Une cession tacite de droit à l’image ne peut s’inscrire sur une trop longue durée. L’épouse de Jean-Marie Le Pen a obtenu gain de cause contre un éditeur / journaliste qui avait interviewé et filmé cette dernière dix-sept ans auparavant et avait publié ladite vidéo récemment sur les réseaux sociaux.
Affaire Le Pen
Pour contester les atteintes au respect de la vie privée et au droit à l’image de cette dernière, le journaliste indiquait qu’au regard de sa qualité d’ancienne épouse de l’ancien président du Front national, devenu le Rassemblement national, et mère de la présidente actuelle de ce parti, l’intéressée apparaissait comme une personnalité publique et que les faits révélés à l’occasion de cet entretien relevaient de l’actualité.
Conciliation des droits en présence
Les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil garantissent à chacun le droit au respect de sa vie privée et de son image. Ce droit peut toutefois se heurter au droit d’information du public et à la liberté d’expression garantis par l’article 10 de ladite Convention.
Il convient donc de dégager un équilibre entre ces droits antagonistes qui ne sont ni absolus, ni hiérarchisés entre eux, étant d’égale valeur dans une société démocratique et de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.
Par ailleurs, selon l’article 835, alinéa 1, du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Prise licite d’image établie
Si la prise licite de l’image de Mme Le Pen ne souffrait aucune discussion, il n’était en revanche pas démontré qu’elle ait donné son consentement, d’une part, pour la publication de son image dix-sept ans après sa captation et, d’autre part, pour la diffusion de l’entretien dans son intégralité.
La publication, sans autorisation, sur un site Internet, plusieurs années après sa réalisation, de l’intégralité de l’entretien et de l’image de Mme Le Pen, sur l’exploitation de laquelle elle détient des droits exclusifs, a nécessairement porté atteinte au droit au respect de son image.
Droit d’informer le public écarté
Les propos tenus sur la personne de son ex-époux et les dissensions existant entre les membres de la famille Le Pen, largement relayés par les média depuis plusieurs années, ne présentaient pas une importance suffisante rendant légitime la diffusion de la vidéo litigieuse pour l’information du public. La juridiction a ordonné la suppression de la vidéo sur le site Youtube.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 8
ARRET DU 30 SEPTEMBRE 2021
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/18110 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCZMP
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 05 Août 2016 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS CEDEX 17 – RG n° 16/55681
APPELANT
M. C X (dit Z F)
250 boulevard Saint-Germain
[…]
Représenté par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
Assisté par Me Marie CORNANGUER substituant par Me Céline ASTOLFE, avocat au barreau de PARIS, toque : E183
INTIMEE
Mme G Y divorcée I
[…]
92213 SAINT-CLOUD
Représentée et assistée par Me Jean-C DESCOUBES de la SELEURL DESCOUBES AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0969
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 juin 2021, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Florence LAGEMI, Président, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Florence LAGEMI, Président,
Rachel LE COTTY, Conseiller,
Laure ALDEBERT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Marie GOIN
ARRÊT :
— CONTRADICTOIRE
— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
— signé par Florence LAGEMI, Président et par Marie GOIN, Greffier.
En mai 2015, M. X, dit Z F, a mis en ligne sur son compte ‘Z F absolu’ en accès public, sur la plate-forme Internet Youtube, sous le titre ‘G I le jamais diffusé’, la vidéo d’un entretien qu’il avait eu avec cette dernière en 1998.
Soutenant que cette diffusion non autorisée, portant sur l’intégralité de l’entretien ayant eu lieu dix-sept ans auparavant, porte atteinte à son droit à l’image, Mme Y a fait assigner, par acte du 10 juin 2016, M. X devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’obtenir, notamment, le retrait de la vidéo litigieuse sous astreinte et le paiement d’une somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Par ordonnance réputée contradictoire du 5 août 2016, ce magistrat a :
• ordonné à M. X dit Z F de supprimer sur le site Internet Youtube la vidéo intitulée ‘G I : le jamais diffusé’, visible à l’adresse : http://youtube:Jx-KDOQvbvc, dans un délai de quinze jours à compter de la signification de la décision, et ce sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard passé ce délai ;
• réservé la liquidation de l’astreinte ;
• condamné M. X dit Z F à verser à Mme Y une somme provisionnelle d’un euro en réparation du préjudice moral subi du fait de la mise en ligne sur le site Youtube de la vidéo intitulée ‘G I le jamais diffusé’ ;
• condamné M. X dit Z F à verser à Mme Y la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
• débouté Mme Y du surplus de ses demandes.
Après avoir été relevé de la forclusion résultant de l’expiration du délai d’appel par décision du premier président de cette cour du 10 décembre 2020, M. X a interjeté appel à l’encontre de l’ordonnance susvisée suivant déclaration du 11 décembre 2020.
Aux termes de ses dernières conclusions remises et notifiées le 12 mai 2021, M. X demande à la cour de :
• le déclarer recevable et bien fondé en son appel ;
• infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a ordonné la suppression sur le site Internet Youtube de la vidéo intitulée ‘G I le jamais diffusé’, l’a condamné au paiement d’une somme provisionnelle d’un euro, d’une indemnité de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
• statuant à nouveau,
• débouter Mme Y de ses prétentions ;
• la condamner au paiement de la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions remises et notifiées le 12 avril 2021, Mme Y demande à la cour de :
• débouter M. X de toutes ses prétentions ;
• confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a ordonné, sous astreinte, la suppression de la vidéo litigieuse diffusée sur le site Internet Youtube et réservé la liquidation de l’astreinte ;
• l’infirmer en ses dispositions relatives à la provision ;
• condamner M. X à lui payer la somme provisionnelle de 50.000 euros en réparation de son préjudice moral ;
• le condamner à lui payer la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La clôture de la procédure a été prononcée le 9 juin 2021.
Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu’aux écritures déposées.
SUR CE, LA COUR
Les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil garantissent à chacun le droit au respect de sa vie privée et de son image.
Ce droit peut toutefois se heurter au droit d’information du public et à la liberté d’expression garantis par l’article 10 de ladite Convention.
Il convient donc de dégager un équilibre entre ces droits antagonistes qui ne sont ni absolus, ni hiérarchisés entre eux, étant d’égale valeur dans une société démocratique et de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.
Par ailleurs, selon l’article 835, alinéa 1, du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Il est constant que le 6 mai 2015, M. X a publié sur sa page Youtube, sous le titre ‘G I le jamais diffusé’, la vidéo d’un entretien qu’il avait eu dix-sept ans auparavant avec Mme Y.
Pour contester les atteintes au respect de la vie privée et au droit à l’image de cette dernière, M. X indique qu’au regard de sa qualité d’ancienne épouse de l’ancien président du Front national, devenu le Rassemblement national, et mère de la présidente actuelle de ce parti, Mme Y apparaît comme une personnalité publique et que les faits révélés à l’occasion de cet entretien sont relatifs à M. I et ses filles.
Il soutient que Mme Y avait consenti à la captation de son image et à la diffusion de l’interview litigieuse ainsi qu’il résulte de son visionnage, l’intimée étant installée dans un fauteuil, face aux caméras, répondant spontanément aux questions qu’il lui posait et divulguant des informations relatives à sa vie privée.
Il affirme qu’il n’était pas tenu d’avertir l’intimée préalablement à la mise en ligne de cette vidéo et que contrairement à ce qu’elle prétend, l’interview litigieuse avait été publiée sur la page Dailymotion ‘Z F absolu’ les 26 mai et 11 juin 2015, soit antérieurement à la décision dont appel.
Il indique encore que les déclarations de Mme Y portant sur les propos racistes tenus par M. I dans un cadre familial et ses opinions, les agissements de ce dernier susceptibles de revêtir la qualification de fraude fiscale, l’éducation donnée à ses filles et les relations du couple avec leurs filles, avaient été faites, dès 1987, et à maintes reprises par Mme Y dans la presse, laquelle avait d’ailleurs accordé une interview à M. A en avril 1988, publiée à nouveau en 2010 et 2014 sur les pages Dailymotion et Youtube et étant encore disponible sur Internet.
Enfin, il soutient que l’entretien litigieux, publié quelques semaines après l’annonce de M. I de devenir tête de liste FN aux élections régionales en Provence-Alpes-Côte d’Azur et l’opposition manifestée par sa fille, illustre un débat d’intérêt général et relève de la nécessaire information du public.
Pour sa part, Mme Y soutient n’avoir pas été avisée de la diffusion dans son intégralité de l’entretien qu’elle avait accordé plusieurs années auparavant et à laquelle elle n’a pas consenti. Elle considère que cette diffusion ne pouvait être justifiée par la nécessaire information du public dès lors que celui-ci ne pouvait être intéressé par les confidences privées qu’elle avait faites et qui étaient dépourvues d’intérêt dans la détermination d’un vote. Elle soutient que cette diffusion n’avait pour vocation que de créer ‘un effet de scoop sensationnel’ et d’alimenter la notoriété de la chaîne Internet de l’appelant.
Il ressort du procès-verbal de constat, établi le 5 juillet 2019 à la requête de Mme Y, que sur le site Internet www.youtube.com, en entrant dans la barre de recherche ‘G I le jamais diffusé’, l’huissier de justice a accédé à une vidéo de 9 minutes et 2 secondes publiée le 7 mai 2015 par ‘Z F absolu’. Après avoir visionné cette vidéo portant sur un entretien ayant eu lieu entre les parties, au cours duquel l’intimée s’était livrée à des confessions sur son ex-époux et ses enfants, et pris des captures d’écran, l’huissier de justice a reproduit les propos introductifs de M. X, précédant la diffusion de l’entretien litigieux :
‘J’ai retrouvé pour vous chers compatriotes, l’intégral de l’inénarrable interview de G I née B en 1998. Je me souvenais que lorsqu’on avait diffusé cette interview nous avions fait, à la demande du diffuseur, quelques coupes mais je n’imaginais pas la portée actuelle de ces propos jamais diffusés jusqu’à ce jour. Ecoutez bien, tout ce qui se joue aujourd’hui au sommet du FN était déjà annoncé dans ces confessions prémonitoires’.
L’examen des captures d’écran et la retranscription de l’entretien produite par l’appelant démontrent que celui-ci a été librement consenti par Mme Y, cette dernière se présentant en effet, sous une apparence soignée et souriante et répondant sans hésitation aux questions posées par M. X.
Si la prise licite de l’image de Mme X ne souffre aucune discussion, il n’est en revanche pas démontré qu’elle ait donné son consentement, d’une part, pour la publication de son image dix-sept ans après sa captation et, d’autre part, pour la diffusion de l’entretien dans son intégralité.
En effet, M. X ne conteste pas s’être abstenu d’informer l’intimée de ce qu’il envisageait de poster sur son site Youtube la vidéo litigieuse et il ressort de ses propres déclarations, en préambule de la vidéo, qu’à l’époque de l’entretien, des coupes avaient été réalisées, laissant ainsi supposer qu’un montage de l’interview avait été effectué. L’intimée indique d’ailleurs dans ses conclusions que, dans le passé, l’autorisation n’avait été donnée que pour la diffusion de certains passages de l’entretien.
Ainsi, la publication, sans autorisation, sur un site Internet, plusieurs années après sa réalisation, de l’intégralité de l’entretien et de l’image de Mme Y, sur l’exploitation de laquelle elle détient des droits exclusifs, a nécessairement porté atteinte au droit au respect de son image.
Les propos tenus par Mme Y sur la personne de son ex-époux et les dissensions existant entre les membres de la famille I, largement relayés par les média depuis plusieurs années, ne
présentent pas une importance suffisante rendant légitime la diffusion de la vidéo litigieuse pour l’information du public.
C’est donc par une exacte appréciation des faits qui lui ont été soumis que le premier juge, constatant une atteinte caractérisée au droit au respect de l’image de l’intimée, a ordonné la suppression de la vidéo sur le site Youtube. L’ordonnance entreprise sera donc confirmée de ce chef.
Elle le sera également du chef de la provision accordée à Mme Y, celle-ci ne justifiant pas l’étendue du dommage qu’elle allègue.
A cet égard, la cour relève que contrairement à ce que prétend l’intimée, il n’apparaît pas que M. X ait de nouveau publié la vidéo litigieuse sur sa chaîne ‘Z F absolu’ accessible au public sur le site Internet Dailymotion après l’avoir retirée de son compte Youtube en exécution de l’ordonnance entreprise.
En effet, le procès-verbal de constat, établi le 28 octobre 2020, sur lequel se fonde Mme Y, démontre que la vidéo a été postée sur le site Dailymotion le 11 juin 2015.
Le sort des dépens de première instance et l’indemnité allouée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ont été exactement appréciés par le premier juge.
Succombant en ses prétentions, M. X supportera les dépens d’appel et ne peut prétendre à une indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Il sera alloué à Mme Y, contrainte d’exposer des frais irrépétibles pour assurer sa défense, la somme de 2.000 euros sur le fondement de ce texte.
PAR CES MOTIFS
Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise ;
Condamne M. X dit Z F aux dépens d’appel et à payer à Mme Y la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président