Un photographe a revendiqué sans succès la titularité de l’ensemble des photographies qu’il a réalisées pour le studio Harcourt. Ce dernier faisait valoir qu’il ne recevait aucune directive, aucun ordre, avant et pendant ses prises de vue et qu’au contraire il donnait des instructions à sa maquilleuse et à ses assistants photographes.
Style Harcourt, une oeuvre collective
Les juges ont considéré que le style Harcourt est une œuvre collective. L’article L 113-2, 3ème alinéa du code de la propriété intellectuelle dispose qu’’est dite collective l’oeuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé’. En vertu des dispositions de l’article L 113-5, la personne physique ou morale sous le nom de laquelle l’oeuvre collective est divulguée, est investie des droits de l’auteur (du photographe).
La personne morale (en l’espèce la SA Studio Harcourt) qui revendiquait la propriété de l’oeuvre collective en vertu de l’article L 113-5 a justifié de son rôle prépondérant du début du processus de création du style Harcourt jusqu’à la commercialisation des photographies. Elle a, en particulier, rapporter la preuve de sa maîtrise sur la création et les conditions de réalisation des photographies par l’encadrement de la liberté de création des contributeurs et par l’harmonisation de leurs contributions.
Critères du Style Harcourt
En 1987 dans sa préface du livre ‘Studio Harcourt Paris – acteurs’, Claude-Jean PHILIPPE faisait état d’’un esprit, celui de la rigueur, de la qualité, du prestige, d’un parti pris d’idéalisme et de rêve (héritier direct de l’art cinématographique), un esprit qui, dès les origines, a dicté un choix esthétique’, d’un style ‘inimitable’ par le jeu des ombres et des lumières, la retouche sur le négatif et sur l’épreuve effaçant le grain de peau pour concentrer toute l’expression d’un visage sur le regard, par le tirage (recherche dans le cadrage, le contraste et l’emploi de filtres adoucissants). Il en concluait que le studio Harcourt est de ce fait une école de discipline et d’humilité pour le photographe. Ces éléments qui caractérisent l’esthétique d’une photographie tirée et divulguée sous son nom par le studio Harcourt ont été analysés en 1991 dans l’ouvrage ‘Studio Harcourt, cinquante ans de mythes étoilés’ édité par le Ministère de la culture :
‘- Le portrait se resserre autour du visage, ou du buste, plus rarement autour du corps en pied (sauf si la fonction l’exige : ainsi dans le cas du danseur).
– Les accessoires sont rares. Le portrait émerge sur un fond qui est pur jeu d’ombres et de lumières.
– La lumière est empruntée au cinéma : le tungstène, qui remplace la lumière du jour, la lumière au gaz ou aux bougies, et se conjugue avec des émulsions de plus en plus rapides, permet de produire de nombreux effets, tant sur le visage que sur le fond (spots en contre-jour sur les cheveux, effets de moire sur le fond par exemple).
– La profondeur de champ est faible.
– le plan frontal est rare, Harcourt lui préfère les trois-quarts ou les profils.
– L’attention est portée sur les yeux. Le regard se détourne ou s’élève
– Des effets de halo enveloppent, auréolent le visage.
– La retouche, effectuée sur le négatif comme sur l’épreuve, gomme les imperfections du modèle, lisse et affine le grain de la peau. Harcourt la combine parfois avec l’emploi de filtres adoucissants et diffusants.’
A la même époque Daniel CLÉMENT, dans une étude sur le portrait Harcourt, rappelle également les ‘traits principaux qui font l’apanage d’un tirage Harcourt’, à savoir notamment un cadrage coupure basse sur une ligne située à mi-bras, entre l’épaule et le coude, une source d’éclairage au tungstène avec une source secondaire dirigée sur la chevelure, une profondeur de champ réduite, un fond uni sombre éclairé d’un halo de lumière.
Il ressort encore de l’ouvrage ‘Clin d’oeil’ édité en 1995 par la Mission du patrimoine photographique, que le studio photographique Harcourt a été créé en 1934 et a dès le début mis en place un ‘style Harcourt’ particulièrement codé ‘constitué à partir d’un étrange croisement entre la lumière du portrait classique et une esthétique spécifiquement cinématographique issue de l’expressionnisme’ où les sujets photographiés ‘voient leur choix de postures strictement limités à quelques sages possibles où aucune fantaisie ou invention personnelle n’est admise’, produisant ainsi au fil des années ‘une chaîne sans fin de ressemblances s’originant dans une image mythique’ illustrée par la comparaison de portraits pris à plus de quarante années de distance.
Il en résulte que l’ensemble de ces critères caractéristiques d’une oeuvre de l’esprit ont été imposés depuis l’origine par le studio Harcourt – dont les créateurs les frères LACROIX s’étaient associés à une photographe renommée Cosette HARCOURT – non seulement aux photographes qui y ont travaillé mais également aux autres personnes intervenant à la réalisation des portraits. Les photographies réalisées au sein du studio Harcourt sont le résultat d’une ‘chaîne ininterrompue d’opérations : accueil, attente ritualisée, maquillage, prise de vue, tirage, retouche’ ainsi que le rappelle l’ouvrage ‘Studio Harcourt, cinquante ans de mythes étoilés’, impliquant la contribution de plusieurs intervenants autres que le photographe lui-même et ses assistants : maquilleurs, accessoiristes, éclairagistes, laboratoire, au sein d’un travail d’équipe dans lequel toutes ces contributions se sont confondues.
En particulier, le maquillage et la retouche fondent ainsi une esthétique ‘antinaturaliste’ idéalisant le corps en gommant toutes ses imperfections et contribuent à donner aux photographies Harcourt ‘leur style unique’. Ces photographies sont dès lors des créations originales excédant la somme des apports des différents contributeurs en ce qu’il s’y ajoute la maîtrise d’oeuvre intellectuelle constitutive du ‘style Harcourt’ sans laquelle ces oeuvres n’auraient pas existé.
L’ensemble des photographies portant la griffe ‘Harcourt’ réalisées par le photographe ont ainsi reçues la qualification d’oeuvres collectives pour lesquelles seule la SA Studio Harcourt est investie des droits de l’auteur, en particulier du droit moral.
Mots clés : Photographie originale
Thème : Photographie originale
A propos de cette jurisprudence : juridiction : Cour d’appel de Paris | Date : 15 janvier 2014 | Pays : France