Propriété et revendication des biens en procédure collective : enjeux et implications.

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Propriété et revendication des biens en procédure collective : enjeux et implications.

L’Essentiel : La SCEA du Château Lynch Moussas a vendu 6960 bouteilles de vin à la Compagnie des Vins d’Aquitaine (CVA) en septembre 2020. En janvier 2021, une liquidation judiciaire a été ouverte contre la CVA, et la SCEA a revendiqué une créance de 161 605,72 euros. Cependant, le liquidateur a rejeté cette demande, arguant que les vins avaient été expédiés en Chine. Le tribunal de commerce a initialement ordonné le paiement à la SCEA, mais la cour d’appel a infirmé cette décision, concluant que la SCEA n’avait pas prouvé la présence des vins au moment de la liquidation.

Contexte de l’affaire

La SCEA du Château Lynch Moussas, un grand cru classé en 1855, a vendu un total de 6960 bouteilles de vin à la Compagnie des Vins d’Aquitaine (CVA) le 4 septembre 2020. Cette transaction a été formalisée par plusieurs bordereaux d’achat, détaillant les quantités et les millésimes des bouteilles.

Procédure de liquidation judiciaire

Le 20 janvier 2021, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la CVA, désignant un mandataire liquidateur et un commissaire-priseur pour réaliser l’inventaire des biens. La SCEA du Château Lynch Moussas a alors déclaré une créance de 161 605,72 euros et a revendiqué les bouteilles non payées.

Rejet de la revendication

Le liquidateur a rejeté la demande de revendication des marchandises, arguant que les vins n’avaient pas été inventoriés et avaient été expédiés en Chine. La SCEA a contesté cette décision et a saisi le juge commissaire, qui a finalement ordonné la revendication des sommes dues pour les bouteilles revendiquées.

Jugement du tribunal de commerce

Le 9 octobre 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a confirmé l’ordonnance du juge-commissaire, ordonnant le paiement de 161 280 euros à la SCEA du Château Lynch Moussas. La SELARL Philae, en tant que liquidateur, a été condamnée à verser des frais supplémentaires à la SCEA.

Appel et arrêt de l’exécution provisoire

La SELARL Philae a interjeté appel du jugement, demandant l’arrêt de l’exécution provisoire. Le 25 janvier 2024, la cour d’appel a ordonné l’arrêt de cette exécution, suspendant ainsi les effets du jugement du tribunal de commerce.

Arguments des parties

La SELARL Philae a demandé l’infirmation du jugement, soutenant que la SCEA n’avait pas prouvé l’existence des vins revendiqués au moment de l’ouverture de la liquidation. De son côté, la SCEA a demandé la confirmation du jugement, réclamant le paiement des sommes dues.

Motifs de la décision

La cour a examiné la demande de revendication et a conclu que la SCEA n’avait pas prouvé que les vins revendiqués étaient présents dans le patrimoine de la CVA au moment de l’ouverture de la procédure. Les ventes de vins, tant en France qu’en Chine, ont été jugées valides, et la cour a infirmé le jugement du tribunal de commerce.

Conséquences de la décision

La SCEA du Château Lynch Moussas a été déboutée de toutes ses demandes, et la cour a condamné cette société à verser des frais à la SELARL Philae, ainsi qu’à supporter les dépens de la procédure.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de la clause de réserve de propriété dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire ?

La clause de réserve de propriété permet à un vendeur de revendiquer des biens vendus tant que le prix n’a pas été intégralement payé, même en cas de liquidation judiciaire de l’acheteur.

Selon l’article L.624-16 du Code de commerce, « la revendication peut s’exercer sur les biens vendus avec une réserve de propriété s’ils se retrouvent en nature au moment de l’ouverture de la procédure ».

Cela signifie que le créancier doit prouver que les biens revendiqués sont encore présents dans le patrimoine du débiteur au moment de l’ouverture de la procédure collective.

En l’espèce, la SCEA du Château Lynch Moussas a tenté de revendiquer des bouteilles de vin en invoquant cette clause. Toutefois, le tribunal a constaté que l’inventaire réalisé ne mentionnait pas ces bouteilles, ce qui a conduit à un rejet de la revendication.

Quelles sont les obligations de l’administrateur et du liquidateur concernant l’inventaire des biens ?

L’article L.622-6 du Code de commerce stipule que « l’inventaire des biens doit être dressé dès l’ouverture de la procédure, remis à l’administrateur et au mandataire judiciaires ».

Cet inventaire doit être complet et sincère, et il incombe au débiteur de mentionner les biens susceptibles d’être revendiqués par un tiers.

Dans le cas présent, l’inventaire a été réalisé dans les locaux de la société Compagnie des Vins d’Aquitaine, et le tribunal a jugé qu’il était complet.

La SCEA du Château Lynch Moussas a contesté la validité de cet inventaire, arguant qu’il ne prenait pas en compte certains entrepôts. Cependant, le tribunal a rejeté cet argument, considérant que l’inventaire était conforme aux exigences légales.

Comment se prouve l’existence des biens revendiqués dans le cadre d’une procédure collective ?

Pour prouver l’existence des biens revendiqués, le revendiquant doit démontrer que ces biens se trouvent en nature dans le patrimoine du débiteur au moment de l’ouverture de la procédure.

L’article L.624-16 du Code de commerce précise que « la revendication peut aussi s’exercer sur des biens fongibles lorsque des biens de même nature et de même qualité se trouvent entre les mains du débiteur ».

Dans cette affaire, la SCEA du Château Lynch Moussas a produit des factures pour prouver l’existence des bouteilles revendiquées. Cependant, le tribunal a estimé que la société Compagnie des Vins d’Aquitaine avait vendu ces bouteilles avant l’ouverture de la procédure, ce qui a conduit à l’infirmation de la revendication.

Quelles sont les conséquences d’une décision de rejet de revendication sur les créances ?

Lorsqu’une revendication est rejetée, les créances du créancier sont considérées comme des créances chirographaires, c’est-à-dire non garanties.

L’article L.624-18 du Code de commerce indique que « les créances qui ne sont pas garanties par un droit de préférence ou par un droit de suite sont classées au passif de la liquidation ».

Dans le cas présent, la SCEA du Château Lynch Moussas a vu sa revendication rejetée, ce qui a conduit à ce que ses créances soient inscrites au passif de la liquidation judiciaire de la société Compagnie des Vins d’Aquitaine, sans garantie de paiement.

Quel est le rôle du juge-commissaire dans une procédure de liquidation judiciaire ?

Le juge-commissaire a pour rôle de superviser la procédure de liquidation judiciaire, d’examiner les demandes de revendication et de trancher les litiges entre les créanciers et le débiteur.

L’article L.641-14 du Code de commerce précise que « le juge-commissaire statue sur les contestations relatives à la créance ».

Dans cette affaire, le juge-commissaire a d’abord fait droit à la revendication de la SCEA du Château Lynch Moussas, mais cette décision a été contestée et finalement infirmée par le tribunal de commerce.

Le juge-commissaire doit s’assurer que les droits de tous les créanciers sont respectés et que les décisions prises sont conformes aux dispositions légales en vigueur.

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 06 JANVIER 2025

N° RG 23/04726 – N° Portalis DBVJ-V-B7H-NPA2

S.E.L.A.R.L. PHILAE

c/

S.C.E.A. DU CHATEAU LYNCH MOUSSAS

S.A.R.L. COMPAGNIE DES VINS D’AQUITAINE

Nature de la décision : AU FOND

Notifié aux parties par LRAR :

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 octobre 2023 (R.G. 2022L02047) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 19 octobre 2023

APPELANTE :

S.E.L.A.R.L. PHILAE, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL COMPAGNIE DES VINS D’AQUITAINE, nommée à ces fonctions par jugement du 20 janvier 2021, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 1] – [Localité 3]

Représentée par Maître Pierre LANCON de la SELAS CABINET LEXIA, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉES :

S.C.E.A. DU CHATEAU LYNCH MOUSSAS, exerçant sous l’enseigne LA CAV’A CAMILLE SARL, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 7] – [Localité 4]

Représentée par Maître Alexandre BIENVENU de la SELARL RAMURE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

SARL COMPAGNIE DES VINS D’AQUITAINE, prise en la personne de son dirigeant, M. [P] [D], domicilié [Adresse 5] – [Localité 2]

Représentée par Maître Elsa BERTHE de la SELARL BENAYOUN SOPHIE, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 novembre 2024 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anne-Sophie JARNEVIC, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE

La SCEA du Chateau Lynch Moussas est une société d’exploitation viticole, grand cru classé en 1855.

La société de négoce Compagnie des Vins d’Aquitaine (ci-après société CVA) achetait des vins fins pour les revendre.

Dans le cadre de son activité, celle-ci a acquis le 04 septembre 2020 un total de 6960 bouteilles auprès de la société SCEA du Château Lynch Moussas, attesté par quatre bordereaux d’achat formalisés par le courtier Tastet et Lawton, dont le détail est le suivant :

1 200 bouteilles Lynch-Moussas 2014, commande 20 20 00 52 du 4 septembre 2020

480 bouteilles Lynch-Moussas 2014 commande numero 20 20 00 53 du 4’septembre’2020

2 400 bouteilles Lynch-Moussas millesime 2013 commande numero 20 20 00 60 du 2 octobre 2020

2 400 bouteilles Lynch-Moussas millesime 2014 commande numero 20 20 00 60 du 2 octobre 2020

480 bouteilles de chateau Lynch Moussas 2013 commande numero 20 20 00 59 du 1 octobre 2020

Par jugement du 20 janvier 2021, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société Compagnie des Vins d’Aquitaine, désignant la SELARL Philae ès qualité de mandataire liquidateur et la SELAS [J] [Y] en qualité de commissaire-priseur chargé de réaliser l’inventaire et la prisée.

La société du Chateau Lynch Moussas a déclaré une créance d’un montant de 161’605,72 euros à titre chirographaire et a revendiqué entre les mains du liquidateur les marchandises suivantes :

1 200 bouteilles de Château Lynch Moussas 2014 pour un montant de 28’856,16 euros,

480 bouteilles de Château Lynch Moussas 2014 pour un montant de 11’542,46 euros,

4 800 bouteilles de Château Lynch Moussas dont 2 400 du millésime 2014 et 2’400 du millésime 2013 pour la somme totale de 110 624,64 euros,

480 bouteilles de Château Lynch Moussas 2013, pour un montant de 10’582,46 euros,

Soit un total de 6 960 bouteilles pour un prix de 161 605,72 euros.

En raison de factures impayées, la SCEA du Château Lynch Moussas a présenté une requête en revendication des marchandises auprès du liquidateur judiciaire, lequel a rejeté les demandes aux motifs que les vins revendiqués n’avaient pas été inventoriés par le commissaire-priseur lors de l’ouverture de la procédure collective puisqu’ils auraient été expédiés en Chine en deux temps, par un premier lot le 19 octobre 2020 et un second lot le 29 octobre 2020, qu’une partie de la revendication ne correspondrait pas aux justificatifs joints et qu’il n’était pas démontré que la clause de propriété invoquée par le créancier était connue du débiteur.

La SCEA du Château Lynch Moussas a saisi le juge commissaire, lequel a rendu une ordonnance le 13 octobre 2022 faisant droit à la revendication du créancier, ordonnant la revendication sur le prix de vente des marchandises revendiquées qui n’a pas été payé à la date du jugement ouvrant la procédure, à savoir :

– 40 320 euros pour 1 680 bouteilles de Château Lynch Moussas 2014,

– 10 560 euros pour 480 bouteilles de Château Lynch Moussas 2013,

– 110 400 euros pour 2 400 bouteilles de Château Lynch Moussas 2013 et 2 400 bouteilles de Château Lynch Moussas 2014.

La SCEA du Château Lynch Moussas a formé opposition à l’ordonnance par déclaration au greffe du tribunal de commerce du 24 octobre 2022.

Par jugement réputé contradictoire du 09 octobre 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a statué comme suit :

– Constate la non comparution de M. [P] [D] ;

– Dit le recours contre l’ordonnance du juge-commissaire du 13 octobre 2022 recevable en la forme ;

Au fond,

– Confirme l’ordonnance du juge-commissaire rendue le 13 octobre 2022 en ce qu’elle ordonne la revendication du prix des marchandises, soit la somme de 161’280 euros ;

– Dit que la somme sera réglée avec l’actif disponible de la liquidation judiciaire et pour le surplus inscrite au passif au titre de créances postérieures privilégiées ;

– Condamne la société SELARL Philae ès qualités de liquidateur de la société Compagnie des Vins d’Aquitaine SARL à payer à la SCEA du Chateau Lynch Moussas la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamne la SELARL Philae ès qualité de liquidateur de la société Compagnie des Vins d’Aquitaine SARL aux dépens.

Par déclaration au greffe du 19 octobre 2023, la SELARL Philae a relevé appel du jugement énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la SCEA Société civile du Château Lynch Moussas et la SARL Compagnie des Vins d’Aquitaine.

La SELARL Philae a sollicité l’arrêt de l’exécution provisoire.

Par ordonnance du 25 janvier 2024, la première présidente de chambre de la cour d’appel de Bordeaux, statuant en référé, a ordonné l’arrêt de l’exécution provisoire attachée au jugement rendu le 09 octobre 2023.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 22 mars 2024, auxquelles la cour se réfère expressément la SELARL Philae demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles L.622-6, L.624-16, L.624-17, L.624-18 du code de

commerce,

– Infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau :

– A titre principal, débouter la SCEA du Château Lynch Moussas de toutes ses demandes, fins et conclusions

– A titre subsidiaire, débouter la SCEA du Château Lynch Moussas de ses demandes de condamnation de la concluante es qualités à lui régler le prix des vins revendiqués avec l’actif disponible de la liquidation judiciaire et pour le surplus d’inscription du solde au passif au titre de créances postérieures privilégiées, ainsi que de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de dépens .

– Condamner la SCEA du Chateau Lynch Moussas au paiement d’une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 27 février 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la SCEA du Château Lynch Moussas demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles L 624-9, L 624-16, L 624-18, L641-14 et L641-14-1 du code de commerce,

Vu les dispositions de l’article R 641-31 du code de commerce,

Vu les pièces versées aux débats,

Vu l’ordonnance du 13 octobre 2022,

Vu le jugement du 9 octobre 2023,

– Confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

En conséquence,

– Condamner la SELARL Philae, es qualités de liquidateur judiciaire de la société CVA, à régler les sommes de :

‘ 40.320 euros correspondant à 1.680 bouteilles Château Lynch Moussas 2014 ;

‘ 10.560 euros correspondant à 480 bouteilles Château Lynch Moussas 2013 ;

‘ 110.400 euros correspondant à 2.400 bouteilles Château Lynch Moussas 2013 et 2.400 bouteilles Château Lynch Moussas 2014 ;

‘ Soit un total de 161 280 euros ;

– Dire que ces sommes seront réglées avec l’actif disponible de la liquidation judiciaire et pour le surplus inscrites au passif au titre de créances postérieures privilégiées ;

– Débouter la SELARL Philae es qualités et la société CVA de toutes demandes plus amples ou contraires ;

– Condamner toute partie succombante au paiement d’une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 14 février 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la SARL Compagnie des Vins d’Aquitaine demande à la cour de :

Vu les articles L.624-16 et L.624-18 du code de commerce

Vu l’article 2372 du code civil

– Infirmer le jugement rendu le 9 octobre 2023 par le tribunal de commerce de Bordeaux

Statuant à nouveau

– Débouter la SCEA Château Lynch Moussas de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions tendant à solliciter la restitution en nature et en défaut en valeur des vins, objet de la revendication.

– Dire et juger que la SCEA Château Lynch Moussas bénéficie d’une action directe contre le sous-acquéreur concernant les vins qui n’ont pas été payés avant l’ouverture de la procédure collective.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 04 novembre 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande en revendication

1 – La société Philae soutient que l’inventaire est complet et que la société du Château Lynch Moussas ne rapporte pas la preuve de l’existence des vins revendiqués en nature dans le patrimoine de la société CVA au jour de l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire.

2 – La société Compagnie des vins d’Aquitaine soutient que l’ensemble des bouteilles de vins revendiquées a été vendu avant le jugement d’ouverture. Elle ajoute que la société du Château Lynch Moussas a la possibilité d’agir contre les sous-acquéreurs.

3 – La société du Château Lynch Moussas fait valoir que l’inventaire est incomplet et que rien ne démontre un transfert de propriété des vins revendiqués en dehors du patrimoine de la société CVA avant le 21 janvier 2021.

Sur ce

4 – Aux termes des dispositions de l’article L.624-16 du code de commerce, la revendication peut s’exercer sur les biens vendus avec une réserve de propriété s’ils se retrouvent en nature au moment de l’ouverture de la procédure (‘). Elle peut aussi s’exercer sur des biens fongibles lorsque des biens de même nature et de même qualité se trouvent entre les mains du débiteur ou de toute personne les détenant pour son compte.

Il résulte de la combinaison des articles L 622-6 et L 624-16 du code de commerce qu’il appartient au revendiquant de biens mobiliers d’apporter la preuve de ce que les biens revendiqués se retrouvent en nature entre les mains du débiteur au jour de l’ouverture de la procédure collective, sous réserve de l’établissement d’un inventaire.

5 – En l’espèce, la validité de la clause de réserve de propriété et son opposabilité à la société débitrice ne sont pas contestées en cause d’appel.

La consistance des stocks résulte en principe de l’inventaire du patrimoine du débiteur et des garanties qui le grèvent, inventaire qui, en application de l’article L.622-6 alinéa 1 du code de commerce, doit être dressé dès l’ouverture de la procédure, remis à l’administrateur et au mandataire judiciaires et complété par le débiteur par la mention des biens qu’il détient susceptibles d’être revendiqués par un tiers.

En l’espèce, l’inventaire, daté du 29 janvier 2021 a été réalisé dans les locaux où la société CVA a indiqué stocker les vins, chez MET, à deux adresses à [Localité 9], en présence du responsable de la société CVA. L’argument de la société du Château Lynch Moussas selon lequel l’inventaire aurait dû être étendu aux entrepôts de région parisienne et à [Localité 6] ne saurait prospérer.

Cet inventaire détaille notamment la présence de plusieurs milliers de bouteilles de vins rouge de crus autres que Lynch Moussas. Les stocks sont déclarés sincères par le commissaire-priseur. Il n’y a donc pas lieu de considérer que l’inventaire est sommaire et incomplet.

La société du Château Lynch Moussas produit une liste de 6 960 bouteilles de vin devant selon elle figurer à l’inventaire. Les 4 factures produites au débat portent une date antérieure au prononcé du jugement d’ouverture, le 20 janvier 2021.

Dès lors que l’inventaire a été établi de façon complète, il appartient au revendiquant de prouver que le bien revendiqué existe en nature entre les mains du débiteur à l’ouverture de la procédure collective.

6 -. La société CVA indique que l’ensemble des bouteilles de vins revendiquées a été vendu avant le jugement d’ouverture. Toutefois, une partie du prix de vente reste impayée, correspondant aux 4 800 bouteilles vendues en Chine.

La société du Château Lynch Moussas soutient pour sa part que les ventes de vin en France et en Chine sont irrégulières.

7 – Concernant les vins vendus en France, s’agissant des millésimes 2013 (480 bouteilles) et 2014 (1680 bouteilles), la société du Château Lynch Moussas en conteste la livraison effective ainsi que le règlement.

La société CVA produit les factures de l’ensemble des bouteilles litigieuses vendues en France. Elle justifie par ailleurs du règlement de ces bouteilles par la société Toque d’Or Prestige, la société LEVS et la société Engy, comme cela ressort de ses relevés de compte.

Le fait que le vin ait été livré au sein d’entrepôts de stockage en région parisienne tels que Cave Vin 93 ou Maison Vini 588, au lieu des clients finaux, n’est pas de nature à caractériser l’irrégularité des ventes.

Les relevés de comptes font apparaître des règlements par les mêmes clients que ceux mentionnés sur les factures. Si les règlements différent parfois des factures, ce constat n’est pas suffisamment probant pour établir que les ventes n’ont pas été réalisées.

8 – Concernant les vins vendus en Chine pour une somme de 120 000 euros, la société du Château Lynch Moussas soutient que la vente ne recouvre aucune réalité.

Ainsi, la société du Château Lynch Moussas verse aux débats le témoignage de Mme [B], salariée de la société Luze et basée à Hong Kong, mettant en doute l’existence et la domiciliation des sociétés Ouye et Max Partenaire. Selon l’initimée, l’adresse de livraison de la société Max Partenaires indiquée sur le DAE n’existerait pas.

Or la société CVA produit au dossier un contrat daté du 5 octobre ainsi qu’une facture de 120 000 euros en date du 29 octobre 2020, correspondant à 4800 bouteilles. La facture n’a pas été réglée.

Aucun élément ne permet par ailleurs de douter de l’existence réelle des sociétés Marx Partner et Ouye Trade, la société CVA communiquant l’équivalent des extraits K -bis étrangers des sociétés Max Partenaire et Ouye Trade.

La société CVA fournit également les documents d’accompagnement électroniques (DAE) afin d’établir que les marchandises ont bien quitté les entrepôts de [Localité 9].

Le DAE du 12 novembre 2020 indique que 4 800 bouteilles ont quitté l’entrepôt de la société MET à [Localité 9] à destination d’un dépositaire chinois, la société Max Partenaire, basée à [Localité 6]. Un autre document établit que les marchandises ont transité par la Hollande. Enfin, un bon de transport et de livraison mentionne que les marchandises sont arrivées à [Localité 8].

Il apparaît que la commande a été passée par un intermédiaire, la société Dany Distribution, basée à [Localité 6], pour le compte de la société Ouye Partenaire Trade Co. Ltd qui a des locaux administratifs à [Localité 6] et son siège à [Localité 8]. Dans un mail daté du 27 octobre 2021 adressé par Mme [B] à M. [G], il est précisé que l’adresse de la société Dany Distribution correspond à une domiciliation de siège social.

Il apparaît enfin que la société CVA avait déjà noué des relations commerciales avec le groupe Ouye, notamment en 2018, et les commandes passées avaient été réglées.

9 – Il ressort de l’ensemble de ces éléments que la fictivité des ventes des 6 960 bouteilles n’est pas établie avec certitude. Peu importe qu’une partie des bouteilles soit impayée au jour de l’ouverture de la procédure dès lors que les ventes sont justifiées par les factures produites et les éléments versés aux débats par la société CVA.

En l’espèce, les bouteilles de vin étaient vendues, elles n’avaient donc pas à figurer dans l’inventaire des stocks.

Par ailleurs, la société du Château Lynch Moussas ne démontre pas que les biens aient été détenus dans d’autres lieux par la société CVA ou par son dirigeant.

C’est donc à tort que le tribunal de commerce a considéré que la société CVA ne rapportait pas la preuve des ventes et a confirmé l’ordonnance du juge-commissaire ordonnant la revendication du prix des marchandises. Ce faisant, le tribunal de commerce a inversé la charge de la preuve, celle-ci incombant au revendiquant.

Dès lors, sans avoir à examiner plus avant l’argumentation des parties, la décision du tribunal de commerce sera infirmée.

Sur les demandes accessoires

10 – Partie succombante, la société du Château Lynch Moussas sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et à verser la somme de 4 000 euros à la société Philae sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 9 octobre 2023,

Statuant à nouveau,

Déboute la société du Château Lynch Moussas de l’ensemble de ses demandes,

Condamne la société du Château Lynch Moussas à verser à la SELARL Philae, es qualité de mandataire liquidateur de la Société Compagnie des vins d’ Aquitaine, la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société du Château Lynch Moussas aux dépens de première instance et d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


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