Droit moral du photographe : 100 000 euros contre Artprice

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Droit moral du photographe : 100 000 euros contre Artprice

La société Artprice a été condamnée à payer 100 000 euros de dommages et intérêts à un photographe pour violation de son droit moral.

La société a porté atteinte au droit de l’auteur au respect de ses oeuvres en recadrant 182 de ses photographies qui ont été reproduites dans la base de données de l’éditeur électronique par découpage des catalogues des sociétés Camard et Artcurial et en y ajoutant la mention « Artprice Catalogs Library ».  

En application de l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Le droit d’auteur à la paternité de son oeuvre comporte également la faculté d’exiger que son nom figure seul sur une oeuvre dont il est l’auteur exclusif et de s’opposer à ce que sa création soit recouverte des noms de tierces personnes.  

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R É P U B L I Q U E  F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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Cour de cassation

Chambre commerciale financière et économique

13 octobre 2021

Pourvoi n° 20-10.604

DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 13 OCTOBRE 2021

La société Artmarket.com, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4], exerçant sous le nom commercial Artprice.com, a formé le pourvoi n° Q 20-10.604 contre l’arrêt rendu le 1er octobre 2019 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige l’opposant :

1°/ à M. [P] [Z], domicilié [Adresse 1],

2°/ à la société Camard et associés, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ à la société Canet, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Camard et associés, défendeurs à la cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Mollard, conseiller, les observations écrites de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Artmarket.com, de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de M. [Z], de la SCP Le Griel, avocat de la société Canet, ès qualités, et l’avis de Mme Beaudonnet, avocat général, après débats en l’audience publique du 22 juin 2021 où étaient présents M. Guérin, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Mollard, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.

1. Les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l’encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

2. En application de l’article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n’y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.

EN CONSÉQUENCE, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Artmarket.com aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Artmarket.com, déclare irrecevable la demande de la société Camard et associés et condamne la société Artmarket.com à payer à M. [Z] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize octobre deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES à la présente décision

Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société Artmarket.com

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d’avoir condamné la société Artprice.com à payer à M. [Z] la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des atteintes portées à son droit moral d’auteur ;

AUX MOTIFS QU’ «en application de l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre ;

Sur l’atteinte à la paternité des oeuvres ;

que l’examen des pièces versées aux débats par M. [Z] a permis à la cour de constater que la société Artprice a porté atteinte au droit à la paternité de M. [Z] en reproduisant ses photographies originales :

— sans mentionner son nom en tant qu’auteur :

• pour 3 367 photographies figurant dans des catalogues qui ont été entièrement numérisés par la société Artprice,

• pour 207 photographies numérisées par la société Artprice extraites de catalogues qui n’ont pas été entièrement numérisés ;

— en mentionnant son nom mais avec les noms d’autres photographes :

pour 2 236 photographies figurant dans des catalogues qui ont été entièrement numérisés par la société Artprice ;

qu’il est indifférent que M. [Z] ait pu, en des circonstances étrangères à la présente instance, consentir à ce que son nom ne soit pas mentionné dans des catalogues de maisons de vente aux enchères contenant des photographies dont il est l’auteur ; qu’il sera néanmoins tenu compte en l’espèce, du fait que des photographies de M. [Z] figuraient déjà dans des catalogues numérisés et reproduits par la société Artprice sans la mention de son nom et de sa qualité d’auteur ; que le droit d’auteur à la paternité de son oeuvre comporte la faculté d’exiger que son nom figure seul sur une oeuvre dont il est l’auteur exclusif et de s’opposer à ce que sa création soit recouverte des noms de tierces personnes ; que la société Artprice ne prétendant pas que les 2 236 photographies précitées ne sont pas les créations du seul M. [Z], elle se prévaut donc vainement du fait que le nom de M. [Z] est mentionné parmi les noms d’autres photographes qui ne sont pas les auteurs de ces 2 236 clichés, alors qu’il aurait dû figurer seul ;

Sur l’atteinte à l’intégrité des oeuvres ;

que l’examen des pièces versées aux débats par M. [Z] a permis à la cour de constater que la société Artprice a porté atteinte au droit de l’auteur au respect de ses oeuvres en recadrant 182 de ses photographies qui ont été reproduites dans la base de données litigieuse par découpage des catalogues des sociétés Camard et Artcurial et en y ajoutant la mention « Artprice Catalogs Library » ; que si certaines photographies originales de M. [Z] ont été recadrées par les maisons de vente aux enchères avant leur reproduction sur leurs catalogues, ce qui ressort du procès-verbal de constat d’huissier produit par la société Artprice (pièce 6), cette circonstance n’autorisait pas la société Artprice à faire subir aux clichés un nouveau recadrage par rapport à ceux qui avaient été consentis par le photographe en vue de leur parution dans les catalogues des maisons de ventes ; qu’en reproduisant les photographies de M. [Z] sur son site internet, découpées ou recadrées par rapport aux catalogues, et en y ajoutant de surcroît la mention « Artprice Catalogs Library », la société Artprice a porté atteinte au droit du photographe à l’intégrité de ces oeuvres ; que la cour dispose des éléments suffisants pour fixer à la somme de 100 000 € le montant des dommages et intérêts devant réparer les atteintes portées au droit moral d’auteur de M. [Z], le jugement étant réformé en ce sens » ;

ALORS QUE la cour d’appel n’est régulièrement saisie que des prétentions récapitulées dans le dispositif des dernières conclusions d’appel des parties ; qu’en condamnant la société Artprice.com à payer à M. [Z] la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant, notamment, de l’atteinte à la paternité de ce dernier sur ses oeuvres du fait de l’omission du nom de M. [Z] sur un certain nombre de photographies et de la mention de son nom avec celui d’autres photographes non auteurs des photographies en cause (cf. arrêt p. 9, §7), cependant que dans le dispositif de ses conclusions, qui seul saisissait la cour d’appel, Monsieur [Z] n’avait pas sollicité de réparation au titre du préjudice résultant de la mention de son nom avec celui d’autres photographes, la cour d’appel a méconnu l’article 954 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d’avoir condamné la société Artprice.com à payer à la société Camard la somme de 120.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant des atteintes portées à son droit de marque.

AUX MOTIFS QUE «l’article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle dispose :

« Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée ;

2° le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériel et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée » ;

que les actes de contrefaçon causent à la société Camard un préjudice au moins moral résultant de la banalisation et de la dépréciation de sa marque qui est apposée à grande échelle par la société Artprice sur le site internet sur lequel celle-ci exploite son activité d’information sur le marché de l’art ; que l’existence du risque de confusion qui résulte de l’usage qui est fait par la contrefactrice de la marque « Camard » entre les activités des deux sociétés doit également être pris en compte ; qu’au plan matériel, il doit être retenu que la société Artprice tire un bénéfice certain de la mise en ligne des catalogues revêtus de la marque en cause, qu’elle fait payer à ses clients, sous forme d’abonnements, l’accès à sa base de données par le biais de son service « artprice image » et qu’elle revendiquait en 2010, plus de 1,3 million d’abonnés et un chiffre d’affaires annuel pour ce seul service « artprice images » de 1 314 619 € (pour la période 08/2007 – 08/2008) ; que la société prétend être le leader mondial de l’information sur le marché de l’art ; qu’il doit certes être tenu compte du fait que ce service ne concerne pas seulement les catalogues Camard ; que l’attestation de la société Artprice, émanant de son président et de son directeur administratif et financier, selon laquelle la proportion des catalogues Camard dans sa base de catalogues au 1er avril 2010 était de 0,10 %, doit être considérée avec une certaine circonspection ; que la société Camard observe en outre pertinemment qu’il convient de prendre en compte les ventes aux enchères en ligne, permises au moins en partie grâce à l’utilisation de la marque « Camard » sur le site internet de la société Artprice ; que la cour dispose ainsi des éléments suffisants pour fixer à la somme de 120 000 € le montant des dommages et intérêts devant réparer le préjudice subi par la société Camard du fait de la contrefaçon de sa marque n° 3 172 502 » ;

1°/ ALORS QUE le motif dubitatif équivaut à une absence de motifs ; qu’en affirmant que les actes de contrefaçon causaient à la société Camard un préjudice « au moins moral » (cf. arrêt p. 14, §1), la cour d’appel, qui a laissé planer un doute quant à l’étendue réelle des préjudices dont elle a ordonné la réparation, a violé l’article 455 du code de procédure civile ;

2°/ ALORS QUE pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction doit notamment prendre en considération les bénéfices réalisés par le contrefacteur ; que pour fixer à la somme de 120 000 € les dommages intérêts dus par la société Artprice.com en réparation des préjudices subis par la société Camard au titre des atteintes portées à son droit de marque, la cour d’appel s’est référée au chiffre d’affaires annuel réalisé par la société Artprice.com pour la période 08/2007 – 08/2008 avec le service « artprice images » (cf. arrêt p. 14, §3) ; qu’en statuant ainsi, quand il lui appartenait de prendre en compte les bénéfices réalisés par cette dernière à travers l’exploitation de la seule marque « Camard » contrefaisante, la cour d’appel a violé l’article L. 716-14, devenu L. 716-4-10, du code de la propriété intellectuelle.


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