation, de sa demande reconventionnelle en remboursement des frais d’expertise et de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de condamner l’ONIAM à lui payer la somme de 2.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes la compagnie AXA fait valoir que le titre de recettes émis à son encontre est entaché d’irrégularités externes en l’absence de preuve d’indemnisation effective préalable de la victime, en ce qu’il n’est pas signé de son ordonnateur, monsieur [S], et en ce qu’il ne précise pas les bases de liquidation de la créance et notamment le détail du calcul retenu pour l’indemnisation.
Elle ajoute que ce titre est encore entaché d’irrégularités internes en l’absence de preuve de l’existence et du contenu du contrat d’assurance conclu avec le CTS de [Localité 3], en l’absence de preuve de responsabilité de celui-ci. Elle indique à ce titre que l’ONIAM ne démontre pas l’origine transfusionnelle de la contamination, les transfusions notées au dossier de madame [C] étant peu lisibles, et celle-ci ayant fait l’objet d’une autre intervention chirurgicale en 1966 ; et que l’administration effective de produits sanguins à la victime n’est pas démontrée, pas plus que l’identité du centre ayant fourni ces produits. La compagnie AXA fait encore valoir que la date de contamination n’est pas déterminée avec certitude, de sorte qu’il n’est pas possible de déterminer le contrat d’assurance applicable.
Sur les demandes subsidiaires de l’ONIAM, la compagnie AXA soutient que celui-ci n’est pas recevable à solliciter sa condamnation à lui rembourser l’indemnité versée à la victime lorsqu’il a préalablement émis un titre exécutoire.

L’ONIAM a conclu le 21 août 2024 au rejet des demandes de la compagnie AXA FRANCE IARD, subsidiairement à sa condamnation à lui payer la somme de 24.534,39 € en remboursement de l’indemnité versée aux consorts [C] à raison de l’infection contractée par madame [C], et en toute hypothèse à la condamnation de la compagnie AXA à lui payer les intérêts légaux pour la somme de 24.534,39 euros à compter du 15 février 2019, et que ces intérêts seront capitalisés depuis le 16 février 2020, outre la somme de 700 € correspondant aux frais d’expertise amiable et 4.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Il fait valoir que les produits sanguins administrés à madame [C] le 13 novembre 1979 proviennent bien du CTS de [Localité 3] ainsi qu’il résulte d’une enquête transfusionnelle, date à laquelle ce CTS était assuré auprès de la compagnie UAP, aux droits de laquelle vient la compagnie AXA. Sur la responsabilité du CTS de [Localité 3] l’ONIAM se fonde sur les dispositions de l’article L1221-14 du code de la santé publique, et indique que madame [C] a reçu au cours de son hospitalisation en 1979 deux culots de sang, qu’un rapport d’expertise a établi la nature transfusionnelle de la contamination par le virus de l’hépatite C, et que la compagnie AXA ne rapporte pas la preuve de l’innocuité de ces produits.
Sur la légalité externe du titre exécutoire l’ONIAM indique que l’ordre à recouvrer constituant le titre exécutoire est régulièrement signé, qu’il vise le protocole transactionnel conclu avec la victime , lequel figure en annexe, et que l’indemnité due aux consorts [C] a été payée ainsi qu’il résulte d’une attestation de paiement.
Sur ses demandes subsidiaires, l’ONIAM fait valoir qu’il est toujours recevable, au cas où le titre serait annulé, à solliciter le remboursement des sommes payées à la victime au titre de son recours subrogatoire.

La CPAM des Bouches du Rhône a conclu le 18 juin 2024 à la condamnation de la société AXA FRANCE IARD à lui payer la somme de 112.524,58 € en remboursement de ses débours, outre 1.191 € au titre de l’indemnité fofaitaire de gestion prévue à l’article L376-1 du code de la sécurité sociale et 600 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 1er octobre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

La société AXA sollicitant à titre principal l’annulation des titre exécutoires émis à son encontre, le tribunal examinera en premier lieu les critiques formulées à l’encontre de leur régularité externe.

Sur la régularité externe des titres exécutoires :

Aux termes de l’article L212-1 du code des relations entre le public et l’administration toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur, ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci.

En l’espèce l’ordre à recouvrer exécutoire produit aux débats mentionne comme ordonnateur monsieur [S], directeur de l’ONIAM et est revêtu d’un timbre humide comportant la mention “pour le directeur et par délégation, le directeur des ressources [K] [T]” et de la signature de ce dernier. Le nom, le prénom et la qualité de monsieur [T] avec la précision qu’il agit sur délégation du directeur de l’ONIAM sont donc portés sur le titre.

Cependant l’ONIAM ne produit pas la décision de délégation de signature qui aurait pu être prise au profit de monsieur [T], de sorte que le tribunal n’est pas en mesure de vérifier la qualité de l’auteur du titre exécutoire émis à l’encontre de la compagnie AXA.

Dans ces conditions et sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres griefs articulés à son encontre, le titre exécutoire devra être annulé, faute de respecter les dispositions de l’article L212-1 du code des relations entre le public et l’administration.

Sur le recours subrogatoire :

L’article 67 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, complété par l’article 72 de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012, a mis à la charge de l’ONIAM l’indemnisation des victimes de contaminations transfusionnelles par le virus de l’hépatite C et lui a donné la possibilité, à l’issue de cette indemnisation, conformément à l’article L. 1221-14 du code de la santé publique, de directement demander à être garanti, par les assureurs des structures reprises par l’Etablissement français du sang (l’EFS), des sommes qu’il a versées.

Par ailleurs, en application des articles L. 1142-15, L. 1142-24-7 ou L. 1142-24-17 du code de la santé publique, lorsque l’ONIAM s’est substitué aux assureurs de personnes considérées comme responsables de dommages, en cas de silence ou de refus explicite de leur part de faire une offre d’indemnisation ou en cas d’offre manifestement insuffisante, de défaut d’assurance des responsables de dommages ou d’épuisement ou d’expiration de leur couverture d’assurance et a indemnisé les victimes, il est subrogé à concurrence des sommes versées dans les droits de ces victimes contre les personnes responsables des dommages, leurs assureurs ou le Fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par des professionnels de santé.

Il en résulte que l’annulation du titre exécutoire pour un motif d’irrégularité formelle ne fait pas obstacle au droit pour l’ONIAM de présenter, à titre subsidiaire, une demande reconventionnelle de condamnation du débiteur au paiement des sommes visées dans ce titre, ainsi que des intérêts moratoires et de la pénalité prévue aux articles L1142-15, L1142-24-7 ou L1142-24-17 du code de la santé publique.

– Sur l’existence des contrats d’assurance :

La société AXA conteste être l’assureur du CTS de [Localité 3], dont l’ONIAM a assumé l’obligation d’indemnisation.

Cependant l’ONIAM produit aux débats un avenant à un contrat d’assurance responsabilité civile conclu le 16 mars 1978, avec effet au 18 janvier 1978, entre la compagnie UAP et le Centre de transfusion sanguine de [Localité 3]. Ce contrat a été conclu pour une durée de un an avec tacite reconduction.

Il produit également une lettre de ladite compagnie en date du 20 mai 1992 attestant que le police d’assurance du CTS de [Localité 3] en vigueur entre le 9 mars 1977 et le 31 décembre 1984 avait pour objet de garantir le Centre de transfusion sanguine contre les conséquences pécuniaires pouvant lui incomber à raison des dommages corporels, matériels et immatériels qui en sont la conséquence. Cette garantie s’exerce à l’égard de tout receveur de sang.

La société AXA, venant aux droits de la compagnie UAP et de la compagnie AGP, est donc bien l’assureur du CTS de [Localité 3] pour les activités pour lesquelles sa garantie est recherchée.

– Sur la preuve la responsabilité du Centres de transfusion sanguine de [Localité 3] :

L’article L1221-14 du code de la santé publique dispose que “Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l’hépatite B ou C ou le virus T-lymphotropique humain causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang réalisée sur les territoires auxquels s’applique le présent chapitre sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l’office mentionné à l’article L. 1142-22 dans les conditions prévues à la seconde phrase du troisième alinéa de l’article L. 3122-1, aux deuxième et troisième alinéas de l’article L. 3122-2, au premier alinéa de l’article L. 3122-3 et à l’article L. 3122-4, à l’exception de la seconde phrase du premier alinéa.

Dans leur demande d’indemnisation, les victimes ou leurs ayants droit justifient de l’atteinte par le virus de l’hépatite B ou C ou le virus T-lymphotropique humain et des transfusions de produits sanguins ou des injections de médicaments dérivés du sang. L’office recherche les circonstances de la contamination. S’agissant des contaminations par le virus de l’hépatite C, cette recherche est réalisée notamment dans les conditions prévues à l’article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Il procède à toute investigation sans que puisse lui être opposé le secret professionnel.

L’offre d’indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis du fait de la contamination est faite à la victime dans les conditions fixées aux deuxième, troisième et cinquième alinéas de l’article L. 1142-17.

La victime dispose du droit d’action en justice contre l’office si sa demande d’indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans un délai de six mois à compter du jour où l’office reçoit la justification complète des préjudices ou si elle juge cette offre insuffisante.

La transaction à caractère définitif ou la décision juridictionnelle rendue sur l’action en justice prévue au précédent alinéa vaut désistement de toute action juridictionnelle en cours et rend irrecevable toute autre action juridictionnelle visant à la réparation des mêmes préjudices.

La transaction intervenue entre l’office et la victime, ou ses ayants droit, en application du présent article est opposable à l’assureur, sans que celui-ci puisse mettre en œuvre la clause de direction du procès éventuellement contenue dans les contrats d’assurance applicables, ou, le cas échéant, au responsable des dommages, sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. L’office et l’Etablissement français du sang peuvent en outre obtenir le remboursement des frais d’expertise. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime ou à ses ayants droit leur reste acquis.

Lorsque l’office a indemnisé une victime ou lorsque les tiers payeurs ont pris en charge des prestations mentionnées aux 1 à 3 de l’article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, ils peuvent directement demander à être garantis des sommes qu’ils ont versées ou des prestations prises en charge par les assureurs des structures reprises par l’Etablissement français du sang en vertu du B de l’article 18 de la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire de produits destinés à l’homme, de l’article 60 de la loi de finances rectificative pour 2000 (n° 2000-1353 du 30 décembre 2000) et de l’article 14 de l’ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine, que le dommage subi par la victime soit ou non imputable à une faute.

L’office et les tiers payeurs, subrogés dans les droits de la victime, bénéficient dans le cadre de l’action mentionnée au septième alinéa du présent article de la présomption d’imputabilité dans les conditions prévues à l’article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Les assureurs à l’égard desquels il est démontré que la structure qu’ils assurent a fourni au moins un produit sanguin labile ou médicament dérivé du sang, administré à la victime, et dont l’innocuité n’est pas démontrée, sont solidairement tenus de garantir l’office et les tiers payeurs pour l’ensemble des sommes versées et des prestations prises en charge.”

Par ailleurs l’article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative au droit des malades et à la qualité du système de santé précise qu’en “cas de contestation relative à l’imputabilité d’une contamination par le virus de l’hépatite C antérieure à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n’est pas à l’origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Le doute profite au demandeur.”

C’est donc vainement que la société AXA prétend que l’ONIAM ne pourrait se prévaloir de la présomption de l’article 102 de la loi du 4 mars 2002, l’article L1221-4 du code de la santé publique disposant expressément le contraire.

L’enquête transfusionnelle produite aux débats, permet d’établir que les produits sanguins délivrés à madame [C] le 14 novembre 1979 lors de son hospitalisation au centre hospitalier de [Localité 4] consistant en deux lots de globules rouges n°011033 et 179463 provenaient du Centre de transfusion sanguine de [Localité 3]. Les donneurs à l’origine de ces produits n’ont pas pu être identifiés, de sorte que les produits transfusés ne peuvent être innocentés.

Le compte-rendu d’hospitalisation et l’attestation du docteur [L] en date du 26 mars 1998 montrent que ces produits ont effectivement été administrés à madame [C].

Par ailleurs le rapport du docteur [O] du 29 août 2014 indique que madame [C] n’a été exposée à aucun autre facteur de risque de contamination au cours de sa vie. Préalablement à la découverte de l’infection au VHC en 1995 elle n’a subi que deux hospitalisations en 1966 et en 1979.
L’expert note cependant, sans être contredit par la production d’un élément médical en sens contraire, que madame [C] n’a pas d’autre facteur de risque de contamination par le virus de l’hépatite C que les transfusions sanguines réalisées en 1979.

Sur la matérialité des transfusions, il est indiqué dans le rapport d’expertise que celle-ci est établie par les fiches de prescription.
L’existence des transfusions des produits sanguins en provenance du CTS de [Localité 3] est donc certaine.

Dans le cadre de la présente instance, la société AXA ne rapporte pas plus la preuve, qui lui incombe pour renverser la présomption légale instaurée au profit de la victime, que les produits sanguins utilisés n’ont pas été à l’origine de la contamination par le virus de l’hépatite C.

– Sur la preuve de l’indemnisation des consorts [C] :

L’ONIAM produit aux débats les protocoles d’indemnisation de madame [E] [C] signé les 15 décembre 2014 et 15 novembre 2018, de monsieur [W] [C], signé le 15 décembre 2014, de monsieur [X] [C], signé le 14 décembre 2014 et les attestation de paiement indiquant qu’a été réglée à madame [C] une somme de 9.987,59 € le 12 décembre 2018 et une somme de 10.546,80 € le 12 janvier 2015, à monsieur [W] [C] la somme de 3.000 € le 12 janvier 2015, à monsieur [X] [C] la somme de 1.000 € le 12 janvier 2015. L’ONIAM produit également l’attestation de paiement des frais de l’expertise en date du 11 septembre 2019 pour 700 €.

C’est donc en vain que la société AXA conteste son obligation de garantir les dommages causés par son assuré.

Elle sera donc condamnée à payer à l’ONIAM la somme de 24.534,39 € en remboursement de l’indemnité versée aux consorts [C], outre 700 € exposés au titre des frais d’expertise.

Sur les autres demandes de l’ONIAM :

L’article 1231-6 du code civil dispose que les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.

La créance du tiers payeur, dont le paiement est poursuivi par subrogation dans le droit d’action de la victime, n’est pas indemnitaire et se borne au paiement d’une somme d’argent. Elle est donc soumise à ces dispositions.

Par ailleurs la demande de l’ONIAM au titre des intérêts ne se heurte pas au principe du non cumul de l’action juridictionnelle et de l’émission d’un titre, dès lors que les intérêts réclamés au titre de l’action ne sont pas visés dans le titre.

En conséquence la somme due par la société AXA en vertu du titre émis à son encontre produira des intérêts au taux légal à compter de l’émission du titre le 6 décembre 2018. En application de l’article 1343-2 du code civil, ces intérêts produiront eux-mêmes des intérêts au taux légal dès lors qu’ils seront dus pour au moins une année entière.

Sur les demandes de la CPAM des Bouches du Rhône :

La CPAM des Bouches du Rhône justifie, par la production de ses débours et d’une attestation d’imputabilité, d’un recours à hauteur de 112.524,58 € au titre des frais médicaux, indemnités journalières et arrérages échus d’une pension d’invalidité versée à madame [C] à raison de sa contamination par le virus de l’hépatite C.

La compagnie AXA sera donc condamnée à lui verser ladite somme, en application de l’article L376-1 du code de la sécurité sociale, outre celle de 1.191 € au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion prévue par cet article.

Sur les autres demandes :

La société AXA, qui succombe à l’instance, en supportera les dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Patrick de la GRANGE et de maître Régis CONSTANS, avocats, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Elle sera en outre condamnée à payer à l’ONIAM la somme de 3.000 € et à la CPAM des Bouches du Rhône celle de 600 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort :

Annule l’ordre à recouvrer n°2 628 du 6 décembre 2018 ;

Condamne la SA AXA FRANCE IARD à payer à l’ONIAM la somme de 24.534,39 € en remboursement de l’indemnité versée aux consorts [C], outre 700 € exposés au titre des frais d’expertise, avec intérêts au taux légal depuis le 6 décembre 2018 ;

Dit que les intérêts échus, dus pour au moins une année entière, produiront eux-mêmes des intérêts ;

Condamne la SA AXA FRANCE IARD à payer à la CPAM des Bouches du Rhône la somme de 112.524,58 € au titre de ses débours, outre celle de 1.191 € au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion prévue par l’article L376-1 du code de la sécurité sociale ;

Condamne la SA AXA FRANCE IARD à payer à l’ONIAM la somme de 3.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SA AXA FRANCE IARD à payer à la CPAM des Bouches du Rhône la somme de 600 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SA AXA FRANCE IARD aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de maître Patrick de la GRANGE et de maître Régis CONSTANS, avocats, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

AINSI JUGÉ, PRONONCÉ ET MIS À DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE TRENTE JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon