Recevabilité des demandes en matière de prêts immobiliers et intérêts conventionnels

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Recevabilité des demandes en matière de prêts immobiliers et intérêts conventionnels

L’Essentiel : L’affaire oppose M. [I] à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel [Localité 3] concernant la validité d’une clause d’intérêts conventionnels dans deux prêts immobiliers. M. [I] conteste cette clause, arguant d’un défaut de communication du taux. Après un premier arrêt de cassation, la cour de renvoi a déclaré son appel incident irrecevable, estimant qu’il n’avait pas succombé en première instance. Cependant, la Cour a souligné que l’arrêt de cassation avait censuré la décision antérieure, permettant à M. [I] de former un appel incident, ce qui a été ignoré par la cour de renvoi, violant ainsi les dispositions légales.

Contexte de l’affaire

L’affaire concerne un litige entre M. [I], un emprunteur, et la caisse régionale de Crédit agricole mutuel [Localité 3] (la banque). En vertu d’une offre acceptée le 20 juillet 2013, la banque a accordé à M. [I] deux prêts immobiliers. L’emprunteur a contesté la validité de la clause stipulant les intérêts conventionnels, invoquant un défaut de communication du taux de période, et a demandé l’annulation de cette clause ainsi que la substitution par l’intérêt légal.

Procédure judiciaire

Après un premier arrêt rendu le 2 février 2022, qui a cassé une décision antérieure ayant validé la stipulation d’intérêts conventionnels, l’affaire a été renvoyée pour un nouvel examen. M. [I] a alors formé un appel incident et a présenté une nouvelle demande de déchéance du droit aux intérêts, suite à la saisine de la cour de renvoi par la banque.

Arguments de l’emprunteur

M. [I] a contesté la décision de la cour de renvoi qui a déclaré son appel incident irrecevable. Il a soutenu que l’appel incident était recevable, car les débats avaient été réouverts, et que la demande de déchéance du droit aux intérêts était légitime, visant à priver la banque de son droit à des intérêts conventionnels. Il a également fait valoir que la cour avait violé plusieurs articles du code de procédure civile et le droit à un recours effectif.

Réponse de la Cour

La Cour a rappelé que le droit d’appel appartient à toute partie ayant un intérêt, et que l’appel incident peut être formé dans tous les cas. Elle a précisé que, suite à une cassation, l’affaire doit être jugée à nouveau par la juridiction de renvoi, à l’exception des chefs non atteints par la cassation. La Cour a également souligné que les prétentions nouvelles ne sont pas considérées comme telles si elles visent les mêmes fins que celles soumises au premier juge.

Décision de la Cour

La cour de renvoi a déclaré l’appel incident de M. [I] irrecevable, arguant qu’il n’avait pas succombé en première instance, ce qui le privait d’intérêt pour agir. Cependant, la Cour a constaté que l’arrêt de cassation avait censuré la décision antérieure en ce qui concerne la nullité de la stipulation d’intérêts conventionnels, permettant ainsi à M. [I] de former un appel incident. En ne tenant pas compte de cette possibilité, la cour de renvoi a violé les dispositions légales pertinentes.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la recevabilité de l’appel incident dans le cadre d’une cour de renvoi ?

L’article 546 du Code de procédure civile stipule que :

« Toute partie qui a intérêt à agir peut interjeter appel, sauf si elle y a renoncé. »

Cet article établit le principe fondamental selon lequel le droit d’appel appartient à toute partie ayant un intérêt à agir.

En ce qui concerne l’appel incident, l’article 550 précise que :

« L’appel incident peut être formé, en tout état de cause. »

Cela signifie que même après une cassation, une partie peut toujours former un appel incident, sauf si cela concerne des chefs de dispositif qui n’ont pas été touchés par la cassation.

Dans le cas présent, la cour d’appel a déclaré l’appel incident de l’emprunteur irrecevable en se basant sur le fait qu’il n’avait pas succombé en première instance.

Cependant, l’arrêt de cassation avait censuré l’arrêt confirmatif qui avait accueilli la demande d’annulation de la stipulation d’intérêts conventionnels, ce qui aurait dû permettre à l’emprunteur de former un appel incident.

Quelles sont les conditions de recevabilité des prétentions nouvelles après cassation ?

L’article 564 du Code de procédure civile précise que :

« La recevabilité des prétentions nouvelles est soumise aux règles qui s’appliquent devant la juridiction dont la décision a été cassée. »

Cela signifie que les prétentions nouvelles ne sont pas considérées comme telles si elles visent les mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

Dans cette affaire, l’emprunteur a demandé la déchéance du droit aux intérêts, ce qui visait à priver le prêteur de son droit à des intérêts conventionnels, tout comme la demande d’annulation de la stipulation d’intérêts.

La cour d’appel a omis d’examiner la recevabilité de cette demande nouvelle, ce qui constitue une violation des articles 546 et 564 du Code de procédure civile.

Comment la cour d’appel a-t-elle interprété l’absence de succombance en première instance ?

La cour d’appel a considéré que l’absence de succombance en première instance privait l’emprunteur d’intérêt pour agir, conformément à l’article 546 du Code de procédure civile.

Cependant, cette interprétation est contestable, car l’arrêt de cassation avait censuré l’arrêt confirmatif qui avait accordé à l’emprunteur la nullité de la stipulation d’intérêts conventionnels.

L’article 638 du Code de procédure civile stipule que :

« La cour de renvoi statue sur les points qui lui sont soumis par la décision de cassation. »

Ainsi, la cour de renvoi devait examiner les demandes de l’emprunteur, même si le jugement de première instance avait fait droit à ses demandes.

En ne tenant pas compte de la censure de la stipulation d’intérêts, la cour d’appel a violé les textes applicables et a privé l’emprunteur d’un recours effectif, en contradiction avec l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 22 janvier 2025

Cassation

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 45 F-D

Pourvoi n° Z 23-14.374

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 22 JANVIER 2025

M. [F] [I], domicilié chez Mme [Y] [J], [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 23-14.374 contre l’arrêt rendu le 15 novembre 2022 par la cour d’appel de Bordeaux (1re chambre civile), dans le litige l’opposant à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) [Localité 3], dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Tréard, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [I], SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel [Localité 3], après débats en l’audience publique du 26 novembre 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Tréard, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 15 novembre 2022), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ, 2 février 2022, pourvoi n°19-26.135), suivant une offre acceptée le 20 juillet 2013, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel [Localité 3] (la banque) a consenti à M. [I] (l’emprunteur) deux prêts immobiliers. Invoquant un défaut de communication du taux de période, l’emprunteur a assigné la banque en annulation de la clause de stipulation de l’intérêt conventionnel et substitution de l’intérêt légal.

2. L’arrêt du 2 février 2022 ayant cassé, avec renvoi, l’arrêt confirmatif ayant fait droit à la demande en annulation de la stipulation d’intérêts conventionnels, l’emprunteur a, sur la saisine de la cour de renvoi par la banque, formé un appel incident et présenté une demande nouvelle de déchéance du droit aux intérêts.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. [I] fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevable son appel incident et de le débouter de ses demandes, alors « que l’appel incident est recevable devant la cour de renvoi, les débats étant réouverts, sauf s’il concerne des chefs de dispositif épargnés par la cassation ; qu’en énonçant que la demande d’infirmation du jugement qui avait intégralement fait droit aux demandes de l’emprunteur rendait son appel irrecevable faute de succombance en première instance le privant d’intérêt pour agir au sens de l’article 546 du code de procédure civile, sans qu’il y ait ainsi lieu d’examiner la recevabilité de la demande nouvelle de déchéance du droit aux intérêts au regard des dispositions de l’article 564 du même code, quand l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 30 octobre 2019 avait été censuré en ce qu’il avait prononcé la nullité de la stipulation d’intérêts conventionnels, ce qui autorisait l’emprunteur, les débats ayant été réouverts sur ce point, à former un appel incident qui ne se heurtait pas à un point ayant échappé à la cassation et à demander la déchéance du droit aux intérêts, cette demande tendant aux mêmes fins que celle en annulation d’une stipulation d’intérêts avec substitution du taux légal dès lors que celles-ci visaient à priver le prêteur de son droit à des intérêts conventionnels, la cour d’appel a violé les articles 546, 550 et 564 du code de procédure civile, ensemble les articles 625, 633 et 638 du même code et privé l’exposant d’un recours effectif en violation de l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 546, alinéa 1er, 550, 638, 633 et 565 du code de procédure civile :

4. Aux termes des deux premiers de ces textes, le droit d’appel appartient à toute partie qui y a intérêt, si elle n’y a pas renoncé et l’appel incident peut être formé, en tout état de cause.

5. Par application du troisième, après cassation, l’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l’exclusion des chefs non atteints par la cassation.

6. Conformément aux deux derniers, la recevabilité des prétentions nouvelles est soumise aux règles qui s’appliquent devant la juridiction dont la décision a été cassée de sorte que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

7. Pour déclarer irrecevable l’appel incident de l’emprunteur et rejeter toutes les demandes de ce dernier, l’arrêt relève qu’à la suite de la cassation de l’arrêt confirmatif ayant accueilli la demande en annulation de la stipulation d’intérêts conventionnels, l’emprunteur demande à la cour de renvoi, sur appel incident, d’infirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la nullité de la stipulation d’intérêts conventionnels et, statuant à nouveau, de prononcer la déchéance totale du droit aux intérêts du prêt, cependant que le jugement a intégralement fait droit à ses demandes. Il en déduit, faute de succombance en première instance, que cette circonstance rend son appel incident irrecevable le privant d’intérêt pour agir au sens de l’article 546 du code de procédure civile, sans qu’il y ait ainsi lieu d’examiner la recevabilité de la demande nouvelle de déchéance du droit aux intérêts au regard des dispositions de l’article 564 du même code.

8. En statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que l’arrêt de cassation qui la saisissait avait censuré l’arrêt confirmatif rendu au bénéfice de l’emprunteur en ce qu’il avait prononcé la nullité de la stipulation d’intérêts conventionnels, ce qui autorisait ce dernier à former un appel incident pour se conformer à la doctrine de la Cour et saisir la cour de renvoi d’une demande, tendant aux mêmes fins que celle en nullité, visant à priver le prêteur de son droit à des intérêts conventionnels, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.


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