COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 23 MAI 2023
N° RG 21/04870 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MJFV
SELARL EKIP’
c/
S.A.S. KPMG AUDIT IS
S.A.S. FD & ASSOCIES
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 juillet 2021 (R.G. 2020F01027) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 18 août 2021
APPELANTE :
SELARL EKIP, prise en la personne de Maître [M] [J], es qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS PETROMANAS ENERGY et domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 3]
représentée par Maître Laurène D’AMIENS de la SELARL AUSONE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître Patrick ESPAIGNET, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉES :
S.A.S. KPMG AUDIT IS, prise en la personne de son repérsentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 2]
représentée par Maître Gilles SAMMARCELLI de la SCP LAYDEKER – SAMMARCELLI – MOUSSEAU, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître André-François BOUVIER-FERRENTI, avocat au barreau de PARIS
S.A.S. FD & ASSOCIES, prise en la personne de son repérsentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 1]
représentée par Maître Blandine FILLATRE de la SELARL GALY & ASSOCIÉS, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître Patricia LE TOUARIN-LAILLET, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 25 avril 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
Suivant lettre de mission en date du 7 novembre 2011, la SAS Petromanas Energy (France), ci-après désignée société Petromanas, ayant pour activité la prospection, l’exploitation et la production de pétrole et de gaz, a confié à la société d’expertise-comptable SAS FD et Associés une mission de tenue de comptabilité, révision et présentation des comptes, à compter de l’exercice 2012.
A compter du 27 juin 2013, la SAS KPMG Audit IS a été le commissaire aux comptes de la société Petromanas Energy.
Par acte en date du 16 février 2017, la société mère canadienne PMI Resources Ltd a cédé à la société Horizon Petroleum la totalité des titres qu’elle détenait dans le capital de la société Petromanas.
Puis en juin 2018, la société PMI Ressources Ltd a abandonné, en faveur de sa filiale, la société Petromanas Energy, une créance de 11 552 888, 48 euros qu’elle détenait sur elle, avec effet au 10 août 2017.
La société FD et Associés a procédé à une rectification du bilan et de la liasse comptable arrêtés au 31 décembre 2017, qui faisait apparaître un produit financier de 11 552 888,48 euros, générant après divers retraitements un bénéfice de 12 817 093,83 euros, qu’il a compensé fiscalement avec les pertes cumulées des exercices antérieurs.
La société KPMG Audit IS, commissaire aux comptes, a approuvé les comptes de l’exercice 2017 sans réserves dans son rapport général du 29 juin 2018.
A la suite d’un contrôle opéré du 29 octobre au 6 décembre 2019, concernant les déclarations des résultats des exercices clos en 2016, 2017, et 2018, la Direction générale des finances publiques a notifié le 6 décembre 2019 à la société Petromanas une proposition de rectification du montant de l’impôt sur les sociétés au titre de l’exercice 2017 au motif que la compensation au plan fiscal d’un bénéfice avec des pertes antérieures était limitée à la somme de 1 000 000 d’euros, majorée de 50 % de la différence, en application de l’article 209 paragraphe 1 du code général des impôts.
Le 14 février 2020, la Direction générale des finances publiques a adressé à la société Petromanas un avis de mise en recouvrement d’un montant de 2 009 331 au titre de l’impôt sur les sociétés de l’année 2017 et de 76 335 euros au titre des pénalités.
La société Petromanas Energy a effectué une déclaration de cessation des paiements au greffe du tribunal de commerce de Bordeaux le 05 novembre 2019.
Par jugement en date du 4 mars 2020, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société Petromanas Energy, et a désigné la SELARL Ekip’ en qualité de liquidateur.
Le passif déclaré et admis à titre définitif de la société Petromanas Energy s’est élevé à la somme de 2 079 480, 32 euros.
Par acte d’huissier de justice du 14 octobre 2020, la société Ekip’, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Petromanas Energy, a fait assigner la société KPMG Audit IS et la société FD et Associés devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins d’obtenir leur condamnation au paiement de la somme de 2 009 331 euros sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
Par jugement en date du 09 juillet 2021, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
– condamné solidairement les sociétés FD et Associés et KPMG Audit IS à payer à la société Ekip’, ès qualités de liquidateur de la société Petromanas Energy la somme de 76 355 euros à titre de dommages et intérêts,
– débouté les parties de leurs demandes,
– condamné solidairement les sociétés FD et Associés et KPMG Audit IS au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné solidairement les sociétés KPMG Audit IS et FD et Associés aux dépens.
Par déclarations des 17 et 18 août 2021, la société Ekip’, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Petromanas Energy, a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant la société KPMG Audit IS et la société FD et Associés.
Par mention au dossier, l’affaire n°21/04752 a été jointe à l’affaire n°21/04870.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 16 mars 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Ekip’, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Petromanas Energy, demande à la cour :
Vu les articles sur le fondement des articles L. 641-4 et L. 822-17 du code de commerce, 1231-1 et 1241-1 du code civil, et 700 du code de procédure civile,
– d’infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 9 juillet 2021 en ce qu’il a condamné solidairement les sociétés FD et Associés et KPMG Audit IS à lui payer la somme de 76 355 euros (soixante seize mille trois cent cinquante cinq euros) à titre de dommages et intérêts,
Et statuant à nouveau,
– de condamner la société KPMG Audit IS au paiement de la somme de deux millions neuf mille et trois cent trente et un euros (2 009 331 euros) à titre de dommages et intérêts à verser à la liquidation judiciaire de la société Petromanas Energy pour les fautes professionnelles commises au détriment de cette dernière,
– de condamner la société d’expertise comptable FD et Associés au paiement de la somme de deux millions neuf mille et trois cent trente et un euros (2 009 331 euros) à titre de dommages et intérêts à verser à la liquidation judiciaire de la société Petromanas Energy pour les fautes professionnelles commises au détriment de cette dernière,
– de condamner la société KPMG Audit IS et la société d’expertise comptable FD et Associés aux entiers dépens sur le fondement de l’article 696 du code de procédure civile,
– de condamner la société KPMG Audit IS et la société FD et Associés à payer à la liquidation judiciaire de la société Petromanas Energy, la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 23 septembre 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la société FD et Associés, demande à la cour de :
vu les conclusions de KPMG Audit IS,
vu les conclusions de la société Ekip’ ès qualités,
– juger l’appel de la société Ekip’ ès qualités mal fondée,
– confirmer le jugement du 9 juillet 2021 en ce qu’il a débouté la société Ekip’ ès qualités de sa demande de condamnation à son égard à payer, in solidum avec la société KPMG Audit IS, 2 009 138 euros à titre de dommages et intérêts,
– infirmer le jugement du 9 juillet 2021 ce qu’il l’a condamné à payer, in solidum avec la société KPMG Audit IS, 76 355 euros à titre de dommages et intérêts outre 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens,
– à titre reconventionnel,
– condamner la société Ekip’ ès qualités à lui payer 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Ekip’ ès qualités aux entiers dépens d’instance et d’appel et ce avec distraction au profit de la société Galy et Associés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 30 mars 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la société KPMG Audit IS, demande à la cour de :
– vu les articles 1231-1 et 1241-1 du code civil,
– vu les articles L. 822-17 et L. 641-4 du code de commerce,
– statuant sur l’appel interjeté par la société Ekip’,
– rejeter l’ensemble des demandes formulées à son encontre par la société Ekip’ ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Petromanas Energy,
– statuant sur l’appel incident relevé per elle,
– infirmer le jugement rendu le 9 juillet 2021 par le tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu’il :
– condamne solidairement les sociétés FD et Associés et KPMG Audit IS à payer à la société Ekip’, ès qualités de liquidateur de la société Petromanas Energy la somme de 76 355 euros à titre de dommages et intérêts,
– débouté les parties de leurs demandes,
– condamné solidairement les sociétés FD et Associés et KPMG Audit IS au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné solidairement les sociétés KPMG Audit IS et FD et Associés aux dépens,
– rejeter l’ensemble des demandes formulées à son encontre par la société Ekip’ ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Petromanas Energy,
– condamner la société Ekip’ au paiement de la somme de 5 000 euros à son profit au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et la condamner aux entiers dépens, dont distraction entre les mains de la SCP Laydeker Sammarcelli Mousseau.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 11 avril 2023 et le dossier a été fixé à l’audience du 25 avril 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande formée à l’encontre de la société FD et associés :
1- La SELARL Ekip, es qualités, soutient que la société FD et associés a commis une faute en omettant d’alerter sa cliente des conséquences fiscales du projet d’abandon de créance, dont elle avait pourtant connaissance avant son inscription dans les comptes, et en télédéclarant la liasse fiscale rectificative sans aucune observation ni réserve, en omettant à cette occasion de constater l’existence d’une dette de plus de 2 millions d’euros vis à vis du Trésor Public.
Elle ajoute que la société FD et associés aurait dû également aviser sa cliente qu’il était possible de parvenir au même résultat que celui escompté par son actionnaire, en procédant non pas à un abandon de créance en compte courant, mais à une incorporation de cette créance par augmentation de capital, suivie d’une réduction de capital par incorporation d’un report à nouveau débiteur (technique dite ‘du coup d’accordéon’).
2- La société FD Associés réplique que le mandataire liquidateur ne rapporte pas la preuve d’une faute de conseil, ni celle d’un préjudice indemnisable en relation de causalité avec les fautes alléguées, y compris en terme de perte de chance.
3- La cour rappelle que selon les dispositions de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de lobligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.
Selon l’article 1231-2 du code civil, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions de modifications ci-après.
4- Il est constant, en droit, que la responsabilité civile professionnelle de l’expert comptable s’apprécie au regard de la mission qui lui a été confiée par son client et qui définit le champ des obligations contractuelles auxquelles il est tenu.
Dans le cadre de sa mission, l’expert comptable est tenu à l’égard de son client d’un devoir de conseil; il doit notamment l’informer et l’éclairer sur toutes les conséquences des décisions et des opérations.
5 – En l’espèce, aux termes de sa lettre de mission du 7 novembre 2011, la société FD et associés était chargée d’une mission comportant principalement la tenue de la comptabilité, la réalisation de toutes les diligences comptables requises, la saisie des pièces comptables transmises, la réalisation des contrôles normalisés, la présentation des comptes lors d’une réunioin annuelle de bilan, et l’établissement des déclarations fiscales, liasses fiscales, et de leur transmission aux services fiscaux par télétransmission.
6 – Il ressort de la proposition de rectification notifiée le 6 décembre 2019 par la direction générale des finances publiques (qui n’a pas donné lieu à contestation ou recours) que par acte du 16 février 2017, la société PMI Resources Ltd, dont le siège social est situé au Canada, a cédé la totalité des titres détenus dans le capital de la société Petromanas Energy à la société Horizon Petroleum Ltd.
Dans le cadre de cette cession, la société mère PMI Resources Ltd a ensuite procédé, avec effet au 10 août 2017, à un abandon de créance d’un montant de 13’565’401,65 dollars (USD) soit 11’552’888,48 euros au profit de la société fille Petromanas Energy, sous forme d’abandon de son compte courant d’associé.
Sur le plan comptable, cette opération se traduisait par un produit financier du même montant pour la société fille, susceptible de donner lieu au paiement de l’impôt sur les sociétés.
Concernant l’obligation de conseil :
7- Il ne ressort d’aucune de pièces produites que la société FD et associés ait manqué à son obligation de conseil concernant le principe de cet abandon de créance.
8- A cet égard, le mandataire liquidateur es-qualités ne peut utilement se prévaloir du courriel adressé le 22 juin 2018, dans lequel M. [F] [V] (société FD et associés) transmets à Mme [K] (société Petromanas) et à M. [Z] [T] (société KPMG) les projets de comptes annuels 2017, en indiquant ‘pour information, la lettre relative à l’abandon du compte courant par Petromanas Inc.devrait nous être transmise prochainement’.
Contrairement à ce que soutient l’appelante, cette correspondance laconique ne démontre nullement que l’abandon de créance demeurait à cette date un simple projet et il peut tout aussi bien s’agir de l’annonce de l’envoi de la pièce justificative nécessaire au traitement comptable de ce produit financier.
9- L’acte matérialisant l’abandon de créance n’a pas été communiqué.
Le mandataire liquidateur n’en a pas précisé la date exacte, en indiquant seulement qu’il a eu lieu en juin 2018, avec effet rétroactif au 10 aout 2017.
10- Dans sa ‘note juridique’ (pièce 16 du mandataire liquidateur), Maître [L] [P], administrateur de la société Petromanas, indique lui-même en page 3 qu’il ignore les raisons de cet abandon de créance, et le contenu des discussions intervenues entre les dirigeants de la société, les experts-comptables et KPMG.
11 – La société FD et associés en déduit donc à juste titre, et sans être utilement contredite, qu’elle n’a été informée qu’une fois la décision d’abandon de créance prise par la société mère.
12 – En l’absence de tout élément d’information sur le contexte et le contenu de l’acte de cession de titres entre la société PMI Resources Ltd et la société Horizon Petroleum, il n’est nullement démontré que la société Petromanas, aurait pu, si elle avait été mieux conseillée par son expert comptable, convaincre sa société mère de renoncer à son projet ou de revenir sur sa décision d’abandon de créance, en privilégiant une solution aternative de recapitalisation, afin d’éviter tout assujettisement à l’impôt sur les sociétés.
En outre, la société FD et associés n’avait d’obligation contractuelle qu’envers sa cliente, la société Petromanas, et non envers la société mère.
Aucun manquement au devoir de conseil n’est donc démontré et la perte de chance évoquée, purement hyothètique, ne peut donner lieu à indemnisation.
Concernant l’erreur technique :
13 – Selon les dispositions de l’article 209 I alinéa 3 du code général des impôts, ‘sous réserve de l’option prévue à l’article 220 quinquies, en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l’exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice dans la limite d’un montant de 1 000 000 euros majoré de 50 % du montant correspondant au bénéfice imposable dudit exercice excédant ce premier montant.
Si ce bénéfice n’est pas suffisant pour que la déduction puisse être intégralement opérée, l’excédent du déficit est reporté dans les mêmes conditions sur les exercices suivants. Il en est de même de la fraction de déficit non admise en déduction en application de la première phrase du présent alinéa.’
14 – La société Petromanas bénéficiait à la fin de l’exercice 2016 d’un déficit reportable de 21 505 008 euros en raison de plusieurs exercices déficitaires.
Compte tenu du résultat bénéficiaire enregistré pour l’exercice clos le 31 décembre 2017 (soit 12 817 094 euros), le déficit reportable antérieur ne pouvait être déduit que dans la limite suivante :
1 000 000 euros + (50 % x(12 817 094 – 1 000 000)) = 6 908 547 euros.
Il incombait donc à l’expert comptable de procéder à une déclaration de résultat bénéficiaire de 12 817 094 – 6 908 547 = 5 908 547 euros, au titre de l’exercice 2017.
Or, la société FD et associés a adressé le 29 juin 2018 une télé-déclaration au titre de l’impôt sur les sociétés faisant apparaître un résultat fiscal de 0, après avoir totalement compensé le résultat bénéficiaire de 2017 avec les déficits antérieurs.
15 – Elle ne conteste pas à ce titre l’existence d’une erreur, par application erronée de l’article 209 du CGI.
Sur l’existence du lien de causalité :
16 – La responsabilité d’un expert comptable est subordonnée à l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre les manquements qui lui sont imputés et les dommages invoqués par le demandeur en réparation.
Il incombe au client de l’expert comptable, demandeur en réparation, de rapporter la preuve de l’existence de ce lien de causalité.
17 – En l’espèce, ainsi qu’indiqué précédemment, la preuve n’est pas rapportée qu’à la date à laquelle elle a eu connaissance de l’abandon de créance par la société mère, la société d’expertise comptable était en mesure de conseiller utilement à la société fille une solution fiscale plus avantageuse, sous forme de recapitalisation, de nature à éviter une imposition sur les sociétés.
18- Il en résulte que le réhaussement de droits au titre de l’impôt sur les sociétés (1 969 516 euros) et de la contribution sociale sur l’impôt sur les sociétés (39 815 euros) pour un montant total en principal de 2 009 331 euros correspond àl’impôt dû par la société Petromanas en application de la loi fiscale, indépendamment de l’erreur fautive de l’expert comptable, et non à un préjudice indemnisable.
L’impossibilité dans laquelle s’est trouvée la société de se redresser, du fait de l’importance de la dette fiscale, ne trouve donc pas sa cause dans une faute de l’expert comptable.
C’est à juste titre que le tribunal a donc écarté ce chef de demande.
19 – A l’appui de sa demande, le mandataire liquidateur fait également valoir que la société Petromanas se trouvait en réalité en cessation de paiement dès le mois d’aout 2017, du fait de la dette fiscale de 2 millions d’euros, et aurait dû effectuer à cette date une déclaration au greffe du tribunal de commerce.
Cependant, elle ne peut utilement invoquer l’existence d’un lien de causalité entre la faute de l’expert comptable et les dettes nouvelles nées pendant trois ans, avant l’ouverture de la liquidation judiciaire le 4 mars 2020.
En effet, sa demande indemnitaire ne porte que sur la dette fiscale de 2 009 331 euros, et elle ne donne aucune précision sur la date de naissance des autres dettes déclarées au passif.
En outre, il ressort du procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire du 30 septembre 2019 que la décision de solliciter la liquidation judiciaire a pour origine une impossibilité de financement par la société mère canadienne, qui refusait de courir le risque de recapitaliser la société en pure perte compte tenu des incertitudes du programme de recherche et de l’arrivée à échéance du seul titre minier dont elle disposait.
20 – Il convient de constater que le mandataire liquidateur es qualités n’a pas formé devant la cour de demande subsidiaire au titre de la perte de chance d’éviter des pénalités de retard.
21 – Infirmant le jugement, la cour rejettera en conséquence la demande indemnitaire formée à l’econtre de la société FD et associés pour un montant de 2’009’331 euros.
Sur la demande formée à l’encontre de la société KPMG :
22 – Se fondant sur les dispositions de l’article L.822-17 du code de commerce, le mandataire liquidateur es qualité soutient que la société de commissaire aux comptes a commis une faute en approuvant sans réserve les comptes des exercices 2017 et 2018, alors que ceux-ci ne donnaient pas une image sincère et fidèle de la situation de la société Petromanas, puisqu’ils omettaient de tenir compte de la charge fiscale de 2 009 331 euros imputable à l’abandon de créance.
23- Toutefois, compte tenu du principe de non-immixtion dans la gestion de l’entité contrôlée, la société KPMG n’était pas tenue à un devoir de conseil à l’égard de la société Petromanas en ce qui concerne la solution de recapitalisation évoquée par le mandataire liquidateur, de nature (selon le mandataire) à éviter ou à minorer une imposition au titre de l’impôt sur les sociétés.
Au surplus, il n’est nullement démontré que le commissaire aux comptes ait eu connaissance du projet d’abandon de créance par la société mère avant qu’il devienne effectif.
La cour écartera, comme imprécise et non probante, la note juridique établie par Maître [P], ancien administrateur, selon laquelle ‘selon les informations en (sa) possession, KPMG fut également informée de l’abandon de créance susvisé et en a approuvé les termes.’
En l’absence de toute autre pièce objective de nature à étayer de telles affirmations, il ne peut être considéré que le commissaire aux comptes ait pu donner un quelconque avis sur le principe de l’abandon de créance, avant que la décision soit prise par l’actionnaire unique.
La société de commissaires aux comptes a certes commis une faute en certifiant sans réserve les comptes annuels relatifs aux exercices clos le 31 décembre 2017 et le 31 décembre 2018 et en les déclarant réguliers, sincères, et donnant une image fidèle du résultat des opérations, et de la situation financière et du patrimoine de la société à la fin des exercices considérés, sans avoir décelé l’erreur commise par l’expert-comptable, en compensant en intégralité le bénéfice de l’exercice 2017 avec les déficits antérieurs.
24 – Toutefois, cette faute est sans lien de causalité avec la dette vis-à-vis du Trésor public qui résulte de la seule application de la loi fiscale, par suite d’une renonciation à créance de la part de la société mère, qui ne pouvait être évitée ni par l’expert-comptable, ni par le commissaire aux comptes.
Il sera de nouveau relevé que la preuve n’est pas rapportée par le mandataire liquidateur d’un lien quelconque de causalité entre la faute alléguée et l’impossibilité dans laquelle se trouve la collectivité des créanciers d’obtenir le règlement de leur créance, alors, au surplus, qu’à la date de dépôt de la déclaration de cessation des paiements, une créance d’un montant de 2’004’704 euros figurait l’actif du bilan de la société Petromanas, au titre d’un capital social non libéré, qui a elle seule aurait permis de régler la quasi-totalité de la dette fiscale.
25- Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts formée à l’encontre du commissaire aux comptes.
Sur les demandes accessoires :
27 – Il est équitable d’allouer à la société KPMG Audit IS et à la société Fd et associés, chacune, une indemnité de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Échouant en son appel, la société EKIP ‘ es qualité supportera les dépens d’appel ainsi que ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement,
Statuant à nouveau,
Rejette les demandes formées par la société EKIP’ es qualité de mandataire liquidateur de la société Petromanas Energy France à l’encontre de la société KPMG Audit IS et de la société FD et associés,
Condamne la société EKIP’ es qualité de mandataire liquidateur de la société Petromanas Energy France à payer à la société KPMG Audit IS et à la société FD et associés, chacune, la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société EKIP’ es qualité de mandataire liquidateur de la société Petromanas Energy France aux dépens de première instance et d’appel, et autorise la SCP LAYDEKER SAMMARCELLI MOUSSEAU,avocat, et la SCP GALY et associés, avocat, à recouvrer ceux dont elles auraient fait l’avance sans recevoir provision.
Le présent arrêt a été signé par M. Franco, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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