La pose irrégulière de caméras de vidéo-surveillance dans les parties communes d’une copropriété est constitutive d’un préjudice. Cependant, il appartient à la personne qui se prévaut de ce préjudice de rapporter la preuve de sa réalité. La seule présence de trois caméras de vidéo-surveillance, dont on ne sait même pas si elles sont actives, ne saurait suffire à caractériser l’existence du préjudice allégué.
S’agissant d’une copropriété, la pose de ces trois caméras à tout le moins sur des parties communes, avec un positionnement leur donnant une vision sur les parties communes mais aussi sur les parties privatives de Mme X Y, constitue un trouble certain, trouble manifestement illicite, l’intimée reconnaissant dans ses écritures une pose sans tenue ni approbation par une assemblée générale de la copropriété.
Cette absence de vote en assemblée générale dans le cadre d’une copropriété suffit, en effet, à caractériser l’illicéité manifeste du trouble.
La juridiction a fait droit à la demande de retrait de caméras de vidéo-surveillance et compte tenu du climat extrêmement délétère existant entre les parties (copropriétaires) a assorti sa décision d’une astreinte.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 7 JUILLET 2021
N° RG 20/00267
N° Portalis DBVE-V-B7E-B6RN JJG – C
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance Référé, origine Président du TJ de BASTIA / FRANCE, décision attaquée en date du 27 Mai 2020, enregistrée sous le n° 20/00066
APPELANTE :
Mme X Y
née le […] à […]
lieu-dit Macchiuncellu
20243 PRUNELLI-DI-FIUMORBO
Représentée par Me M K-L, avocate au barreau de BASTIA
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/964 du 13/07/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de BASTIA)
INTIMEE :
Mme Z A
né le […] à […]
[…]
[…]
20243 PRUNELLI-DI-FIUMORBO
Représenté par Me Pascale MELONI, avocate au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR :
Conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile et de l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 6 mai 2021, par Jean-Jacques GILLAND, président de chambre, chargé du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte de son rapport dans le délibéré de la cour, composée de :
Jean-Jacques GILLAND, président de chambre
Judith DELTOUR, conseillère
Stéphanie MOLIES, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
B C.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 7 juillet 2021.
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Jean-Jacques GILLAND, président de chambre, et par Cécile BORCKHOLZ, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS
Par acte d’huissier du 12 décembre 2019, Mme X Y a fait assigner Mme Z A par-devant le président du tribunal de grande instance de Bastia statuant en référé aux fins que :
‘- soit ordonné le retrait immédiat des dispositifs de vidéo-surveillance installés par Z A dans la propriété Y située lieu dit […] orientés sur l’entrée de la propriété, la cour, l’entrée sur cour
de l’habitation de X Y,
— soit ordonnée la destruction immédiate des images tirées des dispositifs de vidéo
surveillance ainsi orientés, stockées et archivées sur quelques médias que ce soit depuis
leur installation,
— soit jugé que Z A devra justifier par constat d’huissier transmis à X Y de la destruction complète des images tirées des dispositifs de vidéo surveillance stockées et/archivées sur quelques médias que ce soit depuis leur installation,
— soit fait injonction à Z A de respecter strictement les obligationsqui lui sont fixées et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard jusqu’à parfaite exécution passé un délai de 8 jours à compter de la notification de la décision à intervenir,
— Z A soit condamnée par provision à verser à X Y la somme de 3000 euros pour violation de sa vie privée et de son droit à image,
— Z A soit condamnée a verser a X Y la somme de 1500euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, dont droit de recouvrement direct au profit de Maître K-L M, Avocat,
— Z A soit condamnée au paiement des entiers dépens.’
Par ordonnance du 27 mai 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bastia a :
‘Au principal, renvoyé les parties à se pourvoir et cependant, dès à présent et par provision :
Dit n’y avoir lieu à référé sur l’ensemble des demandes formées à l’encontre de Madame X Y.
Débouté Madame Z A de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Condamné X Y à payer à Z A la somme de 2000 euros
au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Condamnons X Y à payer les entiers dépens.’
Par déclaration au greffe du 27 mai 2020, Mme X Y a interjeté appel de l’ordonnance prononcée en ce qu’elle a :
‘- dit n’y avoir lieu à référé sur l’ensemble des demandes formées à l’encontre de Madame Z A.
— condamné X Y à payer à Z A la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 CPC
— condamné X Y à payer les entiers dépens.’
Par conclusions déposées au greffe le 27 septembre 2020, Mme X Y a demandé à la cour de :
‘Vu l’article 835 du Code de procédure civile
Vu l’article 9 du Code civil
Vu l’article 484 du Code de procédure civile Vu la loi n°65-557 du 10 juillet 1965
Vu la loi n°78-17 Informatique et liberté du 6 janvier 1978 et ses modifications subséquentes.
Vu les alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Vu le Code de Sécurité Intérieur
Vu la loi LOPPSI n o 2011-267 du 14 mars 2011
Vu l’Ordonnance n°2018-1125 du 12 décembre 2018
Vu le Règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 du Parlement Européen et du Conseil
INFIRMER l’ordonnance du 27 mai 2020 en toutes ses dispositions
Et statuant de nouveau,
REJETER les demandes d’Z A
CONDAMNER Z A à retirer les dispositifs de vidéo-surveillance orientés sur l’entrée de la copropriété Y et le logement de X Y sis Lieu-dit […], sous astreinte de 50 ‘ par jour de retard jusqu’à parfaite exécution passé un délai de 8 jours à compter de la notification de la décision à intervenir
CONDAMNER Z A à détruire toutes les images et vidéos de X Y tirées des dispositifs de vidéo-surveillance querellés, stockées et/ou archivées sur quelques médias que ce soit depuis l’installation des dits dispositifs, sous astreinte de 50 ‘ par jour de retard jusqu’à parfaite exécution passé un délai de 8 jours à compter de la notification de la décision à intervenir
CONDAMNER Z A à justifier par constat d’huissier, de la destruction complète des images tirées des dispositifs de vidéo-surveillance querellés, stockées et/ou archivées sur quelques médias que ce soit depuis l’installation des dispositifs.
CONDAMNER, par provision sur dommages et intérêts, Z A à verser à X Y la somme de 3000 ‘ pour violation de sa vie privée et de son droit à image.
CONDAMNER Z A à verser à X Y la somme de 2500 ‘ au titre de l’article 700 CPC avec distraction au profit de Me K-L M qui procédera conformément aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
CONDAMNER Z A aux dépens de l’instance d’appel, et de 1re instance, en ce compris le constat d’huissier.
SOUS TOUTES RÉSERVES’
Par conclusions déposées au greffe le 13 octobre 2020, Mme Z A a demandé à la cour de :
‘Vu l’acte introductif d’instance,
Vu les pièces versées aux débats ;
Vu l’article 834 du CPC anciennement 809,
Constater que la preuve d’un trouble manifestement illicite n’est pas démontré
En conséquence,
Dire n’y avoir lieu à référé,
À titre subsidiaire,
Dire que la demande telle que dirigée contre Madame Z A, locataire et
étrangère à l’installation de ce système de caméra de surveillance est irrecevable
À titre infiniment subsidiaire,
Débouter Madame X Y de toutes ses demandes fins et conclusions mal
fondées.
La condamner à payer à Madame Z A la somme de 5 000 Euros a titre de
dommages et intérêts pour procédure abusive et dilatoire.
La condamner à payer à Madame Z A la somme de 3 000 Euros au visa de l’article 700 du CPC
SOUS TOUTES RÉSERVES’
Par ordonnance du 25 novembre 2020, la procédure a été clôturée et fixée à plaider au 6 mai 2021.
Le 6 mai 2021, la présente procédure a été mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe le 7 juillet 2021.
La cour, pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, fait, en application de l’article 455 du code de procédure civile, expressément référence à la décision entreprise ainsi qu’aux dernières conclusions notifiées par les parties.
SUR CE
* Sur l’existence d’un trouble manifestement illicite
Il convient de relever que trois caméras de vidéo-surveillance ont été installées dans une copropriété non organisée, après accord de 3 des 4 copropriétaires, une seule -l’appelante- s’y opposant.
Forte de cette majorité, Mme Z A fait valoir qu’elle n’est pas à l’initiative de cette pose réalisée par son concubin et copropriétaire M. F A, qu’elle n’est que locataire, que l’action aurait dû être dirigée contre l’ensemble des copropriétaires et que cela
la rend irrecevable.
Or, sans nécessité de reprendre l’ensemble des pièces produites il convient d’analyser uniquement la pièce n°11 produite pas l’intimée.
Il s’agit d’une main courante, c’est à dire d’une déclaration faite devant les gendarmes de la brigade de Ghisonaccia (Huate-Corse) par Mme Z A le 10 novembre 2019 à 11 heures 3 qui déclare notamment «j’ai installé des caméras de vidéos surveillance pour notre sécurité. Pour installer ce dispositif j’ai l’autorisation des autres propriétaires sauf la sienne [|Mme X Y]», main courante qu’elle a signée, mais dont manifestement elle ne se souvient plus du contenu, même si c’est elle qui l’a produit.
En conséquence, il est certain que Mme Z A est bien l’installatrice des caméras de vidéo-surveillance litigieuses et, à ce titre l’action introduite à son encontre est parfaitement recevable.
Ces caméras au nombre de trois sont, selon le procès-verbal de constat d’huissier de justice établi le 1er septembre 2020 par Mme G H, clerc habilité, installé pour l’une en façade Est de la copropriété, filmant l’entrée d’un logement en rez-de-chaussée et pour les deux autres sur un petit local en parpaings, positionnées pour filmer l’entrée de la cour commune et le domaine public pour l’une et les fenêtre privées et le véhicule de Mme X Y pour l’autre.
S’agissant d’une copropriété, la pose de ces trois caméras à tout le moins sur des parties communes, avec un positionnement leur donnant une vision sur les parties communes mais aussi sur les parties privatives de Mme X Y, constitue un trouble certain, trouble manifestement illicite, l’intimée reconnaissant dans ses écritures une pose sans tenue ni approbation par une assemblée générale de la copropriété.
Cette absence de vote en assemblée générale dans le cadre d’une copropriété suffit, en effet, à caractériser l’illicéité manifeste du trouble sans nécessité d’examen des arguments surabondants développés par l’appelante
En conséquence, en présence d’un trouble manifestement illicite, la compétence du juge des référés est acquise et l’ordonnance querellée doit être infirmée sur ce point.
Il résulte de la réalité de ce trouble qu’il y a lieu de faire droit à la demande de retrait des caméras de vidéo-surveillance et compte tenu du climat extrêmement délétère existant entre les parties, il y a lieu de prévoir, pour une bonne exécution de la présente décision, de l’assortir de l’astreinte sollicitée de 50 euros par jour de retard, mais pour une durée de 6 mois et selon les modalités définies dans le dispositif du présent arrêt.
En revanche, il n’est nullement rapporté que les caméras de vidéo-surveillance litigieuses ont permis de conserver des images et des vidéos de l’appelante. La demande présentée portant sur leur destruction sur astreinte est, dans le cadre de l’instance en référé, rejetée
* Sur la demande de dommage et intérêts à titre provisionnel en réparation du préjudice résultant du harcèlement continu subi par Mme X Y, de l’atteinte au respect de son image et de la violation manifeste de sa vie privée
Il est certain que la pose irrégulière de caméras de vidéo-surveillance dans les parties communes d’une copropriété est constitutive d’un préjudice.
Cependant, il appartient à la personne qui se prévaut de ce préjudice de rapporter la preuve
de sa réalité.
La seule présence de trois caméras de vidéo-surveillance, dont on ne sait même pas si elles sont actives, ne saurait suffire à caractériser l’existence du préjudice allégué.
Mme X Y produit la copie d’une attestation établie par M. I J, datée du 5 janvier 202 -l’année indiquée n’étant pas photocopiée intégralement- dans laquelle ce dernier rapporte avoir entendu Mme Z A, en compagnie d’une autre personne non identifiée, montrant une vidéo de Mme X Y et de son kinésithérapeute, prétendant que celle-ci entretenait une liaison avec ce dernier.
Si cela est déplorable, rien ne permet de rattacher cette vidéo aux trois caméras de vidéo-surveillance, Mme Z A étant uniquement décrite, sans plus de précision, montrant une vidéo sur son téléphone portable.
Il convient donc, en référé, de rejeter cette demande.
* Sur la demande de dommages et intérêts présentée par Mme Z A
Mme Z A ayant succombé dans le cadre de la présente procédure, il ne peut être considéré que la demande présentée à son encontre était constitutive d’une procédure abusive et dilatoire.
Il convient, en conséquence, de rejeter cette demande.
* Sur les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile
S’il est équitable de laisser à la charge de l’intimée les frais irrépétibles qu’elle a engagés, il n’en va pas de même pour l’appelante ; en conséquence, il convient de débouter Mme Z A de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et d’allouer à ce titre à Mme X Y la somme de 3 000 euros, dont 600 euros au titre du coût du procès-verbal de constat du 1er septembre 2020.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Infirme l’ordonnance querellée en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Au fond, renvoie les parties à mieux se constituer et au provisoire,
Déclare qu’il existe un trouble manifestement illicite,
Condamne Mme Z A à retirer le dispositif de vidéo-surveillance installé sur la copropriété située à Prunelli-di-Fiumorbo (Haute-Corse), lieu-dit Macchiuncellu, dont elle est résidante, sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard, pendant 6 mois, à compter du mois suivant la signification du présent arrêt,
Condamne Mme Z A à payer à Mme X Y la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute Mme X Y du surplus de ses demandes,
Déboute Mme Z A de l’ensemble de ses demandes,
Condamne Mme Z A au paiement des entiers dépens, tant ceux de première instance qu’en cause d’appel, dont distraction au profit de Me M K-L, avocate.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT