Abus de minorité : décision du 19 mai 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/03850

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Abus de minorité : décision du 19 mai 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/03850

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-4

ARRÊT AU FOND

DU 19 MAI 2022

N° 2022/ 168

Rôle N° RG 19/03850 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BD5AP

[W] [P]

C/

[Y] [I]

[C] [O]

[E] [R]

[H] [U]

[U]

[Z] [X]

[A] [G]

[J] [B]

Association CASTELLARAS CHARGES PARTICULIERES PARTICULIÈRES

SCI CHATEAU DE CASTELLARAS

SCI CASTELLARAS PERENNIAL

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Agnès ERMENEUX

Me Roselyne SIMON-THIBAUD

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 18 Février 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/04872.

APPELANT

Monsieur [W] [P]

né le [Date naissance 2] 1942 à ALGER (ALGÉRIE), demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Agnès ERMENEUX de la SCP ERMENEUX-CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, et assisté de Me Géraldine ROUX, avocat au barreau de LYON

INTIMES

Monsieur [Y] [I], demeurant [Adresse 16]

Monsieur [C] [O], demeurant [Adresse 11]

Monsieur [E] [R], demeurant [Adresse 12]

Monsieur [H] [U], demeurant [Adresse 13]

Madame [U], demeurant [Adresse 13]

Madame [Z] [X], demeurant [Adresse 8]

Monsieur [A] [G], demeurant [Adresse 14]

Monsieur [J] [B], demeurant [Adresse 19]

ASSOCIATION CASTELLARAS CHARGES PARTICULIERES Prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant [Adresse 3]

SCI CHATEAU DE CASTELLARAS prise en la personne de son administrateur provisoire Maître [D] [M], dont le siège est [Adresse 15]

SCI CASTELLARAS PERENNIAL prise en la personne de son représentant légal en exercice dont le siège est [Adresse 17]

représentés par Me Roselyne SIMON-THIBAUD, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE et assistés de Me Philippe MARIA, avocat au barreau de GRASSE et de Me Donald MANASSE, avocat au barreau de NICE,

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 22 Mars 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Laure BOURREL, Président a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Laure BOURREL, Président

Madame Françoise FILLIOUX, Conseiller

Madame Florence ALQUIE-VUILLOZ, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Mai 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Mai 2022,

Signé par Madame Laure BOURREL, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La propriétaire du château de Castellaras, situé à [Localité 18] (06) a décidé de réaliser des résidences d’habitation autour des bâtiments existants. En 1958, une première opération immobilière a permis la création de plus d’une centaine d’habitations en couronne autour du château qui s’est dénommé Castellaras Le Vieux. Puis en 1964, un nouveau lotissement a été édifié qui constitue Castellaras Le Neuf.

À l’issue de ces constructions, la division est ainsi faite :

-le lot numéro 7 correspond au terrain en couronne autour du château sur lequel a été édifié Castellaras Le Vieux,

-le lot numéro 8 correspond au château et à ses dépendances et est la propriété de la SCI Le Château De Castellaras,

-le lot numéro 9 correspond au groupe de maisons construites après 1964 et constitue la copropriété Castellaras Le Neuf.

La SCI Le Château de Castellaras qui s’est d’abord nommée Le Club du Château de Castellaras, a été créée le 14 mai 1959.

Les nombreuses dissensions entre les associés ont conduit à la désignation de Maître [N] [M] en qualité d’administrateur provisoire par ordonnance du 19 février 1992, auquel a succédé son fils, Maître [D] [M], selon ordonnance sur requête du président du tribunal de grande instance de Grasse du 12 décembre 2001.

En exécution de l’ordonnance du 19 février 1992, Maître [N] [M] a initié la création en 1994 de l’association Le Club du Château à laquelle a été confiée l’exploitation des biens de la SCI Le Château De Castellaras, en vertu d’une convention de mise à disposition précaire, qui est renouvelée depuis, avec un cahier des charges strict, établi pour tenir compte de la particularité de la SCI. Cette association ne verse aucun loyer à la SCI Le Château de Castellaras.

