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Si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés durant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés (Cass. Soc., 22 mai 1995, Bull n°164).
Toutefois, un système de vidéo-surveillance installé pour assurer la sécurité du magasin et qui n’est pas utilisé pour contrôler le salarié dans l’exercice de ses fonctions n’est pas soumis aux dispositions du code du travail relatives aux conditions de mise en oeuvre, dans une entreprise, des moyens et techniques de contrôle de l’activité des salariés (Cass. Soc., 26 juin 2013, pourvoi n° 12-16.564).
En l’occurrence, si le système de vidéosurveillance mis en place par l’employeur au sein de la bijouterie avait pour objet principal d’assurer la sécurité des biens et des clients, s’agissant d’une activité particulièrement vulnérable aux cambriolages, force est de constater que ce système, dont il n’est pas discuté qu’il fonctionnait en permanence et filmait l’intégralité des locaux, permettait indirectement de contrôler l’activité de la salariée, le directeur de la société, Monsieur C,
L’affichage à destination du public, selon lequel les locaux étaient équipés d’un système de vidéosurveillance, ne pouvait suffire à assurer le respect de cette information, la salariée n’étant notamment pas informée de ce que le système était relié directement et en temps réel au siège de la société et permettait un enregistrement sonore.
Par conséquent, l’employeur a manqué à son obligation en justifiant pas de l’information de la salariée conformément aux dispositions de l’article L. 1222-4 du code du travail.
500 € de dommages-intérêts
Toutefois, la salariée ne précise pas la nature de l’importance du préjudice qu’elle aurait subi de ce chef et ne produit aucun élément particulier au soutien de cette demande. Au total, la cour ne retiendra qu’un préjudice moral résultant de l’annulation des sanctions disciplinaires, qui sera intégralement indemnisé par une somme de 500 € de dommages-intérêts.
Droits du salarié
L’article L. 1121-1 du code du travail dispose que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. La vidéosurveillance au sein d’une bijouterie répond à des objectifs évidents de sécurité.
S’agissant de l’information de la salariée et de la déclaration préalable à la CNIL, l’article L.1222-4 du code du travail prévoit qu’aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance.
Par ailleurs, l’article 10 de la loi n° 84-73 du 21 janvier 1995 soumet à autorisation préalable du préfet l’installation de dispositifs de vidéosurveillance, c’est-à-dire tout système permettant l’enregistrement et la transmission des images.
Suivant cette loi du 21 janvier 1995, ainsi que le rappelle la circulaire du 22 octobre 1996, les enregistrements visuels de vidéosurveillance ne sont pas de la compétence de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et ne sont pas des informations nominatives au sens de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978. En revanche, si un système de vidéosurveillance est utilisé pour constituer un fichier nominatif, le dossier relève de la compétence de la CNIL, conformément aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978, dans leur version applicable avant l’entrée en vigueur du Règlement européen n° 2016-679 du 27 avril 2016, dit règlement général sur la protection des données (RGPD).
En l’espèce, la salariée exerçait son activité dans une bijouterie équipée d’un système de vidéosurveillance permettant l’enregistrement des données visuelles et sonores, l’employeur produisant notamment, à l’appui du licenciement, un procès-verbal de constat d’huissier dans lequel l’auxiliaire de justice déclare avoir visualisé les bandes vidéo du magasin enregistrées sur CD Rom.
Déclaration CNIL
Aucun élément n’est produit aux débats pour établir que ce système aurait constitué un traitement automatisé de données à caractère personnel ou un traitement non automatisé de données à caractère personnel contenues ou appelées à figurer dans un fichier au sens de l’article 2 de la loi du 6 janvier 1978. Par conséquent, il ne peut être reproché à l’employeur de ne pas avoir effectué de déclaration à la CNIL.
En l’occurrence, l’employeur ne justifiait pas avoir informé personnellement la salariée de l’existence de ce système de vidéosurveillance, même s’il est évident qu’elle en connaissait l’existence, puisqu’elle ne conteste pas la présence au sein du magasin de l’affichage légal destiné à en informer le public.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 04 JUIN 2021
N° RG 18/07846 – N° Portalis DBVX-V-B7C-MAWA
APPELANTE :
Société ETABLISSEMENTS C
[…]
[…]
Représentée par Me I PANDRAUD, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE substitué par Me Patricia MORTIER, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
F X
née le […] à […]
[…]
[…]
Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON
Ayant pour avocat plaidant Me Murielle MAHUSSIER de la SCP REVEL MAHUSSIER & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON substituée par Me Mélodie GIROUD, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 17 Mars 2021
Présidée par N MOLIN, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de L M, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
— N O, président
— Sophie NOIR, conseiller
— N MOLIN, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 04 Juin 2021 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par N O, Président et par L M, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Le groupe I C exerce l’activité de commerce de détail d’articles d’horlogerie et de bijouterie, ainsi que de rachat d’or. Il s’agit d’un groupe constitué de plusieurs sociétés au titre desquelles figurait notamment la SARL JENIGIL, aux droits de laquelle vient la SAS ETABLISSEMENTS C.
Madame F X a d’abord été embauchée par la société GUTTY, appartenant au groupe I C en contrat à durée déterminée du 1er mai au 31 juillet 2004, puis par deux autres sociétés du groupe, les sociétés D.E. DISTRIBUTION et JENIGIL, dans le cadre de contrats à durée déterminée successifs entre le 12 septembre 2006 et le 31 janvier 2007, en qualité de vendeuse.
A compter du 2 avril et jusqu’au 14 septembre 2013, Madame X a exécuté des missions d’intérim au profit de la SARL USIN’OR, exerçant sous l’enseigne Bijouterie C, toujours en qualité de vendeuse au sein du magasin Bijouterie C situé dans le huitième arrondissement de Lyon.
Le 16 septembre 2013, Madame X et la SARL USIN’OR, propriété du groupe I C, ont régularisé un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de vendeuse en magasin, coefficient 155 catégorie II de la convention collective nationale du commerce de détail de l’horlogerie bijouterie. Elle était affectée au sein du même magasin de Lyon.
Par un avenant conclu le 25 novembre 2013 avec la SARL JENIGIL, Madame X a été affectée au magasin du groupe situé […], sans modification de ses fonctions et attributions.
La société JENIGIL a notifié à Madame X deux avertissements les 2 janvier et 11 mars 2014.
Le 9 juillet 2014, la société JENIGIL a déposé plainte contre Madame X. Le 10 juillet 2014,
les services de police procédaient à une perquisition du magasin et plaçaient Madame X en garde à vue.
Les faits dénoncés ont fait l’objet d’un classement sans suite par le parquet le 19 septembre 2016.
Le 11 juillet 2014, Madame X a été mise à pied à titre conservatoire et convoquée à un entretien préalable fixé le 22 juillet 2014.
Par courrier recommandé du 25 juillet 2014, la société JENIGIL a notifié à Madame X son licenciement pour faute lourde.
Le 13 août 2014, Madame Y a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon pour contester son licenciement et obtenir, suivant le dernier état de ses écritures et à l’audience, l’annulation des sanctions disciplinaires, un rappel de salaire au titre du repositionnement conventionnel, des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, des indemnités consécutives à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’au titre d’un licenciement vexatoire.
Par jugement en date du 25 octobre 2018, le conseil de prud’hommes de Lyon, en sa formation de départage a :
— écarté des débats la pièce n°15 au bordereau de communication des pièces, produite par la société ETABLISSEMENTS C venant aux droits de la SARL JENIGIL, comme non conforme aux règles du Code de procédure civile,
— annulé les avertissements notifiés à Madame F X en date du 2 janvier 2014 et du 11 mars 2014,
— dit que le licenciement dont Madame F X avait fait 1’objet de la part de la société ETABLISSEMENTS C venant aux droits de la SARL JENIGIL était dépourvu de cause réelle et sérieuse,
— condamné en conséquence la société ETABLISSEMENTS C venant aux droits de la SARL JENIGIL, à verser à Madame F X les sommes de :
avec intérêts au taux légal à compter du 21 août 2014, date de réception de la convocation par l’employeur devant le bureau de conciliation valant mise en demeure,
. 1 562,10 à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
. 156,21 € au titre des congés-payés afférents,
. 1 667,75 € à titre d°indemnité de congés-payés,
avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
. 1 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
. 3 000,00 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 3 000,00 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ;
— débouté les parties du surplus de leurs demandes
— condamné la société ETABLISSEMENTS C, venant aux droits de la SARL JENIGIL, à
verser à Madame F X la somme de 1 500,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
— débouté la société ETABLISSEMENTS C, venant aux droits de la SARL JENIGIL, de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— dit n’y avoir lieu à exécution provisoire sous réserve des dispositions des articles R1454-14 et 15 du code du travail selon laquelle la condamnation de l’employeur au paiement des sommes visées par les articles R1454-14 et 15 du code du travail est exécutoire de plein droit dans la limite de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire dans les conditions prévues par l’article R1454-28 du code du travail ;
— fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 1 562,10 € ;
— condamné la société ETABLISSEMENTS C venant aux droits de la SARL JENIGIL aux entiers dépens de l’instance.
Par déclaration du 12 novembre 2018, la SAS ETABLISSEMENTS C a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 8 février 2021, la société ETABLISSEMENTS C demande à la cour d’infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes le 25 octobre 2018 en ce qu’il a :
— écarté des débats la pièce 15 au bordereau de communication des pièces produite par l’employeur, comme non conforme aux dispositions du Code de procédure civile ;
— annulé les avertissements notifiés à Madame F X en date du 2 janvier 2014 et du 11 mars 2014;
— dit que le licenciement dont Madame F X a fait l’objet de la part de la société ETABLISSEMENTS C, venant aux droits de la SARL JENIGIL, est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
— condamné en conséquence la société ETABLISSEMENTS C venant aux droits de la SARL JENIGIL à verser à Madame F X les sommes de :
avec intérêts au taux légal à compter du 21 août 2014, date de réception de la convocation par l’employeur devant le bureau de conciliation valant mise en demeure,
. 1 562,10 à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
. 156,21 € au titre des congés-payés afférents,
. 1 667,75 € à titre d°indemnité de congés-payés,
avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement,
. 1 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
. 3 000,00 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 3 000,00 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ;
— débouté les parties du surplus de leurs demandes
— condamné la société ETABLISSEMENTS C venant aux droits de la SARL JENIGIL à verser à Madame F X la somme de 1500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
— débouté la société ETABLISSEMENTS C, venant aux droits de la SARL JENIGIL, de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Et en conséquence de :
— rejeter la demande de Madame X visant à ce que la pièce n°15 «Attestation de Mme G Z» également produite sous l’intitulé pièce n°21 «Attestation de Mme G Z signée + CNI, du 30 Juin 2014» produites par l’appelante, soient écartées des débats ;
— rejeter la demande d’annulation des avertissements des 2 janvier 2014 et 11 mars 2014 et confirmer qu’ils étaient bien fondés ;
— rejeter la demande de contestation du licenciement notifié à Madame X et formée par cette dernière, et en conséquence débouter Madame X de l’intégralité de ses demandes subséquentes ;
— débouter Madame X de ses demandes fondées sur une prétendue exécution déloyale du contrat de travail et sur le caractère vexatoire de son licenciement ;
— débouter Madame X de toutes autres demandes ;
Il est par ailleurs demandé à la cour de :
— confirmer la décision intervenue en ce qu’elle a rejeté la demande de repositionnement de Madame X en qualité de responsable de magasin Cadre et l’ensemble des demandes de complément de salaire en découlant ;
— condamner Madame F X à verser à la Société JENIGIL la somme de 500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Sur la demande de repositionnement, la SAS ETABLISSEMENTS C répond que Madame X a toujours été employée au poste de vendeuse catégorie II, coefficient 155, conformément à la définition de la convention collective, que cette classification correspondait aux fonctions réellement exercées au sein de l’entreprise et à son niveau de diplômes et d’expérience. Elle ajoute que le fait d’être la seule salariée de la boutique ne permet pas de démontrer son statut de cadre.
Sur les avertissements, la SAS ETABLISSEMENTS C estime que le fait que Madame X ait conservé les clés de la vitrine en son absence avec ses effets personnels sans en informer l’employeur constitue une faute puisqu’aucune vente ne pouvait être réalisée par son remplaçant ; qu’elle a, par ailleurs, renvoyé des bijoux encore d’usage à la direction sans précaution, provoquant leur endommagement.
S’agissant de la rupture du contrat de travail, la SAS ETABLISSEMENTS C reproche à Madame X un détournement de la clientèle du magasin à son profit, ainsi qu’au profit d’un concurrent et complice, en réalisant des rachats d’or pour son propre compte et celui de son complice, affirmant que cette activité illicite avait eu pour effet de faire baisser le chiffre d’affaire du magasin. Elle lui reproche également d’avoir tenu des propos dénigrants et insultants dans le but de lui nuire.
Elle estime que les faits reprochés sont suffisamment établis par l’alerte lancée par un livreur, l’attestation de Madame Z, signée et accompagnée de sa carte d’identité, ainsi que les bandes d’enregistrement du système de vidéosurveillance de la boutique certifiées par huissier ; que l’affaire a été classée sur le plan pénal par le parquet pour des raisons d’opportunité et non parce que l’infraction n’était pas constituée.
Elle répond que l’article L. 1222-4 du code du travail, qui impose à l’employeur de porter à la connaissance du salarié toute information le concernant collectée par un dispositif, est sans rapport avec les faits de l’espèce, puisqu’il ne s’applique qu’aux méthodes d’évaluation professionnelle ; que, par ailleurs, Madame X avait nécessairement connaissance de l’existence d’un système de surveillance au sein de la bijouterie et que ce système avait pour unique but d’assurer la sécurité de l’ensemble des biens et des personnes présentes ; que, dans ces conditions, la preuve rapportée par le système de vidéo surveillance n’a pas porté une atteinte disproportionnée à sa vie privée.
Enfin, l’appelante estime, à titre subsidiaire, que Madame X ne justifie pas des préjudices qu’elle invoque.
Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 12 février 2021, Madame X demande à la cour de :
Au titre de l’exécution du contrat :
— confirmer le jugement en ce qu’il a annulé les avertissements notifiés les 2 janvier 2014 et 11 mars 2014 ;
— réformer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de repositionnement conventionnel ;
En conséquence,
— condamner la société ETABLISSEMENTS C, venant aux droits de la SARL JENIGIL, à lui verser la somme de 6.651,02 €, outre 665,11 € de congés payés afférents au titre des rappels de salaire sur re-positionnement de septembre 2013 à juillet 2014 ;
— ordonner la rectification des documents de fin de contrat et des bulletins de salaire au statut Cadre, niveau 1, échelon 1, coefficient 340, et ce sous astreinte de 100 € par jour de retard, la cour se réservant la faculté de liquider ladite astreinte ;
— réformer le jugement en ce qu’il a seulement alloué la somme de 1 000 € nets a titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
En conséquence,
— condamner la société ETABLISSEMENTS C, venant aux droits de la SARL JENIGIL, à lui verser la somme de 12 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ou à tout le moins confirmer le jugement sur le quantum ;
Au titre de la rupture du contrat de travail :
— confirmer le jugement en ce qu’il a dit et jugé que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.
— Réformer le jugement sur le quantum et statuant à nouveau,
A titre principal, en cas de repositionnement :
— condamner la société ETABLISSEMENTS C, venant aux droits de la SARL .JENIGIL, à lui verser les sommes suivantes :
. indemnité de congés payés : 2.538,40 €,
. indemnité compensatrice de préavis : 4.400 €, outre 440 € de congés payés afférents;
A titre subsidiaire, en l’absence de repositionnement :
— confirmer le jugement en ce qu’il lui a alloué les sommes suivantes :
. indemnité de congés payés : 1.667,75 €,
. indemnité compensatrice de préavis : 1.562,10 €, outre 156,21 € de congés payés afférents ;
— réformer le jugement dans son quantum en ce qu’il a alloué 3 000 € nets a titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 3 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire.
Et statuant à nouveau,
— condamner la société ETABLISSEMENTS C, venant aux droits de la SARL JENIGIL, à lui verser les sommes suivantes :
. dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 12.000 € nets de CSG/CRDS,
. dommages et intérêts pour licenciement vexatoire : 17.000 € nets de CSG/CRDS ;
Subsidiairement,
— confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
En toutes hypothèses,
— confirmer le jugement en ce qu’il lui a alloué la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
— condamner la société ETABLISSEMENTS C, venant aux droits de la SARL .JENIGIL, à lui payer 2000 € en cause d’appel au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Madame F X invoque, en premier lieu, son repositionnement au statut cadre niveau 1 échelon 1, coefficient 340, faisant valoir qu’elle disposait d’un niveau d’expérience expert et qu’elle assurait seule, en sa qualité de Responsable de magasin, le fonctionnement du magasin, les ouvertures et les fermetures, ainsi que les dépôts en banque.
Au soutien de l’annulation des deux avertissements, Madame X fait valoir :
— s’agissant de la sanction du 2 janvier 2014, que le fait de prendre les clés avec elle à la fin de sa journée de travail ne constitue pas une faute en ce que le trousseau de clés de la boutique lui a été confié en sa qualité de Responsable et d’unique salariée du magasin, qu’aucune interdiction de conserver les clés ne lui a été spécifiée, que le fait de laisser les clés au magasin pouvait lui être reproché eu égard à la dangerosité de ce procédé, que la société a le double des clés et qu’aucune procédure de gestion des clés de vitrine n’a été mise en place par l’employeur ;
— s’agissant de la sanction du 11 mars 2014, qu’elle n’est pas responsable de la détérioration des bijoux et des pendules, puisque ces articles étaient déjà défectueux suite à un casse de vitrine et qu’elle les a retournés avec les précautions d’usage ; qu’en tout état de cause, aucun élément n’est versé attestant de l’état des bijoux.
Par ailleurs, Madame X soutient que l’employeur a porté atteinte à sa vie privée et commis une faute, en ne portant pas à sa connaissance l’installation d’un système de surveillance et d’écoute, et en ne le déclarant pas à la CNIL ; qu’en conséquence la mise en place de ce dispositif était illicite.
Madame X estime qu’en la sous-classant, en faisant un usage abusif de son pouvoir disciplinaire et en mettant en place un système de vidéosurveillance et d’écoutes illicite l’employeur a exécuté de façon déloyale le contrat de travail.
S’agissant de la rupture du contrat de travail, Madame X rappelle, au préalable, le principe suivant lequel les moyens de contrôle utilisés par l’employeur ne doivent pas porter une atteinte disproportionnée et non justifiée par la nature de la tâche à accomplir, aux droits et libertés des salariés ; que, par ailleurs, le comité d’entreprise doit être informé et consulté sur les moyens et techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés ; qu’en outre une déclaration préalable doit être faite à la CNIL en cas de traitement automatisé d’informations nominatives.
Elle fait valoir que l’employeur ne rapporte pas la preuve des prétendus propos qu’elle aurait tenus afin de détourner la clientèle ou dénigrer la société, que la visualisation des bandes vidéo ne permet pas de constater des faits de détournement de la clientèle et qu’aucun élément ne permet de démontrer que sa prétendue activité illicite serait à l’origine de la baisse du chiffre d’affaire du magasin ; que la plainte de l’employeur a été classée sans suite ; que, par ailleurs, la diminution du chiffre d’affaires ne saurait suffire à établir les faits visés dans la lettre de licenciement ; que les sanctions dont elle a fait l’objet sont en réalité des mesures de rétorsion à ses demandes de repositionnement.
Enfin, elle conteste les moyens de preuves retenus par l’employeur au titre des prétendus faits de détournement de la clientèle, faisant valoir que l’attestation du livreur a été produite plus de sept ans après le début de la procédure par un salarié qui était agent d’entretien au moment des faits reprochés, que l’attestation de Madame Z n’est pas conforme aux règles du code de procédure civile et que le constat d’huissier porte sur une scène qui s’est déroulée après la bande enregistrée dont les dialogues ne sont pas probants.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 9 février 2021 et l’affaire fixée pour être plaidée à l’audience du 17 mars 2021.
MOTIFS
Sur la recevabilité de la pièce 15 produite par la société ETABLISSEMENTS C
Le premier juge a écarté des débats la pièce n°15 produite par la société ETABLISSEMENTS C, intitulée «attestation de Madame G Z, du 30 juin 2014» au motif qu’elle n’était pas établie conformément aux règles de l’article 202 du code de procédure civile.
L’appelante sollicite l’infirmation de la décision de ce chef.
Il convient de constater que le premier juge n’a pas annulé ou déclaré irrecevable la pièce litigieuse, mais l’a écartée dans le cadre de son pouvoir d’appréciation souveraine des éléments de preuve produits aux débats.
Cette attestation, complétée par une nouvelle attestation (pièce n°21) signée au nom de Madame
Z, à laquelle est annexée une carte d’identité, est de nouveau produite en appel et sa recevabilité n’est pas discutée par la partie adverse, qui en conteste exclusivement le caractère probant.
Il appartient à la cour, par l’effet dévolutif de l’appel, d’apprécier souverainement si cette attestation présente des garanties suffisantes pour être retenue comme élément de preuve.
Dans ces conditions, l’appel, sur ce point, de la société ETABLISSEMENTS C est sans objet.
Sur le repositionnement conventionnel
Madame X a été embauchée en qualité de vendeuse en magasin, coefficient 155 catégorie II. Il ressort de l’intégralité des bulletins de paie postérieurs à la signature du contrat à durée indéterminée qu’elle a été rémunérée au niveau 2, échelon 1 de la classification « employé ».
Suivant l’annexe II de la convention collective relative à la classification du personnel, les emplois sont classés en fonction des catégories professionnelles comprenant chacune un ou plusieurs niveaux de compétence.
La catégorie « vente » comprend cinq niveaux allant d’ »employé de magasin »à « vendeur hautement qualifié« , le niveau 2 correspondant à celui de »vendeur ».
Le niveau II, Echelon 1 est caractérisé par :
— un niveau de connaissances simple (niveau primaire), éventuellement technique ;
— une autonomie faible ;
— une responsabilité limitée à l’exécution correcte des tâches confiées correspond au classement du personnel d’exécution débutant.
La convention collective définit l’emploi de « Vendeur » de la manière suivante :
Employé ayant des connaissances simples de la vente. Une autonomie simple, exécute correctement les tâches confiées. Deuxième et troisième année de pratique professionnelle.
Il ne connaît pas techniquement les produits, ni leur provenance ni les procédures d’approvisionnement et de service après-vente.
Initiation aux produits et à leur vente.
Madame X revendique la catégorie d’emploi Cadre I, échelon 1. Contrairement à la classification des employés et ouvriers, la convention collective n’énumère pas les fonctions des postes de cadres. Elle en donne la définition générale suivante : Collaborateur administratif, commercial ou technique ayant soit les diplômes demandés (niveau 1 éducation nationale), soit une formation et une expérience professionnelle équivalentes, qui par délégation permanente de l’employeur, dirige, coordonne et contrôle sous sa responsabilité le travail et la discipline des employés, des ouvriers éventuellement des agents de maîtrise.
Madame X fait valoir ses douze années d’expérience en bijouterie et des fonctions de responsable de magasin, précisant qu’elle assure l’ouverture et fermeture, ainsi que les dépôts en banque.
Toutefois, elle ne produit aucun élément précis quant à la réalité de ses fonctions. Elle ne démontre notamment pas, ni même ne prétend qu’elle aurait eu, à un quelconque moment de l’exécution du
contrat de travail, la responsabilité d’autres salariés. À l’évidence, les fonctions de vendeur dans un magasin ne sauraient relever de la définition de cadre, quelle que soit l’expérience ou l’ancienneté de la salariée, qui n’exerçait pas de compétence technique ou commerciale de haut niveau.
C’est donc à raison que le premier juge a considéré que la salariée ne rapportait pas la preuve qu’elle exerçait réellement les fonctions correspondant à la qualification revendiquée.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de repositionnement et débouté Madame X de ses demandes de rappel de salaire à ce titre.
Sur l’annulation des avertissements
En vertu de l’article L. 1333-1 du Code du travail, en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.
L’employeur fournit au conseil de prud’hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.
Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
L’article L. 1333-2 permet au conseil de prud’hommes d’annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
- Sur l’annulation de l’avertissement du 2 janvier 2014 :
Le courrier d’avertissement du 2 janvier 2014 est motivé de la manière suivante :
«Le 30 janvier 2013, vous nous informez par téléphone, que vous êtes malade et que vous ne pouvez pas vous présenter sur votre lieu de travail et ouvrir le magasin. De ce fait nous demandons à notre vendeur polyvalent de bien vouloir vous remplacer au pied levé. Après un changement de pile et une vente de bijoux en or, un client entre dans le magasin pour acheter des bijoux en argent. C’est à cet instant que M. A, votre remplaçant s’est aperçu qu’il n’avait pas les clés des vitrines du magasin. Après nous avoir contacté, pour obtenir votre numéro de téléphone, il vous appelle à 14h00 et vous demande où se trouvent les clés. À notre grande surprise, vous lui répondez que vous avez gardé des clés sur vous avec le trousseau du magasin, que vous êtes chez le médecin et que vous n’avez pas de solution pour remédier au problème. Pouvez-vous nous dire quel intérêt avons-nous à ouvrir un magasin avec les charges que cela engendre, si nous ne pouvons pas vendre nos bijoux. Après vous avoir contacté nous-mêmes, vous avez accepté de faire apporter les clés au magasin qui sont enfin arrivées à environ 16h00. Nous vous rappelons qu’il est strictement interdit d’emporter les clés des vitrines chez vous pour des raisons évidentes de sécurité et d’organisation du travail.»
L’employeur ne démontre pas qu’il aurait remis à la salariée des instructions particulières quant au rangement des clés des vitrines du magasin après sa fermeture. La preuve de la remise effective de ces instructions ne saurait résulter des témoignages de salariées produits par l’appelante, selon lesquels les vendeurs bénéficiaient d’une formation interne au cours de laquelle il leur était rappelé de ne pas sortir les clés du magasin. À cet égard, il n’est produit aucun document de formation.
Madame X ne pouvait anticiper un arrêt maladie.
Dans ces conditions, il n’est pas démontré à quelle obligation la salariée aurait manqué en conservant les clés. Par ailleurs, elle n’a manifestement fait preuve d’aucune mauvaise volonté après que son
employeur l’a contactée pour obtenir la restitution des clés.
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu’il a annulé l’avertissement.
- Sur l’annulation de l’avertissement du 11 mars 2014 :
Le courrier d’avertissement du 11 mars 2014 est motivé de la manière suivante :
«A la demande de la Direction, vous nous retournez des pendules et des bijoux lors de livraison du mercredi 26 février 2014. Notre surprise a été telle, lors de la réception de ceux-ci : Les pendules étaient mis en vrac dans un sac-poubelle. De ce fait plusieurs ont été rayées ou cassées et 4 d’entre elles ont dû être déstockées car invendables. Les bijoux étaient eux aussi en vrac, par paquets entiers dans une même pochette plastique, pour la plupart jaunis et sales et rayés par le frottement des bijoux entre eux. Nous vous rappelons, puisque cela est nécessaire, que nous vendons des bijoux, il s’agit de produits de luxe d’une valeur non négligeable.»
Madame X conteste avoir retourné des pendules et des bijoux suivant une méthode d’expédition n’ayant pas permis d’assurer l’intégrité de la marchandise.
L’employeur produit aux débats une attestation établie le 2 février 2021 par Monsieur B, agent d’entretien au sein de la société I C, qui affirme avoir réceptionné au magasin de Villeurbanne et livré en centrale le 26 février 2014 des horloges entassées en vrac dans des sacs-poubelle.
Il est pour le moins curieux qu’un agent d’entretien soit également chargé des livraisons, sauf à ce que l’employeur produise sa fiche de poste. Il est également étonnant qu’il ait été chargé de déballer les sacs en question et qu’il se souvienne, sept ans après, de la date à laquelle il a livré les bijoux.
Le contenu de cette attestation établie par un salarié sous un lien de subordination permet de douter de son caractère probant. En l’absence de tout autre élément, la preuve des faits n’est pas rapportée et le jugement sera confirmé en ce qu’il a annulé l’avertissement du 11 mars 2014.
Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
Madame X invoque trois manquements au soutien de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :
— le refus de la repositionner dans la classification des emplois prévue par la convention collective, demande dont elle a été déboutée ;
— des avertissements injustifiés, dont l’annulation, conformément aux développements précédents, a été confirmée par la cour ;
— une atteinte à sa vie privée ou à tout le moins l’absence fautive d’information et de déclaration préalable à la CNIL d’un système de vidéosurveillance et d’écoute.
Sur ce troisième moyen, si l’article L. 1121-1 du code du travail dispose que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché, force est de constater en l’espèce, comme l’a fait le premier juge, que Madame X n’était soumise au système de vidéosurveillance que pendant ses heures de travail ; qu’il s’agissait d’un système mis en place, à l’instar de toutes les bijouteries, pour des raisons évidentes de sécurité ; que compte tenu de l’objectif recherché, la salariée n’a subi aucune atteinte disproportionnée à ses droits et à sa liberté individuelle.
S’agissant de l’information de la salariée et de la déclaration préalable à la CNIL, l’article L.1222-4 du code du travail prévoit qu’aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance.
Par ailleurs, l’article 10 de la loi n° 84-73 du 21 janvier 1995 soumet à autorisation préalable du préfet l’installation de dispositifs de vidéosurveillance, c’est-à-dire tout système permettant l’enregistrement et la transmission des images.
Suivant cette loi du 21 janvier 1995, ainsi que le rappelle la circulaire du 22 octobre 1996, les enregistrements visuels de vidéosurveillance ne sont pas de la compétence de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et ne sont pas des informations nominatives au sens de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978. En revanche, si un système de vidéosurveillance est utilisé pour constituer un fichier nominatif, le dossier relève de la compétence de la CNIL, conformément aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978, dans leur version applicable avant l’entrée en vigueur du Règlement européen n° 2016-679 du 27 avril 2016, dit règlement général sur la protection des données (RGPD).
En l’espèce, il est constant que Madame X exerçait son activité dans une bijouterie équipée d’un système de vidéosurveillance permettant l’enregistrement des données visuelles et sonores, l’employeur produisant notamment, à l’appui du licenciement, un procès-verbal de constat d’huissier établi le 5 septembre 2014 dans lequel l’auxiliaire de justice déclare avoir visualisé les bandes vidéo du magasin des 25 juin et 3 juillet 2014 enregistrées sur CD Rom et avoir relevé que les dialogues étaient difficilement intelligibles, à l’exception des paroles d’un homme adressé à Madame X après le départ d’une cliente.
Aucun élément n’est produit aux débats et Madame X ne soutient d’ailleurs pas sérieusement que ce système aurait constitué un traitement automatisé de données à caractère personnel ou un traitement non automatisé de données à caractère personnel contenues ou appelées à figurer dans un fichier au sens de l’article 2 de la loi du 6 janvier 1978. Par conséquent, il ne peut être reproché à l’employeur de ne pas avoir effectué de déclaration à la CNIL.
Il n’est pas non plus discuté que la société ETABLISSEMENTS C ne justifie pas avoir informé personnellement Madame X de l’existence de ce système de vidéosurveillance, même s’il est évident qu’elle en connaissait l’existence, puisqu’elle ne conteste pas la présence au sein du magasin de l’affichage légal destiné à en informer le public.
L’employeur soutient qu’il n’était pas soumis à l’obligation de l’article L. 1222-4 susvisé, le système de vidéosurveillance n’étant pas destiné à surveiller l’activité de la salariée, mais à assurer la sécurité des biens et des clients du magasin.
Si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés durant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés (Cass. Soc., 22 mai 1995, Bull n°164).
Toutefois, un système de vidéo-surveillance installé pour assurer la sécurité du magasin et qui n’est pas utilisé pour contrôler le salarié dans l’exercice de ses fonctions n’est pas soumis aux dispositions du code du travail relatives aux conditions de mise en oeuvre, dans une entreprise, des moyens et techniques de contrôle de l’activité des salariés (Cass. Soc., 26 juin 2013, pourvoi n° 12-16.564).
En l’occurrence, si le système de vidéosurveillance mis en place par l’employeur au sein de la bijouterie avait pour objet principal d’assurer la sécurité des biens et des clients, s’agissant d’une activité particulièrement vulnérable aux cambriolages, force est de constater que ce système, dont il n’est pas discuté qu’il fonctionnait en permanence et filmait l’intégralité des locaux, permettait indirectement de contrôler l’activité de la salariée, le directeur de la société, Monsieur C,
déclarant, lors de son audition par les services de police le 9 juillet 2014 suite à sa plainte pour escroquerie, «je vous précise que tous les magasins sont reliés par vidéosurveillance, et vidéo qui peut être visible du siège (‘) j’ai décidé de visionner en direct la vidéo du magasin à partir du 25 juin 2014 (…)». Dès lors, l’employeur était bien soumis aux dispositions du code du travail relatives aux conditions de mise en ‘uvre des moyens et techniques de contrôle de l’activité des salariés, en particulier l’information préalable et individuelle du salarié concerné.
L’affichage à destination du public, selon lequel les locaux étaient équipés d’un système de vidéosurveillance, ne pouvait suffire à assurer le respect de cette information, Madame X n’étant notamment pas informée de ce que le système était relié directement et en temps réel au siège de la société et permettait un enregistrement sonore.
Par conséquent, l’employeur a manqué à son obligation en justifiant pas de l’information de la salariée conformément aux dispositions de l’article L. 1222-4 du code du travail.
Toutefois, Madame X ne précise pas la nature de l’importance du préjudice qu’elle aurait subi de ce chef et ne produit aucun élément particulier au soutien de cette demande.
Au total, la cour ne retiendra qu’un préjudice moral résultant de l’annulation des sanctions disciplinaires, qui sera intégralement indemnisé par une somme de 500 € de dommages-intérêts.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la validité du licenciement
Aux termes de l’article L1235-1 du Code du travail le juge a pour mission d’apprécier la régularité de la procédure de licenciement et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur.
Suivant les dispositions de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement des poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour ou l’employeur en a eu connaissance.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige. La cause du licenciement doit être objective et reposer sur des faits matériellement vérifiables. Les faits doivent être établis et constituer la véritable cause de licenciement. Enfin, les faits invoqués doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement. Il appartient au juge du fond, qui n’est pas lié par la qualification donnée au licenciement, de vérifier la réalité des faits invoqués et reprochés au salarié et de les qualifier puis de décider s’ils constituent une cause réelle et sérieuse au sens de l’article L1232-1 du Code du travail à la date du licenciement, l’employeur devant fournir au juge les éléments permettant à celui-ci de constater les caractères réel et sérieux du licenciement.
En outre, la faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur ou à l’entreprise, tandis que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail.
En l’espèce, la lettre de licenciement du 25 juillet 2014 est motivée de la manière suivante :
«(…) Nous vous rappelons que ces griefs se rapportent à :
- CONCURRENCE DELOYALE ‘ DETOURNEMENT ET VOL DE MARCHANDISES : les résultats catastrophiques du magasin et les interrogations formulées de divers clients auprès du siège nous ont amené à nous intéresser aux ventes et encaissements de ce site réalisées par vos soins.
Nos investigations établissent désormais que pendant vos heures de travail, sur le lieu même du travail, vous avez régulièrement mis en ‘uvre des ventes directement à votre profit en détournant des rachats d’or ou de biens précieux et en indemnisant directement notre client avec des espèces ; ces ventes, bien entendu, sont absentes des livres d’opération et hors caisse magasin. La comptabilité d’exploitation n’en a aucune trace, chacune étant dissimulée.
Vous n’avez pas hésité à exposer à nos clients que vous ouvriez votre propre comptoir de rachat à Lyon (Quartier Saint Clair) et qu’il était souhaitable de vous contacter directement plutôt que d’agir par le magasin ; vous donniez votre numéro de téléphone personnel avec consignes de traiter avec vous ; pour certaines pièces, vous assuriez être en mesure de pouvoir présenter «quelqu’un» à même de racheter les bijoux en cash (à titre d’exemple, journée du 26 juin 2014).
La démarche de commerce illégale et le détournement sont corroborés par la méthode de règlement mise en ‘uvre : vous avez procédé à des règlements de vos opérations en espèces et sans relevé détaillé alors que la Législation nous fait obligation de règlement du client par chèque, sur présentation de pièce d’identité et après mention de l’opération sur le livre de police.
- COMPLICITE : nous avons constaté, durant l’amplitude d’ouverture du magasin, chaque jour, au mépris des règles de sécurité les plus élémentaires, la présence permanente d’un individu non rattaché à nos effectifs ; vous reconnaissez la présence «d’un ami». Au sein même du magasin, à vos côtés, de façon tout à fait naturelle, cet individu va, avec vous, recevoir nos clients. Il va donner avis, expertiser et donner sa carte personnelle professionnelle en conseillant au client de prendre attache directe avec lui plutôt que de travailler avec le magasin ; certifier que le magasin n’est pas à même de reprendre certains articles (pièces d’or par exemple) mais que lui est en mesure de le faire. Il est établi de surcroit des faits encore plus graves : alors que certains de nos clients souhaitent procéder à l’acquisition de bijoux, cet individu et vous-même allez organiser votre propre vente. Pour ce faire, l’individu, après que vous ayez habilement renvoyé le client auprès de lui, va proposer ses propres bagues (d’origine inconnue à ce jour), notamment sorties de sa sacoche qu’il porte en bandoulière. Il ira même jusqu’à les présenter dans nos propres écrins floqués à notre marque (à titre d’exemple, journée du 26 juin 2014).
- DENIGREMENT : pour faciliter et assoir votre entreprise, vous avez décidé de dénigrer très clairement et systématiquement l’entreprise dans l’intention de la déstabiliser et lui nuire et de faciliter ainsi vos propres opérations. Les termes dégradants sont légion («gros radins», «escrocs», «incompétents»,’).
Forte de vos critiques, d’un dénigrement très abouti, vous assuriez au client que vous étiez en mesure de le satisfaire dans des conditions de prix, notamment, beaucoup plus favorables. Vous aviez parfaitement connaissance du tort commercial occasionné à l’entreprise, votre démarche le visant expressément, mais vous connaissiez aussi le risque pénal encouru par cette dernière du fait des malveillances en matière de rachat d’or et bijoux sans livre de police et en espèces, intervenus dans nos locaux. L’intention de nuire était telle que certains clients se sont interrogés de votre attitude, de vos propos, de vos méthodes, et se sont rapprochés de la Direction (à titre d’exemple, journée du 26 juin 2014).
Les services de Police, saisis du dossier, ont décidé de vous intercepter le Jeudi 10 juillet 2014 en présence de votre complice, sur votre lieu de travail ; vous n’avez pas jugé utile de nous informer de ce grave incident en préférant laisser le magasin fermé, stock et caisse en place, au mépris des règles élémentaires d’information et de sécurité.
Les observations qui vous ont été faites sont restées sans effet et l’entretien préalable n’a apporté aucun élément nouveau, dans la mesure où vous avez préféré demeurer dans le silence. Vous n’avez sollicité la présentation d’aucun élément probant. Nous nous voyons dans l’obligation de mettre fin au contrat de travail vous liant à notre entreprise pour faute lourde.
Les conséquences immédiates de votre comportement rendent impossibles la poursuite de votre activité au service de l’entreprise même pendant un préavis.
Nous vous notifions par la présente votre licenciement immédiat pour faute lourde, sans préavis ni indemnité de rupture et congés.»
Pour rapporter la preuve des griefs invoqués dans la lettre de licenciement, l’employeur produit un procès-verbal d’huissier établi le 5 septembre 2014. Dans ce procès-verbal, l’huissier constate, sur les enregistrements vidéo du magasin du 25 juin 2014 de 10h00 à 10h50 et du 3 juillet 2014 de 18h25 à 18h43, «la présence d’un homme portant un bous et une sacoche en bandoulière qui navigue dans le magasin lorsqu’il y a des clients ou s’assoit face à Madame X lorsqu’ils sont seuls» et rapporte le dialogue suivant à 18h46 : «T’es susceptible de gagner deux fois 180 €, ça veut dire que ta mise de départ tu l’as doublée».
Toutefois, il résulte des développements précédents que ce dispositif de vidéosurveillance était soumis aux dispositions du code du travail relatives aux conditions de mise en ‘uvre des moyens et techniques de contrôle de l’activité des salariés, en particulier l’information préalable et individuelle du salarié concerné prévue par l’article L. 1222-4 du code du travail et que l’employeur ne justifie pas avoir procédé à cette information.
Dans ces conditions, l’enregistrement d’images, mais également de paroles à l’insu de la salariée constitue un mode de preuve illicite qu’il convient d’écarter, en application des dispositions de l’article 9 du code de procédure civile.
Pour le surplus, l’employeur s’appuie sur une attestation écrite établie le 2 février 2021 par Monsieur B, qui déclare être agent d’entretien au sein de la société I C depuis le 1er mars 2009 et atteste avoir signalé à sa direction, en juin 2014, la présence régulière d’un individu aux côtés de Madame X au sein du magasin situé […] à Villeurbanne, cette présence ayant été remarquée lors de ses livraisons hebdomadaires au sein du magasin.
Lors de son audition par les services de police le 9 juillet 2014, le directeur de la société, Monsieur C déclare que Monsieur B l’a informé de la présence dans le magasin du même homme à chaque fois qu’il s’y rendait ; qu’il a alors décidé de visionner en direct les images de vidéosurveillance et a également remarqué la présence de cet homme ; qu’il a demandé à une amie, Madame G Z, habitant à Lyon, de se rendre à la bijouterie et de se faire passer pour une cliente, notamment en demandant le prix de rachat d’or.
Il est produit aux débats un courrier dactylographié au nom de Madame G Z, daté du 30 juin 2014, ne comportant aucune signature (pièce 15), complété (pièce 21) par le même document cette fois-ci signé, auquel est annexée la photocopie de la carte d’identité et de la carte vitale de Madame Z. Dans ce courrier, Madame Z déclare : «Ce jeudi 26 juin, je me suis rendue au magasin I C situé […] à Villeurbanne pour effectuer une estimation sur du rachat d’or (‘). En entrant dans la boutique, la vendeuse était en présence d’un homme non rattaché au personnel du magasin. J’ai sorti les bijoux de mon sac et à peine les pièces posées sur la table, l’homme s’en est directement saisi pour les observer. La vendeuse a effectué les différents tests sur la bague et les pièces (…). Elle me propose directement un montant de rachat à 167 €. Pour les pièces et le lingot, elle préfère appeler le siège pour avoir une estimation. L’homme profite de son coup de téléphone pour m’expliquer que les bijoutiers ne sont pas à même de racheter des pièces et qu’il serait préférable que j’aille voir un numismate pour les faire expertiser. Étant novice en la matière, je lui demande alors s’il connaît un numismate certifié pour apporter mes pièces. C’est à ce moment-là qu’il me tend sa propre carte de visite avec ses coordonnées personnelles et propose de me faire une estimation et une offre de rachat. La vendeuse ayant terminé son coup de fil, celle-ci me dit en citant ses employeurs «c’est votre jour de chance, d’habitude ce sont de gros radins». Elle me fait une proposition pour l’ensemble. Étant intéressée, je souhaite aborder les modalités de paiement. Elle explique qu’il s’agit d’un chèque encaissable immédiatement. Prétextant un héritage, je lui demande, dès lors, s’il est possible d’être payé en cash. Celle-ci me demande donc «pourquoi le cash vous intéresse ‘». Lui répondant par l’affirmative, elle me donne immédiatement son numéro de téléphone personnel et m’indique de la joindre rapidement et qu’elle pourrait me présenter quelqu’un à même de racheter les bijoux et me payer en cash. Elle m’explique ensuite qu’elle va, dans les mois à venir, ouvrir un comptoir de rachat à Décines et m’indique qu’il ne faut pas que j’hésite à venir la voir. Je prétexte par la suite vouloir profiter de cet argent pour pouvoir m’offrir une belle bague, je fais un tour rapide des différentes vitrines et demande alors quels sont les produits disponibles en or blanc. La vendeuse m’indique qu’elle ne dispose que de peu de modèles mais l’homme toujours présent intervient rapidement et demande «vous voulez de l’or blanc ‘» ce à quoi la vendeuse répond «tu as quelque chose à proposer ‘». Il me demande alors de sortir du magasin avec lui sur le trottoir devant la boutique en pleine rue, il ouvre sa sacoche et me tend un boîtier floqué I C avec une bague à l’intérieur (‘)».
Il convient de constater que les faits de concurrence déloyale, détournement de marchandises et dénigrement invoqués dans la lettre de licenciement reposent en réalité exclusivement sur ce témoignage ainsi que sur les constatations faites par l’employeur après avoir visionné les vidéos de surveillance.
Compte tenu des conditions dans lesquelles il a été demandé à Madame C de témoigner, ainsi que de son lien d’amitié avec l’employeur, cette attestation, qui ne comprend, en outre, pas la mention manuscrite prévue par l’article 202 du code de procédure civile suivant laquelle elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu’une fausse attestation de sa part l’expose à des sanctions pénales, ne saurait avoir un quelconque caractère probant.
Par ailleurs, la seule diminution du chiffre d’affaires du magasin ne permet pas d’établir la preuve certaine du détournement de marchandises, l’employeur ne produisant d’ailleurs pas les résultats postérieurs au licenciement de la salariée.
En outre, la cour ne peut tirer aucune conséquence du classement sans suite de la plainte de l’employeur le 19 septembre 2016, motivé de la manière suivante : «au lieu de faire juger cette affaire, le parquet a rappelé à l’auteur des faits son comportement fautif, il a expliqué les peines risquées et a exigé qu’il engage à ne plus commettre l’infraction», alors que la cour ne dispose d’aucun des procès-verbaux de l’enquête de police, à l’exception de l’audition de l’employeur, et que l’avis de classement vise des faits de travail clandestin contre deux personnes : Madame E et un dénommé J K. L’employeur ne produit pas non plus d’éléments sur la suite donnée à sa plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Lyon le 31 mai 2017.
C’est donc à raison que le conseil des prud’hommes a considéré que les faits n’étaient pas établis.
Enfin, le seul fait pour la salariée de ne pas avoir informé immédiatement son employeur de son placement en garde à vue, alors que cette mesure était la conséquence de la plainte de la société ETABLISSEMENTS C, ne saurait constituer une faute disciplinaire.
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences de la rupture
Il convient de confirmer le jugement entrepris sur le versement des indemnités compensatrices de préavis et de congés payés consécutives à la rupture du contrat de travail, dont les montants ne sont pas discutés à titre subsidiaire par les parties.
Le premier juge a fait une juste appréciation du préjudice subi par la salariée au titre de la rupture abusive, compte tenu du salaire moyen retenu (1562,10 € bruts) de son ancienneté et de son aptitude à retrouver un emploi.
Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
Enfin, les conditions de la rupture, en particulier le placement de la salariée en garde à vue suite à la plainte de l’employeur pour des faits pouvant être qualifiés de vols ou d’abus de confiance, ont à l’évidence entraîne un préjudice distinct de la rupture.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a indemnisé ce préjudice à hauteur de la somme de 3000 €.
Sur la remise des documents de fin de contrat
La décision rendue justifie que soit ordonné à l’employeur de remettre un bulletin de salaire, un certificat de travail conforme aux dispositions de l’article L. 1234-19 du code du travail, ainsi qu’une attestation Pôle Emploi rectifiés.
Le jugement sera complété de ce chef.
Sur les demandes accessoires
La société ETABLISSEMENTS C succombant à l’instance d’appel, le jugement entrepris sera confirmé sur les demandes accessoires et l’intimée condamnée aux dépens d’appel, ainsi qu’à verser la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile correspondant aux frais d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Confirme le jugement rendu le 25 octobre 2018 par le conseil de prud’hommes de Lyon sauf en ce qu’il a condamné la société ETABLISSEMENTS C à verser à Madame F X la somme de 1000 € de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Statuant à nouveau du chef du jugement infirmé et y ajoutant :
Condamne la société ETABLISSEMENTS C à verser à Madame F X la somme de 500 € à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Condamne la société ETABLISSEMENTS C à verser à Madame F X un bulletin de salaire, un certificat de travail conforme aux dispositions de l’article L. 1234-19 du code du travail, ainsi qu’une attestation Pôle Emploi rectifiés dans les 15 jours de la signification du présent arrêt.
Condamne la société ETABLISSEMENTS C à payer à Madame F X la somme de 1500 € au titre l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamne la société ETABLISSEMENTS C aux dépens d’appel.
Le Greffier Le Président