Responsabilité bancaire et manquement au devoir de conseil dans un montage financier complexe

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Responsabilité bancaire et manquement au devoir de conseil dans un montage financier complexe

L’Essentiel : Le 2 octobre 2023, le tribunal a rejeté les demandes de la SCI Milidokasa et de M. [H], les condamnant aux dépens et à verser 2.000 euros à la Société générale. Les demandeurs avaient allégué un manquement à l’obligation de conseil de la banque concernant le prêt in fine et l’assurance-vie. Cependant, le tribunal a conclu qu’aucun manquement n’était établi, affirmant que le prêt était adapté aux capacités financières de la SCI. La décision a été rendue exécutoire, marquant ainsi la fin de cette affaire judiciaire.

Contexte du Prêt

La SA Société générale a accordé un prêt in fine de 310.000 euros à la SCI Milidokasa le 13 juillet 2005, remboursable au terme de 180 mois, pour financer l’acquisition de deux biens immobiliers destinés à la location. Le prêt était garanti par des cautionnements personnels et un contrat d’assurance-vie.

Contrat d’Assurance-Vie

M. [W] [H] a souscrit un contrat d’assurance-vie Sequoia le 15 juillet 2005, avec un versement initial de 85.000 euros et un abondement annuel. Ce contrat devait garantir le remboursement du prêt, mais la valeur de rachat à l’échéance ne suffirait pas à couvrir la dernière échéance.

Insuffisance de Couverture

En octobre 2019, la Société générale a informé M. [H] d’un différentiel négatif de 72.000 euros entre la valeur de rachat du contrat d’assurance-vie et le montant de la dernière échéance. En juillet 2020, la banque a demandé à la SCI Milidokasa de rembourser une insuffisance de couverture de 62.380,23 euros.

Demande de Réparation

Le 1er février 2016, la SCI Milidokasa et les époux [H] ont mis en demeure la banque de verser 71.537,28 euros pour préjudice financier, alléguant un manquement à son devoir de conseil. En mars 2023, ils ont assigné la Société générale en recherche de responsabilité.

Décision du Tribunal

Le 2 octobre 2023, le tribunal a rejeté la fin de non-recevoir pour prescription, a déclaré les demandeurs recevables et a condamné la Société générale à payer 1.500 euros aux demandeurs. Les parties ont été renvoyées à la mise en état.

Arguments des Demandeurs

La SCI Milidokasa et M. [H] ont soutenu que la Société générale avait manqué à son devoir d’information et de conseil, en ne les alertant pas sur les risques liés au prêt in fine et à l’assurance-vie. Ils ont demandé des réparations pour les préjudices subis.

Arguments de la Société Générale

La Société générale a contesté les allégations, affirmant qu’elle n’était pas responsable de l’opération d’investissement et que le prêt était adapté aux capacités financières de la SCI. Elle a également soutenu qu’elle n’avait pas d’obligation de mise en garde concernant le risque de non-remboursement.

Responsabilité de la Société Générale

Le tribunal a examiné la responsabilité de la Société générale en tant que dispensateur de crédit et intermédiaire d’assurance. Il a conclu qu’aucun manquement à l’obligation d’information ou de mise en garde n’était établi en ce qui concerne le prêt in fine.

Conclusion du Tribunal

Le tribunal a débouté M. [W] [H] et la SCI Milidokasa de leurs demandes, les condamnant aux dépens et à verser 2.000 euros à la Société générale. La décision a été rendue exécutoire.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les obligations de la Société générale en tant que dispensateur de crédit ?

La Société générale, en tant que dispensateur de crédit, est soumise à plusieurs obligations, notamment celles d’information et de mise en garde. Selon l’article 1147 ancien du Code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de son obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, sauf si l’exécution a été empêchée par la force majeure.

En sa qualité de banquier, la Société générale doit fournir une information objective sur les caractéristiques du prêt proposé, permettant ainsi à l’emprunteur de s’engager en toute connaissance de cause.

Il est également précisé que le banquier a un devoir de mise en garde, qui consiste à alerter l’emprunteur sur les risques d’endettement liés à l’octroi du prêt, en tenant compte de ses capacités financières.

Cette obligation de mise en garde ne s’applique qu’à un emprunteur non averti. En l’espèce, la SCI Milidokasa, représentée par M. [H], ne peut pas être considérée comme un emprunteur non averti, car elle a une expérience dans le domaine immobilier.

Ainsi, la banque n’est pas tenue de mettre en garde l’emprunteur si le prêt est adapté à ses capacités financières, ce qui était le cas ici, puisque la valeur des biens acquis couvrait le montant du capital emprunté.

La Société générale a-t-elle manqué à son devoir d’information et de conseil ?

Les demandeurs soutiennent que la Société générale a manqué à son devoir d’information et de conseil, notamment en ne les alertant pas sur les risques liés à la souscription du prêt in fine et à la performance du contrat d’assurance-vie « Sequoia ».

L’article L.533-4 ancien du Code monétaire et financier impose à l’établissement de crédit de fournir des informations claires sur les produits financiers proposés. En l’espèce, la banque a présenté une simulation de prêt, mais les demandeurs affirment que cette simulation ne mentionnait pas les risques de sous-performance du contrat d’assurance-vie.

Cependant, la banque a précisé que la simulation était présentée à titre indicatif et ne constituait pas un engagement contractuel. De plus, la mention « hypothèse de capitalisation » dans la simulation ne suffisait pas à alerter les emprunteurs sur les risques, car elle était également présente dans d’autres simulations.

Il est donc établi que la banque a respecté son obligation d’information en fournissant une simulation, même si celle-ci était optimiste. En conséquence, il n’y a pas de manquement à son devoir d’information et de conseil.

Quelles sont les conséquences de la responsabilité de la Société générale en tant qu’intermédiaire d’assurance ?

En tant qu’intermédiaire d’assurance, la Société générale a une obligation d’information et de conseil envers ses clients. Cette obligation est renforcée par l’article L.520-1 du Code des assurances, qui stipule que l’intermédiaire doit s’assurer que le produit proposé correspond aux besoins du client.

Dans cette affaire, la responsabilité de la banque en tant qu’intermédiaire d’assurance a été engagée, car elle n’a pas prouvé qu’elle avait analysé les besoins de M. [H] avant de lui proposer le contrat d’assurance-vie « Sequoia ».

La banque n’a pas produit de documents démontrant qu’elle avait recueilli des informations sur les attentes et le niveau de risque accepté par M. [H]. Par conséquent, la banque a manqué à son devoir de conseil, ce qui a conduit à une perte de chance pour M. [H] de choisir un produit plus adapté à ses besoins.

En conséquence, la banque a été condamnée à indemniser M. [H] pour le préjudice subi en raison de ce manquement.

Quelles sont les implications de la décision sur les demandes de dommages-intérêts ?

Les demandeurs ont sollicité des dommages-intérêts en réparation du préjudice financier et moral résultant des manquements de la Société générale. Cependant, le tribunal a constaté que le préjudice principal était constitué par une perte de chance de ne pas avoir placé ses fonds sur un support plus rémunérateur.

Il a été établi que le contrat d’assurance-vie avait généré une plus-value à terme de 54.292 euros, ce qui relativise la notion de contre-performance du produit.

La perte de chance doit être évaluée par rapport à l’avantage escompté, mais les demandeurs n’ont pas fourni d’éléments sur un produit équivalent qui aurait pu leur rapporter un meilleur rendement.

En conséquence, le tribunal a débouté M. [H] de sa demande de dommages-intérêts, tant pour le préjudice financier que pour le préjudice moral, en considérant que ces demandes n’étaient pas justifiées.

Ainsi, la décision du tribunal a des implications significatives sur la responsabilité de la Société générale et sur les demandes de réparation formulées par les demandeurs.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies délivrées le: 29/01/2025
Me BOUDET – R202
Me ROULLIER – W005

9ème chambre 2ème section

N° RG :
N° RG 21/03724 – N° Portalis 352J-W-B7F-CT7ID

N° MINUTE : 3

Assignation du :
05 Mars 2021

JUGEMENT
rendu le 29 Janvier 2025
DEMANDEURS

Monsieur [W] [H]
[Adresse 1]
[Localité 5]

S.C.I. MILIDOKASA, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentée par Maître Jonathan BOUDET de la SAS BOUDET AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0202

DÉFENDERESSE

S.A. SOCIETE GENERALE, prise en la personne de son représentant légal,
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Maître Anne ROULLIER de la SELEURL ROULLIER JEANCOURT-GALIGNANI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W0005

Décision du 29 Janvier 2025
9ème chambre 2ème section
N° RG 21/03724 – N° Portalis 352J-W-B7F-CT7ID

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Gilles MALFRE, Premier Vice-président adjoint,
Monsieur Augustin BOUJEKA, Vice-Président
Monsieur Alexandre PARASTATIDIS, Juge,

assistés de Madame Alice LEFAUCONNIER, Greffière

DÉBATS

A l’audience du 20 Novembre 2024 tenue en audience publique devant Monsieur PARASTATIDIS, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné que la décision serait rendue le 29 janvier 2025.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

FAITS ET PROCEDURE

Selon une offre acceptée le 13 juillet 2005, la SA Société générale a accordé à la société civile immobilière Milidokasa (ci-après SCI Milidokasa), dont M. [W] [H], son épouse et leurs enfants sont associés, un prêt in fine d’un montant de 310.000 euros, au taux de 3,30% (avec variation de + ou – 1 point) remboursable au terme d’une durée maximum de 180 mois, l’échéance d’amortissement du capital étant fixée au 7 octobre 2020, en vue de financer l’acquisition de deux biens immobiliers sis [Adresse 2] à [Localité 6] destinés à la location.

Le 15 juillet 2005, M. [W] [H] a adhéré au contrat collectif d’assurance-vie Sequoia souscrit par la Société générale auprès de la société Sogecap, moyennant le versement d’une prime de 85.000 euros affectée au support financier dit « Sequoia sécurité », et un abondement annuel de 7.762 euros.

Le prêt susvisé était garanti par les cautionnements solidaires et personnels de M. et Mme [H], le nantissement du contrat d’assurance-vie « Sequoia », outre une caution de la société Crédit logement.

Par courriel du 5 octobre 2019, la Société général a informé M. [H] qu’à la date de la dernière échéance du prêt, la valeur de rachat du contrat d’assurance-vie ne suffirait pas à couvrir le montant de la dernière échéance de 310.000 euros au regard de l’existence d’un différentiel négatif de 72.000 euros.

Par lettre du 31 juillet 2020, la Société générale a interrogé la SCI Milidokasa sur les modalités de remboursement de l’insuffisance de couverture qu’elle fixait à la somme de 62.380,23 euros.

La SCI Milidokasa a remboursé la dernière échéance à son terme.

Par lettre recommandée avec avis de réception de leur conseil du 1er février 2016, reçue le 2 février suivant, la SCI Milidokasa et les époux [H] ont mis en demeure la banque de leur verser la somme de 71.537,28 euros en réparation du préjudice financier résultant selon eux d’un manquement à son devoir de conseil tant au moment de la réalisation du montage financier que lors de son débouclage.

C’est dans ce contexte que par acte d’huissier de justice du 5 mars 2023, M. [H] et la SCI Milidokasa ont fait assigner la Société générale devant le tribunal judiciaire de Paris en recherche de sa responsabilité.

Par ordonnance du 2 octobre 2023, le juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la Société générale, déclaré la SCI Milidokasa et M. [H] recevables en leurs demandes, condamné la Société générale aux dépens de l’incident, à payer la somme de 1.500 euros aux demandeurs au titre de l’article 700 du code de procédure civile et renvoyé les parties à la mise en état.

Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 11 mars 2024, aux visas des articles 1147 ancien du code civil et L.533-4 ancien du code monétaire et financier, la SCI Milidokasa et M. [H] demandent au tribunal de :

« Dire et juger que la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE a manqué à son devoir d’information, de mise en garde et de conseil à l’égard de la SCI MILIDOKASA ;

Condamner la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à payer à la SCI MILIDOKASA la somme de 89.478,14 € (53.709,50 + 35.768,64) en réparation du préjudice découlant du manquement à d’information, de mise en garde et de conseil, avec intérêts à compter du 2 février 2021 ;

Dire et juger que la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE a manqué à son devoir d’information, de mise en garde et de conseil à l’égard de M. [H] en sa qualité de distributeur du contrat d’assurance-vie « SEQUIOA » et de prestataire d’investissement ;

Condamner la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à payer à M. [H] la somme de 26.673,48 € en réparation du préjudice découlant du manquement à son devoir de conseil et à son obligation de mise en garde ;

Condamner la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à payer à M. [H] et à la SCI MILIDOKASA la somme de 5.000 € chacun au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

Condamner la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE aux entiers dépens de la présente instance. »
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 30 mai 2024, la Société générale demande au tribunal de :
« Débouter la SCI MILIDOKASA et Monsieur [H] de l’ensemble de leurs demandes, tant principales que subsidiaires, à l’encontre de SOCIETE GENERALE.

Condamner la SCI MILIDOKASA et Monsieur [H] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens. »

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour l’exposé des moyens et arguments venant au soutien de leurs demandes.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 14 octobre 2024. L’affaire a été évoquée à l’audience de plaidoirie tenue en juge rapporteur du 20 novembre 2024 et mise en délibéré au 29 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 – Sur la responsabilité de la Société générale

La SCI Milidokasa et M. [H] font valoir que la Société générale, en sa qualité de dispensateur de crédit, était tenue à l’égard de la SCI emprunteuse, d’une part, d’une obligation d’information relative notamment aux caractéristiques du prêt et aux risques liés à sa souscription afin de lui permettre de s’engager en toute connaissance de cause et, d’autre part, d’une obligation de conseil et de mise en garde qui lui imposait de l’alerter sur les conséquences négatives du contrat, voire à la dissuader de contracter notamment en soulignant l’inadéquation du moyen de financement choisi avec l’objet de l’opération et ce, a fortiori, dans la mesure où la banque a joué un rôle actif dans l’opération globale notamment de défiscalisation.

Ils exposent qu’au cas présent, la Société générale a manqué à ses devoirs d’information et de mise en garde en ne portant pas à leur connaissance l’existence dans le montage qu’elle leur a proposé de l’existence d’un aléa intrinsèque à celui-ci sur le risque de non-remboursement lié à la rentabilité du placement devant assurer le remboursement, soulignant que ni la documentation contractuelle, ni les simulations réalisées ne font état d’un risque au terme de l’emprunt, ces dernières tablant sur un remboursement intégral de la dernière échéance grâce au rendement du contrat « Sequoia ». Ils soulignent que la responsabilité de la banque est d’autant plus engagée que c’est cette dernière qui a proposé l’investissement et organisé l’opération de défiscalisation de type « Robien » en faisant intervenir sa filiale Sogecap, distributrice du contrat d’assurance-vie.

Les demandeurs soutiennent également que la banque a engagé sa responsabilité en sa qualité d’intermédiaire d’assurance. Ils lui font ainsi grief d’avoir manqué à son devoir de conseil général qui préexistait à sa codification à l’article L.520-1 du code des assurances entrés en vigueur le 1er mai 2007, à son devoir de conseil en s’abstenant de remplir ses obligations d’information et de conseil, ainsi qu’à son devoir d’information particulier issu de l’article L.533-4 du code monétaire et financier en ne l’alertant pas sur le risque de sous-performance du contrat d’assurance-vie « Sequoia » et de l’incertitude quant à sa valeur de rachat à l’échéance du prêt et donc du risque de ne pouvoir rembourser intégralement la dernière échéance grâce à ce produit financier, et ce d’autant plus que ce type de montage proposé par la banque était risqué au regard de son caractère spéculatif. Ils font valoir que la simulation relative au recours à un prêt in fine délivrée par la banque, opposée à une autre simulation relative au recours à un prêt amortissable classique, n’indiquait pas le risque d’une éventuelle sous-performance du contrat d’assurance-vie qui aurait compromis la possibilité de rembourser intégralement le prêt, et n’était pas assez détaillée en ce qu’elle ne mentionnait pas le scenario d’évolution négative de la rentabilité du contrat « Sequoia ». Ils ajoutent que la mention « Hypothèse de capitalisation » mentionnée dans la simulation était insuffisante à alerter la société emprunteuse sur le risque présenté par le montage dès lors qu’elle figurait également dans la seconde simulation relative à un prêt amortissable classique, et ce d’autant plus que le terme « hypothèse » n’est pas synonyme de risque. Ils concluent à un manquement de la banque à son obligation d’information dès lors qu’elle a présenté uniquement une simulation « optimiste », qui nonobstant sa valeur non contractuelle mise en avant par la banque participe de l’obligation précontractuelle d’information, sur la base d’un taux de rendement annuel du contrat d’assurance-vie de 4%, mentionnant sans aucune réserve qu’à l’issue de l’opération la valeur du contrat d’épargne serait de 310.000 euros, et en vantant dans ses correspondances le caractère sécurisé de l’investissement « Séquoia », laissant l’emprunteuse dans l’ignorance d’un risque de sous-performance et de ses conséquences qui auraient nécessairement modifié leur décision de souscrire à une telle solution. Ils concluent au lien de causalité entre la faute de la banque et le dommage qui en est résulté, à savoir la prise en charge par M. [H] de la différence entre la dernière échéance du prêt et la valeur du contrat « Sequoia » dont ils demandent réparation à la Société générale qu’ils qualifient de « principale bénéficiaire » de cette opération au regard des intérêts qu’elle a perçus et qui sont bien supérieurs à ceux qu’elle aurait tirés d’un prêt amortissable classique.

En réplique, la Société générale contredit les demandeurs en ce qu’ils affirment qu’elle leur aurait proposé l’investissement auquel elle se dit totalement étrangère, précisant que les demandeurs se sont adressés à elle pour les seuls besoins du financement une fois seulement leur projet décidé et les biens à acquérir identifiés. Elle ajoute qu’il n’existe aucun montage financier, a fortiori proposée par elle, la notion de montage renvoyant à une opération complexe d’ingénierie financière et/ou d’optimisation fiscale absente de la relation contractuelle les liant et portant uniquement sur l’octroi d’un prêt garanti par un contrat d’assurance-vie.

En sa qualité de dispensateur de crédit, elle soutient qu’elle n’était pas débitrice d’un devoir de mise en garde dès lors que le prêt était adapté aux capacités financières déclarées de la société emprunteuse qui n’encourait donc pas de risque d’endettement, ces capacités devant s’apprécier au regard de la valeur des éléments du patrimoine garantissant le remboursement. Elle expose qu’en l’espèce, la SCI Milidokasa a emprunté un capital équivalent au montant des biens financés par le prêt, lesquels dès lors garantissaient le remboursement du prêt, l’évolution du marché immobilier en région parisienne laissant présager un prix des biens très supérieur à la date de remboursement en 2020, ce qui s’est confirmé au regard de l’augmentation du prix du m² sur la commune de [Localité 6] de 20% entre 2016 et 2021, outre la garantie que constituait le contrat d‘assurance-vie dont le prix de rachat à la date d’octroi du prêt était de 83.402 euros.

Elle fait également valoir que le devoir de mise en garde n’était non plus dû quant au risque de non remboursement intégral du prêt par la valeur de rachat de l’assurance-vie, aucune interdépendance n’existant entre ces deux contrats, chacun ne faisant nullement référence à l’autre. Elle ajoute que le fait que le second contrat ait été donné en garantie du premier ne permet nullement de conclure à un engagement de sa part sur un rendement suffisant pour rembourser le prêt.

S’agissant d’un devoir d’information, elle soutient que ce dernier est limité et ne porte que sur les caractéristiques du prêt qui, en l’espèce, ont été communiquées à la société emprunteuse au moyen d’une simulation du 17 mars 2005 et des conditions générales et particulières du prêt.

Enfin, elle soutient que le banquier qui agit en qualité de dispensateur de crédit n’est débiteur d’aucune obligation de conseil, même à l’égard d’un client non averti, sauf engagement contractuel le prévoyant et qui n’existe pas au cas particulier.

Elle réfute par ailleurs toute intervention de sa part en qualité de prestataire de service d’investissement au sens des articles L.211-11 et L.321-1 du code monétaire et financier, et demande en conséquence le rejet de sa mise en cause sur ce fondement.

S’agissant de son obligation d’information en qualité d’intermédiaire d’assurance, elle fait valoir que la simulation proposée, dont elle souligne la valeur non contractuelle, prenait comme base une hypothèse réaliste d’un taux de rendement annuel du contrat d’assurance-vie de 4%, correspondant au taux de rendement des supports en euros au début des années 2000, lequel était mentionné à titre indicatif comme une des conditions cumulatives nécessaires pour que le rachat du contrat d’assurance-vie soit de 310.000 euros au terme de l’opération, et ce sans aucun engagement de sa part sur ce taux.

Elle soutient qu’elle n’a ainsi jamais conseillé ou recommandé aux demandeurs de choisir l’option d’un prêt in fine, s’étant contentée de présenter deux simulations détaillées précisant les implications financières et fiscales associées à chaque type de prêt année par année ainsi que de façon globale, la décision finale de recourir au prêt litigieux étant revenue à la société emprunteuse qui, dans le cadre d’un investissement locatif, y trouvait des avantages tels que des mensualités plus faibles et déductibles de ses revenus jusqu’à la dernière échéance.

Elle ajoute que le support choisi « Sequoia Sécurité » a répondu au souci de sécurité de la société emprunteuse, le capital investi, et seulement celui-ci, étant contractuellement garanti à terme, et s’est révélé productif d’une plus-value de 54.292 euros.

Elle conclut à l’absence de manquement à son obligation de conseil en tant qu’intermédiaire d’assurance, opposant par ailleurs le caractère non pertinent des décisions citées par les demandeurs retenant la responsabilité de banquiers intervenus dans le cadre de contrats d’assurance-vie ayant enregistré une moins-value du fait de supports spéculatifs et donc non transposables au présent litige, tout comme d’un arrêt de la cour d’appel de Paris relevant un manquement de la banque n’ayant pas indiqué les avantages et inconvénients d’un prêt in fine en comparaison à un prêt amortissable qui n’avait d’ailleurs pas été proposé.

Elle conclut ainsi au rejet des demandes faisant grief aux requérants de tenter de se soustraire à leur obligation contractuelle de remboursement dont ils pouvaient anticiper les modalités, ayant été informés tout au long de la vie du contrat d’assurance-vie de son évolution et donc de la nécessité d’ajuster à la hausse les primes versées annuellement sur celui-ci pour rembourser intégralement le prêt à son échéance.

Sur ce,

a) Sur les manquements en qualité de dispensateur de crédit

Selon l’article 1147 du code civil, dans sa version antérieure, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de son obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, sauf si l’exécution a été empêchée par la force majeure.

Par ailleurs, le banquier est tenu d’un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client pour apprécier l’opportunité des opérations auxquelles il procède. Dès lors, en sa seule qualité de dispensateur de crédit, il lui incombe uniquement une obligation d’information objective sur les caractéristiques du prêt qu’il lui propose de souscrire afin de lui permettre de s’engager en toute connaissance de cause. Il peut être également tenu à une obligation de conseil envers l’emprunteur, à la condition d’en avoir pris l’engagement.

De plus, l’établissement de crédit est tenu à un devoir de mise en garde qui consiste, quant à lui, à alerter l’emprunteur ou la caution, au regard de ses capacités financières, du risque d’endettement né de l’octroi du prêt. L’avertissement délivré par la banque s’apprécie au jour de la signature du contrat. Il n’existe toutefois qu’envers une personne non-avertie, étant précisé qu’un emprunteur professionnel ne peut être, de facto, considéré comme un emprunteur averti.

Il en résulte qu’il n’existe pas de devoir de mise en garde spécifique s’agissant de l’octroi d’un prêt in fine, de sorte que l’obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu un établissement de crédit à l’égard d’un emprunteur non averti avant de lui consentir un prêt de ce type ne porte que sur l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l’emprunteur et sur le risque de l’endettement qui résulte de son octroi, comme tout autre prêt. A contrario, le banquier n’est pas tenu de mettre en garde l’emprunteur lorsque le prêt apparaît adapté aux capacités financières de l’emprunteur, en l’absence de risque d’endettement né de l’octroi du prêt ou lorsqu’il a affaire à un emprunteur averti, étant précisé que s’agissant d’une SCI, cette qualité s’apprécie en la personne de son représentant légal.

Il appartient à la banque de démontrer qu’elle a satisfait aux obligations qui lui incombent.

En l’espèce, il ne résulte d’aucune pièce que, d’une part, la banque serait à l’origine de l’opération d’investissement entreprise par la SCI Milidokasa ni que, d’autre part, le contrat d’assurance-vie « Sequoia » aurait été souscrit dans le seul but de permettre à cette structure de rembourser intégralement le capital emprunté dans le cadre du prêt in fine. Il convient donc de considérer que le contrat de prêt et le contrat d’assurance-vie sont indépendants.

En outre, cette assurance-vie, souscrite postérieurement à l’offre de prêt, et donc indépendamment du prêt, de plus par M. [H], seul, qui n’est pas l’emprunteur, n’était pas la seule garantie prise par la banque lors de la souscription dudit prêt puisque les époux [H] se sont, chacun, portés cautions personnelles et solidaires, et que la société Crédit logement à apporté sa caution à hauteur de 225.000 euros.

Il ne saurait donc être soutenu que le contrat d’assurance-vie avait pour finalité le remboursement du prêt à l’échéance et qu’il pesait sur la banque un devoir d’information quant à la possibilité que le produit de cette assurance-vie puisse ne pas permettre de régler les sommes dues à l’échéance.

Il s’en déduit que la banque ne peut se voir reprocher un défaut d’information ou de mise en garde sur l’impossibilité de rembourser la dernière échéance du prêt avec le seul produit du contrat d’assurance-vie « Séquoia » et donc l’inadéquation de ce produit avec la souscription du prêt in fine alors que la seule finalité du contrat d’assurance-vie qui ressort de l’offre de prêt était de garantir la banque en cas de défaillance de la SCI Milidokasa, en l’absence de toute autre mention sur ce point dans les documents contractuels produits.

De plus, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, la souscription du prêt in fine ne présentait aucune technicité particulière. Sa description en page 1 de l’offre est claire : le remboursement du prêt s’effectue en une seule fois, à l’expiration de sa durée, et le paiement des intérêts s’effectue mensuellement à hauteur de 1.112,90 euros.

Par ailleurs, il ne peut être retenu que le prêt accordé présentait un risque particulier pour la SCI Milidokasa alors que l’objet social de cette société est « l’acquisition par voie d’achat ou d’apport, la propriété, la mise en valeur, la transformation, la construction, l’aménagement, l’administration et la location de tous biens et droits immobiliers, de tous biens et droits pouvant constituer l’accessoire, l’annexe ou le complément des biens et droits immobiliers en question », et qu’il n’est pas contesté que la valeur des biens dont la SCI devenait propriétaire couvrait déjà le montant du capital emprunté, outre les garanties apportées par le contrat d’assurance-vie et les cautionnements personnels des époux [H], et que les deux appartements acquis grâce au prêt dont il est question devaient lui procurer des loyers.

D’ailleurs, les demandeurs ne soutiennent pas qu’à l’époque de la souscription du prêt litigieux, la situation financière de la SCI Milidokasa était telle que ledit prêt représentait un risque d’endettement excessif, le grief avancé contre la banque tenant uniquement à l’impossibilité de rembourser le prêt à son échéance avec la seule valeur de rachat du contrat d’assurance-vie.

Il convient d’ajouter que la Société générale n’avait pas à s’immiscer dans le choix de la SCI Milidokasa de souscrire un tel prêt pour l’acquisition de biens immobiliers destinés à la location, la banque n’étant débitrice d’aucun devoir de conseil, aucune convention n’ayant été régularisée en ce sens par les parties.

Dans ces circonstances, aucune mise en garde n’était due par la Société générale.

Le moyen tiré de la violation par la banque d’une obligation d’information, de mise en garde et/ou de conseil en sa qualité de dispensateur de crédit est par conséquent rejeté.

b) Sur les manquements en qualité d’intermédiaire d’assurance

L’intermédiaire d’assurance a à la fois une obligation d’information générale sur le produit et ses caractéristiques et un devoir de conseil du client. Ainsi, après avoir recueilli des éléments sur lui, et notamment avoir déterminé ses besoins, l’intermédiaire doit rechercher le produit en adéquation avec sa situation. Il doit ensuite lui restituer ces éléments de manière à lui permettre de prendre sa décision (reformulation des besoins, des objectifs, proposition de solutions, justification du choix).

Il appartient à cet intermédiaire de rapporter la preuve de l’exécution de son devoir d’information et de conseil.

En l’espèce, il a été retenu ci-avant que la responsabilité de la banque en sa qualité d’intermédiaire d’assurance ne peut être recherchée en ce que la valeur de rachat à terme de l’assurance-vie « Séquoia » et le montant de la dernière échéance du prêt in fine ne coïncident pas, en l’absence d’une interdépendance contractuelle démontrée entre ces deux opérations, le contrat d’assurance-vie étant seulement nanti en garantie.

Par ailleurs, comme le relève la défenderesse, il ne saurait être déduit de la simulation, bien que celle-ci entre dans le champ de l’obligation d’information précontractuelle, un engagement de la banque à garantir un taux annuel de rendement de 4% alors que ce dernier était mentionné comme une « hypothèse de capitalisation » dans un document explicitement présenté sans valeur contractuelle par une mention en bas de page.

Néanmoins, le tribunal relève que la Société générale ne produit aucun document sur les éléments recueillis auprès de M. [H], et notamment la rentabilité espérée par ce dernier à terme et le niveau de risque accepté, qui devaient lui permettre de déterminer les besoins et attentes du demandeur et la conduire à lui proposer un produit financier en adéquation avec ses besoins.

Les conditions générales ne sont pas plus produites.

Seul un certificat d’adhésion en date du 13 septembre 2005 est versé aux débats avec les indications d’un taux d’évolution du capital de « 3,60% garanti pour 2005 sur l’épargne investie le 19/07/2005 », du support choisi « SEQUOIA SECURITE », du montant du versement à l’adhésion, soit 85 .000 euros, et de la valeur de rachat correspondante, soit 83.402 euros au 19 juillet 2005, puis 84.754,35 euros les années suivantes.

Il résulte de ces éléments que la banque ne rapporte pas la preuve d’avoir, d’une part conseillé le contrat « Sequoia » sur la base d’une analyse des besoins de M. [H] et, d’autre part, fourni à ce dernier l’intégralité des caractéristiques de ce produit.

En conséquence, il convient de retenir la responsabilité de la banque en sa qualité d’intermédiaire d’assurance.

S’agissant de son préjudice, M. [H] sollicite l’allocation de la somme globale de 26.673,48 euros correspondant, d’une part, au préjudice financier constitué des frais de gestion et de versement qu’il a engagés dans le cadre du contrat d’assurance à hauteur de 16.673,48 euros et, d’autre part, d’un préjudice moral qu’il évalue à la somme de 10.000 euros.

Or, le préjudice principal subi par M. [H] est constitué par une perte de chance de ne pas avoir placé ses fonds sur un support plus rémunérateur que celui prévu au contrat.

Il doit être tenu compte dans l’évaluation de ce préjudice du fait que le contrat litigieux a généré une plus-value à terme de 54.292 euros venant relativiser la notion de contre-performance de ce produit soutenue par le demandeur.

De plus, la perte de chance s’apprécie par rapport à l’avantage escompté, dont elle représente un pourcentage. Dès lors, il convient d’identifier cet avantage escompté, en l’occurrence dans un produit équivalent dont le demandeur ne fait pas état. Partant, l’appréciation de la perte de chance sur les seuls frais engagés ne saurait justifier une indemnisation.

Enfin, le demandeur est débouté de sa demande de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral qui n’est établi ni dans son principe, ni dans son quantum.

2 – Sur les autres demandes

Les demandeurs qui succombent sont condamnés aux dépens.

Ils sont également condamnés à payer la somme de 2.000 euros à la Société générale sur le fondement de l’article 700 du code civil.

La présente décision est revêtue de droit de l’exécution provisoire conformément aux dispositions de l’article 514 du code de procédure civile, l’instance ayant été introduite postérieurement au 31 décembre 2019.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe :

DEBOUTE M. [W] [H] et la société civile immobilière Milidokasa de leurs demandes ;

CONDAMNE M. [W] [H] et la société civile immobilière Milidokasa aux dépens ;

CONDAMNE M. [W] [H] et la société civile immobilière Milidokasa à payer à la SA Société générale la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 29 Janvier 2025

La Greffière Le Président


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