Filmer un outrage à fonctionnaire : pas de volonté, pas de délit

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Filmer un outrage à fonctionnaire : pas de volonté, pas de délit

Un manifestant a été condamné des chefs d’injure publique envers une fonctionnaire à raison du sexe et d’outrage envers une personne chargée d’une mission de service public, pour avoir, lors d’une manifestation organisée par le mouvement dit « des gilets jaunes » et après le passage du cortège devant le domicile de cette dernière, déclaré à un autre manifestant qui filmait la scène afin de la diffuser sur les réseaux sociaux : « tu sais qu’elle est branchée, qu’elle est branchée sexe ; elle aime bien les petits barbus comme toi ; c’est nous qui fait des heures supp. On a été voir des putes, on a été voir X ».

Il résulte des articles 433-5 du code pénal et 593 du code de procédure pénale, que dans les cas où des propos outrageants à l’égard d’une personne sont tenus devant un tiers en l’absence de la personne visée, le délit d’outrage n’est constitué que si, d’une part, leur auteur a eu l’intention, non pas seulement de prendre à témoin son interlocuteur, mais de voir ses propos rapportés à la personne visée par l’outrage, et que, d’autre part, il savait que ce tiers lui rapporterait nécessairement la teneur de l’outrage en raison de ses liens avec l’intéressé.

Pour dire établi le délit d’outrage envers la fonctionnaire, l’arrêt attaqué énonce que, si les propos ont pu ne pas être directement perçus en temps réel par celle-ci, le fait qu’ils aient été fixés sur un support vidéo et diffusés sur un réseau social public établit qu’ils étaient destinés à être rapportés à celle-ci.

Or, en se déterminant ainsi, sans caractériser ni la volonté du prévenu de s’adresser, fût-ce par un intermédiaire, à la personne visée, ni la qualité de rapporteur nécessaire du destinataire des propos, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.

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R É P U B L I Q U E  F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° T 21-83.774 F-D

N° 00017

SM12CC 4 JANVIER 2022

CASSATION

M. SOULARD président,

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,

DU 4 JANVIER 2022

M. [W] [O] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel d’Angers, chambre correctionnelle, en date du 13 avril 2021 qui, pour outrage public envers Mme [T] [P], personne chargée d’une mission de service public, l’a condamné à 1 500 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire personnel a été produit.

Sur le rapport de Mme Ménotti, conseiller, et les conclusions de Mme Philippe, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 23 novembre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Ménotti, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [O] a été poursuivi des chefs d’injure publique envers Mme [P] à raison du sexe et d’outrage envers une personne chargée d’une mission de service public, pour avoir, lors d’une manifestation organisée par le mouvement dit « des gilets jaunes » au [Localité 1] et après le passage du cortège devant le domicile de Mme [P], déclaré à un autre manifestant qui filmait la scène afin de la diffuser sur les réseaux sociaux : « tu sais qu’elle est branchée, qu’elle est branchée sexe ; elle aime bien les petits barbus comme toi ; c’est nous qui fait des heures supp. On a été voir des putes, on a été voir [P] ».

3. Les juges du premier degré ont rejeté les exceptions de nullité soulevées par M. [O], ont relaxé celui-ci du chef d’injure publique en raison du sexe, mais l’ont déclaré coupable d’outrage envers une personne chargée d’une mission de service public.

4. M. [O] a relevé appel de cette décision, limitant son recours à sa condamnation du chef d’outrage envers une personne chargée d’une mission de service public.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyen

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen est pris de la violation des articles 433-5 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale.

7. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce que l’arrêt a déclaré M. [O] coupable d’outrage à personne chargée d’une mission de service public et l’a condamné à une peine en répression.

Réponse de la Cour

Vu les articles 433-5 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :

8. Il résulte du premier de ces textes que, dans les cas où des propos outrageants à l’égard d’une personne sont tenus devant un tiers en l’absence de la personne visée, le délit d’outrage n’est constitué que si, d’une part, leur auteur a eu l’intention, non pas seulement de prendre à témoin son interlocuteur, mais de voir ses propos rapportés à la personne visée par l’outrage, et que, d’autre part, il savait que ce tiers lui rapporterait nécessairement la teneur de l’outrage en raison de ses liens avec l’intéressé.

9. Par ailleurs, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

10. Pour dire établi le délit d’outrage envers Mme [P], l’arrêt attaqué énonce que, si les propos ont pu ne pas être directement perçus en temps réel par celle-ci, le fait qu’ils aient été fixés sur un support vidéo et diffusés sur un réseau social public établit qu’ils étaient destinés à être rapportés à celle-ci.

11. En se déterminant ainsi, sans caractériser ni la volonté du prévenu de s’adresser, fût-ce par un intermédiaire, à la personne visée, ni la qualité de rapporteur nécessaire du destinataire des propos, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.

12. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel d’Angers, en date du 13 avril 2021, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Poitiers, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel d’Angers et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatre janvier deux mille vingt-deux.


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