Visite domiciliaire et présomptions fiscales : enjeux de la preuve dans le contrôle des obligations déclaratives.

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Visite domiciliaire et présomptions fiscales : enjeux de la preuve dans le contrôle des obligations déclaratives.

L’Essentiel : Le 20 mars 2023, la Direction nationale des enquêtes fiscales a demandé l’autorisation d’une visite domiciliaire contre Easysent technology limited et Entreprise Pons service plus, en vertu de l’article L 16B du livre des procédures fiscales. Le juge des libertés a accordé cette requête le 23 mars 2023, et les opérations ont eu lieu le 28 mars. En appel, la société et M. [X] ont contesté l’ordonnance, mais le juge a confirmé la légitimité de la procédure, soulignant des présomptions de comportements frauduleux, notamment des acquisitions intra-communautaires non déclarées. Ils ont été condamnés aux dépens.

Demande de visite domiciliaire

Par requête présentée le 20 mars 2023, la Direction nationale des enquêtes fiscales a sollicité la mise en œuvre de l’article L 16B du livre des procédures fiscales à l’encontre des sociétés Easysent technology limited et Entreprise Pons service plus. Elle a demandé au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Pontoise l’autorisation de procéder à une mesure de visite domiciliaire dans plusieurs locaux susceptibles d’être occupés par des individus et la société mentionnée.

Ordonnance du juge

Le juge des libertés et de la détention a fait droit à cette requête par une ordonnance du 23 mars 2023. Les opérations de visite et de saisies ont été réalisées le 28 mars 2023. Par la suite, la société Entreprise Pons service plus et M. [R] [X] ont formé un recours contre ces opérations, enregistré sous le n° RG 23/02269, dont ils se sont désistés. Ils ont également formé un appel contre l’ordonnance du juge, enregistré sous le n° RG 23/02285.

Audience et conclusions des parties

L’affaire a été appelée à l’audience du 24 septembre 2024. La société Entreprise Pons service plus et M. [X] ont développé leurs conclusions, demandant l’annulation de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, la mise à la charge de l’État des dépens, ainsi qu’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Le Directeur général des finances publiques a demandé la confirmation de l’ordonnance et a proposé de condamner l’appelante à payer 2 000 euros au titre de l’article 700.

Motifs de la décision

Selon l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, l’autorité judiciaire peut autoriser l’administration des impôts à rechercher des preuves de comportements frauduleux. La visite domiciliaire nécessite des présomptions de soustraction à l’établissement ou au paiement des impôts. Le juge n’a pas à prouver la fraude, mais à établir des présomptions suffisantes pour justifier la mesure.

Éléments de présomption

Les appelants ont contesté la légitimité de la procédure, arguant que l’omission de déclaration des acquisitions intra-communautaires ne justifiait pas la mise en œuvre de l’article L 16B. Cependant, le juge a constaté que la société Entreprise Pons service plus avait réalisé des acquisitions intra-communautaires significatives sans les déclarer, ce qui a été retenu comme un indice de minoration des opérations imposables.

Confirmation de l’ordonnance

Le juge a confirmé que les éléments présentés par l’administration fiscale justifiaient les présomptions de comportements frauduleux. Il a ainsi validé la décision du juge des libertés et de la détention, confirmant l’ordonnance en toutes ses dispositions et condamnant la société et M. [X] aux dépens, ainsi qu’à payer 2 000 euros au Directeur général des finances publiques.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de mise en œuvre de l’article L 16B du livre des procédures fiscales ?

L’article L 16B du livre des procédures fiscales stipule que l’autorité judiciaire, saisie par l’administration fiscale, peut autoriser des visites domiciliaires lorsque des présomptions existent qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement des impôts.

Ces présomptions peuvent inclure des comportements tels que :

– La réalisation d’achats ou de ventes sans facture,
– L’utilisation ou la délivrance de factures ne se rapportant pas à des opérations réelles,
– L’omission de passer des écritures comptables ou le passage d’écritures inexactes.

Il est important de noter que l’administration n’a pas à prouver la fraude de manière avérée, mais seulement à établir des présomptions suffisantes pour justifier la mesure de visite domiciliaire.

Ainsi, le juge des libertés et de la détention n’a pas à caractériser la fraude, mais à vérifier l’existence de ces présomptions. La mesure de visite est donc un moyen d’obtenir des éléments probatoires pour établir la réalité des faits.

Quels sont les recours possibles contre une ordonnance de visite domiciliaire ?

Les parties concernées par une ordonnance de visite domiciliaire peuvent former un recours contre celle-ci. Dans le cas présent, la société Entreprise Pons service plus et M. [R] [X] ont formé un recours contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention.

Ce recours a été enregistré et a donné lieu à un appel. Selon l’article 500 du code de procédure civile, les parties peuvent contester les décisions rendues par le juge des libertés et de la détention.

Il est également possible de demander l’annulation de l’ordonnance, de mettre à la charge de l’État les dépens, ainsi que de solliciter une indemnisation au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans cette affaire, les appelants ont expressément renoncé à certains moyens lors de l’audience, ce qui a pu influencer la décision de la juridiction.

Comment la présomption de fraude est-elle établie dans le cadre de l’article L 16B ?

La présomption de fraude, dans le cadre de l’article L 16B, repose sur des éléments factuels qui doivent être suffisamment probants pour justifier la mesure de visite domiciliaire.

Dans cette affaire, le juge a constaté que la société Entreprise Pons service plus avait réalisé des acquisitions intra-communautaires importantes sans les déclarer dans ses déclarations de TVA.

Les montants des acquisitions pour les années 2020, 2021 et 2022 ont été précisés, et il a été établi que ces opérations n’apparaissaient pas dans les déclarations de TVA de la société.

Ces éléments, non contestés par les appelants, ont permis de présumer que la société minorait ses opérations imposables, ce qui constitue un manquement aux obligations fiscales.

Ainsi, la simple omission de déclaration des acquisitions intra-communautaires a été jugée suffisante pour établir des présomptions de fraude, justifiant la mise en œuvre de l’article L 16B.

Quelles sont les conséquences d’une décision confirmant une ordonnance de visite domiciliaire ?

La confirmation d’une ordonnance de visite domiciliaire a plusieurs conséquences juridiques pour les parties concernées.

Tout d’abord, cela valide la légitimité de la mesure prise par le juge des libertés et de la détention, permettant à l’administration fiscale de poursuivre ses investigations.

Ensuite, les parties peuvent être condamnées aux dépens, ce qui signifie qu’elles devront supporter les frais liés à la procédure.

Dans le cas présent, la société Entreprise Pons service plus et M. [X] ont été condamnés à payer une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ce qui représente une indemnisation pour les frais engagés par la partie adverse.

Enfin, la confirmation de l’ordonnance peut également avoir des répercussions sur la réputation et la situation fiscale des parties concernées, en raison des investigations menées par l’administration fiscale.

COUR D’APPEL

DE VERSAILLES

Chambre civile 1-7

Code nac : 93 a

N° RG 23/02285 – N° Portalis DBV3-V-B7H-VY56

( loi n° 2008-776 du

04 août 2008 de modernisation

de l’économie)

Copies délivrées le :

à :

PONS

Me MONEY

M. [X]

DNEF

Me DI FRANCESCO JLD

ORDONNANCE

Le 26 Novembre 2024

par mise à disposition au greffe

Nous, Delphine BONNET, Conseillère de chambre à la cour d’appel de Versailles, déléguée par ordonnance de monsieur le premier président pour statuer en matière de procédures fiscales (article L. 16 B), assistée de Madame Rosanna VALETTE, Greffière, avons rendu l’ordonnance suivante :

ENTRE :

ENTREPRISE PONS SERVICE PLUS SAS

[Adresse 1]

[Adresse 10]

[Localité 5]

représentée par Me Serge MONEY de la SELARL ORMILLIEN MONEY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0188, substitué par Me Margaux TRIPIER, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [R] [X]

[Adresse 4]

[Localité 8]

non comparant, représenté Me Serge MONEY de la SELARL ORMILLIEN MONEY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0188, substitué par Me Margaux TRIPIER, avocat au barreau de PARIS

APPELANTS

ET :

DIRECTION NATIONALE D’ENQUETES FISCALES

[Adresse 2]

[Localité 7]

représentée par Me Jean DI FRANCESCO de la SCP URBINO ET ASSOCIES  avocats au barreau de Paris, P 0137, substitué par Me Nicolas NEZONDET, avocat au barreau de PARIS

INTIME

A l’audience publique du 24 Septembre 2024 où nous étions Delphine BONNET, Conseillère de chambre à la cour d’appel de Versailles, assistée de Madame Rosanna VALETTE, Greffière, avons indiqué que notre ordonnance serait rendue ce jour;

Par requête présentée le 20 mars 2023, la Direction nationale des enquêtes fiscales, sollicitant la mise en oeuvre de l’article L 16B du livre des procédures fiscales à l’encontre des sociétés Easysent technology limited et Entreprise Pons service plus, a demandé au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Pontoise, l’autorisation de procéder à une mesure de visite domiciliaire dans les locaux situés :

– [Adresse 4] [Localité 8] susceptibles d’être occupés par [R] [X] et/ou [E] [G] épouse [X] et/ou [U] [A] [X] et/ou [J] [D] et/ou la société de droit hongkongais Easysent technology limited,

– [Adresse 3], [Localité 8] susceptibles d’être occupés par [R] [X] et/ou [E] [G] épouse [X] et/ou la société de droit hongkongais Easysent technology limited.

Le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Pontoise a fait droit à cette requête par une ordonnance du 23 mars 2023.

Les opérations de visite et de saisies ont été réalisées le 28 mars 2023 et par une déclaration datée du 4 avril suivant et reçue le 11 avril, la société Entreprise Pons service plus et M. [R] [X] ont formé un recours contre ces opérations, recours enregistré sous le n° RG 23/02269, recours dont ils se sont ensuite désistés.

Le même jour, ils ont formé un appel contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Pontoise, appel enregistré sous le n° RG 23/02285.

L’affaire a été appelée à l’audience du 24 septembre 2024 à laquelle la société Entreprise Pons service plus et M. [X] ont développé les conclusions remises par RPVA le 21 août 2023 et de nouveau en format papier le jour de l’audience, conclusions auxquelles il est renvoyé s’agissant du moyen qui y est formulé, les appelants ayant expressément renoncé à l’audience au moyen figurant dans leurs conclusions écrites aux paragraphes 14 à 34, et aux termes desquelles ils demandent à la juridiction du premier président de :

– annuler l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Pontoise ;

– mettre à la charge de l’Etat les dépens ;

– mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Directeur général des finances publiques, développant les termes de ses conclusions remises le jour de l’audience et également par RPVA le 14 septembre 2023, conclusions auxquelles il est également renvoyé s’agissant des moyens qui y sont formulés, demande à la juridiction du premier président de :

– confirmer l’ordonnance du 27 mars 2023 du juge des libertés et de la détention de Pontoise ;

– rejeter toutes demandes, fins et conclusions ;

– condamner l’appelante au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner l’appelante aux dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Selon, l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, lorsque l’autorité judiciaire, saisie par l’administration fiscale, estime qu’il existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d’affaires en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts, elle peut, dans les conditions prévues au II, autoriser l’administration des impôts, à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s’y rapportant sont susceptibles d’être détenus ou d’être accessibles ou disponibles et procéder à leur saisie, quel qu’en soit le support. [‘]

La visite domiciliaire, telle que prévue à cet article suppose que soient caractérisées des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d’affaires par l’effet de l’un des agissements mentionnés à cet article.

Ainsi, l’administration n’est tenue de justifier que de simples présomptions et non pas du fait qu’il serait avéré que le contribuable visé par la mesure de visite domiciliaire se soustrait de manière effective à l’établissement ou au paiement des impôts précités. À cet égard, il n’appartient pas au juge des libertés et de la détention, non plus qu’à la juridiction de céans dans le cadre du présent appel, de caractériser la fraude évoquée, la mesure de visite domiciliaire étant précisément destinée à rapporter les éléments probatoires à cet égard.

Il n’y a pas lieu, dans la présente ordonnance, de reprendre le faisceau des présomptions qui a été caractérisé par l’ordonnance du juge des libertés et de la détention faisant l’objet du présent appel et dont les motifs sont expressément adoptés. Il n’y a lieu de répondre qu’au moyen développé par les appelants.

Ceux-ci font valoir que l’omission de déclaration des acquisitions intra-communautaire, qui n’était pas présumée mais bien acquise, ne justifiait en rien la mise en oeuvre de la procédure exorbitante de droit commun prévue à l’article L 16B du code des procédures fiscales. Ils estiment qu’aucune fraude aux paiements de la TVA française ne saurait être présumée du simple manquement à l’obligation déclarative d’autoliquidation de la TVA.

Pour retenir qu’il peut être présumé que la société Entreprise Pons service plus minorerait le montant des opérations imposables en matière de taxes sur le chiffre d’affaires, et dès lors ne procéderait pas à la passation régulière d’écritures comptables, le premier juge s’est fondé sur les constats suivants :

– la SAS Entreprise Pons service plus, identifiée sous le numéro de TVA intra-communautaire FR [Numéro identifiant 6], a procédé au cours des années 2020, 2021 et 2022, à des acquisitions intra-communautaires en matière de prestations en provenance de Belgique pour des montants respectifs de 133 703 euros en 2020, 701 929 euros en 2021 et 453 232 euros en 2022 ;

– les acquisitions en matière de prestations intra-communautaires provenant de la société beige SAS Entreprise Pepete service plus, identifiée sous le numéro de TVA intra-communautaire [Numéro identifiant 9] à destination de la société française SAS Entreprise Pons service plus, s’élèvent respectivement à 105 000 euros en 2020, 698 000 euros en 2021 et 453 171 euros en 2022 ;

– la société Entreprise Pons service plus ne fait pas apparaître sur ses déclarations de TVA mensuelles ‘modèle 3310CA3″ d’acquisitions intra-communautaires ni de TVA due sur les acquisitions intra-communautaires pour la période du 01/01/2020 au 30/12/2022.

Ces faits ne sont pas contestés par les appelants.

Il convient de rappeler que les acquisitions communautaires d’une société, au même titre que les autres opérations réalisées, telles que les ventes, les prestations de service, doivent figurer dans la rubrique des opérations imposables et participent de la même manière à la détermination de la TVA brute de l’entreprise.

Le fait de minorer le montant des opérations imposables en matière de taxes sur le chiffre d’affaires révèle que la société Entreprise Pons service plus ne procède pas à la passation régulière des écritures comptables.

Il importe peu que le manquement à l’obligation visée par l’administration fiscale n’ait pas fait l’objet d’un rappel mais aurait pu uniquement donner lieu à l’application d’une amende égale à 5 % du montant de la taxe que le redevable est en droit de déduire, dès lors qu’au stade de la requête, il n’incombe à la juridiction que d’apprécier l’existence de présomptions d’agissements frauduleux justifiant la mesure autorisée. Or, il n’est pas discuté qu’aucune régularisation n’était intervenue à la date de la requête ; la société Entreprise Pons service plus ne remplissait alors pas la condition posée à l’article 287 du code général des impôts pour pouvoir prétendre au droit à la déduction.

Ainsi, au vu de l’ensemble de ces éléments et compte tenu des ceux présentés dans la requête, non discutés par les appelants, il peut être présumé que la société Entreprise Pons service plus minorait ses opérations imposables à la TVA en ne procédant pas à la passation régulière de ses écritures comptables.

C’est donc à bon droit que le juge des libertés et de la détention a fait droit à la requête de la DNEF. L’ordonnance est donc confirmée.

PAR CES MOTIFS

Confirme l’ordonnance en toutes ses dispositions ;

Condamne la société Entreprise Pons service plus et M. [X] aux dépens ;

Condamne la société Entreprise Pons service plus et M. [X] à payer à M. le Directeur général des finances publiques la somme de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

Prononcé par mise à disposition de notre ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées selon les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Le greffier, Le conseiller,


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