Responsabilité des prestataires de services de paiement en cas de virements non autorisés

·

·

Responsabilité des prestataires de services de paiement en cas de virements non autorisés

L’Essentiel : Les sociétés Artemis group et Artemis security ont contesté des virements de 498 266,50 euros exécutés par la Bred banque populaire, affirmant ne pas avoir autorisé ces paiements. En réponse, la banque a invoqué la directive 2007/64/CE, soutenant que la responsabilité des pertes incombait aux sociétés en raison de leur négligence. La cour d’appel a finalement condamné la banque à rembourser 50 % des pertes, reconnaissant une négligence des deux parties. Toutefois, cette décision a été critiquée pour avoir écarté la responsabilité de la banque, malgré ses manquements à ses obligations de vigilance face aux alertes de connexions suspectes.

Contexte de l’affaire

Les sociétés Artemis group et Artemis security, titulaires de comptes à la Bred banque populaire, ont souscrit un contrat de service « Transbred.com » pour la transmission d’ordres de paiement via internet, authentifiés par un certificat numérique.

Exécution des virements

Le 23 juin 2015, la banque a exécuté six ordres de virement totalisant 498 266,50 euros à partir des comptes des sociétés Artemis, qui contestent avoir autorisé ces paiements.

Action en justice

Les sociétés Artemis ont assigné la banque en remboursement des fonds virés, arguant qu’elles n’avaient pas donné leur consentement pour ces opérations.

Arguments de la banque

La banque a contesté la décision de la cour d’appel, soutenant que la responsabilité du prestataire de services de paiement est régie par la directive 2007/64/CE, qui exclut tout régime de responsabilité concurrent. Elle a affirmé que les pertes dues à des opérations non autorisées incombent au payeur s’il a fait preuve de négligence grave.

Réponse de la Cour

La Cour a précisé que la responsabilité contractuelle de droit commun n’est pas applicable en présence d’un régime de responsabilité exclusif. Elle a confirmé que seul le régime de responsabilité défini par les articles L. 133-18 à L. 133-24 du code monétaire et financier est applicable pour les opérations non autorisées.

Décision de la cour d’appel

La cour d’appel a condamné la banque à rembourser 50 % des pertes subies par les sociétés Artemis, en considérant que, bien que les sociétés aient commis une négligence grave, la banque avait également manqué à son obligation de vigilance en ne tenant pas compte des alertes concernant des tentatives de connexion suspectes.

Violation des textes

La cour d’appel a été jugée en violation des textes en écartant la responsabilité de la banque pour les paiements non autorisés, tout en reconnaissant la négligence des sociétés Artemis. La responsabilité de la banque ne pouvait pas être recherchée sur la base de ses obligations de vigilance et de surveillance.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de la responsabilité du prestataire de services de paiement selon le code monétaire et financier ?

La responsabilité du prestataire de services de paiement est régie par les articles L. 133-18 à L. 133-24 du code monétaire et financier, qui transposent les articles 58, 59 et 60 de la directive 2007/64/CE.

Ces articles établissent un régime de responsabilité exclusif pour les opérations non autorisées ou mal exécutées.

Ainsi, l’article L. 133-18 précise que le prestataire de services de paiement est responsable des opérations de paiement non autorisées, sauf si le payeur a agi avec négligence grave.

De plus, l’article L. 133-19 IV stipule que le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations non autorisées s’il n’a pas pris les mesures raisonnables pour préserver la sécurité de ses dispositifs.

Ce cadre juridique exclut tout régime de responsabilité concurrent, ce qui signifie que les utilisateurs ne peuvent pas invoquer d’autres bases juridiques pour engager la responsabilité du prestataire.

Comment la jurisprudence interprète-t-elle la responsabilité en cas de négligence grave du payeur ?

La jurisprudence, notamment à travers l’arrêt Beobank (C-351/21), a clarifié que la responsabilité des prestataires de services de paiement est strictement encadrée par la directive 2007/64/CE.

L’article 60, paragraphe 1, de cette directive établit que le prestataire est responsable des opérations non autorisées, sauf si le payeur a commis une négligence grave.

Cela signifie que si le payeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour sécuriser ses dispositifs, il peut être tenu de supporter les pertes.

En effet, la Cour de justice a souligné que le régime de responsabilité harmonisé ne peut être contourné par des régimes nationaux alternatifs.

Ainsi, la responsabilité du prestataire ne peut être engagée que sur la base des articles L. 133-18 à L. 133-24, excluant toute autre forme de responsabilité qui pourrait découler de la négligence du payeur.

Quelles sont les conséquences d’une négligence grave du payeur sur la responsabilité du prestataire ?

Lorsqu’un payeur commet une négligence grave, cela a des conséquences directes sur la responsabilité du prestataire de services de paiement.

L’article L. 133-19 IV du code monétaire et financier stipule que le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations non autorisées s’il n’a pas satisfait à son obligation de sécurité.

Cela signifie que si le payeur a agi de manière imprudente, il ne pourra pas se retourner contre le prestataire pour obtenir un remboursement.

Dans l’affaire des sociétés Artemis, la cour a retenu que les sociétés avaient commis une négligence grave, ce qui a conduit à la conclusion que la banque ne pouvait pas être tenue responsable des pertes subies.

Ainsi, la négligence du payeur peut annuler toute possibilité de recours contre le prestataire, renforçant l’importance de la vigilance dans la gestion des dispositifs de sécurité.

Comment la banque peut-elle se défendre contre des réclamations pour des paiements non autorisés ?

La banque, en tant que prestataire de services de paiement, peut se défendre contre des réclamations pour des paiements non autorisés en prouvant que l’opération était dûment autorisée ou que le caractère non autorisé résulte de la négligence grave du payeur.

L’article L. 133-18 du code monétaire et financier précise que le prestataire doit démontrer que l’opération a été autorisée si le payeur conteste la transaction.

De plus, la banque peut également faire valoir que le payeur n’a pas pris les mesures raisonnables pour sécuriser ses dispositifs, ce qui pourrait exonérer la banque de sa responsabilité.

Dans le cas des sociétés Artemis, la banque a soutenu qu’elle avait respecté ses obligations de vigilance, mais la cour a jugé qu’elle avait également manqué à son obligation de surveillance.

Cela souligne que la défense de la banque repose sur la démonstration de la conformité à ses obligations, tout en tenant compte des actions du payeur.

COMM.

SH

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 15 janvier 2025

Cassation partielle

M. SOULARD, premier président

Arrêt n° 4 FS-B

Pourvoi n° K 23-13.579

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 15 JANVIER 2025

La société Bred banque populaire, société coopérative de banque populaire à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 23-13.579 contre l’arrêt rendu le 18 janvier 2023 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 6), dans le litige l’opposant :

1°/ à la société Artemis group, société par actions simplifiée,

2°/ à la société Artemis security, société par actions simplifiée,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Calloch, conseiller, les observations de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la société Bred banque populaire, de la SCP Françoise Fabiani – François Pinatel, avocat des sociétés Artemis group et Artemis security, et l’avis de M. de Monteynard, avocat général, à la suite duquel le premier président a demandé aux avocats s’ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l’audience publique du 19 novembre 2024 où étaient présents M. Soulard, premier président, M. Vigneau, président, M. Calloch, conseiller rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, Mme Guillou, MM. Bedouet, Chazalette, Mme Gouarin, conseillers, Mmes Brahic-Lambrey, Champ, M. Boutié, Mmes Coricon, Buquant, conseillers référendaires, M. de Monteynard, avocat général, et Mme Sezer, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 18 janvier 2023), la société Artemis group et la société Artemis security (les sociétés Artemis), chacune titulaire d’un compte ouvert dans les livres de la société Bred banque populaire (la banque), ont souscrit un contrat de service « Transbred.com » permettant la transmission, par internet, d’ordres d’opérations de paiement authentifiés par un certificat numérique.

2. Le 23 juin 2015 six ordres de virement d’un montant cumulé de 498 266,50 euros ont été exécutés à partir des comptes des sociétés Artemis par la banque.

3. Contestant avoir autorisé ces paiements, les sociétés Artemis ont assigné la banque en remboursement des fonds virés et non récupérés.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. La banque fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à la société Artemis Group la somme de 1 421,70 euros avec intérêt au taux légal à compter de l’arrêt et à la société Artemis Security la somme de 123 783,25 euros avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt, alors « que le régime de responsabilité du prestataire de service de paiement tel qu’il résulte de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, transposée au code monétaire et financier est exclusif de tout régime de responsabilité concurrent qui permettrait à l’utilisateur qui ne satisfait pas à ses obligations et aux conditions de mise en œuvre de la responsabilité d’un prestataire de service de paiement de contourner les règles et conditions posées par la directive ; que le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées s’il n’a pas satisfait par négligence grave à son obligation de prendre toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés sans pouvoir invoquer un prétendu manquement du prestataire à son obligation de vigilance de droit commun ; qu’en considérant que la banque, en qualité de prestataire de services de paiements à laquelle le caractère non autorisé d’un virement avait été régulièrement dénoncé par son client dans le délai prévu est tenue, de plein droit, de rembourser ce dernier, sous réserve de démontrer soit que l’opération était en réalité dûment autorisée soit que son caractère non autorisé résulte de ce que l’utilisateur n’a pas satisfait, intentionnellement ou par négligence grave, aux obligations lui incombant, sauf à ce dernier à faire valoir, au-delà de l’obligation de remboursement, un manquement du prestataire de services de paiement à ses propres obligations distinctes, pour condamner l’exposante à rembourser les sociétés Artemis de 50 % des sommes frauduleusement virées et non récupérées parce qu’elle aurait manqué à son obligation de vigilance et de surveillance de ses systèmes, la cour d’appel a violé, par refus d’application, les articles L. 133-19 IV et L. 133-16 du code monétaire et financier, ensemble les articles 61 et 56 de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, et par fausse application l’article 1147 du code civil dans sa version antérieure à l’ordonnance du 16 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1147, devenu 1231-1, du code civil et les articles L. 133-18 et L. 133-19 IV du code monétaire et financier dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009 :

5. La responsabilité contractuelle de droit commun résultant du premier de ces textes n’est pas applicable en présence d’un régime de responsabilité exclusif.

6. Dans son arrêt du 16 mars 2023, Beobank (C-351/21), la Cour de justice
a interprété en ces termes les articles 58, 59 et 60 de la directive 2007/64/CE :

« 37 […] le régime de responsabilité des prestataires de services de paiement prévu à l’article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64 ainsi qu’aux articles 58 et 59 de cette directive a fait l’objet d’une harmonisation totale. Cela a pour conséquence que sont incompatibles avec ladite directive tant un régime de responsabilité parallèle au titre d’un même fait générateur
qu’un régime de responsabilité concurrent qui permettrait à l’utilisateur de services de paiement d’engager cette responsabilité sur le fondement d’autres faits générateurs (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, C-337/20, CRCAM, […] points 42 et 46).

38. En effet, le régime harmonisé de responsabilité pour les opérations non autorisées ou mal exécutées établi dans la directive 2007/64 ne saurait être concurrencé par un régime alternatif de responsabilité prévu dans le droit national reposant sur les mêmes faits et le même fondement qu’à condition de ne pas porter préjudice au régime ainsi harmonisé et de ne pas porter atteinte aux objectifs et à l’effet utile de cette directive (arrêt du 2 septembre 2021, C-337/20, CRCAM, […] point 45). »

7. Il s’ensuit que, dès lors que la responsabilité d’un prestataire de services de paiement est recherchée en raison d’une opération non autorisée ou mal exécutée, seul est applicable le régime de responsabilité défini aux articles L. 133-18 à L. 133-24 du code monétaire et financier, qui transposent les articles 58, 59 et 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64/CE, à l’exclusion de tout régime alternatif de responsabilité résultant du droit national.

8. Pour condamner la banque à rembourser aux sociétés Artemis 50 % des pertes subies à la suite de l’exécution des ordres de paiement non autorisés, l’arrêt retient que si les sociétés payeuses ont commis une négligence grave, la banque a commis une faute en ne prenant pas en compte la situation manifestement anormale résultant des alertes diffusées par le Centre d’alerte et de réaction aux attaques informatiques le 10 juin 2015 sur une campagne massive de spam et de la centaine de tentatives infructueuses de connexion au système Transbred à partir des postes informatiques des sociétés Artemis caractérisant un manquement à son obligation de vigilance et de surveillance de ses systèmes.

9. En statuant ainsi, alors qu’elle avait écarté la responsabilité de la banque, recherchée du fait de paiements non autorisés sur le fondement de l’article L. 133-18 du code monétaire et financier, en retenant que les sociétés titulaires des comptes avaient commis une négligence grave, de sorte que les sociétés Artemis devaient seules supporter les pertes subies du fait des opérations non autorisées et que la responsabilité de la banque ne pouvait pas être recherchée au titre de ses obligations de vigilance et de surveillance de ses systèmes, la cour d’appel a violé les textes susvisés.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon