Responsabilité bancaire et prescription des actions en réparation

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Responsabilité bancaire et prescription des actions en réparation

L’Essentiel : Madame [E] [F] a été victime d’une escroquerie en crypto-monnaie, ayant transféré 47.603 euros via la société ALTERNATIVE CAPITAL INVESTMENTS LTD. Le 2 janvier 2023, elle a assigné la BRED BANQUE POPULAIRE et la BRD devant le tribunal de Paris, invoquant des manquements à leur obligation de vigilance. Cependant, le 12 septembre 2024, la BRD a demandé la déclaration d’irrecevabilité des demandes, arguant de la prescription selon le droit roumain. Le juge a statué en faveur de la BRD, déclarant les demandes de Madame [F] irrecevables et la condamnant à verser 3.000 euros à la BRD.

Contexte de l’affaire

Madame [E] [F] a été victime d’une escroquerie liée à des placements en crypto-monnaie, effectués via la société ALTERNATIVE CAPITAL INVESTMENTS LTD, qui a transféré des fonds à FACTONET FRANCE SRL. Elle a réalisé deux virements totalisant 47.603 euros, passant par son compte à la BRED, vers un compte en Roumanie à la BRD.

Procédure judiciaire

Le 2 janvier 2023, Madame [F] a assigné la BRED BANQUE POPULAIRE et la BRD – GROUPE SOCIETE GENERALE devant le tribunal judiciaire de Paris, invoquant des manquements à leur obligation de vigilance. Elle a demandé la production de divers documents relatifs à l’ouverture et au fonctionnement du compte bancaire concerné.

Demandes de la société BRD

Le 12 septembre 2024, la société BRD a demandé au juge de déclarer les demandes de Madame [F] irrecevables, en arguant que le droit roumain était applicable et que les demandes étaient prescrites. Elle a également demandé des dommages-intérêts pour couvrir ses frais de justice.

Prescription des demandes

Le juge a examiné la question de la prescription selon le droit roumain, qui stipule un délai de trois ans pour les actions en responsabilité délictuelle. Les virements litigieux ont eu lieu en octobre 2019, et Madame [F] a déposé plainte le 6 novembre 2019. L’assignation à la BRD a été délivrée le 2 janvier 2023, dépassant ainsi le délai de prescription.

Décision du juge

Le juge a déclaré les demandes de Madame [F] à l’encontre de la BRD irrecevables en raison de la prescription. Elle a été condamnée aux dépens et à verser 3.000 euros à la BRD sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. L’affaire a été renvoyée pour les conclusions au fond contre la BRED BANQUE POPULAIRE.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les implications de la prescription dans le cadre de la responsabilité délictuelle selon le droit roumain ?

La prescription est un élément fondamental en matière de responsabilité délictuelle, et elle est régie par le droit applicable au litige. En l’espèce, le droit roumain est pertinent, notamment en vertu de l’article 4 du Règlement CE n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, qui stipule :

« Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent. »

En application de l’article 2517 du Code civil roumain, le délai de prescription pour une action en dommages-intérêts fondée sur la responsabilité délictuelle est de trois ans.

Ce délai commence à courir à la date à laquelle la partie lésée a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance à la fois du dommage et de la personne responsable, conformément à l’article 2528 du même code.

Dans le cas présent, les virements litigieux ont été effectués les 2 et 17 octobre 2019, et Madame [F] a déposé plainte le 6 novembre 2019.

Ainsi, le délai de prescription a commencé à courir au plus tard à cette date.

L’assignation à la société BRD a été délivrée le 2 janvier 2023, soit plus de trois ans après le dépôt de plainte.

Par conséquent, les demandes de Madame [F] à l’encontre de BRD sont déclarées irrecevables en raison de la prescription.

Quels sont les fondements juridiques des demandes de production de pièces formulées par Madame [E] [F] ?

Les demandes de production de pièces formulées par Madame [E] [F] reposent sur le principe de la charge de la preuve et sur les obligations de vigilance des établissements bancaires.

L’article 1240 du Code civil stipule que :

« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

Cela implique que les banques ont une obligation de vigilance dans le cadre de leurs relations d’affaires, notamment en ce qui concerne l’identification de leurs clients.

Madame [F] demande des documents attestant des vérifications d’identité du titulaire du compte bancaire, en se basant sur l’article R. 561-5-1 du Code monétaire et financier, qui impose aux établissements financiers de procéder à des vérifications d’identité lors de l’ouverture d’un compte.

Les documents demandés incluent :

– Une copie de la carte d’identité ou du passeport du titulaire du compte,
– La preuve du recours à un moyen d’identification électronique,
– Le justificatif de domicile fourni lors de l’ouverture du compte,
– Les éléments relatifs à la situation personnelle, professionnelle et patrimoniale du titulaire.

Ces demandes visent à établir si la société BRD a respecté ses obligations de vigilance et si elle a effectué les vérifications nécessaires lors de l’ouverture et du fonctionnement du compte.

Quelles sont les conséquences de l’irrecevabilité des demandes de Madame [E] [F] à l’encontre de la société BRD ?

L’irrecevabilité des demandes de Madame [E] [F] à l’encontre de la société BRD a plusieurs conséquences juridiques.

Tout d’abord, conformément à l’article 122 du Code de procédure civile, l’irrecevabilité constitue une fin de non-recevoir, ce qui signifie que le juge ne se prononcera pas sur le fond de l’affaire.

Cela implique que les arguments et les preuves présentés par Madame [F] ne seront pas examinés, et la société BRD ne sera pas tenue de répondre aux allégations de manquement à son obligation de vigilance.

En conséquence, Madame [F] sera condamnée aux dépens de l’incident, ce qui signifie qu’elle devra supporter les frais de la procédure.

De plus, la société BRD a demandé, sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, le versement d’une somme de 3.500 euros à titre de frais irrépétibles.

Le juge a décidé de condamner Madame [F] à verser une somme de 3.000 euros à la société BRD, ce qui souligne les conséquences financières de l’irrecevabilité de ses demandes.

Enfin, l’affaire sera renvoyée à une audience ultérieure pour examiner les demandes de Madame [F] à l’encontre de la BRED BANQUE POPULAIRE, ce qui indique que le litige n’est pas entièrement résolu et que d’autres questions juridiques demeurent à traiter.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :

à
Me CHANDLER
Me GOSSET
Me GASTEBLED

9ème chambre 3ème section

N° RG 23/01030
N° Portalis 352J-W-B7H-CYUU2

N° MINUTE : 16

Assignation du :
27 Décembre 2022

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 30 Janvier 2025

DEMANDERESSE

Madame [E] [F]
[Adresse 2]
[Localité 5]

représentée par Maître Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0159 et Maître Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de Rennes, avocat postulant

DEFENDERESSES

BRED BANQUE POPULAIRE
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Jean-philippe GOSSET de la SELEURL CABINET GOSSET, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #B0812

BRD – GROUPE SOCIETE GENERALE SA
[Adresse 6]
[Localité 3] ( ROUMANIE)

représentée par Maître Etienne GASTEBLED de la SCP LUSSAN, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0077
MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Béatrice CHARLIER-BONATTI, Vice-présidente, juge de la mise en état, assistée de Chloé DOS SANTOS, Greffière.

DEBATS

A l’audience du 19 Décembre 2022, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 30 Janvier 2025.

ORDONNANCE

Rendue publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

Madame [E] [F] a été victime d’une escroquerie qui l’a amenée à effectuer des placements en crypto-monnaie par l’intermédiaire d’une société dénommée ALTERNATIVE CAPITAL INVESTMENTS LTD vers la société FACTONET FRANCE SRL.

Elle a ainsi effectué deux virements pour un montant total de 47.603 euros, ces virements ayant transité par l’intermédiaire de son compte bancaire ouvert dans les livres de la BRED et les sommes ayant été virées vers un compte bancaire ouvert en Roumanie, dans les livres de la BRD.

Suivant exploit introductif d’instance du 2 janvier 2023, Madame [E] [F] a assigné devant le tribunal judiciaire de Paris, la BRED BANQUE POPULAIRE ainsi que la société BRD – GROUPE SOCIETE GENERALE au visa des articles 1231-1 et 1240 du Code Civil, aux fins de voir condamner les défenderesses, in solidum, pour de prétendus manquements à leur obligation de vigilance.

Par conclusions en date du 5 juin 2024, Madame [F] demande au juge de la mise en état de :
Tout document attestant des vérifications d’identité du titulaire du compte bancaire lors de l’ouverture (compte ayant pour IBAN les numéros [XXXXXXXXXX07]) :
S’agissant d’une personne physique :
Une copie de la carte d’identité ou du passeport du titulaire du compte,
La preuve du recours à un moyen d’identification électronique conforme à l’article R. 561-5-1 du code monétaire et financier, Le justificatif de domicile fourni lors de l’ouverture du compte, Les éléments communiqués par le titulaire du compte relatifs à sa situation personnelle, professionnelle et patrimoniale ;
S’agissant d’une personne morale :
L’attestation de l’immatriculation de la société au registre du commerce fournie au moment de l’ouverture du compte,
Les statuts de la société concernée,
La déclaration de résidence fiscale de la société,
Une copie de la carte d’identité ou du passeport du représentantlégal de la société et du bénéficiaire effectif ;
La déclaration de bénéficiaire effectif ;
Tout document attestant de la nature du compte ouvert :
La justification économique déclarée par les titulaires des comptes ou le fonctionnement envisagé du compte bancaire ;
Tout document justifiant des vérifications d’usage durant le fonctionnement du compte bancaire :
Les relevés de compte bancaire intégraux pour les mois de septembre à novembre 2019,
Tout document justifiant la provenance et la destination des fonds concernés par l’affaire ; S’agissant d’une ou de sociétés, les factures émises pour justifier des prestations fournies au titre de l’encaissement des fonds de Madame [F],
Sous astreinte définitive de 1.000 € par jour de retard, passé un délai de 15 jours après
la signification de l’ordonnance à intervenir, durant 2 mois”.

Par conclusions en date du 12 septembre 2024, la société de droit roumain BRD – GROUPE SOCIETE GENERALE demande au juge de la mise en état de :
“- JUGER que le droit roumain est applicable au litige ;
– JUGER prescrites les demandes formées par Madame [E] [F] ;
En conséquence,
– DECLARER irrecevables les demandes de Madame [E] [F] à l’encontre de BRD ;
En toute hypothèse,
– DEBOUTER Madame [E] [F] de sa demande de production de pièces à l’encontre de BRD ;
– CONDAMNER Madame [E] [F] à verser à BRD – GROUPE SOCIETE GENERALE la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens”.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties visées ci-dessus quant à l’exposé du surplus de leurs prétentions et moyens.

L’incident a été fixé et plaidé le 19 décembre 2024, cependant le conseil du demandeur n’était pas présent; l’affaire a été mise en délibéré au 30 janvier 2025.

SUR CE

I. Sur la prescription

L’article 4 du Règlement CE n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dit Rome II dispose que « sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent ».

En application de l’article 122 du code de procédure civile :
« Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »

Il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d’en rechercher la teneur, soit d’office, soit à la demande d’une partie qui l’invoque et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger.

Au cas présent, Madame [F], fait reproche à la société BRD – GROUPE SOCIETE GENERALE sur le fondement de la responsabilité délictuelle, d’avoir prétendument manqué à son obligation de vigilance puisqu’elle indique que « la société BRD – GROUPE SOCIETE GENERALE SA a également manqué à ses obligations de vigilance en omettant de réaliser les vérifications nécessaires à l’entrée et durant la relation d’affaires nouées avec la société FACTONET FRANCE SRL.

Il apparait ainsi que d’une part, le lieu de l’évènement causal est manifestement situé en Roumanie, là où le compte de la société litigieuse a été ouvert et là où se situe le siège social de la BRD auprès de laquelle le compte est ouvert et d’autre part, que le lieu de survenance du dommage s’est nécessairement matérialisé en Roumanie.

Le nouveau Code civil roumain soumet l’action civile en dommages intérêts fondée sur la responsabilité délictuelle à un délai de prescription de 3 ans aux termes de son article 2517.
L’article 2528 de ce même code précise que « le délai de prescription de l’action en réparation du dommage causé par une faute commence à courir à la date à laquelle la partie lésée a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance à la fois du dommage et de la personne responsable de celui-ci ».

Le délai de prescription commence à courir au jour où les opérations ont été débitées du compte de Madame [F] ou au plus tard au jour où cette dernière a déposé plainte.

Au cas présent, les virements objet du litige sont datés des 2 et 17 octobre 2019 et Madame [F] a déposé plainte le 6 novembre 2019.

Le délai de prescription de 3 ans a commencé à courir au plus tard le 6 novembre 2019.
Or, l’assignation a été délivrée à BRD le 2 janvier 2023, soit plus de 3 ans après la date du dépôt de plainte de Madame [F].

En conséquence, le juge de la mise en état constatera que, au regard du droit roumain, les demandes de Madame [F] à l’encontre de BRD sont prescrites depuis le 6 novembre 2022.

Les demandes de Madame [F] à l’encontre de BRD seront déclarées irrecevables car prescrites.

II. Sur les autres demandes

Madame [F] qui succombe, sera condamnée aux dépens de l’incident et à payer à la société BRD – GROUPE SOCIETE GENERALE la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

DIT Madame [E] [F] irrecevable dans ses demandes dirigées à l’encontre de la société BRD – GROUPE SOCIETE GENERALE ;

CONDAMNE Madame [E] [F] aux dépens de l’incident ;

CONDAMNE Madame [E] [F] à payer à la société BRD – GROUPE SOCIETE GENERALE la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

RENVOIE l’affaire à l’audience de mise en état électronique de la 9ème chambre 3ème section du 20 mars 2025 à 9h10 pour les conclusions au fond de Madame [E] [F] à l’encontre de la BRED BANQUE POPULAIRE avec injonction de conclure.

Faite et rendue à Paris le 30 Janvier 2025.

LA GREFFIERE LE JUGE DE LA MISE EN ÉTAT


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