L’agent et producteur musical d’un artiste n’a aucune obligation de résultat quant aux retombées économiques de la licence de produits dérivés conclue avec un fabricant (cession de droit à l’image d’un artiste sur un mange-debout).
Licence de merchandising
Un contrat de «licence merchandising» a été conclu dans le cadre duquel la société Universal, qui déclarait être titulaire des droits exclusifs d’exploitation sur les produits dérivés du nom et de l’image de l’artiste ainsi que de plusieurs visuels, concédait à la société CLCA, à titre non exclusif, le droit d’exploitation du nom et de l’image de l’artiste ainsi que des visuels choisis aux seules fins de leur reproduction sur les produits autorisés à savoir un modèle de table de bistrot et un modèle de table mange-debout.
Minimum garanti de 40.000 euros
En contrepartie, la société CLCA s’engageait à verser à la société Universal une redevance représentant 14% du chiffre d’affaires hors taxe réalisé avec un minimum garanti de 40.000 euros hors taxe (48.000 euros TTC) immédiatement exigible.
Résultats catastrophiques des ventes
Par la suite, la société CLCA informait la société Universal des résultats catastrophiques des ventes sur le site internet créé à cet effet, 1 seule table vendue à cette date, les fans refusant un projet marketing conçu après la mort de l’artiste. Elle regrettait que le projet initial de réédition d’une table existante n’ait pas été approuvé et d’avoir été mise devant le fait accompli n’ayant pas été avertie de la nécessité de l’autorisation du manager de l’artiste.
En réponse, la société Universal rappelait que le projet avait été mené conjointement et avec l’accord de la société CLCA et proposait d’adresser directement à leurs 27 000 contacts une newsletter proposant les tables, ce qu’elle faisait.
La société CLCA dénonçait auprès de la société Universal la tromperie dont elle estimait avoir été victime dans le cadre des négociations,
Contrat exécuté de bonne foi sans garantie de résultat
Pour autant c’est à juste titre que les premiers juges ont retenu que la contrepartie des redevances était la concession du droit d’exploitation du nom et de l’image de l’artiste ainsi que de visuels choisis. La contrepartie était bien réelle et licite et rien n’interdisait qu’il soit prévu un montant fixe minimum dû à la société Universal et des royalties proportionnelles au chiffre d’affaires au-delà du minimum garanti.
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 2
ARRÊT DU 28 JANVIER 2022
Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 20/14417 – n° Portalis 35L7-V-B7E-CCOVT
Décision déférée à la Cour : jugement du 15 septembre 2020 -Tribunal de commerce de PARIS – RG n°2019026918
APPELANTE
S.A.R.L. CLCA, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social situé
[…]
Baldan Bureau SERVICES
[…]
Immatriculée au rcs de Pau sous le numéro 827 516 410
Représentée par Me Jacques ADAM, avocat au barreau de PARIS, toque D 781
INTIMEE
Société UNIVERSAL MUSIC FRANCE S.A.S., enseigne et division polydor, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social situé
[…]
[…]
Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD – SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque J 125
Assistée de Me Nicolas BOESPFLUG, avocat au barreau de PARIS, toque E 329
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 2 décembre 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Laurence LEHMANN, Conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport
Mme Laurence LEHMANN a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Brigitte CHOKRON, Présidente
Mme Laurence LEHMANN, Conseillère
Mme Agnès MARCADE, Conseillère
Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme Brigitte CHOKRON, Présidente, et par Mme Véronique COUVET, Greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
Vu le jugement contradictoire rendu le 15 septembre 2020 par le tribunal de commerce de Paris,
Vu l’appel interjeté le 12 octobre 2020 par la société CLCA,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 1er juillet 2021 par la société CLCA, appelante,
Vu les uniques conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 27 janvier 2021 par la société Universal Music France (Universal), intimée,
Vu l’ordonnance de clôture en date du 1er septembre 2021.
SUR CE, LA COUR,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
La société CLCA, créée au mois de février 2017, a pour activité notamment la commercialisation et la personnalisation de meubles meublants, d’objets de décoration auprès de particuliers et de professionnels.
La société Universal est une entreprise française de l’industrie musicale. Elle indique détenir les droits exclusifs d’exploitation des attributs de la personnalité de l’artiste X Y ainsi que de la marque «X Y» sur les produits dérivés.
Le 13 mars 2018, quelques mois après le décès de X Y, la société CLCA adressait à la société Universal un document dénommé «business plan» présentant son projet de commercialiser une table de bistrot ou mange-debout, insérant sur le dessus de la table une photographie en grande dimension de X Y et portant une dédicace de sa part, renouvelant ainsi une opération déjà menée par la société Universal en 2003, qui en assurait la distribution. Une photographie de la table avec la photo était insérée dans le document.
Le 15 mars 2018 un «deal memo» était signé pour une table bistrot et une table mange-debout avec licence «X Y». Les royalties dues à Universal étaient fixés à 14% avec un minimum garanti à 40.000 euros hors taxes payables en deux fois avant le 31 décembre 2018. La commercialisation était prévue pour le printemps 2018 et était stipulée pour une période allant du 15 mars 2018 au 31 mars 2020.
Aucune précision n’était donnée sur la photographie qui serait utilisée mais il était précisé que tous «produits, packaging, publicités, bannières, campagnes marketing » doivent être approuvés par écrit par Universal».
Dès le 19 mars 2018, la société Universal faisait savoir que le manager souhaitait un règlement de la somme de 40.000 euros en une seule fois à la signature du contrat ce que la société CLCA acceptait.
Puis les parties échangeaient sur les détails techniques concernant la table et le copyright devant figurer sur la photographie.
Finalement, le 23 avril 2018, la société Universal informait la société CLCA que le projet avait été présenté au manager de X Y qui n’avait pas approuvé le produit et ne souhaitait pas utiliser la photographie préconisée qui ne «reflète pas assez la légende de l’artiste». Il proposait de la remplacer par une mosaïque créée avec les couvertures d’albums.
Le même jour la société CLCA prenait acte de ce refus et précisait demander à son webmaster de créer une mosaïque avec 10 couvertures d’albums.
Le 3 mai 2018, la société CLCA adressait une proposition de mosaïque qui était approuvée dès le lendemain.
Le 5 juin 2018, un contrat de «licence merchandising» était conclu dans le cadre duquel la société Universal, qui déclarait être titulaire des droits exclusifs d’exploitation sur les produits dérivés du nom et de l’image de l’artiste X Y ainsi que de plusieurs visuels, concédait à la société CLCA, à titre non exclusif, le droit d’exploitation du nom et de l’image de l’artiste ainsi que des visuels choisis aux seules fins de leur reproduction sur les produits autorisés à savoir un modèle de table de bistrot et un modèle de table mange-debout. En contrepartie, la société CLCA s’engageait à verser à la société Universal une redevance représentant 14% du chiffre d’affaires hors taxe réalisé avec un minimum garanti de 40.000 euros hors taxe (48.000 euros TTC) immédiatement exigible. Le contrat était conclu pour une durée prenant fin le 31 mars 2020.
Le 4 juillet 2018, la société CLCA informait la société Universal des résultats catastrophiques des ventes sur le site internet créé à cet effet, 1 seule table vendue à cette date, les fans refusant un projet marketing conçu après la mort de l’artiste. Elle regrettait que le projet initial de réédition d’une table existante n’ait pas été approuvé et d’avoir été mise devant le fait accompli n’ayant pas été avertie de la nécessité de l’autorisation du manager de l’artiste.
En réponse, la société Universal rappelait que le projet avait été mené conjointement et avec l’accord de la société CLCA et proposait d’adresser directement à leurs 27 000 contacts une newsletter proposant les tables, ce qu’elle faisait le 14 août 2018.
Le 16 octobre 2018, la société CLCA dénonçait auprès de la société Universal la tromperie dont elle estimait avoir été victime dans le cadre des négociations, ce que contestait la cocontractante le 7 novembre 2018.
Par acte en date du 25 avril 2019, la société CLCA a fait assigner la société Universal devant le tribunal de commerce de Paris. Elle sollicitait à titre principal la nullité des contrats en date des 15 mars et 5 juin 2018 et à titre subsidiaire leurs résolutions pour faute et dans tous les cas, le remboursement de la somme de 48.000 euros et l’octroi de 80.000 euros de dommages et intérêts.
Le jugement du 15 septembre 2020 dont appel a :
– débouté la société CLCA de l’intégralité de ses demandes,
– débouté la société Universal de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
– condamné la société CLCA à payer à la société Universal Music France la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La société CLCA reprend en cause d’appel les mêmes demandes, principale et subsidiaire, et formule les mêmes demandes financières à l’encontre de la société Universal.
La société Universal sollicite la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et y ajoute une demande fondée sur l’appel abusif à hauteur de 10.000 euros.
Sur la nullité des contrats
La société CLCA prétend que les contrats «deal memo» du 15 mars 2018 et «licence merchandising» du 5 juin 2018 seraient dépourvus de contrepartie au sens de l’article 1169 du code civil pour avoir stipulé un minimum garanti de la rémunération d’Universal à 40.000 euros, non restituable si cette somme n’était pas atteinte par les royalties fixées à 14% du chiffre d’affaires réalisé par les ventes.
Pour autant c’est à juste titre que les premiers juges ont retenu que la contrepartie des redevances était la concession du droit d’exploitation du nom et de l’image de X Y ainsi que de visuels choisis. La contrepartie était bien réelle et licite et rien n’interdisait qu’il soit prévu un montant fixe minimum dû à la société Universal et des royalties proportionnelles au chiffre d’affaires au-delà du minimum garanti.
Le jugement qui n’a pas fait droit aux nullités sollicitées doit être confirmé.
Sur la résolution des contrats
La société CLCA soutient qu’en violation de l’article 1104 du code civil qui dispose que «les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi» la société Universal tant lors de la négociation et de la conclusion des contrats que dans l’exécution des contrats a fait preuve de mauvaise foi devant entraîner la résolution des contrats aux torts de cette dernière.
Elle reproche à la société Universal d’avoir laissé croire que le projet de reprise de la photographie utilisée en 2003 était accepté pour ensuite brutalement indiquer qu’il était refusé par le manager de l’artiste.
La cour observe cependant qu’aucun vice du consentement, au sens des articles 1130 et suivants du code civil n’est allégué.
De plus, la cour ayant examiné les échanges de mails et les contrats, ci-dessus relatés, relève qu’à aucun moment la société Universal n’a confirmé son accord pour l’utilisation de cette photographie et qu’au contraire la nécessité de son accord préalable aux objets commercialisés était soulignée.
Ainsi, la société CLCA savait et avait accepté que la photographie utilisée ne soit pas celle de 2003 mais une mosaïque qu’elle même a créée de pochettes de disques et ce avant la signature du contrat de «licence merchandising» du 5 juin 2018 et le paiement des 40.000 euros hors taxes.
La société CLCA reproche aussi une mauvaise foi de la société Universal dans l’exécution des contrats et lui reproche de s’être désintéressée du projet et de sa promotion.
Pour autant, il ne ressort pas des contrats, ni d’autres échanges que la société Universal ait pris un quelconque engagement promotionnel et c’est à juste titre que les premiers juges n’ont pas retenu de manquements graves pouvant entraîner la résolution des contrats.
Sur la demande de condamnation pour appel abusif, les frais et dépens
La société Universal ne forme pas appel incident du jugement qui a rejeté sa demande fondée sur l’abus de procédure qui est irrévocable de chef.
En revanche, elle estime que la société CLCA a abusé de son droit d’interjeter appel du jugement qui l’a déboutée de l’intégralité de ses demandes et demande 10.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Pour autant l’exercice d’une voie de recours constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur équipollente au dol, ce que l’intimée ne démontre pas en l’espèce.
La demande de la société Universal est rejetée.
Le sens de l’arrêt conduit à confirmer les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles. La société CLCA sera en outre condamnée aux dépens d’appel et, en équité, à payer à la société Universal la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute la société Universal Music France de sa demande fondée sur l’abus d’interjeter appel,
Condamne la société CLCA à payer à la société Universal Music France la somme de 5.000 euros pour les frais irrépétibles d’appel,
Condamne la société CLCA aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La Greffière La Présidente