Le capital social de la SCI Le Château De Castellaras est divisé en 459 parts sociales, qui étaient réparties, à la date de l’assignation introductive d’instance, entre les copropriétaires du domaine de Castellaras Le Vieux par l’intermédiaire d’une SCI dénommée Castellaras Perennial, qui détient 292 voix, la société Compton Trading International Ltd qui détenait 123 voix, Monsieur [W] [P] qui détenait 5 voix, soit à eux deux, 30 % des voix, et divers copropriétaires de Castellaras Le Neuf.

Cette société arrivant à échéance puisque sa durée avait été prévue à l’article 5 des statuts pour 60 années, les associés ont été convoqués à l’assemblée générale du 28 juillet 2016 afin de délibérer notamment sur la prorogation de la société pour 99 ans, soit jusqu’au 14 mai 2118.

Par application de l’article 18 des statuts, ce vote a été effectué à la majorité des trois quarts du capital social. La résolution numéro 4 relative à la prorogation de la société a été rejetée, la société Compton Trading International Ltd qui détenait 123 voix, Monsieur [W] [P] qui détenait 5 voix et Monsieur [F] [T] qui détenait 2 voix ayant voté contre.

Par exploits du 5 octobre 2017, la SCI Castellaras Perennial, Monsieur [Y] [I], Monsieur [C] [O], Monsieur [E] [R], Monsieur et Madame [H] [U], Madame [Z] [X], Monsieur [A] [G], Monsieur [J] [B] et l’association Castellaras Charges Particulières, tous associés de la SCI Château de Castellaras, ont fait assigner Monsieur [P] et la société Compton Trading International Ltd afin qu’il soit constaté l’abus de minorité de Monsieur [P] et de la société Compton Trading International Ltd en ce qu’ils ont refusé à l’assemblée générale du 28 juillet 2016 de proroger le terme de la société en s’opposant à la 4e résolution, et que soit désigné un mandataire ad hoc afin de voter en lieu et place de Monsieur [P] et de la société Compton Trading International Ltd lors de toute nouvelle assemblée générale qui sera convoquée en vue de proroger le terme de la société, en paiement de dommages-intérêts, et ce en présence de la SCI Le Château de Castellaras.

En cours d’instance, le 16 avril 2018, la société Compton Trading International Ltd a cédé la totalité de ses 123 parts sociales dans le capital de la SCI Le Château de Castellaras à Monsieur [P].

En conséquence les demandeurs ont modifié leurs demandes.

Monsieur [P] a conclu à l’irrecevabilité de l’action afin d’abus de minorité en l’absence de mise en cause de la totalité des associés de la SCI Château de Castellaras et au débouté de la demande au motif qu’il ne détenait pas la minorité de blocage lors du vote de l’assemblée

générale du 28 juillet 2016, et subsidiairement, qu’il soit dit que son vote n’était pas contraire à l’intérêt social de la société. Reconventionnellement, il a sollicité des dommages-intérêts pour procédure abusive ainsi qu’une indemnisation au titre de l’article 700 du CPC.

La société Compton Trading International Ltd a adopté des moyens similaires à ceux de Monsieur [P] et a conclu au débouté de l’intégralité des demandes formulées à son encontre, outre une indemnisation au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La SCI Château de Castellaras n’a pas constitué avocat.

Par jugement réputé contradictoire du 18 février 2019, le tribunal de grande instance de Grasse a :

-rejeté le moyen d’irrecevabilité de l’action des demandeurs soulevé par Monsieur [P] tiré du défaut de mise en cause de l’ensemble des associés de la SCI Le Château de Castellaras,

-rejeté le moyen d’irrecevabilité tirée du défaut de détention d’une minorité de blocage de Monsieur [W] [P],

-rejeté le moyen d’irrecevabilité soulevé quant aux demandes de la société Compton Trading International Ltd,

-constaté que le refus de Monsieur [P] et de la société Compton Trading International Ltd lors de l’assemblée générale du 28 juillet 2016 de proroger le terme de la société en s’opposant à la 4e résolution constitue un abus de minorité,

vu la cession en date du 16 avril 2018 par la société Compton Trading International Ltd à Monsieur [P] de la totalité de ses 123 parts sociales dans le capital de la SCI Le Château de Castellaras,

-désigné BG& Associés prises en la personne de Maître [L] [V], administrateur judiciaire, en qualité de mandataire ad hoc avec pour mission de voter en lieu et place de Monsieur [W] [P] et de tout cessionnaire à qui il céderait tout ou partie de ses parts sociales lors de toute nouvelle assemblée générale qui sera convoquée en vue de proroger le terme de la société,

-débouté Monsieur [W] [P] de sa demande de dommages et intérêts,

-débouté la Castellaras Perennial, Monsieur [Y] [I], Monsieur [C] [O], Monsieur [E] [R], Monsieur et Madame [H] [U], Madame [Z] [X], Monsieur [A] [G], Monsieur [J] [B] et l’association Castellaras Charges Particulières de leur demande de dommages-intérêts,

-ordonné l’exécution provisoire,

-condamné in solidum Monsieur [W] [P] et la société Compton Trading International Ltd à payer la somme globale de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile à la Castellaras Perennial, Monsieur [Y] [I], Monsieur [C] [O], Monsieur [E] [R], Monsieur et Madame [H] [U], Madame [Z] [X], Monsieur [A] [G], Monsieur [J] [B] et l’association Castellaras Charges Particulières,

-débouté Monsieur [W] [P] et la société Compton Trading International Ltd de leurs demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

-condamné in solidum Monsieur [W] [P] et la société Compton Trading International Ltd aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration du 6 mars 2019, Monsieur [W] [P] a relevé appel de cette décision sans intimer la société Compton Trading International Ltd.

À la suite d’achats sur adjudications des 28 décembre 2017 et 24 septembre 2018 et de son achat des parts sociales de la société Compton Trading International Ltd, Monsieur [W] [P] est aujourd’hui détenteur de 139 parts de la SCI Le Château de Castellaras.

En exécution de la décision déférée, Maître [D] [M] a convoqué l’AGE de la SCI Le Château de Castellaras le 28 mars 2019 et par la première résolution, le terme de la SCI a été prorogé au 14 mai 2118. Cette décision a été confirmée lors de l’AGE du 20 mai 2019.

Par conclusions du 4 mars 2022, qui sont tenues pour entièrement reprises, Monsieur [W] [P] demande à la Cour de :

« Vu l’article 1240 du Code civil,

vu les pièces,

Dire et juger recevable et fondé l’appel interjeté par Monsieur [P] du jugement du tribunal de grande instance de Grasse du 18 février 2019.

Réformer le jugement sauf en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par les demandeurs à l’instance.

Statuant à nouveau :

Déclarer irrecevable l’action aux fins d’abus de minorité en l’absence de mise en cause de la totalité des associés de la SCI Château de Castellaras.

Déclarer irrecevable l’action aux fins d’abus de minorité dirigée à l’encontre de Monsieur [P] qui ne détenait pas la minorité de blocage et dont le vote lors de l’assemblée générale de la SCI Château de Castellaras du 28 juillet 2016 n’a eu aucune incidence sur l’acceptation ou le rejet de la 4e résolution portant sur la prorogation du terme de la SCI.

Subsidiairement :

Débouter les intimées de leurs demandes fondées sur un abus de minorité qui n’a pas à s’appliquer à une décision relative à l’approbation de la société, qui n’est pas constitué dès lors que le vote de Monsieur [P] à l’assemblée générale du 28 juillet 2016 portant sur la 4e résolution n’est pas contraire à l’intérêt social de la SCI et dès lors que les intimés n’établissent en rien que le vote de Monsieur [P] le 28 juillet 2016 aurait pour unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l’ensemble des associés.

Subsidiairement :

Débouter les intimées de leur demande de désignation d’un administrateur ad hoc dès lors qu’un abus de minorité ne peut être sanctionné par l’adoption forcée de la résolution qui n’a pas reçu une majorité suffisante, dès lors que le mandataire ad hoc ne peut être désigné pour voter en lieu et place d’un associé minoritaire qui a exprimé son vote, et dès lors qu’un mandataire ad hoc ne peut pas se voir conférer la mission de voter en lieu et place de tout cessionnaire à qui Monsieur [P] céderait ses parts sociales.

En toute hypothèse :

Déclarer nuls les procès-verbaux et décisions prises lors des assemblées générales extraordinaires des 19 mars et 10 mai 2019 qui ont voté la prorogation de la société jusqu’au 14 mai 2118, Monsieur [P] n’ayant pas pu participer et voter personnellement.

Débouter les intimés de l’intégralité de leurs prétentions.

Condamner solidairement les intimés à payer à Monsieur [P] une somme de 9000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée, et en réparation du préjudice subi.

Condamner solidairement les intimés à payer à Monsieur [P] une somme de 9000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction de droit au profit de Maître Ermeneux, avocat. »

Par conclusions du 21 février 2022, qui sont tenues pour entièrement reprises, la SCI Castellaras Perennial, Monsieur [Y] [I], Monsieur [C] [O], Monsieur [E] [R], Monsieur et Madame [H] [U], Madame [Z] [X], Monsieur [A] [G], Monsieur [J] [B], l’association Castellaras Charges Particulières et la SCI Château de Castellaras demandent à la Cour de :

« Dire et juger que Monsieur [P] est mal fondé en son appel et en l’ensemble de ses demandes.

Dire et juger que Monsieur [P] est tant irrecevable que mal fondé en sa demande de nullité des assemblées générales extraordinaires des 19 mars et 10 mai 2019.

Par conséquent :

L’en débouter.

Confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Grasse le 18 février 2019 en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté la SCI Castellaras Perennial, Monsieur [Y] [I], Monsieur [C] [O], Monsieur [E] [R], Monsieur et Madame [H] [U], Madame [Z] [X], Monsieur [A] [G], Monsieur [J] [B] et l’association Castellaras Charges Particulières de leur demande tendant à voir condamner Monsieur [P] à leur verser la somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts.

Y ajoutant,

Condamner Monsieur [P] au paiement de la somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts.

Condamner Monsieur [P] au paiement de la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du CPC, ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Roselyne Simon-Thibaud, avocat près la cour d’appel d’Aix-en-Provence. »

L’instruction de l’affaire a été close le 15 mars 2022.

MOTIFS

Sur l’irrecevabilité de l’action pour abus de minorité

Monsieur [W] [P] soutient que l’action pour abus de minorité engagée par la SCI Castellaras Perennial, Monsieur [Y] [I], Monsieur [C] [O], Monsieur [E] [R], Monsieur et Madame [H] [U], Madame [Z] [X], Monsieur [A] [G], Monsieur [J] [B] et l’association Castellaras Charges Particulières serait irrecevable à défaut d’avoir appelé en la cause l’ensemble des associés de la SCI Le Château de Castellaras.

Cependant, cette action est fondée sur l’article 1382 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, applicable en l’espèce eu égard à la date de l’assemblée générale extraordinaire au cours de laquelle la résolution n°4 relative à la prorogation du terme de la SCI Le Château De Castellaras a été rejetée.

Les associés qui s’estiment lésés par les votes « contre » ont introduit l’instance à l’encontre des associés qui ont voté contre et qu’ils estiment auteur d’un abus de minorité.

Les demandeurs n’avaient pas à mettre en cause l’ensemble des associés, ni à assigner Monsieur [F] [T] s’ils estiment qu’il n’est pas auteur d’un abus de minorité, d’autant que leur action a pour finalité d’obtenir, lors d’une AGE future, un autre vote pour lequel les droits de vote des associés contre lesquels pourrait être retenu un abus de minorité, seront exercés par un administrateur ad hoc.

Les demandeurs n’avaient donc pas l’obligation d’assigner l’ensemble des associés.

La minorité au sein d’une société peut être constituée par un groupe d’associés qui votent de façon identique et constitue une minorité de blocage lorsque la réunion des votes parvient au rejet de la résolution soumise à l’assemblée générale. Dès lors, c’est vainement que Monsieur [W] [P] invoque qu’il ne détenait pas une minorité de blocage lors du vote du 28 juillet 2016 puisqu’il ne détenait alors que 5 parts.

En conséquence, l’action de la SCI Castellaras Perennial, Monsieur [Y] [I], Monsieur [C] [O], Monsieur [E] [R], Monsieur et Madame [H] [U], Madame [Z] [X], Monsieur [A] [G], Monsieur [J] [B] et l’association Castellaras Charges Particulières pour abus de minorité est recevable et le jugement attaqué est confirmé sur ce point.

