L’Essentiel : La CJUE a statué que le service proposé par Uber doit être qualifié de service de transport, et non simplement de mise en relation. Cette décision souligne que l’intermédiation via l’application mobile est intrinsèquement liée à l’acte de transport, car sans cette plateforme, les chauffeurs non professionnels ne pourraient pas offrir leurs services. Ainsi, Uber ne se limite pas à un service d’intermédiation, mais crée également une offre de transport urbain, influençant les conditions de prestation et le prix des courses. Par conséquent, les États membres ont la compétence de réglementer ce service dans le cadre des transports.
|
Qualification de prestation de transport retenueL’affaire Uber a pris une dimension solennelle, la CJUE s’est réunie en Grande chambre pour conclure à la qualification de service de transport et non service de mise en relation (prestation de service). La Cour siège en grande chambre pour les affaires particulièrement complexes ou importantes. Le service de mise en relation avec des chauffeurs non professionnels fourni par Uber relève bien des services réglementés du domaine des transports. Les États membres peuvent par conséquent réglementer les conditions de ce service, hors du domaine de la libre prestation de ce service (électronique). La difficulté de l’affaire tenait au distinguo entre le service d’intermédiation proposé par l’application mobile et le service de transport en lui-même. En effet, un service d’intermédiation consistant à mettre en relation un chauffeur non professionnel utilisant son propre véhicule et une personne qui souhaite effectuer un déplacement urbain constitue, en principe, un service distinct du service de transport qui consiste en l’acte physique de déplacement de personnes ou de biens d’un endroit à un autre au moyen d’un véhicule. Uber, un service d’intermédiationEn apparence, toutes les conditions semblaient réunies pour retenir qu’Uber était une prestation de service. En effet, on entend par « Service », tout service de la société de l’information presté contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services. Les termes “à distance” couvrent un service fourni sans que les parties soient simultanément présentes. La notion de « par voie électronique » concerne un service envoyé à l’origine et reçu à destination au moyen d’équipements électroniques de traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et qui est entièrement transmis, acheminé et reçu par fils, par radio, par moyens optiques ou par d’autres moyens électromagnétiques. Un service d’intermédiation qui permet la transmission au moyen d’une application pour téléphone intelligent des informations relatives à la réservation du service de transport entre le passager et le chauffeur non professionnel utilisant son propre véhicule qui effectuera le transport répond, en principe, aux critères pour être qualifié de « service de la société de l’information ». En revanche, un service de transport urbain non collectif, tel qu’un service de taxi, est qualifié de « service dans le domaine des transports » (CJUE, 1/10/2015, Trijber et Harmsen, C‑340/14 et C‑341/14). Les États membres ne peuvent prendre, à l’égard d’un service donné de la société de l’information, des mesures dérogatoires que si les conditions suivantes sont remplies : 1) les mesures doivent être nécessaires i) à l’ordre public, en particulier la prévention, les investigations, la détection et les poursuites en matière pénale, notamment la protection des mineurs et la lutte contre l’incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité et contre les atteintes à la dignité de la personne humaine, ii) à la protection de la santé publique, iii) à la sécurité publique, y compris la protection de la sécurité et de la défense nationales, iv) à la protection des consommateurs, y compris des investisseurs ; 2) le service de la société de l’information constitue un risque sérieux et grave d’atteinte aux objectifs du i) ; Les mesures restrictives doivent être proportionnelles aux objectifs du i). De façon plus générale, les États membres ne peuvent subordonner l’accès à une activité de service et son exercice à un régime d’autorisation que si les conditions suivantes sont réunies : i) le régime d’autorisation n’est pas discriminatoire à l’égard du prestataire visé ; ii) la nécessité d’un régime d’autorisation est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général ; iii) l’objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle. En matière de transports, la directive UE n° 2006/123 du 12/12/2006 dite « Services » ou « Bolkestein » a exclu de son champ d’application les services de transport, y compris les transports urbains, les taxis et les ambulances, ainsi que les services portuaires. Uber, un duo de services : intermédiation et transportLa CJUE a considéré qu’Uber ne se résume pas à un service d’intermédiation consistant à mettre en relation, au moyen d’une application pour téléphone intelligent, un chauffeur non professionnel utilisant son propre véhicule et une personne qui souhaite effectuer un déplacement urbain. Le fournisseur du service d’intermédiation crée en même temps une offre de services de transport urbain, qu’il rend accessible notamment par des outils informatiques, tels que l’application en cause au principal, et dont il organise le fonctionnement général en faveur des personnes désireuses de recourir à cette offre aux fins d’un déplacement urbain. Sans l’application mobile, les chauffeurs non professionnels ne seraient pas amenés à fournir des services de transport et, d’autre part, les personnes désireuses d’effectuer un déplacement urbain n’auraient pas recours aux services desdits chauffeurs. De surcroît, Uber exerce une influence décisive sur les conditions de la prestation de tels chauffeurs. Uber établit, au moyen de l’application éponyme, à tout le moins le prix maximum de la course, cette société collecte ce prix auprès du client avant d’en reverser une partie au chauffeur non professionnel du véhicule, et exerce donc un certain contrôle sur la qualité des véhicules et de leurs chauffeurs ainsi que sur le comportement de ces derniers, pouvant entraîner, le cas échéant, leur exclusion. Ce service d’intermédiation a donc été considéré comme faisant partie intégrante d’un service global dont l’élément principal est un service de transport et, partant, comme répondant à la qualification non pas de « service de la société de l’information », au sens de la directive 2000/31 du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, mais de « service dans le domaine des transports », au sens de la directive 2006/123. Périmètre des services dans le domaine des transportsUne telle qualification est confortée par la jurisprudence de la CJUE selon laquelle la notion de « service dans le domaine des transports » englobe non seulement les services de transport pris en tant que tels, mais également tout service intrinsèquement lié à un acte physique de déplacement de personnes ou de marchandises d’un endroit à un autre grâce à un moyen de transport (CJUE, 15/10/2015, Grupo Itevelesa e.a., C‑168/14). Le service Uber répondant à la qualification de « service dans le domaine des transports », il relève non pas de l’article 56 TFUE, relatif à la libre prestation des services en général, mais de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, disposition spécifique aux termes de laquelle « la libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif aux transports » (CJUE, 22/12/2010, Yellow Cab Verkehrsbetrieb, C‑338/09). Les services de transport urbain non collectif ainsi que les services qui leur sont indissociablement liés n’ont pas donné lieu à l’adoption par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne de règles communes ou d’autres mesures, sur le fondement de l’article 91, paragraphe 1, TFUE. En l’état actuel du droit de l’Union, il revient donc aux États membres de réglementer les conditions de prestation des services d’intermédiation. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la conclusion de la CJUE concernant Uber ?La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a conclu que le service fourni par Uber doit être qualifié de service de transport plutôt que de simple service de mise en relation. Cette décision a été prise en Grande chambre, ce qui indique l’importance et la complexité de l’affaire. Cette qualification signifie que les États membres de l’UE ont le droit de réglementer les conditions de ce service, en dehors du cadre de la libre prestation de services électroniques. La CJUE a ainsi établi que le service d’intermédiation proposé par Uber, qui met en relation des chauffeurs non professionnels et des passagers, est intrinsèquement lié à l’acte de transport lui-même. Quelles sont les différences entre un service d’intermédiation et un service de transport ?Un service d’intermédiation, comme celui proposé par Uber, consiste à mettre en relation un chauffeur non professionnel avec un passager souhaitant effectuer un déplacement. Ce service est distinct du service de transport, qui implique le déplacement physique de personnes ou de biens d’un point à un autre. La CJUE a souligné que, bien que l’application mobile d’Uber facilite cette mise en relation, elle ne peut pas être considérée comme un service autonome. En effet, le service de transport urbain non collectif, tel qu’un service de taxi, est classé comme un service dans le domaine des transports, ce qui le soumet à des réglementations spécifiques. Quelles conditions doivent être remplies pour que les États membres réglementent les services de la société de l’information ?Les États membres peuvent imposer des mesures dérogatoires concernant les services de la société de l’information uniquement si certaines conditions sont remplies. Ces conditions incluent la nécessité de protéger l’ordre public, la santé publique, la sécurité publique et les droits des consommateurs. De plus, ces mesures doivent être proportionnelles aux objectifs visés. Cela signifie que les États membres ne peuvent pas imposer des restrictions sans justification solide, et que toute réglementation doit être non discriminatoire et justifiée par un intérêt général impérieux. Comment la CJUE a-t-elle qualifié le service d’Uber ?La CJUE a considéré qu’Uber ne se limite pas à un service d’intermédiation, mais qu’il constitue également un service de transport urbain. L’application mobile d’Uber joue un rôle déterminant en facilitant l’accès à ce service de transport, en organisant son fonctionnement et en influençant les conditions de prestation. Ainsi, le service d’intermédiation d’Uber est intégré dans un service global dont l’élément principal est le transport. Par conséquent, Uber est classé comme un « service dans le domaine des transports », ce qui le soumet à des réglementations spécifiques, plutôt que comme un simple service de la société de l’information. Quelle est la portée de la notion de « service dans le domaine des transports » selon la CJUE ?La CJUE a élargi la notion de « service dans le domaine des transports » pour inclure non seulement les services de transport en tant que tels, mais aussi tout service intrinsèquement lié à un acte physique de déplacement. Cela signifie que tout service qui facilite ou est associé au transport de personnes ou de marchandises est également inclus dans cette catégorie. Cette qualification a des implications importantes pour la réglementation des services de transport urbain, car elle signifie que les États membres ont la responsabilité de définir les conditions de prestation de ces services, sans être soumis aux règles générales de la libre circulation des services. |
Laisser un commentaire