Utiliser une photographie sortie de son contexte expose à une condamnation pour atteinte au droit à l’image.
En l’occurrence, un mannequin n’avait pas autorisé la publication de l’une de ses photographies, reprise hors de son contexte, puisqu’il s’agissait d’une photographie prise dans le cadre de son activité professionnelle. L’éditeur a tenté de justifier sa publication par un sujet d’intérêt général en la reliant au mouvement #metoo et en invoquant le droit du public à l’information.
Il apparaît cependant que le choix de la photographie, sortie de son contexte, montrant la mannequin en lingerie, associée à la légende suivante : ‘M.Y.. vit couchée’, ‘clôture du 71e Festival du Viol’ « Prix spécial du jury : M.Y.. Premier prix d’interprétation féminine : Asia Argento », alors que celle-ci dénonce précisément des faits de viol, est non seulement sans lien pertinent avec le sujet illustré mais porte atteinte à sa dignité en donnant une image dégradée de sa personne, de sorte que l’association ne peut valablement invoquer ni l’intérêt général ni le droit à l’information pour justifier cette publication.
Pour mémoire, conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, toute personne, quelle que soit sa notoriété, sa fortune ou ses fonctions, a droit au respect de sa vie privée et de son image et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué.
Toute personne a ainsi sur son image un droit exclusif et peut s’opposer à sa diffusion, à sa reproduction ou à son utilisation faite sans autorisation préalable. Le droit de la personne à la protection de son image constitue une des conditions essentielles de son épanouissement personnel, il présuppose la maîtrise par l’individu de son image. Afin de caractériser une atteinte au droit à l’image, il faut néanmoins que la personne soit identifiable.
Ce droit au respect de la vie privée doit cependant être concilié avec la liberté d’expression, constitutionnellement et conventionnellement garantie, dont la liberté du droit au public à l’information. Celle-ci peut être retenue à condition néanmoins que la publication soit en relation pertinente avec le contenu de l’article qu’elle illustre et qu’elle n’est pas contraire à la dignité de la personne humaine ou revêtir pour elle des conséquences d’une particulière gravité. Une telle publication doit être appréciée dans sa totalité.
____________________________________
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 2 – Chambre 7
ARRET DU 30 JUIN 2021
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/11712 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCHIM
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Mars 2020 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J.EXPRO, JCP de BOBIGNY – RG n° 19/11491
APPELANTE
Association J ET K agissant poursuites et diligences de son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[…]
[…]
Représentée par Maître Frédéric D, avocat au barreau de PARIS, toque : D1998, avocat postulant
INTIMEE
Madame Z Y
H Bunnenlaan 53 n°41
[…]
née le […] à Heerlen
Représentée par Maître Isabelle LARATTE de la SELARL WW Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : E1154, avocat postulant
Assistée de Maître Jade DOUSSELIN de la SELARL WW Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : E1154, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 26 mai 2021, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme L RIVIERE, Présidente
Mme L X, Conseillère
Mme L-M N, Magistrat honoraire juridictionnel
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme X dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA
ARRET :
— CONTRADICTOIRE
— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
— signé par L RIVIERE, Présidente, et par Margaux MORA, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu l’assignation délivrée le 14 octobre 2019 à l’association J ET K à la requête de Mme Z Y, ayant pour nom d’usage M.Y.., au visa des articles 9 du code civil et 8.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui demandait au tribunal, de :
— constater l’atteinte portée au droit à l’image de la demanderesse par 1’association ;
— ordonner le retrait de la photographie de la demanderesse du site J ET K, et notamment de l’article Viol rétroactif et show-biz : Asia Argento/Harvey Wenstein, A B/M.Y.., sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision ;
— dire que le tribunal se réserve la liquidation de l’astreinte ;
— condamner J ET K au paiement de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts à raison du préjudice moral subi par la demanderesse ;
— condamner J ET K au paiement de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens avec distraction au profit de Me Isabelle LARATTE ;
— ordonner l’exécution provisoire du jugement.
Vu le jugement rendu contradictoirement le 10 mars 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny qui a :
Vu l’atteinte au droit à l’image de Mme Z Y ayant pour nom d’usage M.Y.., portée par l’association J ET K,
— Ordonné le retrait de la photographie de la demanderesse publiée depuis le 20 mai 2018, du site de l’association J ET K et notamment de l’article Viol rétroactif et Show-biz : Asia Argento/Harvey Wenstein, A B/M.Y.., sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé un délai d’un mois suivant la signification de la présente décision et ce pendant une durée de 3 mois,
— Dit n’y avoir lieu à réservation de l’astreinte par le tribunal,
— Condamné l’association J ET K au paiement de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, |
— Condamné l’association J ET K au paiement de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
— Ordonné l’exécution provisoire de la présente décision,
— Condamné l’association J ET K aux dépens de l’instance, avec distraction au profit de Me Isabelle LARATTE conseil de la demanderesse.
Vu l’appel interjeté par l’association J ET K le 5 août 2020,
Vu les dernières conclusions signifiées par voie électronique le 5 novembre 2020 par l’association J et K qui demande à la cour d’infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de :
Vu l’article 9 du code civil,
Vu l’article 700 du code de procédure civile
A titre principal,
Sur l’atteinte au droit à l’image,
— Infirmer le jugement rendu le 10 mars 2020 par le tribunal de Bobigny,
Statuant à nouveau,
— débouter Mme Y de toutes ses demandes.
A titre subsidiaire,
Sur la réparation du préjudice,
— Infirmer le jugement rendu le 10 mars 2020 par le tribunal de Bobigny,
Statuant à nouveau,
— limiter la condamnation d’J et K au paiement de un euro à titre de dommages et intérêts.
En tout état de cause,
Sur les demandes accessoires,
— Infirmer le jugement rendu le 10 mars 2020 par le tribunal de Bobigny,
Statuant à nouveau,
— Débouter Mme Y de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens.
Sur les frais d’appel,
— Condamner Mme Z Y à payer la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
— Condamner Mme Z Y aux entiers dépens et dire que Me F. D pourra les recouvrer conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, l’association prétend qu’elle a publié cette photographie pour illustrer un événement d’actualité, avec une pointe d’humour, qu’elle entre dans le cadre du droit du public à l’information, étant en relation avec le contenu de l’article. Pour l’association, l’ensemble de l’article visait à critiquer la chasse aux sorcières déclenchée par le mouvement « me too ». Elle estimait ne pas avoir besoin d’une autorisation de Mme Y dans ces conditions. Subsidiairement, elle soutient que Mme Y a assigné un an après la publication alors que l’article ne faisait plus aucune vue et que les dommages et intérêts accordés par le tribunal sont hors de proportion.
Vu les dernières conclusions signifiées par RPVA le 21 octobre 2020 par Mme Z Y qui demande à la cour de :
Vu les articles 9 du code civil et 8.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
Vu les pièces jointes,
Vu les articles 699 et 700 du code de procédure civile,
— Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bobigny le 10 mars 2020, et notamment en ce qu’il a :
— Constaté l’atteinte au droit à l’image de Mme Y ayant pour nom d’usage M.Y.., portée par l’association J ET K ;
— Ordonné le retrait de la photographie de Mme Y publiée depuis le 20 mai 2018, du site de l’association J ET K, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé un délai d’un moins suivant la signification de la décision à venir et ce pendant une durée de trois mois ;
— Condamné l’association J ET K au paiement de la somme de 10 000 euros à Mme Y au titre des dommages et intérêts ;
— Condamné l’association J ET K au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
— Condamné l’association J ET K au paiement des dépens d’appel, conformément à l’article 699 du code de procédure civile dont distraction au profit de Me Isabelle LARATTE.
Y ajoutant :
— Condamner l’association J ET K au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, qui s’ajoute à celle déjà allouée par le jugement dont appel ;
— Condamner l’association J ET K au paiement des dépens d’appel, conformément à l’article 699 du code de procédure civile dont distraction au profit de Me Isabelle LARATTE.
Au soutien de ses demandes, elle fait valoir qu’elle n’a pas autorisé la publication de cette photographie sur le site en question, qu’il n’existe aucun intérêt légitime du public à être informé de
la plainte de Mme Y contre A B et que la photographie est sans lien direct et pertinent avec l’article qu’elle illustre, que la photographie, associée aux légendes, a pour seul objet de présenter une image volontairement dégradée de Mme Y, afin de servir un propos visant à la ridiculiser et à la décrédibiliser. Elle soutient que la seule constatation de la violation du droit à l’image ouvre droit à réparation, que son préjudice est d’autant plus important que la reproduction illicite a eu lieu sur un site polémique et orienté, accompagnée de légendes dégradantes, que l’article a eu de nombreuses vues et que son préjudice moral est d’autant plus important que l’article a été publié deux jours après le dépôt de sa plainte, avec des commentaires dont la lecture suffit à se convaincre de la violence psychologique subie.
Vu l’ordonnance de clôture en date du 31 mars 2021,
Vu l’article 455 du code de procédure civile,
MOTIFS
Sur la publication litigieuse
Le 20 mai 2018, l’association J ET K publiait sur son site internet https://www.egaliteetreconciliation.fr, après que Mme Y ait déposé plainte à l’encontre de M. A B, pour des faits de viol, un article intitulé « Viol rétroactif et show-biz : Asia Argento/Harvey Wenstein, A B/M.Y.. ».
Pour illustrer son propos, J ET K reproduisait une photographie de Mme Y posant en lingerie, accompagnée de la légende suivante ‘M.Y.. vit couchée’, ‘clôture du 71e Festival du Viol’ « Prix spécial du jury : M.Y.. Premier prix d’interprétation féminine : Asia Argento ».
M m e V A N R O Y c o n s i d è r e q u e l a p h o t o g r a p h i e p u b l i é e s u r l e s i t e https://www.egaliteetreconciliation.fr, ainsi que les légendes l’accompagnant, sont attentatoires à son droit à voir respecter sa vie privée.
Sur les atteintes à la vie privée
Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, sa fortune ou ses fonctions, a droit au respect de sa vie privée et de son image et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué.
Toute personne a ainsi sur son image un droit exclusif et peut s’opposer à sa diffusion, à sa reproduction ou à son utilisation faite sans autorisation préalable. Le droit de la personne à la protection de son image constitue une des conditions essentielles de son épanouissement personnel, il présuppose la maîtrise par l’individu de son image. Afin de caractériser une atteinte au droit à l’image, il faut néanmoins que la personne soit identifiable.
Ce droit au respect de la vie privée doit cependant être concilié avec la liberté d’expression, constitutionnellement et conventionnellement garantie, dont la liberté du droit au public à l’information. Celle-ci peut être retenue à condition néanmoins que la publication soit en relation pertinente avec le contenu de l’article qu’elle illustre et qu’elle n’est pas contraire à la dignité de la personne humaine ou revêtir pour elle des conséquences d’une particulière gravité. Une telle publication doit être appréciée dans sa totalité.
En l’espèce, il n’est pas contesté par l’association J ET K que la photographie litigieuse est bien une photographie de Mme Y. Elle est accompagnée d’une légende la nommant expressément.
Il n’est pas non plus contesté que Mme Y n’a pas autorisé la publication de cette photographie, reprise hors de son contexte, puisqu’il s’agit d’une photographie prise dans le cadre de son activité professionnelle de mannequin.
L’association tente de justifier sa publication par un sujet d’intérêt général en la reliant au mouvement #metoo et en invoquant le droit du public à l’information.
Il apparaît cependant que le choix de la photographie, sortie de son contexte, montrant Mme Y F, en lingerie, associée à la légende suivante : ‘M.Y.. vit couchée’, ‘clôture du 71e Festival du Viol’ « Prix spécial du jury : M.Y.. Premier prix d’interprétation féminine : Asia Argento », alors que celle-ci dénonce précisément des faits de viol, est non seulement sans lien pertinent avec le sujet illustré mais porte atteinte à sa dignité en donnant une image dégradée de sa personne, de sorte que l’association ne peut valablement invoquer ni l’intérêt général ni le droit à l’information pour justifier cette publication.
Sur le préjudice et la réparation
La seule constatation de l’atteinte au droit à l’image engage la responsabilité de son auteur et ouvre droit à réparation.
Le préjudice moral du fait de l’utilisation de sa photographie dans les circonstances ci-dessus décrites, tournant en dérision les faits dénoncés par Mme Y et jetant ainsi le discrédit sur sa personne, a, au vu des pièces produites et des explications de Mme Y, été justement évalué par le tribunal et il apparaît opportun et nécessaire d’ordonner le retrait de la photographie sous astreinte.
Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les autres demandes
Il est équitable de confirmer les sommes allouées en première instance et d’allouer à Mme Z Y la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel. L’association J ET K sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Bobigny en date du 10 mars 2020 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne l’association J ET K à payer à Mme Z Y, ayant pour nom d’usage M.Y.., la somme de trois mille euros (3 000 euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel,
Condamne l’association J ET K aux entiers dépens dont distraction au
profit de Maître Isabelle LARATTE.
LE PRESIDENT LE GREFFIER