Il convient dès à présent de préciser que Monsieur [P] détenait 128 parts sociales, et que lorsqu’a été prononcée sa faillite personnelle, il a cédé le 8 juin 2005 à la société Compton Trading International Ltd, sise aux Îles Vierges Britanniques, 123 parts sociales au prix de 1500 €.

Le 16 avril 2018, soit en cours de procédure, Monsieur [P] a racheté à la société Compton Trading International Ltd les 123 parts sociales, toujours au prix de 1500 €. En vertu de cet acte, dans lequel il est expressément précisé page 2 au paragraphe « Propriété et Jouissance » que « Le cessionnaire aura, en vertu et à compter des présentes, la propriété et la jouissance de 123 parts sociales, à l’effet de quoi il sera subrogé par la cédante dans tous les droits et obligations attachées aux parts cédées », Monsieur [P] vient aux droits et obligations de société Compton Trading International Ltd.

Sur la recevabilité de la demande d’annulation des assemblées générales extraordinaires des 19 mars et 10 mai 2019

Les intimés soutiennent que la demande de Monsieur [W] [P] d’annulation des résolutions des assemblées générales extraordinaires des 19 mars et 10 mai 2019 qui ont prorogé le terme de la SCI le Château de Castellaras est irrecevable parce que Monsieur [P] qui n’y a pas participé n’aurait pas qualité pour solliciter cette annulation. Dans la mesure où la désignation d’un mandataire ad hoc pour voter à la place de Monsieur [P] ne le prive pas de sa qualité d’associé, il a qualité pour en solliciter leur annulation.

Les intimés arguent ensuite que la demande d’annulation des 2 AGE est irrecevable pour être nouvelle en appel.

Outre l’article 564 du code de procédure civile qui édicte qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait, l’article 566 du même code énonce que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Le jugement attaqué a retenu l’abus de minorité à l’encontre de Monsieur [P] et de la société Compton Traiding International Ltd, aux droits et obligations de laquelle vient Monsieur [P] suite à la vente de ses 123 parts sociales du 16 avril 2018, et a désigné la SCP BG & Associés en qualité de mandataire ad hoc avec pour mission de voter en lieu et place de Monsieur [W] [P] et de tout cessionnaire à qui il céderait tout ou partie de ses parts sociales lors de toute nouvelle assemblée générale qui sera convoquée en vue de proroger le terme de la société. En exécution de cette décision assortie de l’exécution provisoire, l’assemblée générale extraordinaire de la SCI Le Château de Castellaras a été réunie à 2 reprises le 19 mars puis le 10 mai 2019, et à chaque fois, il a été adopté par la première résolution la prorogation du terme de la SCI au 14 mai 2118.

Les 2 assemblées générales extraordinaires des 19 mars et 10 mai 2019 constituent des faits survenus depuis la première instance justifiant la demande d’annulation, qui est, de plus, la conséquence et le complément nécessaire de la demande de Monsieur [W] [P] d’infirmation du jugement attaqué.

Pour s’opposer à la recevabilité de cette demande, les intimés font valoir ensuite que cette demande d’annulation est irrecevable pour ne pas avoir été présentée dans le délai de l’article 908 du code de procédure civile en invoquant les dispositions de l’article 910-4 du même code.

Cet article dispose qu’à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. L’irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

L’alinéa 2 de cet article ajoute : Néanmoins, et sans préjudice de l’alinéa 2 de l’article 802, demeure recevable dans les limites des chefs du jugement critiqué, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance de la révélation d’un fait.

Les 2 assemblées générales dont s’agit sont en date des 19 mars et 10 mai 2019, l’appel est en date du 6 mars 2019, les premières écritures de Monsieur [W] [P] sont en date du 6 juin 2019, et sa demande d’annulation de ces AGE est formulée pour la première fois dans ses dernières conclusions du 4 mars 2022.

Cependant, les conclusions dans lesquelles pour la première fois les intimés ont fait état de ces 2 AGE, et les ont communiquées à la Cour, sont en date du 6 septembre 2019.

La demande de Monsieur [W] [P] d’annulation des AGE des 19 mars et 10 mai 2019, bien que présentée en appel et hors du délai de 3 mois de l’article 908 du code de procédure civile, n’est pas irrecevable.

Enfin, les intimés invoquent l’article 1844-10 du code civil qui dispose dans son alinéa 3, dans sa rédaction applicable à la présente espèce, que la nullité des actes délibération des organes de la société ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent titre, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général.

Cependant, il résulte de l’application de l’article 31 du code de procédure civile que d’une part, le droit d’agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action, et que d’autre part, l’existence du droit invoqué par le demandeur n’est pas une condition de recevabilité de l’action mais de son succès.

En conséquence, la demande de Monsieur [W] [P] d’annulation des procès-verbaux et résolutions par lesquelles a été adoptée la prorogation du terme de la SCI Le Château de Castellaras est recevable.

Sur l’abus de minorité

Sur le fondement de l’article 1833 du Code civil, l’abus de minorité consiste en l’attitude d’un associé contraire à l’intérêt général de la société en ce qu’elle interdit la réalisation d’une opération essentielle pour celle-ci, et dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de ceux de l’ensemble des autres associés.

En l’espèce, dans les derniers statuts avant la présente instance, soit ceux en date du 30 août 1983 l’objet social de la SCI Le Château de Castellaras est défini à l’article 2 :

La société a pour objet :

-la propriété, la gestion et l’exploitation directe ou indirecte d’un ensemble immobilier sis à [Localité 18], dit « Château de Castellaras ». Cet ensemble comprenant le château et ses dépendances avec les fonds et terrains, étant cadastré section F numéros [Cadastre 4]- [Cadastre 5]- [Cadastre 6]-[Cadastre 7]-[Cadastre 9]- [Cadastre 10] pour 2 ha 10 a 24 ca,

-et généralement toutes opérations quelconques pouvant se rattacher à cet objet pourvu que ces opérations ne modifient pas le caractère essentiellement civil de la présente société.

La spécificité de cette SCI a été clairement exprimée dans l’objet social des statuts de l’association Le Club Du Château qui bénéficie d’une mise à disposition des lieux à titre gratuit. En effet, l’association doit contribuer à assurer le maintien et la pérennité de l’ensemble immobilier du Château de Castellaras en développant des activités d’animation s’inscrivant dans le cadre du site et du respect des traditions de qualité et de tenue dont les copropriétaires du village peuvent raisonnablement se réclamer à savoir :

1 la mise à la disposition de ses membres des services d’hôtellerie et de para- hôtellerie, de restauration et de loisirs utilisant les immeubles et installations de la SCI Le Château de Castellaras dont elle aurait la concession,

2 le développement des relations entre ses membres et avec d’autres clubs,

3 l’organisation de manifestations culturelles,

4 l’organisation de colloques et de réception d’une dimension et d’une fréquence strictement contrôlée par ses organes de gestion,

5 et généralement toutes opérations de nature exclusivement civile se rattachant à cet objet de nature à favoriser directement ou indirectement le but poursuivi par l’association ou son développement.

Ainsi, la SCI Le Château de Castellaras a été créée afin que les propriétaires de Castellaras le Vieux puis de Castellaras Le Neuf profitent de façon préférentielle et protégée du site exceptionnel que constitue le château médiéval, ses dépendances, les jardins, les tennis, la piscine et les divers services hôteliers et para-hôteliers qui y sont proposés. Cette société n’a pas été créée en vue d’être exploitée afin de dégager des bénéfices. D’ailleurs elle fonctionne comme une copropriété puisque tous les ans des appels de fonds sont faits aux associés afin de couvrir les frais d’entretien de l’ensemble immobilier, qui sont appelés «contributions» à l’article 8 § IV des statuts ou charges. De plus, compte tenu de la typologie du lieu, soit le château et les bâtiments annexes sur une hauteur, enserrés dans les habitations du Castellaras le Vieux, devant lesquelles circule la seule voie d’accès aux immeubles de la SCI, les associés ont toujours favorisé une exploitation limitée de façon à en réduire les nuisances.

Les juridictions qui ont eu à connaître des nombreuses instances ayant opposé la SCI Le Château de Castellaras à Monsieur [W] [P] ont toutes prises en compte la particularité de cette société.

Monsieur [W] [P] reproche aux autres associés une exploitation des lieux insuffisante et le déséquilibre des comptes financiers.

Même s’il ne s’agit pas d’une société commerciale, au regard des dispositions de l’article 1832 du Code civil, la société est instituée par 2 ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens, ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. Une société civile a donc en principe une activité lui permettant de dégager des bénéfices, et l’opposition entre activité civile et commerciale est vaine.

Il convient toutefois de remarquer que Monsieur [W] [P] qui depuis des années refuse de payer sa quote-part des charges tout comme la société Compton Traiding International Ltd, aux droits et obligations de laquelle il vient, participe de fait au déficit des comptes qu’il invoque.

Monsieur [P] souligne qu’en outre, cette société est dirigée par un administrateur depuis de nombreuses années du fait de la mésentente des associés et que donc, il n’y a plus d’affectio societatis justifiant la poursuite de la société.

Mais comme l’explique, Maître [N] [M], puis Maître [D] [M], le blocage du fonctionnement de la société est venu en premier lieu des statuts de la SCI qui contiennent des dispositions inusuelles telle qu’une majorité des ¿ pour des décisions qui devraient être prises à la majorité et qui octroie ainsi une minorité de blocage qui ne permet pas un fonctionnement normal de cette société. Le second élément qui empêche un fonctionnement normal et l’absence de candidats à la gérance est l’opposition systématique de Monsieur [W] [P] avec l’utilisation de toutes les voies de recours possibles afin de s’opposer aux décisions prises par la majorité des associés. L’attitude hostile de Monsieur [P] explique, entre autres, les raisons pour lesquelles il n’y a aucun candidat à la gérance.

Monsieur [W] [P] ne peut invoquer l’absence d’affectio societatis alors qu’au regard des nombreuses pièces produites, il est l’auteur principal de la mésentente existante.

Surtout, au cours des nombreuses procédures judiciaires ayant opposé la SCI Le Château de Castellaras à Monsieur [W] [P], Monsieur [S] avait été désigné en qualité d’expert pour évaluer la valeur des parts sociales de la SCI, en vue du rachat des parts sociales de l’appelant. Dans son rapport du 30 novembre 2006, l’expert a évalué la valeur des parts à une somme comprise entre 5000 et 5 300 €.

Au cours de l’assemblée générale du 3 août 2017, il a été proposé à l’assemblée générale de scinder l’actif immobilier en 2 lots, le lot A comprenant le château et ses dépendances étant proposées à la vente au prix de 20 millions d’euros. Monsieur [F] [T] a voté pour, la société Compton Trading International Ltd et Monsieur [P] se sont abstenus, les autres associés ont voté contre.

En l’absence de prorogation du terme, la SCI Le Château de Castellaras sera dissoute, il sera procédé à la vente de l’actif immobilier, et chacun des associés percevra nécessairement un boni de liquidation eu égard à la consistance de l’actif immobilier. Celui de Monsieur [P] qui détient 139 parts sociales sera donc particulièrement conséquent.

Dans la mesure où les statuts de la SCI Le Château de Castellaras prévoient en leur article 12 la possibilité du retrait d’un associé, où Monsieur [P] n’a pas fait ce choix et qu’au contraire, depuis le jugement déféré, il a acheté 134 parts sociales (123 + 8 + 3) portant ainsi sa participation au sein de la SCI à 139 parts sociales, et qu’il détient ainsi 30,28 % du capital social, le choix de Monsieur [P] n’est pas motivé par la nécessité de mettre fin à une société affectée de dysfonctionnements, mais uniquement par un intérêt spéculatif fondé sur la dissolution escomptée de la société.

Ainsi, il est démontré que Monsieur [P] a voté contre la prorogation du terme de la SCI Le Château de Castellaras, suivi en cela par la société Compton Trading International Ltd, avec laquelle il a des liens étroits au regard de la vente de 2005 et de celle de 2018, dans l’unique dessein de favoriser ses intérêts personnels au détriment de ceux des autres associés.

Monsieur [P] invoque les droits attachés aux parts sociales de tout associé et à son droit de refuser la prorogation du terme de la société puisque le contrat social est arrivé à son terme, pour soutenir que l’intérêt général de la SCI Le Château de Castellaras n’est pas sa prorogation mais sa dissolution.

Certes une société prend fin lorsqu’arrive son terme.

Cependant, l’intérêt général de la société qui ne se confond pas avec l’intérêt de la majorité des associés, peut être la prorogation de son terme dès lors que son objet social n’est pas éteint et qu’il se perpétue.

Dans la présente instance, compte tenu de l’objet et de la spécificité de la SCI Le Château de Castellaras, soit la mise à disposition des lieux en priorité aux associés, il est de son intérêt général que son terme soit prorogé.

De plus, l’exercice d’un droit ne doit pas constituer un abus.

Même s’il résulte des articles 1844 et 1844-1 du Code civil que le droit de vote de tout associé est d’ordre public, l’associé doit exercer ce droit dans l’intérêt de la société et non dans son intérêt personnel, sauf à rompre le pacte social. C’est pourquoi l’exercice du droit de vote à des fins exclusivement personnelles constitue un abus.

En conséquence, il y a eu abus de minorité de la part de Monsieur [P] et de la société Compton Trading International Ltd.

Il est admis que l’abus de minorité peut se résoudre en une condamnation à paiement de dommages et intérêts, mais peut aussi consister, dès lors que le juge ne peut prendre une décision devant être prise par les associés en assemblée générale, en la désignation d’un mandataire ad hoc qui a pour mission de voter en lieu et place de l’auteur de l’abus.

Le jugement déféré qui a commis la Selarl BG & Associés en qualité de mandataire ad hoc avec pour mission d’exercer les droits de vote attachés aux parts sociales détenues par Monsieur [P] uniquement sur la question de la prorogation du terme de la SCI Le Château de Castellaras est confirmé.

Cette décision affecte nécessairement toutes les parts sociales détenues par Monsieur [P] à la date de la décision, sauf à prendre le risque de la priver d’effet, puisqu’il n’est pas exclu que Monsieur [P] cherche à échapper à cette décision en vendant ses parts à une société située dans un paradis fiscal, comme il l’a déjà fait précédemment lorsqu’en 2005, ces parts devaient être vendues.

Sur la demande de nullité des AGE

Eu égard à la décision de la Cour, Monsieur [P] est débouté de sa demande de d’annulation des procès-verbaux et résolutions par lesquelles le terme de la SCI Le Château de Castellaras est prorogé.

Sur les demandes de dommages et intérêts

Pour la même raison, Monsieur [P] est débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Les intimés sollicitent la somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts sans expliquer dans leurs écritures le préjudice financier subi distinct de celui qui est indemnisé par l’indemnisation des frais irrépétibles. Ils sont déboutés de cette demande.

Sur les autres demandes

L’équité commande de faire bénéficier la SCI Le Château de Castellaras, la SCI Castellaras Perennial, Monsieur [Y] [I], Monsieur [C] [O], Monsieur [E] [R], Monsieur et Madame [H] [U], Madame [Z] [X], Monsieur [A] [G], Monsieur [J] [B] et l’association Castellaras Charges Particulières des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [W] [P] qui succombe, est condamné aux dépens et est débouté de sa demande d’indemnisation au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant,

Déclare recevable la demande de Monsieur [W] [P] d’annulation des procès-verbaux et décisions prises lors des assemblées générales extraordinaires des 19 mars et 10 mai 2019 par lesquels a été adoptée la prorogation du terme de la SCI Le Château de Castellaras, mais l’en déboute,

Déboute Monsieur [W] [P] de toutes ses demandes,

Déboute les partis de leurs autres demandes plus amples ou contraires,

Condamne Monsieur [W] [P] à payer à la SCI Le Château de Castellaras, la SCI Castellaras Perennial, Monsieur [Y] [I], Monsieur [C] [O], Monsieur [E] [R], Monsieur et Madame [H] [U], Madame [Z] [X], Monsieur [A] [G], Monsieur [J] [B] et l’association Castellaras Charges Particulières la somme de 7 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en appel,

Condamne Monsieur [W] [P] aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

 


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