L’essentiel : La CNIL a émis un avis sur le projet de décret concernant la vidéosurveillance dans les cellules de garde à vue et de retenue douanière. Elle souligne que ces dispositifs, en raison de leur nature intrusive, portent atteinte au droit à la vie privée des individus déjà soumis à des restrictions de liberté. Une telle surveillance ne peut être justifiée que si elle est strictement nécessaire et accompagnée de garanties robustes. La CNIL insiste sur la nécessité d’une évaluation rigoureuse des situations avant d’implémenter la vidéosurveillance, afin de respecter les droits des personnes concernées.
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La CNIL a rendu son avis sur le projet de Décret « Vidéosurveillance dans les cellules de garde à vue et de retenue douanière ». Dans sa délibération n° 2021-078 du 8 juillet 2021, la CNIL s’était déjà prononcée sur le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure (loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022), qui comportait des dispositions relatives à la mise en œuvre de systèmes de vidéosurveillance au sein des cellules de garde à vue. Elle a notamment rappelé que de tels dispositifs, qui permettent une surveillance permanente, portent par nature une atteinte grave au droit au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel d’individus déjà soumis à des mesures restrictives de liberté. Une telle atteinte ne peut dès lors être admise que si elle apparaît strictement nécessaire au but poursuivi et si des garanties fortes sont prévues, de nature à assurer la proportionnalité des dispositifs mis en œuvre. L’objet de la saisineLa CNIL a été saisie par le ministère de l’intérieur pour avis sur un projet de décret portant application des articles L. 256-1 et suivants du code de la sécurité intérieure (CSI) et relatif à la mise en œuvre de systèmes de vidéosurveillance dans les cellules de garde à vue et de retenue douanière. Les articles L. 256-1 et suivants du CSI permettent à l’autorité administrative de mettre en œuvre des systèmes de vidéosurveillance dans les cellules de garde à vue et de retenue douanière pour prévenir les risques d’évasion de la personne placée en garde à vue ou en retenue douanière et les menaces sur cette personne ou sur autrui. L’article L. 256-5 du CSI prévoit que les modalités d’application sont précisées par un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la CNIL. Le projet de décret constitue un acte réglementaire unique au sens du IV de l’article 31 de la loi « informatique et libertés ». Conformément au projet d’article R. 256-7 du CSI, la mise en œuvre des traitements est subordonnée à l’envoi à la CNIL d’un engagement de conformité. Le régime juridique des traitements de donnéesLes traitements de données à caractère personnel ont pour finalités de prévenir : – les risques d’évasion des personnes placées en garde à vue ou en retenue douanière, et Selon le ministère, les mesures de garde à vue et de retenue douanière s’inscrivent nécessairement dans le cadre d’enquêtes ou de poursuites pénales. En particulier, l’évasion d’une personne placée en garde à vue est une infraction pénale (articles 434-27 à 434-37 du code pénal). – d’atteinte de la personne envers-elle même (passage à l’acte auto-agressif (automutilation ou suicide) ; La sécurité des personnes peut ne pas constituer en tant que telle une finalité qui s’inscrit nécessairement dans le cadre de la prévention d’infractions pénales. En l’espèce, les finalités poursuivies par les traitements visent à prévenir les atteintes (physiques ou morales) sur la personne gardée à vue ou sur autrui. Ainsi, l’objectif est d’empêcher la réalisation de ces atteintes et par conséquent, de prévenir la commission d’un fait pénalement répréhensible. Compte tenu des précisions apportées par le ministère, la CNIL considère que les traitements permettent la prévention d’infractions pénales et à leur poursuite le cas échéant. Elle considère que les traitements relèvent du régime de la directive « police-justice » transposée au titre III de la loi « informatique et libertés ». Le périmètre des dispositifs de vidéosurveillanceL’article L. 256-2 du CSI prévoit que le placement sous vidéosurveillance est décidé par le chef du service responsable de la sécurité des lieux concernés ou son représentant « lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que cette personne pourrait tenter de s’évader ou représenter une menace pour elle-même ou pour autrui ». L’analyse d’impact relative à la protection des données (AIPD) précise qu’il appartiendra au responsable de la sécurité des lieux concernés d’apprécier au cas par cas la nécessité de mettre en œuvre la vidéosurveillance, au regard des critères fixés par la loi et à partir d’éléments tels que : – l’état psychique ou la personnalité de la personne ; De manière générale, la CNIL considère que ces éléments doivent présenter un caractère sérieux, dans la mesure où la surveillance permanente par vidéo porte une atteinte grave au droit au respect de la vie privée et le recours à ce type de dispositif ne doit présenter qu’un caractère subsidiaire. En particulier, les faits ayant justifié la mesure de garde à vue doivent résulter d’actes de violence d’une particulière gravité démontrant la nécessité d’une surveillance permanente par vidéosurveillance. Des doctrines d’emploi des caméras seront rédigées par chacun des ministères concernés (ministère de l’intérieur et ministère chargé du budget). Elles comporteront notamment : – des éléments d’aide à la décision orientant les agents sur les cas dans lesquels une mesure de vidéosurveillance peut être prise ; La CNIL considère que ces doctrines d’emploi devront lui être transmises et être régulièrement mises à jour autant que de besoin pour résoudre les éventuels problèmes de mise en œuvre. Par ailleurs, l’article L. 256-3 du CSI indique qu’un pare-vue fixé à la cellule de garde à vue ou de retenue douanière garantit l’intimité de la personne tout en permettant la restitution d’images opacifiées, et que l’emplacement des caméras est visible. L’intimité de la personne s’entend au sens de l’intimité physique et corporelle. Dans ce cadre, la présence de sanitaires dans les cellules de garde à vue et de retenue douanière est de nature à nécessiter la préservation de l’intimité de la personne. Seules les cellules équipées de sanitaires seront équipées d’un système d’opacification des images (pare-vue opacifiant). La CNIL recommande que le pare-vue ou filtre opacifiant placé entre la caméra et la zone sanitaire dans les cellules soit orienté de manière à ce que l’ensemble de la zone sanitaire ne puisse pas être filmé. La CNIL prend acte de ce qu’il ne peut y avoir en même temps dans une même cellule de garde à vue ou de retenue douanière une personne placée sous vidéosurveillance et une autre qui ne l’est pas. Seules les personnes faisant l’objet d’un placement sous vidéosurveillance peuvent ainsi être filmées. En outre, l’article L. 256-3 du CSI interdit : – tout dispositif biométrique ou de captation du son ; La CNIL prend acte de ce qu’il n’est pas envisagé de recourir à des traitements algorithmiques d’analyse automatisée des images (« vidéo augmentée »). Le droit à l’informationL’article L. 256-1 du CSI prévoit qu’une affiche apposée à l’entrée de la cellule équipée d’un système de vidéosurveillance informe de l’existence du système ainsi que des modalités d’accès et de rectification des données recueillies. Le modèle d’affiche, transmis à la CNIL, comporte les mentions d’information requises conformément à l’article 104 de la loi « informatique et libertés ». Les mesures de sécuritéLa CNIL prend acte des mesures de sécurité mises en place par les ministères pour limiter les risques de disparition, de modification ou d’accès illégitime aux données de vidéosurveillance. Concernant les moyens d’authentification, la CNIL accueille favorablement le recours à l’authentification forte lorsque cela est possible, ainsi que l’utilisation de mots de passe complexes associés à des mécanismes de verrouillage suivant plusieurs tentatives de connexion infructueuses. Si la plupart des accès aux données du traitement se feront par le biais de comptes nominatifs, la CNIL relève que certaines opérations pourront localement être réalisées par des comptes génériques. A ce titre, elle recommande l’usage systématique de comptes individuels et nominatifs. Concernant la qualité et l’intégrité des données du traitement, la CNIL accueille favorablement l’intégration de données d’horodatage et de localisation dans les images, ainsi que les mesures de chiffrement et de signature numérique mises en place pour garantir la sécurité des données extraites. Afin de décourager la copie optique directe des enregistrements, la CNIL recommande également l’utilisation du tatouage (ou filigranage) numérique des images collectées. La CNIL prend acte des mesures de journalisation mises en place dans le cadre du traitement. Elle accueille favorablement l’encadrement strict de l’accès aux données de traçabilité et prend acte de la durée de conservation d’un an prévue pour ces données. La CNIL accueille favorablement le passage progressif des registres papier à des systèmes de gestion dématérialisée des traces, et recommande pour ceux-ci la mise en place de moyens permettant la détection proactive des comportements illicites ainsi que la purge automatique des journaux. Enfin, la CNIL prend acte de l’intention du ministère de l’intérieur d’enregistrer certaines données de traçabilité dans le traitement dénommé « Informatisation de la gestion des gardes à vue » (« iGAV »). |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est l’objet de la saisine de la CNIL ?La CNIL a été saisie par le ministère de l’intérieur pour donner son avis sur un projet de décret qui vise à appliquer les articles L. 256-1 et suivants du code de la sécurité intérieure (CSI). Ce décret concerne la mise en œuvre de systèmes de vidéosurveillance dans les cellules de garde à vue et de retenue douanière. Les articles mentionnés permettent à l’autorité administrative d’installer ces systèmes pour prévenir les risques d’évasion des personnes placées en garde à vue ou en retenue douanière, ainsi que les menaces sur ces personnes ou sur autrui. Quelles sont les finalités des traitements de données à caractère personnel ?Les traitements de données à caractère personnel dans le cadre de la vidéosurveillance ont pour finalités principales de prévenir les risques d’évasion des personnes placées en garde à vue ou en retenue douanière, ainsi que les menaces sur ces personnes ou sur autrui. Ces mesures s’inscrivent dans le cadre d’enquêtes ou de poursuites pénales. La CNIL souligne que la prévention des menaces peut inclure des risques d’auto-agression, d’atteinte par un tiers, ou d’atteinte de la personne gardée à vue envers autrui. Ainsi, l’objectif est d’empêcher la réalisation de ces atteintes, ce qui pourrait également prévenir la commission d’infractions pénales. Quels critères sont pris en compte pour décider de la vidéosurveillance ?L’article L. 256-2 du CSI stipule que la décision de placer une personne sous vidéosurveillance doit être prise par le chef du service responsable de la sécurité des lieux concernés. Cette décision doit être fondée sur des raisons sérieuses de penser que la personne pourrait tenter de s’évader ou représenter une menace pour elle-même ou pour autrui. L’analyse d’impact relative à la protection des données (AIPD) précise que le responsable de la sécurité doit évaluer la nécessité de la vidéosurveillance au cas par cas, en tenant compte de critères tels que l’état psychique de la personne, ses antécédents de violence, et les circonstances ayant conduit à la garde à vue. Quelles sont les recommandations de la CNIL concernant l’intimité des personnes surveillées ?La CNIL insiste sur le fait que la vidéosurveillance doit respecter l’intimité des personnes placées en garde à vue ou en retenue douanière. Elle recommande que seules les cellules équipées de sanitaires soient dotées d’un système d’opacification des images pour préserver l’intimité physique et corporelle des individus. De plus, la CNIL souligne que le pare-vue ou filtre opacifiant doit être orienté de manière à ce que l’ensemble de la zone sanitaire ne puisse pas être filmé. Elle prend également acte que dans une même cellule, il ne peut y avoir à la fois une personne sous vidéosurveillance et une autre qui ne l’est pas. Comment la CNIL évalue-t-elle le droit à l’information des personnes surveillées ?L’article L. 256-1 du CSI impose qu’une affiche soit apposée à l’entrée de la cellule équipée d’un système de vidéosurveillance. Cette affiche doit informer les personnes de l’existence du système ainsi que des modalités d’accès et de rectification des données recueillies. Le modèle d’affiche transmis à la CNIL respecte les mentions d’information requises par la loi « informatique et libertés ». En plus des affiches, la CNIL note que les informations nécessaires figureront également sur le site web des ministères concernés, garantissant ainsi une transparence accrue. Quelles mesures de sécurité sont mises en place pour protéger les données de vidéosurveillance ?La CNIL a pris acte des mesures de sécurité mises en place par les ministères pour protéger les données de vidéosurveillance contre la disparition, la modification ou l’accès illégitime. Elle accueille favorablement l’utilisation de l’authentification forte et de mots de passe complexes, ainsi que des mécanismes de verrouillage après plusieurs tentatives infructueuses. La CNIL recommande également l’usage systématique de comptes individuels et nominatifs pour accéder aux données, afin de renforcer la traçabilité des accès. Concernant la qualité des données, elle soutient l’intégration de données d’horodatage et de localisation, ainsi que l’utilisation de mesures de chiffrement et de signature numérique pour garantir la sécurité des données extraites. |
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