La boxeuse professionnelle Elhem Mekhaled a obtenu en référé la cessation d’agissements attentatoires à son image, sa réputation ou sa carrière de la part de son ancien sponsor et promoteur, la société espagnole Jsuge SL.
Résiliation unilatérale
La triple championne de France, championne d’Europe de boxe anglaise et championne du monde avait signé en 2019 un contrat de promotion avec la société en échange de l’exclusivité de ses droits. Reprochant à la société Jsuge SL de ne pas avoir respecté ses engagements contractuels, la championne avait dénoncé son contrat moins d’un an après sa conclusion.
Sommations interpellatives comminatoires
S’opposant à cette résiliation, la société Jsuge SL avait notamment à deux reprises, adressé des sommations interpellatives comminatoires au groupe Canal Plus et à la SASU Advisor Boxing Consulting pour les sommer d’annuler plusieurs combats de boxe auxquels Elhem Mekhaled devait participer, en faisant valoir que la société Jsuge SL était toujours le promoteur de la sportive.
Manœuvres d’intimidation
La juridiction a considéré que ces manœuvres d’intimidation constituaient, en l’absence de certitude de la persistance du lien contractuel, un trouble manifestement illicite à l’image et à la liberté de travail d’Elhem Mekhaled. En effet, en cette matière (délictuelle et non contractuelle), l’existence d’une contestation sérieuse sur l’existence du contrat était indifférente.
Compétence des juridictions françaises
A noter que dans cette affaire, la société étant de nationalité espagnole et ayant son siège social en Espagne, le règlement Bruxelles I du 22 décembre 2000 refondu dans le règlement Bruxelles I bis du 12 décembre 2012 s’appliquait.
Le litige n’a pas été considéré comme relevant de la matière contractuelle. La matière délictuelle est définie par le fait qu’elle est exclusive de tout lien contractuel or, le contrat était bien résilié, il n’était pas démontré que les juridictions espagnoles avaient été saisies d’une contestation concernant la résiliation considérée comme abusive de la part de la boxeuse et en tout état de cause lui sont reprochés des comportements, soit deux sommations par huissier, de nature à nuire à sa carrière professionnelle alors qu’il n’y avait plus de relation contractuelle entre les parties.
Ainsi, le litige ne concernait ni l’interprétation ni l’exécution du contrat qui devait être soumis aux tribunaux et droit espagnols. Il n’avait pas de lien avec une demande indemnitaire en lien avec la rupture contractuelle. Le litige était à l’évidence de nature exclusivement délictuelle quand bien même les comportements répétés litigieux auraient pour origine un mécontentement du fait de la résiliation unilatérale du contrat par la boxeuse.
En tout état de cause, selon l’article 7 2) du règlement Bruxelles I bis, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre en matière délictuelle ou quasi-délictuelle devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.
Au surplus, la société Jsuge a des bureaux tant à Barcelone qu’à Lyon, ce qui constitue un autre critère de compétence territoriale par la théorie des gares principales du défendeur.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Cour d’appel de Lyon
8ème chambre
16 juin 2021
RG n° 20/05682
Texte intégral
N° RG 20/05682 – N° Portalis DBVX-V-B7E-NGCX Décision du
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, […]
Référé du 06 juillet 2020
RG : 20/00156
Société JSUGE SL
C/
Elhem Mekhaled
APPELANTE :
La société JSUGE SL, société de droit étranger, représentée par son représentant légal Monsieur M.X., dont le siège social est sis […]
Représentée par Me Thibaut G, avocat au barreau de LYON, toque : 2926
Ayant pour avocat plaidant Me Didier DOMAT, représentant le cabinet EARVIN & LEW, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
Madame Elhem Mekhaled, né le […] à […], de nationalité française, boxeuse professionnelle, demeurant […]
Représentée par Me F A de la SELARL F A ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON, toque : 124
* * * * * *
Date de clôture de l’instruction : 05 Mai 2021
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 05 Mai 2021
Date de mise à disposition : 30 Juin 2021
Audience présidée par Karen STELLA, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de William BOUKADIA, greffier.
Composition de la Cour lors du délibéré :
— Christine SAUNIER-RUELLAN, président
— Karen STELLA, conseiller
— Véronique MASSON-BESSOU, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Christine SAUNIER-RUELLAN, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Par exploit du 14 janvier 2020, Elhem Mekhaled a assigné en référé devant le président du tribunal judiciaire de Lyon la société Jsuge SL pour qu’il lui soit ordonné de cesser sans délai ses agissements ayant une incidence directe ou indirecte sur sa carrière sportive, sur son image ou sa réputation sous astreinte de 15.000 euros par manquement constaté et qu’il soit ordonné la publication de la décision outre sa condamnation à lui payer 30.000 euros de provision à valoir sur son préjudice moral et 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Étant boxeuse professionnelle, elle a été triple championne de France, championne d’Europe de boxe anglaise et championne du monde. Elle a signé le 23 janvier 2019 un contrat de promotion avec la société espagnole Jsuge SL sise à Barcelone et représentée par M.X. en échange de l’exclusivité de ses droits. Elle soutient que la société Jsuge SL n’a pas respecté ses engagements contractuels. Elle a dénoncé son contrat le 19 septembre 2019. Depuis, elle ne cesse de lui nuire en altérant son image Elle l’empêche d’exercer son activité professionnelle et de faire des combats. Elle ne cesse de se comporter comme son actuel promoteur ce qui crée de la confusion dans l’esprit de personnes évoluant dans le monde de la boxe en dissuadant certains de lui offrir une collaboration rémunératrice. Elle a ainsi sommé le groupe Canal plus et la société Adviseur Boxing Consulting d’annuler la réalisation de combats et leur diffusion. Monsieur X est ensuite intervenu en décembre 2019 auprès de la fédération internationale WBC et de la responsable de la boxe féminine pour les informer qu’il était toujours son représentant promoteur. Ces intimidations créent un trouble manifestement illicite de nature à la priver de pouvoir exercer sereinement sa profession.
La société Jsuge SL a soulevé l’incompétence territoriale de la juridiction de Lyon au profit des juridictions espagnoles. Au fond, elle a conclu au rejet des demandes et à la condamnation de Elhem Mekhaled à lui payer 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle rappelle qu’elle est une société espagnole. Elle a signé un contrat de promotion exclusive avec la boxeuse Elhem Mekhaled début 2019. Le contrat était d’une durée de trois ans. Un mois plus tard, elle a pu disputer à Barcelone le combat le plus important de sa carrière et a obtenu le titre mondial WBC par intérim. Elle a investi pour organiser ce combat la somme de 70.000 euros. Un litige financier a eu lieu dès le mois d’avril 2019 ayant refusé de payer les 20% du montant total de sa bourse due par combat à son entraîneur Monsieur Z.
Elle a résilié unilatéralement son contrat avec son entraîneur ce qu’il a contesté en mai 2019. Elle n’a plus pu s’entraîner avec efficacité en juin 2019. Elle l’a informée en août 2019 qu’elle travaillait avec un nouvel entraîneur Fabrico Tiozzo sans obtenir son accord préalable.
Elle a proposé un combat à Elhem Mekhaled en novembre à Barcelone ou en Norvège pour défendre son titre. Elle a refusé sans motif valable en septembre 2019. Le 28 octobre 2019, elle a publié sur son compte instagram un post portant atteinte à la Jsuge et à Monsieur X. Elle a appris qu’en novembre ou décembre 2019, elle allait participé à un gala organisé par un autre promoteur, gala au cours duquel elle a gagné deux combats. S’agissant d’un litige international portant sur un contrat, les juridictions espagnoles, lieu de l’établissement du défendeur et lieu du contrat sont compétentes en application des règlements Bruxelles I et I bis. Elle relate avoir saisi les juridictions espagnoles de la contestation relative à la rupture unilatérale et brutale du contrat. Elhem Mekhaled n’établit pas son droit à indemnité et ne cherche qu’à lui nuire.
Par ordonnance du 6 juillet 2020, le juge des référés a’:
• retenu sa compétence territoriale,
• ordonné à la société Jsuge SL de cesser ses agissements sous quelque forme que ce soit et sur quelque support que ce soit, ayant une incidence directe ou indirecte sur la carrière sportive d’Elhem Mekhaled sur son image ou sur sa réputation sous astreinte de 2.000 euros par manquement constaté,
• ordonné la publication de la décision sur le site internet de la société Jsuge «’www.jsuge.com’» et sur le journal sportif français l’Équipe aux frais de la société Jsuge dans la semaine suivant la signification de la présente décision,
• condamné la société Jsuge SL à payer à Elhem Mekhaled la somme provisionnelle de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts,
• condamné la société Jsuge SL aux dépens,
• condamné la société Jsuge SL à payer à Elhem Mekhaled la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Appel a été interjeté par le conseil de la société Jsuge SL en l’encontre des chefs d’ordonnance suivants’:
• ordonné à la société Jsuge SL de cesser ses agissements sous quelque forme que ce soit et sur quelque support que ce soit, ayant une incidence directe ou indirecte sur la carrière sportive de Elhem Mekhaled sur son image ou sur sa réputation sous astreinte de 2.000 euros par manquement constaté,
• ordonné la publication de la décision sur le site internet de la société Jsuge «’www.jsuge.com’» et sur le journal sportif français l’Équipe aux frais de la société Jsuge dans la semaine suivant la signification de la présente décision,
• condamné la société Jsuge SL à payer à Elhem Mekhaled la somme provisionnelle d ‘un montant de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts,
• condamné la société Jsuge SL aux dépens,
• condamné la société Jsuge SL à payer à Elhem Mekhaled la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’affaire a été orientée selon les dispositions de l’article 905 à 905-2 du code de procédure civile à bref délai et les plaidoiries ont été fixées au 5 mai 2021 à 9 heures.
Suivant ordonnance du 7 décembre 2020, le premier président, saisi par la société Jsuge SL, a notamment ordonné l’arrêt de l’exécution provisoire attachée à l’ordonnance dont appel.
Suivant le dernier état de ses conclusions notifiées par voie électronique le 20 novembre 2020, la société Jsuge SL demande à la Cour de’:
A titre principal,
• annuler intégralement l’ordonnance,
• statuant à nouveau se déclarer incompétente et renvoyer Elhem Mekhaled à se pourvoir devant les juridictions espagnoles.
A titre subsidiaire :
• annuler intégralement l’ordonnance et statuant à nouveau,
• dire n’y avoir lieu à référé et rejeter l’ensemble des demandes.
A titre infiniment subsidiaire :
• infirmer l’ordonnance et statuant à nouveau rejeter les demandes intégralement.
En tout état de cause :
• condamner Elhem Mekhaled à lui payer 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens liquidés selon les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Maître F G.
Elle soutient notamment que l’article 5 a) en matière contractuelle du règlement Bruxelles I conduit à considérer que les tribunaux espagnols sont seuls compétents. La matière délictuelle ou quasi délictuelle a été définie par la justice européenne comme toute demande mettant en jeu la responsabilité du défendeur et ne se rattachant pas à la matière contractuelle. Or en l’espèce, la matière contractuelle, du fait de la rupture brutale et abusive du contrat, est en jeu. Ainsi, seul le tribunal du lieu du défendeur ou du lieu de la loi applicable désigné par le contrat est compétent soit l’Espagne.
La seconde cause d’annulation est que la condition tenant à l’existence d’un trouble manifestement illicite n’est pas rempli au regard de l’article 835 du code de procédure civile le juge a considéré que Elhem Mekhaled n’a pas justifié du succès des agissements de la société Jsuge SL pour lui nuire.
Il n’avait pas le pouvoir d’ordonner la publication de la décision car elle n’est pas de nature à prévenir ou faire cesser le trouble. L’injonction sous astreinte était suffisante pour permettre d’atteindre l’objectif. Le trouble n’a pas été causé par voie de presse au demeurant. Cette publication a un caractère punitif qui sort du champ de compétence du juge des référés.
Enfin, la provision ne peut être allouée compte tenu d’une contestation sérieuse puisque Elhem Mekhaled n’a pas justifié que les agissements lui ont nui. Le juge s’est ainsi contredit en lui accordant une provision de 2.000 euros en l’absence de preuve d’un préjudice.
Par ailleurs, la mesure de publication est disproportionnée. Elle représente un coût de 20.000 euros. Elle est source d’un préjudice d’image. Le juge a commis une erreur d’appréciation. La rupture contractuelle est abusive et contradictoire par rapport au fait que Elhem Mekhaled se disait en juin 2019 satisfaite du travail de son promoteur. Ayant compris qu’elle allait participer à des combats le 15 novembre et 28 décembre 2019, elle n’a fait que préserver ses droits en essayant de joindre Canal Plus et le nouveau promoteur pour trouver un arrangement, en vain.
Elle a donc dû délivrer deux sommations d’huissier auprès du nouveau promoteur, la société Univent Production et de la chaîne Canal Plus en rappelant le contrat initial. Cela n’a pas porté atteinte à la liberté de boxer de la sportive ni à sa liberté de travail car elle a pu disputer ses combats largement médiatisés en percevant sa rémunération. Elle a donc continué à tirer profit de l’investissement et du travail de la Jsuge SL. La rupture contractuelle sous des motifs fallacieux constitue un abus de droit qui ne peut servir de fondement à une action sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile. L’intervention de Monsieur X auprès de la fédération WBC ne constitue pas un trouble manifestement illicite. Il a réussi à préserver son titre. A réception du mail de Maître A du 30 octobre 2019, la fédération WBC en conclut que la boxeuse va confirmer son nouveau promoteur. Monsieur X, interrogé par la fédération WBC, n’a fait que relater la vérité.
Celle-ci ne justifie pas d’un préjudice. Au contraire, elle cherche à lui nuire comme en témoigne son post sur instagram du 28 octobre 2019.
Suivant ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 décembre 2020, Elhem Mekhaled demande à la Cour de’:
• confirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions,
• rejeter les demandes le Jsuge SL,
• la condamner à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Elle rappelle que les juridictions espagnoles ne sont pas compétentes en matière délictuelle et en application de l’article 5 c) du règlement Bruxelles I. Elles ne sont toujours pas saisies de la contestation au sujet de la prétendue rupture abusive du contrat. La pièce produite pour prouver le contraire n’est pas traduite et il n’est nul autre acte de procédure confirmant que la justice espagnole est saisie. L’argument d’une bonne administration de la justice est dès lors sans fondement.
Monsieur X, dans un esprit vindicatif, a adressé un mail à la fédération internationale de boxe (WBC) l’avisant qu’elle abandonnait son titre sans son consentement. Elle l’a appris via son compte instagram en constatant qu’elle ne figurait pas à l’affiche du combat «’WBC female World Super Featherweight title’» prévu le 16 novembre 2019. La fédération lui a clairement confirmé par écrit la position de son ex-promoteur. Cette attitude a des incidences indirectes sur la poursuite de sa carrière sportive et de sa situation financière au mépris de ses droits. La société Jsuge SL a établi deux sommations interpellatives auprès du groupe Canal Plus et de la société de promotion Advisor Boxing Consulting.Le trouble manifestement illicite a été largement établi.
En outre, le juge ne s’est pas contredit sur la provision. Il a juste considéré que le montant non sérieusement contestable du préjudice moral n’était que de 2.000 euros. Il existait d’ailleurs également un dommage imminent car son ex-promoteur persistait dans sa politique de menaces. Il fallait une mesure destinée à prévenir toute récidive. La société Jsuge n’avait jusqu’alors jamais pris garde aux mises en demeure réitérées. Une injonction sous astreinte est insuffisante à faire cesser le trouble manifestement illicite et à prévenir le dommage imminent pour sa carrière et son image.
Pour l’exposé des moyens développés par les parties, il sera fait référence conformément à l’article 455 du code de procédure civile à leurs écritures déposées et débattues à l’audience du 5 mai 2021.
A l’audience, les conseils des parties ont fait leurs observations et déposé leurs dossiers respectifs. Puis, l’affaire a été mise en délibéré au 16 juin 2021.
MOTIFS
A titre liminaire, les demandes des parties tendant à voir la Cour «’constater’» ou «’dire et juger’» ne constituant pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, il n’y a pas lieu de statuer sur celles-ci.
Sur l’annulation de l’ordonnance du fait de l’incompétence territoriale du juge français
La société défenderesse étant de nationalité espagnole et ayant son siège social en Espagne, le règlement Bruxelles I du 22 décembre 2000 refondu dans le règlement Bruxelles I bis du 12 décembre 2012 s’applique.
La Cour observe qu’il n’y a pas de preuve traduite en français permettant de déterminer s’il y a un procès en cours sur la question de la rupture abusive du contrat qui liait Elhem Mekhaled à la société Jsuge SL.
La société Jsuge SL prétend à tort que le litige est de nature contractuelle et que la matière délictuelle est définie par le fait qu’elle est exclusive de tout lien contractuel puisqu’il n’est pas contesté que le contrat a été résilié, qu’il n’est pas démontré que les juridictions espagnoles sont saisies d’une contestation concernant la résiliation considérée comme abusive de la part de Elhem Mekhaled et qu’en tout état de cause lui sont reprochés des comportements, soit deux sommations par huissier, de nature à nuire à sa carrière professionnelle alors qu’il n’y a plus de relation contractuelle outre un mail à la fédération internationale WBC.
Ainsi, le litige ne concerne ni l’interprétation ni l’exécution du contrat qui doit être soumis aux tribunaux et droit espagnols. Il n’a pas de lien avec une demande indemnitaire en lien avec la rupture contractuelle. Le litige est à l’évidence de nature exclusivement délictuelle quand bien même les comportements répétés litigieux auraient pour origine un mécontentement du fait de la résiliation unilatérale du contrat par Elhem Mekhaled deux à trois mois auparavant. Or, les deux sommations litigieuses ont eu lieu sur le territoire français. Ainsi, l’article 25 sur les clauses attributives de compétence n’a pas pour effet de conduire la Cour à se déclarer incompétente.
En tout état de cause, selon l’article 5 3) du règlement Bruxelles I devenu article 7 2) du règlement Bruxelles I bis, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre en matière délictuelle ou quasi-délictuelle devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.
Au surplus, il ressort d’un mail entre Monsieur X et Elhem Mekhaled en date du 23 septembre 2019 que la société Jsuge a des bureaux tant à Barcelone qu’à Lyon, ce qui constitue un autre critère de compétence territoriale par la théorie des gares principales du défendeur.
Dès lors c’est à bon droit que le premier juge a retenu sa compétence territoriale. La Cour déboute la société Jsuge SL de sa demande d’annulation de l’ordonnance et confirme celle-ci en ce que le juge des référés français s’est déclaré compétent territorialement.
Sur le trouble manifestement illicite
Pour qu’il soit fait droit à sa demande, Elhem Mekhaled doit démontrer soit qu’un dommage imminent est sur le point de se réaliser à son préjudice, soit qu’elle est victime d’un trouble manifestement illicite quelle que soit l’existence ou non d’une contestation sérieuse en application de l’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile qui s’est substitué aux instances en cours au 1er janvier 2020 à l’ancien article 809 alinéa 1.
En l’espèce, alors que la résiliation unilatérale du contrat a été actée et qu’aucune assignation devant une juridiction espagnole n’a été remise en l’étude à Elhem Mekhaled avant le mois d’octobre 2020 soit postérieurement à l’ordonnance dont appel, sans que le contenu qui n’a pas été traduit ne puisse être déterminé au demeurant, la société Jsuge SL a, à deux reprises, adressé des sommations interpellatives comminatoires les 13 novembre 2019 et 26 décembre 2019 au groupe Canal Plus et à la SASU Advisor Boxing Consulting pour les sommer d’annuler un combat de boxe le 15 novembre 2019 et un second le 28 décembre 2019 auxquels Elhem Mekhaled devait participer. Monsieur X a admis être également intervenu directement auprès de la fédération internationale WBC pour l’informer, le 12 décembre 2019, que la société Jsuge SL était toujours le promoteur de la sportive.
Ces trois manœuvres d’intimidation constituent, en l’absence de certitude de la persistance du lien contractuel, un trouble manifestement illicite causé à l’image et à la liberté de travail de Elhem Mekhaled. En effet, en cette matière, l’existence d’une contestation sérieuse sur l’existence du contrat notamment est indifférent.
La Cour confirme l’ordonnance déférée en ce qu’elle a reconnu un trouble manifestement illicite à la charge de la société Jsuge SL. En conséquence, la Cour rejette la demande d’annulation de l’ordonnance soutenue par la société Jsuge au motif que les conditions légales ne seraient pas remplies.
Le choix de la mesure pour faire cesser ce trouble manifestement illicite appartient souverainement au juge des référés. En l’état, devant la détermination du dirigeant de la société Jsuge, qui n’avait pas encore saisi la justice espagnole pour faire trancher sa contestation, il était nécessaire de mettre un coup d’arrêt aux manœuvres réitérées qui ont gêné le déroulement de la vie professionnelle de Elhem Mekhaled en créant de la confusion auprès de ses partenaires professionnels et de la fédération WBC et en tentant de l’empêcher à deux reprises de participer à des combats.
La mesure consistant à enjoindre à la société Jsuge SL de cesser ses agissements de quelque forme que ce soit sur quelque support que ce soit ayant une incidence directe ou indirecte sur la carrière professionnelle d’Elhem Mekhaled sur son image ou sur sa réputation sous astreinte par manquement constaté n’a pas fait l’objet d’une contestation.
Il s’agit en effet d’une mesure d’interdiction sous astreinte nécessaire et adaptée à la situation sauf à préciser que les manquements concernés sont ceux de la société Jsuge SL opérant de manière directe ou par personne interposée.
S’agissant de la publication de la décision sur le site internet de la société Jsuge «’www.jsuge.com’» et sur le journal L’Équipe aux frais de la société Jsuge SL dans la semaine suivant la signification de la décision, la société Jsuge soutient qu’il s’agit d’une mesure disproportionnée dans son coût et non nécessaire compte tenu de l’injonction sous astreinte de cesser les comportements portant atteinte à la carrière, à l’image et à la réputation de la championne de boxe.
Le juge des référés, et la Cour statuant en appel de référé, sont souverains dans le choix des mesures pour faire cesser le trouble manifestement illicite. Ils peuvent opter pour toute mesure qui est nécessaire et suffisante quand bien même elles ne seraient pas demandées. Par ailleurs, si une mesure peut avoir été particulièrement appropriée lorsqu’elle a été prononcée en première instance, la Cour, en cause d’appel, doit tenir compte des éventuels nouveaux éléments de la cause, et doit pouvoir adapter les mesures initiales en les modifiant ou les limitant ou au contraire en aggravant une mesure initialement décidée voire en optant pour une mesure d’une autre nature.
En l’espèce, il est indéniable que depuis l’ordonnance du 6 juillet 2020, Elhem Mekhaled n’a pas eu à déplorer d’autres agissements attentatoires à son image, sa réputation ou sa carrière et ce en dépit de l’arrêt d’exécution provisoire ordonnée par le premier président de la Cour d’appel de Lyon le 7 décembre 2020.
Il n’est donc pas démontré que la société Jsuge SL reprendrait ses agissements immédiatement après le prononcé de l’arrêt en faisant fi de celui-ci.
Ainsi, si la mesure de publication de l’ordonnance sur le site de la société Jsuge SL à l’adresse «’www.jsuge.com’» et dans le journal l’Équipe, aux frais de la société Jsuge SL était nécessaire au moment où le conflit était le plus aigu entre les parties, cette mesure qui est très lourde à mettre en ‘uvre et qui est coûteuse ne se justifie plus.
Toutefois, la suppression de cette mesure de publication doit s’accompagner, pour préserver les intérêts de Elhem Mekhaled et dissuader la société Jsuge SL de tout nouveau comportement attentatoire, de l’augmentation du montant de l’astreinte provisoire sanctionnant tout nouveau manquement. Ainsi, la Cour porte le montant de l’astreinte par manquement constaté de 2.000 euros à 10.000 euros et modifie l’ordonnance initiale en ce sens.
La Cour ne se réserve pas la liquidation de l’astreinte.
Sur la provision
Une provision peut être accordée en cas d’obligation non sérieusement contestable dans son principe et dans son montant. Le juge peut limiter la provision au montant non sérieusement contestable.
Contrairement à ce que soutient la société Jsuge SL, le premier juge n’a pas motivé sa condamnation provisionnelle à 2.000 euros par des motifs contradictoires. Il a considéré de manière limpide que les 30.000 euros de provision à valoir sur le préjudice moral réclamés par Elhem Mekhaled n’étaient pas suffisamment motivés dans leur quantum mais que le principe de l’obligation d’indemnisation n’était pas sérieusement contestable à hauteur de 2.000 euros pour ne tenir compte que du préjudice moral allégué fondé sur trois agissements intimidants à répétition auprès d’institutions sportives ou partenaires professionnels importants. Ces agissements n’ont pu que plonger Elhem Mekhaled dans une période d’insécurité et de doute même si le soutien de ses partenaires lui ont été rapidement confirmés puisqu’elle a pu participer à ses deux combats à la fin de l’année 2019.
La Cour confirme la juste analyse du premier juge.
Sur les demandes accessoires
Partie perdante en première instance et en appel, la société Jsuge SL doit supporter les entiers dépens. La Cour confirme l’ordonnance déférée sur les dépens et y ajoute, à la charge de la société Jsuge SL, les entiers dépens d’appel.
L’équité conduit la Cour à confirmer le sort des frais irrépétibles de première instance. A hauteur d’appel, la Cour condamne la société Jsuge SL à payer à Elhem Mekhaled la somme supplémentaire de 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La Cour déboute la société Jsuge SL de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme l’ordonnance déférée sur la compétence territoriale et rejette la demande d’annulation de l’ordonnance de ce chef formée par la société Jsuge SL,
Confirme l’ordonnance déférée en ce qu’elle a reconnu que la société Jsuge a commis un trouble manifestement illicite au préjudice d’Elhem Mekhaled par des agissements de nature à porter atteinte à sa carrière, son image et sa réputation et rejette la demande d’annulation de l’ordonnance déférée de ce chef formée par la société Jsuge SL,
Confirme l’ordonnance déférée en ce qu’elle enjoint à la société Jsuge SL de cesser ses agissements sous quelque forme que ce soit sur quelque support que ce soit ayant une incidence directe ou indirecte sur la carrière professionnelle d’Elhem Mekhaled sur son image ou sur sa réputation sous astreinte sauf sur le montant de l’astreinte par manquement constaté en précisant également que les manquements concernés sont ceux de la société elle-même opérant directement ou par personne interposée,
Statuant à nouveau sur le montant de l’astreinte, le porte à 10.000 euros par manquement constaté commis par la société Jsuge SL de manière directe ou par personne interposée,
Réforme l’ordonnance déférée en ce qu’elle a prononcé une mesure de publication sur le site «’www.jsuge.com’» aux frais de la société Jsuge SL et dans le journal l’Équipe.
Statuant à nouveau :
Supprime ladite mesure de publication de la décision,
Confirme l’ordonnance déférée en ce qu’elle a condamné la société Jsuge SL à payer la provision de 2.000 euros à valoir sur le préjudice moral de Elhem Mekhaled,
Confirme la condamnation de la société Jsuge SL à payer à Elhem Mekhaled la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la première instance et sa condamnation aux entiers dépens de première instance.
Y ajoutant :
Condamne la société Jsuge SL prise en la personne de son représentant légal aux entiers dépens d’appel,
Condamne la société Jsuge SL prise en la personne de son représentant légal à payer à Elhem Mekhaled la somme supplémentaire de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel,
Déboute la société Jsuge SL de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.
LE GREFFIER
LE PRÉSIDENT