En présence d’une pratique régulière de Montages-photo à caractère humoristique, les salariés victimes qui gardent le silence sont présumés les avoir toléré, leur préjudice étant nécessairement limité.
Légalité des montages photos
Un délégué du personnel, salarié de l’un des services R&D a adressé par mail à l’ensemble des membres de l’entreprise un « montage-photo » mettant en scène un collègue pastiché en « Supernanny faisant un doigt d’honneur » accompagné de la légende « à l’occasion du 600ème montage, nous nous devions de remercier notre sponsor officiel ». Le message comportait un lien vers les 599 montages précédents qui concernaient tant les salariés de la société que ses dirigeants.
Parmi ceux-ci l’un des collègues apparaissait en porte-jarretelles, faisant un salut hitlérien ou encore sur une affiche s’inspirant de celle de « l’Oncle Sam » (« I want you for US Army ») avec la mention « Va te faire enc….., fils de p… ».
Prise d’acte du salarié
Le salarié victime avait transféré l’email à la direction en lui demandant si elle cautionnait ce type de contenus diffamatoires, doutant que ce soit de l’humour et que ce soit adapté en entreprise. Ce à quoi le PDG avait répondu : « ils ne cherchent absolument pas à vexer qui que ce soit (…). Ce n’est jamais de très bon goût … C’est l’humour GL [Game Logic] … dont B et moi sommes des victimes régulières … Je prends cela au 8e degré… Mais l’humour étant par nature subjectif et la liberté des uns ne devant pas empiéter sur la liberté des autres, si tu ne souhaites pas être pastiché de la sorte, je leur demanderai de bien vouloir s’abstenir à l’avenir te concernant ».
Le salarié estimant cet humour diffamatoire et injurieux et « atterré par la situation et psychologiquement touché » a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.
Soutenant que la prise d’acte de la rupture doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et réclamant diverses indemnités, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Paris, de même que les trois autres salariés du service IT.
La prise d’acte de la rupture du contrat par un salarié produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués par le salarié sont établis et caractérisent des manquements suffisamment graves de l’employeur à ses obligations empêchant la poursuite de la relation contractuelle. A défaut, la prise d’acte de la rupture produit les effets d’une démission.
Préjudice limité
Le salarié n’a obtenu qu’une indemnisation au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité (2.000 euros).
Sur l’atteinte à la dignité et au droit à l’image par la diffusion d’images dégradantes, la juridiction a considéré que l’employeur n’aurait pas dû accepter voire seulement tolérer ces photomontages qui étaient incontestablement attentatoires à la dignité et au droit à l’image des salariés qui en étaient l’objet.
Cependant, cette pratique était connue de tous les salariés de longue date et n’avait suscité jusqu’alors aucune réaction de la part du salarié victime. De nombreux salariés, anciens ou toujours présents dans l’entreprise, témoignaient d’une ambiance dans l’entreprise respectueuse des différences, de l’absence de volonté de porter atteinte ou de nuire aux personnes concernées résultant des photomontages réalisés qui visaient à la fois de nombreux salariés mais aussi les dirigeants de la société.
Réaction adaptée de la direction
Le photomontage participait d’une forme d’humour et à la réception des premières doléances, les dirigeants ont pris immédiatement plusieurs mesures de nature à mettre fin à cette pratique. La réaction de la direction s’expliquait par son positionnement hiérarchique et par la mission d’atténuer les tensions pouvant exister entre les différents services de l’entreprise, le service informatique étant fréquemment ressenti par les utilisateurs comme contraignant au regard notamment des consignes de sécurité qu’il préconise et qui sont souvent vécues comme limitant la marge de manoeuvre des autres services d’une entreprise.
Par ailleurs, les photomontages litigieux ont été immédiatement rendus inaccessibles à l’ensemble des salariés, l’employeur a organisé une réunion des délégués du personnel, dont il ressort que ceux-ci n’avaient pas été précédemment saisis d’une difficulté quelconque au sujet de ces photomontages. Il était aussi justifié d’une diffusion par la direction de l’entreprise à bref délai, d’un rappel des règles éthiques devant présider aux échanges notamment via la messagerie entre les salariés. Même si cette diffusion ne comportait pas clairement une « condamnation » des photomontages, là encore, la position adoptée par la direction ne peut être que légitimée par la nécessité de concilier le fonctionnement des différentes entités de l’entreprise ayant des objectifs et des préoccupations distincts.