Une pose adoptée révèle qu’une photographie n’est pas prise à l’insu de la personne photographiée (accord tacite). Une photographie d’un membre de la famille princière de Monaco n’a pas été jugée comme portant atteinte au droit à l’image dès lors qu’elle présentait un caractère officiel et qu’elle a déjà été diffusée à de très nombreuses reprises. Par ailleurs, elle illustrait pertinemment la teneur de l’article qui évoquait la passion commune d’un fils et de son père pour le bateau de course.
_________________________________________________________________________________
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE VERSAILLES
1re chambre 1re section
ARRÊT DU 09 NOVEMBRE 2021
N° RG 20/05189
N° Portalis DBV3-V-B7E-UDXZ
AFFAIRE :
X, Y, A Z
C/
S.A.S. PRISMA MEDIA
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Décembre 2018 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
LE NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT ET UN,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur X, Y, A Z
né le […] à […]
de nationalité Monégasque
Clos Saint-X
Avenue Saint-Martin
[…]
représenté par Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & ASSOCIES, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 – N° du dossier 20200792
Me Alexandre HUMBERT-DUPALAIS substituant Me Alain TOUCAS de la SELASU Alain Toucas-Massillon, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : D1155
APPELANT
****************
S.A.S. PRISMA MEDIA
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
N° SIRET : 318 826 187
13 rue Henri-Barbusse
[…]
représentée par Me Denis SOLANET, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 384
Me Margot BAILLY substituant Me Olivier D’ANTIN de la SCP D’ANTIN BROSSOLLET et Associés, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : P0336
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 20 Septembre 2021, Madame Sixtine DU CREST, Conseiller ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Anne LELIEVRE, Conseiller, faisant fonction de Présidente,
Madame Nathalie LAUER, Conseiller,
Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL
FAITS ET PROCÉDURE
La société Prisma Media (ci-après ‘société Prisma Media’) a publié dans le numéro 1242 paru le 29 mars 2017 du magazine GALA qu’elle édite, sous le titre « X Z – Plus que jamais dans les pas de son père défunt », un article, illustré de cinq clichés représentant M. X Z enfant ou adulte parfois accompagné de ses parents et placé en pages 52 et 53 de la rubrique « Gotha », évoquant la naissance de l’enfant de M. X Z en rapportant l’événement à la mort de son père pour opérer un parallèle avec lui. A cette occasion, le magazine a également révélé le prénom du fils de M. X Z, jusqu’alors tenu secret par ses parents.
Estimant cette publication attentatoire à sa vie privée et à son droit sur son image, M. X Z a assigné la société Prisma Media devant le tribunal judiciaire de Nanterre par acte du 28 juillet 2017, sur le fondement des dispositions des articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, aux fins notamment de voir condamner la société Prisma Media à lui verser une somme de 15.000 euros de dommages et intérêts et ordonner la publication dans le prochain numéro du magazine, sous astreinte de 10.000 euros par numéro de retard, d’un encart mentionnant cette condamnation.
C’est dans ces circonstances que, par jugement rendu le 13 décembre 2018, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
— rejeté l’intégralité des demandes de M. Z ;
— l’a condamné à verser à la société Prisma Media 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamné aux dépens.
M. Z a interjeté appel de ce jugement le 23 octobre 2020 à l’encontre de la société Prisma Media.
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 mars 2021, M. X Z demande à la cour, au fondement de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, des articles 9 et 1240 du code civil et de l’article 700 du code de procédure civile, de :
— infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre ;
Statuant à nouveau,
— le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes ;
— dire et juger qu’en publiant dans le numéro 1242 du magazine Gala daté du 29 mars l’article contesté, la société Prisma Media a porté atteinte au respect de la vie privée et aux droits que M. Z détient sur son image ;
En conséquence,
— condamner la société Prisma Media à lui verser 15.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l’atteinte à sa vie privée et aux droits dont il dispose sur son image ;
— ordonner aux frais de la société Prisma Media, sous astreinte de 10.000 euros par numéro de retard, une publication judiciaire de la condamnation en totalité de la page de couverture du prochain numéro du magazine Gala suivant la signification de la décision à intervenir, sans cache ni dispositif de nature à en réduire la visibilité et de manière parfaitement apparente,
— ordonner l’exécution provisoire ;
— condamner la société Prisma Media à lui verser la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens dont le recouvrement sera effectué conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 janvier 2021, la société Prisma Media demande à la cour de :
— confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
— débouter M. Z de toutes ses demandes,
— condamner M. Z à lui verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;
— à titre infiniment subsidiaire, n’allouer à M. Z d’autre réparation que de principe et le débouter de sa demande de publication judiciaire.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 3 juin 2021.
SUR CE, LA COUR,
Sur les limites de l’appel,
Il ressort des écritures susvisées que le jugement est querellé en son entier dispositif.
Sur l’atteinte portée à la vie privée par la révélation du prénom
Moyens des parties
M. X Z poursuit l’infirmation du jugement, au fondement de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que des articles 9 et 1240 du code civil, en ce qu’il a rejeté sa demande tendant à réparer son préjudice né de l’atteinte portée à sa vie privée par la révélation dans l’article litigieux du prénom de son fils, jusque-là gardé secret par sa famille.
S’appuyant sur une décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 24 octobre 1996 Guillot c/ France) au visa de l’article 8 de la Convention, il soutient d’une part, que le prénom concerne la vie privée et familiale d’un individu et d’autre part, que le choix du prénom d’un nouveau-né revêt un caractère intime et affectif et entre donc dans la sphère privée des parents. Il ajoute que les attendus de cette décision ont une valeur juridique quand bien même l’affaire porterait sur la question de l’attribution, et non la révélation, d’un prénom.
Se fondant sur un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation (Civ 1e, 18 octobre 2017, n°16-19.740), il insiste sur la différence existant entre d’une part, la communicabilité du prénom à un tiers et d’autre part, sa divulgation dans un magazine à grand tirage, laquelle constitue une atteinte à la vie privée, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un enfant qui n’a aucune fonction officielle et n’est impliqué dans aucun événement d’actualité. Il en déduit que c’est à tort que le jugement a considéré que le prénom ne relevait pas de la sphère privée puisqu’il était accessible aux tiers sur simple demande.
Il ajoute qu’à la date de l’article ni lui ni le communiqué officiel de la maison princière n’avaient annoncé officiellement le prénom de l’enfant.
Il précise par ailleurs que l’enfant est inscrit à l’état-civil monégasque, dont les règles diffèrent de l’état-civil français, et que, par conséquent, il n’était pas possible d’accéder à son prénom via les registres de l’état-civil français. Il insiste sur l’article 68 du code civil monégasque qui n’autorise la délivrance de copie d’acte d’état-civil aux seuls ‘requérants intéressés’, c’est-à-dire aux demandeurs ayant un intérêt légitime.
Sur la révélation du prénom par le magazine Hola trois semaines avant la parution de l’article de Gala, l’appelant réplique qu’il s’agit d’un magazine en langue espagnole et qu’une atteinte fautive ne saurait être excusée par une autre atteinte fautive antérieure.
Poursuivant la confirmation du jugement, la société Prisma Media sollicite le rejet des prétentions de M. Z. Elle fait valoir que c’est à bon droit que le jugement, au fondement de l’article 101-1 du code civil (publicité des actes d’état-civil) et des articles 30 et suivants du décret n°2017-890 du 6 mai 2017 relatif à l’état civil, a considéré que le prénom échappe par sa nature à la sphère protégée de l’article 9 du code civil. Elle ajoute que l’article 33 du décret précité est en tout point identique à l’article 68 du code civil monégasque ouvrant à tout requérant la possibilité de se faire délivrer un extrait d’acte de naissance sans indication de la filiation.
Elle conteste par ailleurs l’application au litige des jurisprudences évoquées par l’appelant, au motif qu’elles concernent des cas d’espèce différents.
Enfin, elle fait valoir que cette révélation, à la supposer fautive, n’est nullement imputable à la société Prisma Media puisque le 9 mars 2017, Paris Match a publié un article révélant le prénom de l’enfant d’après les informations du magazine espagnol ‘Hola!’.
Appréciation de la cour
L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme stipule que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
L’article 10 de cette Convention stipule que toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
L’article 9 du code civil dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent,
sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.
Toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, a droit au respect de sa vie privée.
D’après l’article 57 du code civil, l’acte de naissance énoncera le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’enfant, les prénoms qui lui seront donnés, le nom de famille, (…). Les prénoms de l’enfant sont choisis par ses père et mère.
L’article 33 du décret n°2017-890 du 6 mai 2017 relatif à l’état civil prévoit que les dépositaires des registres [d’état civil] sont tenus de délivrer à tout requérant les extraits des actes de naissance et des actes de mariage sans indication de la filiation. Les extraits d’acte de naissance sans indication de la filiation mentionnent, sans autres renseignements, le jour, le mois, l’année, l’heure et le lieu de naissance, le sexe, les prénoms et le nom de l’enfant.
L’article 68 du code civil monégasque prévoit que l’officier de l’état civil délivre des extraits des actes de naissance et de mariage aux requérants intéressés. Les extraits d’acte de naissance n’indiquent que l’année, le jour, l’heure et le lieu de naissance, le sexe, les prénoms et nom de la personne concernée, tels qu’ils résultent des énonciations de l’acte de naissance ou des mentions portées en marge de cet acte et, éventuellement, les mentions d’adoption simple, de mariage, de divorce, de séparation de corps et de décès.
*
En l’espèce, il est constant que l’article litigieux daté du 29 mars 2017, soit un mois après la naissance de l’enfant, a révélé son prénom ‘A’ et fait un parallèle avec son grand père paternel qui portait le même prénom.
Les premiers juges ont considéré que le prénom ne pouvait être protégé au titre de la protection de la vie privée au motif qu’il était accessible aux tiers dans le cadre de la communication à tout requérant d’acte d’état civil.
En l’espèce, il convient d’apprécier si l’accès au prénom par la communication d’un acte d’état civil suffit à le faire sortir de la sphère protégée de la vie privée, si l’article litigieux a réellement opéré une révélation et si les informations révélées étaient anodines ou pas.
Le prénom d’une personne, comme son patronyme, en tant que moyen d’identification au sein de la famille et de la société, concerne sa vie privée et familiale. Le choix du prénom de l’enfant par ses parents au moment de sa naissance, revêt un caractère intime et affectif, et entre dans la sphère privée de ces derniers. (CEDH 24 octobre 1996 Guillot c/ France).
Le respect dû à la vie privée est en l’espèce renforcé puisqu’il s’agit du prénom d’un enfant qui n’exerce aucune fonction officielle.
Conformément à l’article 68 du code civil monégasque, le prénom du fils de M. et Mme Z est communicable à tout requérant ‘intéressé’. L’appelant explique que le requérant doit justifier d’un ‘intérêt légitime’ pour obtenir copie d’un extrait d’acte de naissance. Il ne démontre cependant pas en quoi l’adjectif ‘intéressé’ ou cet ‘intérêt légitime’ seraient particulièrement restrictifs au point d’empêcher la communication du prénom aux tiers. Il y a donc lieu de considérer que le prénom de l’enfant, qui relève au départ de la sphère privée, est communicable aux tiers, à partir du moment où il est inscrit sur les registres d’état civil.
L’appelant conteste cependant que sa communicabilité aux tiers suffise à faire sortir le prénom de la sphère privée. Il cite sur ce point une jurisprudence correspondant à la révélation par un ouvrage de la filiation adoptive d’une personne, après l’expiration du délai de 75 ans, prévu par l’article L. 213-2, I,°, e), du code du patrimoine, au terme duquel les registres de l’état civil deviennent des archives publiques communicables à toute personne qui en fait la demande (Civ 1e, 18 octobre 2017, n°16-19.740). Dans cet arrêt, la Cour de cassation, après avoir rappelé que l’établissement de la filiation relève de la sphère privée et bénéfice comme tel de la protection de l’article 9 du code civil et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, a considéré que c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la divulgation dans un ouvrage destiné au public, même au terme du délai de 75 ans, sans le consentement de la personne portait atteinte à sa vie privée. Il en déduit une distinction entre la communicabilité aux tiers et la publication à grande échelle par voie de presse.
Force est de constater que la publication à grande échelle par voie de presse est en effet beaucoup plus attentatoire au respect dû à la vie privée. Il convient cependant de noter que cet arrêt concernait la filiation, laquelle est davantage protégée que le prénom et n’est pas communicable aux tiers dans le cadre de la communication d’extrait d’acte de naissance. Cet arrêt n’est donc pas transposable en l’espèce.
Par ailleurs, le délai d’un mois qui s’est écoulé entre la naissance de l’enfant et la publication de l’article suffit à considérer que, si révélation il y a eu, elle n’a pas eu lieu au moment de la naissance de l’enfant, mais plusieurs semaines après. La diffusion dans un article du prénom de l’enfant de M. et Mme Z, constitue donc une information anodine et objective.
Enfin, la cour observe que trois semaines auparavant, dans un article publié le 7 mars 2017 sur le territoire français et en langue française, le magazine Paris Match, reprenant la teneur d’un article du magazine espagnol ‘Hola!’, a révélé le prénom de l’enfant quelques jours après sa naissance (pièce 5 de l’intimée). Il en résulte qu’à la date de l’article litigieux, le prénom de l’enfant était déjà devenu public. Ce n’est donc pas une révélation qu’a opéré le magazine Gala en publiant son article le 29 mars 2021. La relation de faits publics déjà divulgués ne peut constituer en elle-même une atteinte à la vie privée.
En conséquence, c’est exactement que le jugement a considéré que la publication du prénom du fils de M. et Mme Z dans l’article litigieux ne constituait pas une atteinte à la vie privée et ne devait donc pas être considérée comme fautive. Le jugement sera confirmé sur ce point et l’appelant débouté de sa demande.
Sur l’atteinte portée à la vie privée par l’article litigieux
Moyens des parties
Invoquant le fait que l’atteinte portée à sa vie privée par l’article litigieux n’était aucunement justifiée, M. X Z poursuit l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté sa demande d’indemnisation de préjudice.
Au fondement de l’article 9 du code civil, de l’article 12 de la déclaration universelle des droits de l’homme et de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il fait valoir que le respect de la vie privée est un droit absolu qui concerne toute personne, quelque soit son rang, sa naissance, sa fortune ou ses fonctions présentes ou à venir.
Il rappelle les critères dégagés par la jurisprudence pour concilier protection de la vie privée (article 8) et liberté de la presse (article 10) (CEDH, 7 février 2012, Von Hannover c/ Allemagne (n°2 – § 106) ; CEDH, 7 février 2012, C D AG c/ Allemagne ; Civ. 1e, 11 mars 2020, n°19-13.976) et démontre en quoi, selon lui, aucun des critères n’est rempli et, de ce fait, rien ne justifiait un tel article attentatoire à sa vie privée :
— M. Z n’exerce aucune fonction particulière au sein de la famille princière ni au sein du gouvernement de la Principauté de sorte que l’article ne peut être considéré comme contribuant à un débat d’intérêt général ;
— occupant une place secondaire au sein de la famille princière de Monaco, la notoriété de M. Z est relative et n’est pas susceptible de venir minorer son droit à la vie privée ;
— l’objet du reportage est la naissance de l’enfant de M. Z avec un parallèle, jugé de mauvais goût, avec son défunt père ;
— sur son comportement antérieur, M. Z estime n’avoir jamais fait preuve de complaisance à l’égard des publications de la presse à sensation, attaquant systématiquement les atteintes à sa vie privée ;
— s’agissant du contenu, de la forme et des répercussions de la publication, M. Z indique avoir été particulièrement choqué et meurtri par la publication de photographies de son défunt père, les supputations faites par l’article sur les répercussions de la mort de ce dernier sur ses propres choix de vie, et le parallèle malveillant entre la fin tragique de ce dernier et son propre destin.
La société Média Prisma réplique que la diffusion d’informations déjà notoirement connues du public ne constitue pas une atteinte au respect de la vie privée qui s’entend moins strictement, s’agissant de personnalités publiques, si bien que n’excèdent pas les limites de la liberté d’expression les commentaires et digressions convenus que peuvent susciter les événements d’actualité jalonnant leur parcours.
Elle fait valoir que la notoriété des intéressés et la naissance d’un enfant au sein de la famille princière monégasque, annoncée par communiqué de presse, constitue un événement d’actualité auquel la société intimée pouvait légitimement consacrer un article.
Elle soutient par ailleurs que M. Z aurait une attitude ambivalente vis-à-vis des médias dans la mesure où, en premier lieu, il a déjà fait des déclarations et posé avec son épouse, à bord d’un voilier dans la baie de Monaco, en 2015 pour le magazine Paris Match qui leur a consacré un article sur leur rencontre et leur mariage, et, en second lieu, son épouse a donné une interview au quotidien italien ‘Corriere dela Sera’ en octobre 2017 dans lequel elle parle de son accouchement, de sorte que le couple n’a pas entouré cette naissance de toute la discrétion qu’impliquerait, selon elle, la posture judiciaire de M. Z.
La société Prisma Media explique que les digressions auxquelles s’est livré le magazine Gala sur les ressemblances père-fils sont convenues, reposent sur des faits notoirement connus et ne constituent pas une intrusion, le décès de A Z, père de X Z, faisant partie intégrante de l’histoire de la Principauté.
Elle ajoute que les propos rapportés du psychiatre X-G H sur les conséquences psychologiques du décès d’un parent chez un enfant relève de l’avis d’un professionnel sur un événement connu de tous, sans qu’il ne soit nullement rapporté que X Z ait consulté cette personne.
Elle en conclut que le jugement qui a exclu l’existence d’une atteinte au respect de la vie privée doit être confirmé.
Appréciation de la cour
Le droit au respect dû à la vie privée et à l’image d’une personne et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime. Pour effectuer cette mise en balance des droits en présence, il doit prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que les circonstances de la prise des photographies, et procéder, de façon concrète, à l’examen de chacun de ces critères.
En l’espèce, en premier lieu, la publication incriminée ne contribue pas à un débat d’intérêt général au sens où elle n’a pas trait à un sujet concernant l’ensemble de la collectivité. Elle traite néanmoins un événement d’actualité ayant été annoncé par communiqué de presse et notoirement connu.
En second lieu, force est de constater que l’enfant appartient à la famille princière de Monaco, laquelle jouit d’une notoriété certaine non seulement au sein du territoire de la Principauté mais également en France. Même si M. X Z n’a pas de fonction officielle et n’est pas prioritaire dans l’ordre de succession au trône, il demeure, en raison de ses liens familiaux proches avec son oncle le E F de Monaco, une personne publique.
En troisième lieu, l’objet du reportage est la naissance de A Z, laquelle avait été annoncée par communiqué de presse, et le fait qu’il porte le même prénom que son grand père paternel. Il s’agit d’une thématique convenue autour d’un événement d’actualité.
S’agissant du comportement antérieur de la personne concernée, la cour considère qu’au vue des pièces produites, le comportement de M. Z ne saurait être qualifié ‘d’ambivalent’. L’article publié dans Paris Match en 2015 ne constitue pas une interview mais un article consacré au jeune couple dans lequel M. X Z et son épouse ont posé sur un voilier et ont eu un échange avec le journaliste sur un sujet distinct (leur rencontre et leur mariage). L’article du quotidien italien ‘Corriere dela Sera’ dans lequel Mme Z évoque son accouchement est quant à lui postérieur à la publication litigieuse et ne saurait par conséquent être pris en compte. La cour précise que le seul fait d’avoir coopéré avec la presse antérieurement n’est pas de nature à priver l’intéressé de toute protection contre la publication d’articles ou de photographies litigieuses. Dès lors, elle considère que M. X Z n’a pas eu une attitude ambivalente avec la presse, les échanges qu’il a pu livrer à Paris Match en 2015 s’expliquaient par sa notoriété et n’ont pas outrepassé la pudeur ou l’intimité qui sied en pareille circonstance.
Enfin, s’agissant du contenu, de la forme et des répercussions de la publication, la cour observe que le reportage litigieux n’est pas annoncé en couverture mais se situe sur une double page en pages 52 et 53 du magazine. Il est constitué de cinq photographies qui occupent la surface d’une page et demie, ainsi que d’un article sur deux colonnes avec un titre écrit en gros caractères ‘X Z plus que jamais dans les pas de son père défunt’ et deux phrases mises en exergue en gras : ‘En prénommant son fils A, le cadet de la princesse Caroline prouve une nouvelle fois son attachement à la figure paternelle’ et ‘une même passion pour la vitesse et les bateaux de course’. La cour ne note aucun propos dégradant ou malveillant, et précise que l’article vante au contraire l’élégance et la ténacité de X Z. Le parallèle effectué entre X Z et son père sur une ressemblance physique, des études en économie et une passion commune pour les courses de bateau constitue une digression convenue reposant sur des faits objectifs et déjà connus. Les propos rapportés du psychiatre X-G H relatifs à la volonté de transmission et au manque observés chez les enfants ayant perdu leur père jeunes touchent à une thématique générale, susceptible de concerner n’importe quel enfant. Ils n’ont pas une teneur humiliante ou dégradante.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’article litigieux ne constitue pas une atteinte au respect dû à la vie privée. Le jugement sera confirmé sur ce point et les demandes de l’appelant à ce titre seront rejetées.
Sur l’atteinte aux droits dont dispose l’appelant sur son image
Moyens des parties
Invoquant le respect de son droit sur son image sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 9 du code civil, M. Z poursuit l’infirmation du jugement en ce qu’il a rejeté sa demande d’indemnisation du préjudice né de l’atteinte portée à celui-ci par la publication de cinq clichés le représentant dans diverses circonstances.
Il fait valoir qu’aucun accord n’a été donné à la société Prisma Media pour leur utilisation dans l’article litigieux. Il ajoute d’une part, que deux photographies sur les cinq ne sont pas des photographies officielles et d’autre part, que les trois autres, bien qu’officielles, ont été sorties de leur contexte et détournées. Ces photographies visent, selon lui, à inciter le lecteur à une forme de compassion et sont constitutives d’une mise en scène afin de rendre l’article plus vendeur. M. Z en conclut que l’atteinte aux droits dont il dispose sur son image est constituée et doit être réparée.
Poursuivant la confirmation du jugement, la société Prisma Média sollicite le rejet des demandes de M. Z. Elle fait valoir que les photographies publiées sont officielles et consenties de sorte que l’appelant ne peut exciper d’une atteinte à son droit à l’image.
Appréciation de la cour
Au fondement de l’article 9 du code civil, la jurisprudence a élaboré la protection du droit dont chacun dispose sur l’utilisation ou la reproduction de son image. Chacun dispose sur son image d’un droit exclusif lui permettant de s’opposer à sa fixation, à sa reproduction ou à son utilisation sans son autorisation préalable.
L’article litigieux est accompagné de cinq photographies :
— la plus grande, sur une page, est une photographie du mariage de X Z et son épouse,
— quatre autres photographies de plus petit format représentent : les parents de X Z au jour de leur mariage, les parents de X Z avec leur dernier bébé dans les bras de sa mère le 5 décembre 1987, X Z adulte sur un bateau, et X Z, enfant, sur les genoux de son père à l’intérieur d’un speedboat.
La cour note que trois photographies sont officielles (celle des parents de X Z au jour de leur mariage, les parents de X Z avec ce dernier bébé dans les bras de sa mère, X Z et son épouse le jour de leur mariage). L’appelant estime que ces photographies ont été sorties de leur contexte et détournées. La cour considère cependant qu’elles présentent un lien évident avec la naissance du jeune A Z, événement familial heureux qui se situe dans le prolongement des mariages et naissances précédents au sein de la famille princière.
Deux autres photographies ne sont pas officielles : X Z sur un bateau et X Z, enfant, sur les genoux de son père à l’intérieur d’un speedboat le 29 septembre 1989 (selon les conclusions de l’appelant) ou 1990 (selon l’article litigieux).
X Z et son père y sont reconnaissables, ce point n’est pas discuté. L’appelant fait valoir que rien ne permet de supposer qu’un quelconque accord a été donné pour leur fixation, leur reproduction et que, dans tous les cas, aucun accord n’a été donné à la société Prisma Media pour leur utilisation aux fins d’illustration de l’article litigieux. Selon lui, ces photographies ont eu pour objet d’inciter le lecteur à une forme de compassion afin de rendre l’article plus vendeur. L’intimée réplique que ces photographies sont officielles et consenties.
La cour observe que l’une de ses photographies, prise selon un plan américain (coupée à mi-cuisse), représente M. X Z adulte sur un bateau en mer ou au port, donc dans un lieu public. La copie de l’article litigieux produite à la cour par l’appelant étant partiellement coupée, il n’est pas possible à la cour de voir le visage de M. X Z sur cette photographie. La pose adoptée révèle que la photographie n’est pas prise à son insu. La cour en déduit que sa fixation a donc été consentie. En outre, cette photographie illustre la teneur de l’article qui évoque la passion de l’appelant pour le bateau de course, passion qui était également partagée par son père.
S’agissant de la dernière photographie de X Z âgé de 3 ans sur les genoux de son père dans un speedboat, quelques jours avant le décès de celui-ci, il s’agit également d’une photographie prise sur un bateau à quai, dans un lieu public. Cette photographie, qui ne porte pas atteinte à la dignité des sujets photographiés, a déjà été diffusée à de très nombreuses reprises. L’appelant ne démontre pas l’absence de consentement donné à sa diffusion. Elle illustre pertinemment la teneur de l’article qui évoque la passion commune de A Z, père, et de X Z pour le bateau de course. Elle n’est donc pas constitutive d’une atteinte portée au droit dont l’appelant dispose sur son image.
En conséquence, c’est exactement que les premiers juges ont considéré qu’aucune atteinte n’avait été portée au droit au respect de la vie privée et au droit dont chacun dispose sur son image. C’est donc à juste titre que le tribunal a débouté M. X Z de ses demandes. Le jugement sera donc confirmé.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
M. Z sollicite la condamnation de la société Prisma Media à lui verser 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et sa condamnation aux dépens conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
La société Prisma Media sollicite la condamnation de M. Z à lui verser 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et sa condamnation aux dépens.
Le jugement, qui a exactement statué sur les dépens et les frais irrépétibles, sera confirmé de ces chefs.
X Z, qui succombe en son appel, sera condamnée aux dépens d’appel. De ce fait, sa demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
Il sera en outre condamné à verser 1500 euros à la société Prisma Media au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
CONFIRME le jugement en toutes ces dispositions ;
Y ajoutant,
CONDAMNE M. X Z à verser à la société Prisma Media 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
CONDAMNE M. X Z aux dépens d’appel ;
REJETTE toutes autres demandes.
— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
— signé par Madame Anne LELIEVRE, conseiller faisant fonction de présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente