Augmentation de capital : décision du 9 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/10968

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Augmentation de capital : décision du 9 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/10968

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 2

ARRÊT DU 09 FÉVRIER 2023

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/10968 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CF6JP

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 31 Mai 2022 – Président du TJ de Paris – RG n° 22/51288

APPELANTE

C.E. COMITÉ SOCIAL ET ÉCONOMIQUE CENTRAL DE L’AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT pris en la personne de [Z] [S], [O] [E] et [B] [L],

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Mikaël KLEIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0469

INTIMÉE

E.P.I.C. AGENCE FRANCAISE DE DEVELOPPEMENT

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Uriel SANSY, avocat au barreau de PARIS, toque: L0061

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame LAGARDE Christine, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur FOURMY Olivier, Premier président de chambre

Madame ALZEARI Marie-Paule, présidente

Madame LAGARDE Christine, conseillère

Greffière lors des débats : Mme CAILLIAU Alicia

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile

 – signé par Marie-Paule ALZEARI, Présidente de chambre, Olivier FOURMY, Premier président de chambre étant empêché et par Alicia CAILLIAU, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

L’Agence Française de Développement (AFD) est un établissement public à caractère industriel et commercial dont l’objet est de mettre en ‘uvre la politique de la France en matière de développement et de solidarité internationale.

Ses relations avec l’État et son financement par celui-ci font notamment l’objet d’un contrat d’objectifs et de moyens, intitulé le « COM », établi pour des périodes triennales.

L’AFD appartient à un groupe composé de filiales qui participe au financement et à l’accompagnement d’entreprises et d’établissements financiers en Afrique, en Asie, en Amérique latine ou encore au Moyen-Orient.

Outre le comité de groupe institué au niveau du groupe, la représentation du personnel au sein de l’AFD est constituée d’un comité social et économique central d’entreprise (CSEC) et de six comités sociaux et économiques d’établissements (CSEE) :

– le CSEE du siège ;

– les cinq CSEE des établissements des départements d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, la Réunion et Mayotte).

Dans un courriel du dimanche 20 juin 2021, le directeur général de l’AFD a informé l’ensemble du personnel du fait qu’il avait signé «ce vendredi la convention avec l’État qui autorise une nouvelle augmentation du capital de l’AFD » à hauteur de 1,5 milliard d’euros.

En mai 2021, l’AFD s’est vue octroyer la majorité des voix au sein de l’assemblée générale de l’association Digital Africa (ci-après l »Association’).

Par courriel du 23 novembre 2021 le secrétaire du CSEC a demandé l’inscription à l’ordre du jour à la prochaine réunion fixée le 8 décembre 2021 d’un «point sur l’augmentation récente de capital de l’AFD ».

Lors de la réunion du 8 décembre 2021 (en page 11 du procès verbal), un élu a donné lecture de la déclaration suivante : « Concernant cette information simple relative à l’augmentation de capital de l’AFD en 2021, il est à noter que le CSE Central n’a été ni informé ni consulté par la Direction sur ce projet et ce n’est que parce que le secrétaire du CSE Central l’a demandé qu’un point sur le sujet a été inscrit à l’ordre du jour de la réunion de ce jour. En conséquence, les élus du CSE Central s’interrogent sur le fait qu’il n’y ait pas un délit d’entrave et se permettront de revenir vers la Direction très prochainement en sollicitant la convocation d’un CSEC extraordinaire ».

Par ailleurs, lors de la réunion du 8 décembre 2021 et de l’examen du point cinq de l’ordre du jour intitulé « information simple relative au projet de création de filiales de PROPARCO (en prévision d’un prochain processus d’information-consultation) », le procès-verbal mentionne en page 14 : « Monsieur (H),(un élu) comprend que l’association a (décidé), en assemblée générale, de confier 51 % des droits de vote de l’AFD, mais souhaite savoir qui a décidé, au sein de l’AFD, de saisir cette opportunité et si les risques ont bien été apprécié. Se lancer dans le sauvetage d’une entité en grande difficulté n’est pas une décision à prendre à la légère. Monsieur (H),souhaite savoir pourquoi le CSE Central n’a pas été informé de cette stratégie qui conduit à faire évoluer le périmètre juridique de l’AFD. Il se demande pourquoi il est nécessaire de contrôler l’entité Digital Africa, plutôt que de la laisser en tant que partenaire ».

Par courriel du 20 décembre 2021, les élus du CSEC ont sollicité la convocation d’une réunion extraordinaire avec pour ordre du jour les trois points suivants :

« 1. Résolution visant à saisir les juridictions compétentes, pour faire reconnaître l’entrave au fonctionnement du CSEC sur la convention de financement avec l’Etat prévoyant une augmentation du capital de l’AFD » ;

2. Résolution visant à saisir les juridictions compétentes, pour faire reconnaître l’entrave au fonctionnement du CSEC sur le COM (2020-2022) » ;

3. Résolution visant à saisir les juridictions compétentes, pour faire reconnaître l’entrave au fonctionnement du CSEC dans le cadre de la prise de contrôle de l’association DIGITAL AFRICA ».

Par courriel en réponse du 28 décembre 2021, la direction a manifesté son étonnement au terme « d’entrave » en rappelant son attachement au dialogue social.

S’agissant de l’augmentation de capital de l’AFD, la direction a répondu que cette dotation était consécutive au vote de la loi de finances pour l’année 2021 et que la convention signée le 17 juin 2021 ne constituait que le document formalisant l’engagement de l’État. La direction affirmait que ce point n’impliquait aucunement la consultation du CSEC tout en rappelant que cette instance en avait été informée lors de la réunion du 8 décembre 2021 en prévision de laquelle une note d’information détaillée lui avait été communiquée.

S’agissant du second point relatif au contrat d’objectif « COM », la direction répondait que le CSEC avait été régulièrement informé par la remise de documents lors de la consultation sur les orientations stratégiques pour laquelle l’instance représentative avait émis un avis positif.

S’agissant du troisième point relatif à la détention de la majorité des voix au sein de l’assemblée générale de l’Association, la direction répondait qu’en l’absence de lien capitalistique entre l’AFD et l’Association et l’absence d’impact comptable ou financier pour l’AFD, le fait que cette dernière détienne la majorité des voix au sein de l’Association ne nécessitait pas la mise en ‘uvre d’une procédure de consultation du CSEC.

La direction terminait son mail en indiquant qu’il pourrait néanmoins être échangé sur ces sujets lors de la réunion du 6 janvier 2022.

Lors de la réunion du 6 janvier 2022, le CSEC a renoncé à exiger sa consultation sur le « COM » 2020-2022 mais a voté trois résolutions aux fins de saisir les juridictions compétentes pour faire reconnaître l’entrave au bon fonctionnement du CSEC et d’obtenir :

– l’ouverture d’une procédure de consultation du CSEC sur l’augmentation du capital de l’AFD, les engagements pris dans ce cadre et leurs conséquences ;

– l’ouverture d’une procédure de consultation du CSEC sur la prise de contrôle de l’Association et ses conséquences ;

– la communication de l’ensemble des documents nécessaires à la consultation du CSEC sur ces projets.

Par acte d’huissier du 7 février 2022, le CSEC a assigné l’AFD devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’ordonner l’ouverture d’une procédure de consultation.

Par ordonnance en date du 31 mai 2022, le juge des référés a rendu la décision suivante :

« Disons n’y avoir lieu au rejet des conclusions et notes en délibéré ;

Rejetons l’exception d’incompétence au profit du Président du tribunal statuant selon la procédure accélérée au fond ;

Rejetons les fins de non-recevoir ;

Déclarons le comité social et économique central de l’Agence Française de Développement (AFD) recevable en ses demandes ;

Déboutons le comité social et économique central de l’Agence Française de Développement (AFD) de toutes ses demandes ;

Condamnons le comité social et économique central de l’Agence Française de Développement (AFD) à verser à l’Agence Française de Développement (AFD) la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamnons le comité social et économique central de l’Agence Française de Développement (AFD) aux dépens ;

Rappelons que l’exécution provisoire est de droit ».

Le CSEC a interjeté appel le 7 juin 2022.

Par conclusions transmises par RPVA le 26 août 2022, l’AFD a formé appel incident de l’ordonnance de référé en ce qui concerne la recevabilité des demandes du CSEC.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 décembre 2022.

PRÉTENTIONS

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 19 septembre 2022, le CSEC demande à la cour de :

« Vu l’article 835 du Code de Procédure civile,

Vu les articles L. 2312-8 et R. 2312-23 du Code du travail,

– Confirmer l’ordonnance de référé du 31 mai 2022 en ce qu’elle a :

o Rejeté l’exception d’incompétence au profit du Président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond ;

o Rejeté les fins de non-recevoir soulevées par l’AFD ;

o Déclaré le CSEC de l’AFD recevable en ses demandes ;

– Infirmer l’ordonnance de référé du 31 mai 2022 pour le surplus ;

Et, statuant à nouveau,

– Ordonner l’ouverture d’une procédure de consultation du CSEC sur l’augmentation du capital de l’AFD, les engagements pris dans ce cadre et leurs conséquences ;

– Ordonner l’ouverture d’une procédure de consultation du CSEC sur la prise de contrôle de l’association DIGITAL AFRICA et ses conséquences ;

– Ordonner la communication de l’ensemble des éléments d’information nécessaires à la consultation du CSEC sur ces projets et notamment :

o les simulations d’évolution de la masse salariale qui résultent des engagements pris dans le cadre de l’augmentation du capital ;

o les informations sur l’éventuelle procédure devant le Conseil d’Administration de l’AFD préalable à la prise de contrôle ;

o un rapport sur la gestion passée de l’association ;

o un bilan des opérations menées en propre par l’association ou en collaboration avec PROPARCO ;

– Assortir ces obligations d’une astreinte de 50.000 euros par jour de retard à compter de l’expiration d’un délai de 8 jours suivant la signification de l’arrêt à intervenir ;

– Débouter l’AFD de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

– Condamner l’AFD à verser au CSEC la somme de 12.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel ;

– Condamner l’AFD aux entiers dépens ».

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 25 novembre 2022, l’AFD demande à la cour de :

« Vu les articles 75, 700 et 835 du code de procédure civile,

Vu les articles L. 2312-8, L. 2312-14, L. 2312-15 et R. 2312-23 du code du travail,

Vu les dispositions légales, réglementaires et les jurisprudences visées aux présentes conclusions,

Vu les développements exposés aux présentes conclusions,

a.- INFIRMER l’ordonnance de référé du 31 mai 2022 en ce qu’elle a :

o Rejeté l’exception d’incompétence au profit du Président du tribunal judiciaire selon la procédure accélérée au fond ;

o Rejeté les fins de non-recevoir ;

o Déclaré le comité social et économique central de l’Agence Française de Développement (AFD) recevable de toutes ses demandes ;

Et, statuant à nouveau :

In limine limis,

– DÉCLARER IRRECEVABLE la demande du comité social et économique central de l’AFD tendant à la communication de l’ensemble des éléments d’information nécessaires à l’infondée demande de consultation du comité social et économique central concernant l’augmentation de capital de l’AFD et le fait que l’assemblée générale de l’association Digital Africa ait voté à l’unanimité en mai 2021 pour attribuer la moitié de ses voix à l’AFD et notamment les prétendues simulations d’évolution de la masse salariale qui résulteraient des prétendus engagements pris dans le cadre de l’augmentation du capital, les informations sur l’éventuelle procédure devant le Conseil d’Administration de l’AFD préalable à la prétendue prise de contrôle, un rapport sur la gestion passée de l’association et un bilan des opérations menées en propre par l’association ou en collaboration avec PROPARCO ;

A titre principal,

– DÉCLARER IRRECEVABLE les demandes du comité social et économique central de l’AFD en ce qu’il n’y a pas lieu à référé, au regard de la fin de non-recevoir tirée des demandes d’ouverture des procédures de consultation sollicitées par le comité social et économique central de l’AFD, ces demandes étant tardives ou sans objet ni fondement.

b. A titre subsidiaire, si jamais la Cour d’appel considérait qu’elle était compétente sur la demande du comité social et économique central de l’AFD tendant à la communication de l’ensemble des éléments d’information nécessaires à l’infondée demande de consultation du comité social et économique central concernant l’augmentation de capital de l’AFD et le fait que l’assemblée générale de l’association Digital Africa ait voté à l’unanimité en mai 2021 pour attribuer la moitié de ses voix à l’AFD et notamment les prétendues simulations d’évolution de la masse salariale qui résulteraient des prétendus engagements pris dans le cadre de l’augmentation du capital, les informations sur l’éventuelle procédure devant le Conseil d’Administration de l’AFD préalable à la prétendue prise de contrôle, un rapport sur la gestion passée de l’association et un bilan des opérations menées en propre par l’association ou en collaboration avec PROPARCO et/ou qu’il y avait recevabilité des demandes du comité social et économique central de l’AFD, il est demandé à la Cour d’appel de CONFIRMER l’ordonnance

du 31 mai 2022 en ce qu’elle a :

– Débouté le comité social et économique central de l’Agence Française de Développement (AFD) de toutes ses demandes ;

– Condamné le comité social et économique central de l’Agence Française de Développement (AFD) à verser à l’Agence Française de Développement (AFD) la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamné le comité social et économique central de l’Agence Française de Développement (AFD) aux dépens.

c. A titre infiniment subsidiaire, en cas de réformation de la décision du Tribunal judiciaire sur le fait d’avoir débouté le comité social et économique central de l’Agence Française de Développement (AFD) de ses demandes d’ouverture des procédures de consultation sollicitées,

il est demandé à la Cour d’appel de :

– DÉBOUTER le comité social et économique central de l’Agence Française de Développement (AFD) :

o Concernant l’infondée demande de consultation du comité social et économique central concernant l’augmentation de capital de l’AFD, de sa demande de communication des prétendues simulations d’évolution de la masse salariale qui résulteraient des prétendus engagements pris dans le cadre de l’augmentation du capital (document au demeurant inexistant en l’absence de tels engagements) ;

o Concernant l’infondée demande de consultation sur le fait que l’assemblée générale de l’association Digital Africa ait voté à l’unanimité en mai 2021 pour attribuer la moitié de ses voix à l’AFD, de sa demande de communication des informations sur l’éventuelle procédure devant le Conseil d’Administration de l’AFD préalable à la prétendue prise de contrôle (procédure inexistante), du rapport sur la gestion passée de l’association (dont la nécessité n’est pas démontrée pour que le CSEC puisse rendre un avis) et du bilan des opérations menées en propre par l’association ou en collaboration avec PROPARCO (document inexistant et dont la nécessité n’est pas démontrée pour que le CSEC puisse rendre un avis) ;

– DÉBOUTER le comité social et économique central de l’Agence Française de Développement (AFD) de sa demande à ce que la condamnation soit assortie d’une obligation d’astreinte de 50 000 € par jour de retard à compter de l’expiration d’un délai de 8 jours suivant la signification de l’arrêt à intervenir.

d. Il est demandé en outre et en tout état de cause à la Cour d’appel de :

– DEBOUTER le comité social et économique central de l’AFD de sa demande à ce que l’Agence Française de Développement (AFD) verse au comité social et économique central la somme de 12 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel ;

– DÉBOUTER le comité social et économique central de l’AFD de sa demande à ce que l’Agence Française de Développement (AFD) soit condamnée aux entiers dépens ;

– CONDAMNER le comité social et économique central de l’AFD à verser à l’Agence Française de Développement (AFD) la somme de 6 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile (venant ainsi en sus des 6.000 € auxquels le CSE Central a déjà été condamnée en première instance) ;

– CONDAMNER le comité social et économique central de l’Agence Française de Développement (AFD) aux dépens en appel ».

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la compétence du juge des référés

L’AFD fait valoir que :

– la saisine du président du tribunal judiciaire, en tant que juge des référés était incompétent pour connaître de la procédure ;

– en cas de demande de communication d’informations au soutien d’une procédure de consultation, qu’elle soit en cours ou non, seul le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, anciennement procédure ‘en la forme des référés’, est compétent ;

– le fait que la procédure d’information consultation n’ait pas été engagée ne remet pas en cause la seule compétence du président du tribunal judiciaire pour solliciter la remise de documents précis.

Le CSEC soutient que :

– le juge des référés était compétent pour connaître du litige ;

– le juge des référés, saisi en cas d’absence de consultation obligatoire du CSE, a compétence pour ordonner l’ouverture d’une consultation, mesure conservatoire permettant de mettre fin au trouble manifestement illicite constitué, et ce même en présence d’une contestation sérieuse ;

– l’absence de consultation du CSEC constitue un trouble manifestement illicite.

Sur ce,

L’article 835 du code civil prévoit :

«  Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».

En application de la disposition précitée, le trouble manifestement illicite résulte d’un fait matériel ou juridique qui constitue une violation évidente d’une norme obligatoire dont l’origine peut être contractuelle, législative ou réglementaire.

L’article L. 2312-15 du code du travail dispose :

« Le comité social et économique émet des avis et des v’ux dans l’exercice de ses attributions consultatives.

Il dispose à cette fin d’un délai d’examen suffisant et d’informations précises et écrites transmises ou mises à disposition par l’employeur, et de la réponse motivée de l’employeur à ses propres observations.

Il a également accès à l’information utile détenue par les administrations publiques et les organismes agissant pour leur compte, conformément aux dispositions légales relatives à l’accès aux documents administratifs.

Le comité peut, s’il estime ne pas disposer d’éléments suffisants, saisir le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, pour qu’il ordonne la communication par l’employeur des éléments manquants.

Cette saisine n’a pas pour effet de prolonger le délai dont dispose le comité pour rendre son avis. Toutefois, en cas de difficultés particulières d’accès aux informations nécessaires à la formulation de l’avis motivé du comité, le juge peut décider la prolongation du délai prévu au deuxième alinéa.

L’employeur rend compte, en la motivant, de la suite donnée aux avis et v’ux du comité ».

Le juge des référés a été saisi par le CSEC sur le fondement de l’article 835 du code civil aux fins de voir constater l’existence d’un trouble manifestement illicite caractérisé selon lui par l’absence d’ouverture d’une procédure de consultation obligatoire, et de voir ordonner l’ouverture de la procédure pour y mettre fin et la communication de documents.

Cette demande d’ouverture de la procédure de consultation en ayant sollicité la communication de documents, constitue une mesure conservatoire permettant de mettre fin au trouble manifestement illicite allégué, et c’est en conséquence à bon droit que le premier juge a rejeté l’exception d’incompétence.

Dès lors, la décision déférée sera confirmée sur ce point.

Sur la fin de non recevoir tirée de l’existence de demandes tardives et sans objet

L’AFD fait valoir que ;

– le juge des référés ayant été saisi alors que les décisions ont été prises et mises en oeuvre, il n’y a pas lieu à référé, les procédures de consultation sollicitées ne pouvant plus produire d’effet utile, alors que l’augmentation de la participation a été décidée et mise en ‘uvre dans sa totalité à une date antérieure à la saisine du juge des référés ;

– l’exigence d’antériorité de la consultation du CSE à la décision de l’employeur de l’article L. 2312-49 du code du travail étant d’ordre public, les demandes de ce dernier ne pourraient être recevables que si elles portent sur une demande de dommages et intérêts mais non sur l’ouverture des consultations qui ne peuvent plus aboutir.

Le CSEC oppose que ;

– l’état d’achèvement de la mise en oeuvre du projet est indifférent ;

– ce n’est pas l’état d’avancement du projet qui détermine si la suspension du projet est possible,

mais l’avancement de la procédure d’information en vue de la consultation de l’instance, à condition qu’elle ait été mise en ‘uvre ;

– la suspension des effets de la décision de l’employeur n’est exclue que si le CSE a d’ores et déjà été consulté à ce sujet.

Sur ce,

L’article 122 du code de procédure civile dispose :

« Constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

L’article L. 2312-14 du code du travail dispose :

« Les décisions de l’employeur sont précédées de la consultation du comité social et économique, sauf, en application de l’article L. 2312-49, avant le lancement d’une offre publique d’acquisition ».

La motivation de l’AFD ne repose que sur l’absence d’effet utile de la procédure de consultation en présence de mise en oeuvre du projet et il n’est ni allégué ni caractérisé un défaut de droit d’agir en application de l’article 122 susvisé, de sorte que l’ordonnance déférée sera confirmée de ce chef en l’absence de motif pertinent portant sur la recevabilité du CSEC.

Sur la demande d’ouverture de la procédure de consultation du CSEC concernant l’augmentation de capital

Le CSEC fait valoir que :

– en application de la compétence générale du CSEC sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, il aurait dû être consulté sur l’augmentation de capital en elle-même, une augmentation de capital d’une certaine ampleur constituant une modification dans l’organisation juridique de l’entreprise ;

– cette augmentation de capital a été conditionnée à l’engagement, par l’AFD, de fournir un « effort de stabilisation de la masse salariale » que l’AFD a expressément reconnu à l’occasion de la réunion du CSEC du 8 décembre 2021 et ce n’est qu’à compter du jour où le CSEC a demandé à être consulté à ce sujet que la direction a nié l’existence de cet engagement ;

– contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, le fait que l’employeur soit ou non à l’origine de l’opération est indifférent à la détermination de l’obligation de consulter le CSE ;

– l’augmentation de capital a été réalisée en lien avec son statut de société de financement de sorte que l’AFD ne peut justifier l’absence de consultation par son statut d’établissement public ;

– le fait que l’opération litigieuse soit indispensable à la survie de l’AFD confirme qu’elle nécessitait la consultation du CSEC au titre de sa marche  générale ;

– cette augmentation du capital s’est accompagnée d’un engagement de l’AFD à limiter ses charges de personnel, ce qui s’est par ailleurs manifesté à travers le contenu de la réforme des statuts du personnel de l’AFD, qui s’est inscrit « dans une perspective de maîtrise de la masse salariale » pour la période 2020-2022 ; cet engagement pris dans le cadre de l’augmentation du capital de l’AFD relève de la marche générale de cette dernière et constitue une décision de nature à affecter le volume et la structure de ses effectifs, de sorte qu’elle ne pouvait intervenir sans consultation préalable du CSEC.

L’AFD soutient que :

– la demande d’ouverture d’une procédure de consultation du CSE au visa de l’article R. 2312-23 du code du travail n’est pas applicable ;

– une subvention, un prêt ou une avance remboursable d’un certain montant octroyé par une collectivité publique à un établissement public qui lui est rattaché n’a pas à faire l’objet d’une information-consultation du CSE ;

– les collectivités publiques référencées à l’article R. 2312-23 du code du travail comprennent l’Etat, ce dont il résulte que l’augmentation du capital de l’AFD est une subvention pour charges de service public ;

– dans le cadre de l’information-consultation du CSEC en 2019 sur la situation économique et financière, le CSEC savait qu’une augmentation du niveau de fonds propres devait intervenir avant 2023 ;

– Le CSEC n’apporte aucun élément qui permettrait de prouver l’engagement de l’AFD en termes de masse salariale qui aurait été contracté en lien avec l’augmentation de capital, et la convention qui formalise l’augmentation du capital de l’AFD par l’Etat prouve qu’aucun engagement à une stabilisation de sa masse salariale n’a été convenue en contrepartie ;

– en l’absence de contrepartie en termes de masse salariale en lien avec l’augmentation de capital, l’information-consultation du CSEC n’était pas nécessaire au regard de cette opération qui visait à adapter les fonds propres de l’AFD à son niveau d’activité.

Sur ce,

L’article L. 2312-8 du code du travail applicable au litige dispose :

«Le comité social et économique a pour mission d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production, notamment au regard des conséquences environnementales de ces décisions.

II. – Le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, notamment sur :

1° Les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs ;

2° La modification de son organisation économique ou juridique ;

3° Les conditions d’emploi, de travail, notamment la durée du travail, et la formation professionnelle ;

4° L’introduction de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ;

5°[…] ».

L’article R. 2312-23 du code du travail prévoit :

« Le comité social et économique est informé et consulté après notification à l’entreprise de l’attribution directe, par une personne publique, de subventions, prêts ou avances remboursables dont le montant excède un seuil fixé par arrêté pris par les ministres chargés du travail, de l’économie, du budget et des collectivités territoriales. Cette disposition s’applique dans les mêmes conditions aux subventions, prêts et avances remboursables attribués dans le cadre de programmes ou fonds communautaires.

L’information et la consultation portent sur la nature de l’aide, son objet, son montant et les conditions de versement et d’emploi fixées, le cas échéant, par la personne publique attributrice.

Ces dispositions ne sont applicables ni aux financements mentionnés au premier alinéa qui sont attribués par les collectivités publiques aux établissements publics qui leur sont rattachés, ni aux subventions pour charges de service public attribuées par une collectivité publique ».

Le projet de loi de finances pour 2021 a prévu une opération de renforcement des fonds propres de l’AFD porté par un nouveau programme budgétaire dédié (programme 365). L’opération décidée par la loi de finances ne constitue pas une augmentation de capital « au sens classique du terme » comme le relève à juste titre le premier juge, l’AFD étant un établissement public industriel et commercial financé à 100 % par l’État. Cette opération, qui est une opération de renforcement des fonds propres a été décidée pour tenir compte de l’évolution de la réglementation prudentielle et des engagements de l’AFD qui ont connu une croissance continue mettant son bilan « sous-tension ».

Cette opération, permettant de « recapitaliser » l’AFD, devait être effectué en plusieurs étapes :

d’abord, l’AFD devait rembourser à l’État les RCS (ratio grand risques) déjà perçus pour un montant de 953 millions d’euros, ensuite, le programme 365 devait abonder le compte d’affectation spéciale «  participations financières de l’État » pour le même montant, et enfin, l’État devait reverser à l’AFD la dotation en capital pour 953 millions d’euros.

Dans ce cadre, une convention de dotation en capital et de remboursement anticipé a été conclue entre l’État et l’AFD le 17 juin 2021, rappelant les raisons qui ont rendu nécessaire l’augmentation des fonds propres de l’AFD en 2021 pour respecter ses ratios et l’impact de la crise sanitaire qui a contraint cette dernière à augmenter ses provisions pour risques.

L’opération qui en est résultée comprenant notamment la dotation en capital est intervenue le 24 juin 2021.

L’Etat étant une collectivité publique et l’AFD un établissement public qui lui est attaché, cette opération de renforcement de fonds propres litigieuse qui est une opération de financement se trouve en conséquence exclue de l’exigence de consultation du SCEC, en application des dispositions de l’article R. 2312-23 du code du travail susvisé, de sorte que le CSE n’avait pas à être consulté.

Dès lors qu’aucun trouble manifestement illicite n’est caractérisé, l’ordonnance déférée sera confirmée sur ce point.

Sur la demande d’ouverture de la procédure de consultation du CSEC concernant l’octroi de la majorité des voix au sein de l’assemblée générale de l’Association au profit de l’AFD

Le CSEC fait valoir que :

– l’AFD a pris le contrôle de l’Association, préfigurant, un projet de filialisation de cette dernière sur lequel le CSEC est consulté depuis le 18 janvier 2022, et en conséquence sa disparition ;

– cette opération constitue une inflexion significative de la stratégie du groupe de sorte qu’il était important pour les représentants du personnel de l’AFD de pouvoir s’exprimer au sujet de la prise de contrôle de l’Association et qu’un échange ait lieu avec la direction à ce sujet ;

– l’AFD ne contestant pas la nécessité de consulter le CSEC sur la filialisation de l’Association, ses tentatives de minimiser l’importance de sa prise de contrôle au regard de son petit nombre de salariés ou de son petit budget sont inopérantes alors que ce projet a des conséquences sur la- marche générale de l’entreprise et constitue aussi une inflexion de la stratégie du groupe ;

– « en l’absence de jurisprudence portant sur la consultation du CSE en cas de prise de contrôle d’une association, celle-ci s’impose dès lors qu’elle a une incidence sur la marche générale de l’entreprise ; le CSE doit donc être consulté en cas de prise de contrôle d’une association quand bien même, d’une part, celle-ci n’implique pas à proprement parler une prise de participation financière et, d’autre part, elle est en partie la conséquence de décisions de tiers » ;

– « l’ancien article L. 2323-33 du Code du travail imposait expressément la consultation du CE ‘lors de l’acquisition ou de la cession de filiales’ et ‘lorsque [l’employeur] prend une participation dans une société’ ; ces précisions sont évidemment transposables au CSE ».

L’AFD soutient que :

– l’octroi à l’AFD de la majorité des voix dans l’assemblée générale de l’Association ne constitue ni une modification de son organisation juridique, ni une modification de son organisation économique ce dont il résulte que le CSEC n’avait pas à être consulté ;

– « si comme l’indique très justement le CSEC, il convient de prendre l’ancien article L. 2323-19 du code du travail (ou L. 2323-33) comme « référence » d’interprétation de l’article L. 2312-8 du code du travail », il n’existe aucun lien entre modification de l’organisation économique de l’entreprise et augmentation de capital.

Sur ce,

L’ancien article L. 2323-19 du code du travail prévoyait que ;

« Le comité d’entreprise est informé et consulté sur les modifications de l’organisation économique ou juridique de l’entreprise, notamment en cas de fusion, de cession, de modification importante des structures de production de l’entreprise ainsi que lors de l’acquisition ou de la cession de filiales au sens de l’article L. 233-1 du code de commerce.

L’employeur indique les motifs des modifications projetées et consulte le comité d’entreprise sur les mesures envisagées à l’égard des salariés lorsque ces modifications comportent des conséquences pour ceux-ci.

Il consulte également le comité d’entreprise lorsqu’il prend une participation dans une société et l’informe d’une prise de participation dont son entreprise est l’objet lorsqu’il en a connaissance ».

Ainsi que l’a justement relevé le premier juge, l’article L. 2312-8 du code du travail concernant le domaine de consultation du CSEC cité plus haut, ne cite plus les opérations juridiques mentionnées dans l’ancien article L. 2323-19 de ce code.

Il s’en déduit que la consultation du CSE, dans le cadre d’une prise de participation, dépend de l’impact que cette dernière a sur la modification de l’organisation économique ou juridique de l’entreprise, la cour rappelant en outre que l’AFD est financée exclusivement par des dotations versées par l’Etat.

Le premier juge a encore pertinemment retenu, que l’octroi de la majorité des voix de l’assemblée générale de l’Association à l’intimée ne constitue pas « un projet important dans l’ordre économique de l’AFD ne serait-ce qu’au regard des différences d’échelles entre les montants respectifs des engagements réalisés par l’une et l’autre (12 milliards pour l’AFD, 800.000 euros pour DIGITAL AFRICA) et leur nombre respectif de salariés (2.995 salariés à l’AFD, 12 salariés pour DIGITAL AFRICA) », et que « l’association DIGITAL AFRICA est (…) une association employant moins de 25 salariés qui a octroyé 50% des voix de son assemblée générale à l’AFD alors qu’elle est détenait auparavant 20% ».

Il ressort de ces seules constatations, que cette prise de participation pour laquelle une consultation est sollicitée, n’entraîne pas une modification dans l’organisation juridique ou économique de l’AFD au sens de l’article L. 2312-8 du code du travail susvisé, cette prise de participation ne pouvant être considérée comme une projet important dans l’ordre économique pour l’intimée.

Il est indifférent à ce titre que l’AFD ait consulté le SCEC sur le projet de filialisation de l’Association en 2022, qui, lui, constitue une modification de l’organisation juridique de l’AFD, ce qui n’était pas le cas de l’octroi à l’AFD de la majorité des voix de l’assemblée générale de l’Association.

Il résulte des considérations qui précèdent, qu’en l’absence de démonstration d’une violation évidente d’une norme obligatoire, il ne peut être fait droit à la demande du SCEC, de sorte que l’ordonnance critiquée mérite confirmation et ce sans qu’il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de répondre à des conclusions que les constatations précédentes rendent inopérantes.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Le CSEC, qui succombe, supportera les dépens d’appel et sera condamné à une indemnité de procédure et débouté de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme l’ordonnance de référé en date du 31 mai 2022 du tribunal judiciaire de Paris ;

Y ajoutant,

Condamne le comité social et économique central de l’Agence Française de Développement aux dépens ;

Condamne le comité social et économique central de l’Agence Française de Développement à payer à l’Agence Française de Développement la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et le déboute de sa demande à ce titre.

La greffière, P/ Le président empêché,

 


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