L’Essentiel : Le typosquatting, pratique consistant à enregistrer des noms de domaine similaires à des marques renommées, constitue une atteinte grave aux droits des titulaires. Dans l’affaire Groupama, plusieurs noms de domaine ont été enregistrés par un individu en Suisse, exploitant la renommée de la marque pour capter le trafic des internautes. Le tribunal a reconnu l’intention malveillante du défendeur, condamnant ce dernier à verser 4000 euros à Groupama pour atteinte à la renommée de ses marques et ordonnant le transfert des noms de domaine litigieux. Cette décision souligne l’importance de protéger les marques contre de telles pratiques frauduleuses.
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L’exploitation de noms de domaine Typosquattés est bien un usage non autorisé dans la vie des affaires de signes à tout le moins similaires aux marques déposées par un tiers (de surcroît pour les marques renommées ou le typosquatting présente le plus d’opportunités de fraude).
Capter le trafic des internautesLe déposant fautif peut être condamné dès lors qu’il tente de capter sans motif légitime et de mauvaise foi le trafic des internautes, clients du titulaire de la marque, qui tenteraient d’accéder à l’un de ses sites internet ou / et commettraient une erreur de frappe dans l’adresse de ces sites. Affaire GroupamaEn la cause, il ressort de la typographie des noms de domaine déposés et de leur réservation en grand nombre le même jour, la catactérisation d’une intention malveillante du déposant ayant justifié les mesures prises en urgence et non contradictoirement par ordonnance. L’exploitation des noms de domaine, similaires aux marques Groupama, permettait au défendeur, dépourvu de droits sur le signe et de lien avec Groupama, d’échanger par courrier électronique avec des personnes pensant s’adresser à Groupama. Le règlement (CE) 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993Le règlement (CE) 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire, applicable aux marques de l’Union européenne invoquée, prévoit en son article 9 que : 1. La marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires : a) d’un signe identique à la marque communautaire pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée; b) d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque communautaire et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque communautaire et le signe, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque; c) d’un signe identique ou similaire à la marque communautaire pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque communautaire est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans la Communauté et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque communautaire ou leur porte préjudice. 2. Il peut notamment être interdit, si les conditions énoncées au paragraphe 1 sont remplies : a) d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement; b) d’offrir les produits ou de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe; c) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe; d) d’utiliser le signe dans les papiers d’affaires et la publicité. Aux termes de l’article L.713-3 du code de la propriété intellectuelle, est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d’un signe identique ou similaire à la marque jouissant d’une renommée et utilisé pour des produits ou des services identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, si cet usage du signe, sans juste motif, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, ou leur porte préjudice. Une marque est considérée comme étant renommée lorsqu’elle est connue d’une fraction significative du public concerné par les produits visés à l’enregistrement et qu’elle exerce un pouvoir d’attraction propre indépendant des produits ou services qu’elle désigne, ces conditions devant être réunies au moment des atteintes alléguées. Sont notamment pris en compte l’ancienneté de la marque, son succès commercial, l’étendue géographique de son usage et l’importance du budget publicitaire qui lui est consacré, son référencement dans la presse et sur internet, l’existence de sondages ou enquêtes de notoriété attestant de sa connaissance par le consommateur, des opérations de partenariat ou de mécénat ou encore éventuellement, de précédentes décisions de justice. Ces critères ne sont pas cumulatifs, mais appréciés dans leur globalité et le titulaire d’une marque enregistrée peut, aux fins d’établir le caractère distinctif particulier et la renommée de celle-ci, se prévaloir de preuves de son utilisation sous une forme différente en tant que partie d’une autre marque enregistrée et renommée, à condition que le public concerné continue à percevoir les produits en cause comme provenant de la même entreprise (CJCE 6 oct 2009, Pago international c/ Tirolmilchregistrierte Genossenschaft, C-301/07, point 25 ; TUE 5 mai 2015, Spa Monopole c/ OHMI et [Localité 5] International T 131/12, point 33). L’atteinte portée à la marque renomméeL’atteinte portée à la renommée suppose que le public concerné établisse un lien entre les marques en litige, alors même qu’il ne les confond pas, et l’existence de ce lien doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce et selon divers critères tirés du degré de similitude entre les marques, de la nature des produits et services visés à leur enregistrement, de l’intensité de la renommée et du caractère distinctif de la marque antérieure ainsi que du risque de confusion (Cass. com., 7 juin 2016, n° 14-16.885). La protection suppose donc la démonstration d’un lien entre la marque antérieure et le signe contesté et non celui d’un risque de confusion. Ce lien résulte d’un certain degré de similitude entre les marques antérieure et postérieure, en raison duquel le public concerné effectue un rapprochement entre ces deux marques, alors même qu’il ne les confond pas (CJCE, 10 juill. 2003, Adidas, C-408/01). Le lien est donc établi si la marque postérieure évoque la marque antérieure renommée dans l’esprit du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (CJUE, 27 nov. 2008, Intel Corporation, C-252/07). La caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama détient plusieurs marques, dont la marque verbale « Groupama » et des marques semi-figuratives, enregistrées pour divers services liés aux assurances et aux finances. Le 5 octobre 2023, Groupama découvre que plusieurs noms de domaine, similaires à ses marques, ont été enregistrés par M. [F] [H] en Suisse. En réponse, le président du tribunal judiciaire ordonne le blocage de ces noms de domaine le 24 novembre 2023. Groupama assigne M. [H] pour contrefaçon de marques, demandant des dommages et intérêts ainsi que le transfert des noms de domaine. Le tribunal condamne M. [H] à verser 4000 euros à Groupama pour atteinte à la renommée de ses marques et ordonne le transfert des noms de domaine litigieux à Groupama, tout en rejetant la demande de publication du jugement. M. [H] est également condamné aux dépens et à payer 4000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile. REPUBLIQUE FRANÇAISE 9 octobre 2024 [1] Le ■ 3ème chambre N° RG 23/15973 – N° MINUTE : Assignation du : JUGEMENT La CAISSE NATIONALE DE REASSURANCE MUTUELLE AGRICOLE GROUPAMA représentée par Maître Olivier ITEANU de la SELARL ITEANU, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #D1380 DÉFENDEUR Monsieur [F] [H] défaillant Décision du 09 octobre 2024 COMPOSITION DU TRIBUNAL Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjoint assistés de Lorine MILLE, greffière, DEBATS En application des articles L. 212-5-1 du code de l’organisation judiciaire et 839 du code de procédure civile et après avoir recueilli l’accord des partie, la procédure s’est déroulée sans audience. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 09 octobre 2024. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe La caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama (ci-après Groupama) est un groupe mutualiste d’assurance et de services financiers. Elle est titulaire de diverses marques, dont :- la marque verbale française “Groupama” n° 1481901, déposée le 5 août 1988 pour désigner divers produits et services en classes 1 à 42, dont des services d’assurances et de finances – la marque verbale de l’Union européenne “Groupama” n° 001210863, déposée le 10 juin 1999 pour désigner divers services en classes 35, 36, 37, 39 et 42, dont des services d’assurances, d’affaires immobilières et de finances Elle indique également avoir déposé les noms de domaine , et . Selon son assignation, Groupama demande au tribunal de :- condamner M. [H] à lui payer : Au soutien de ses demandes, Groupama fait principalement valoir que :- les marques qu’elle invoque sont renommées pour être connues d’une partie significative du public concerné compte tenu de leur utilisation continue depuis leur dépôt et antérieurement depuis 1986 sous des signes similaires, de leur notoriété en tant que service d’assurances auprès d’un large public et de la reconnaissance de cette notoriété par des décisions de justice et administratives antérieures À titre subsidiaire, elle soutient qu’outre l’identité de signe, les noms de domaine litigieux ont été exploités pour des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels les marques invoquées sont enregistrées, compte tenu de l’activité déclarée de M. [H] dans le domaine du marketing, du conseil, du coaching et de la formation. En application de l’article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée. 1 – Sur la demande principale en atteinte aux marques renommées Le règlement (CE) 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire, applicable aux marques de l’Union européenne invoquée, prévoit en son article 9 que :1. La marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires : Aux termes de l’article L.713-3 du code de la propriété intellectuelle, est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d’un signe identique ou similaire à la marque jouissant d’une renommée et utilisé pour des produits ou des services identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, si cet usage du signe, sans juste motif, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, ou leur porte préjudice. Au soutien de la renommée de ses marques françaises n° 1481901 et n° 4287380, de l’Union européenne n° 003543139, n° 001210863 et internationale n° 1337221, Groupama produit aux débats :- une décision de la commission administrative de l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle du 5 janvier 2016 reconnaissant la notoriété de la marque de l’Union européenne n° 003543139 “Groupama” (sa pièce n° 3) La renommée des marques invoquées est, ainsi, établie pour le public concerné constitué des consommateurs de services d’assurances, normalement informés, raisonnablement attentifs et avisés, et d’attention moyenne. L’article L.716-4-10 du code de la propriété intellectuelle dispose que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ; L’emploi de l’adverbe “distinctement” et non “cumulativement”, commande une appréciation distincte des chefs de préjudice et non pas cumulative. Au cas présent Groupama ne verse aucune pièce au soutien de ses demandes en réparation. 3.1 – S’agissant des frais du procès Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie. Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement. Le tribunal, Condamne M. [F] [H] à payer 4000 euros à la caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama à titre de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte à la renommée des marques verbale française “Groupama” n° 1481901, semi-figurative française “Groupama” n° 4287380, semi-figurative de l’Union européenne “Groupama” n° 003543139, verbale de l’Union européenne “Groupama” n° 001210863 et semi-figurative internationale “Groupama” n° 1337221 ; Ordonne le transfert à la caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama de l’enregistrement des noms de domaine , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , Dit que la décision, une fois définitive, sera transmise à l’association française pour le nommage internet en coopération (AFNIC) et à la société OVH par la partie la plus diligente aux fins d’enregistrement de ce transfert ; Rejette la demande de publication du jugement ; Condamne M. [F] [H] aux dépens ; Condamne M. [F] [H] à payer 4000 euros à la caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama en application de l’article 700 du code de procédure civile. Fait et jugé à Paris le 09 octobre 2024 La greffière Le président empéché |
Q/R juridiques soulevées :
Qu’est-ce que le typosquatting et comment est-il lié à la contrefaçon de marques ?Le typosquatting est une pratique consistant à enregistrer des noms de domaine qui sont des variations typographiques de marques renommées, dans le but de capter le trafic des internautes. Cette méthode exploite les erreurs de frappe courantes que les utilisateurs peuvent faire lorsqu’ils tentent d’accéder à un site web légitime. Dans le cas de Groupama, plusieurs noms de domaine similaires à ses marques ont été enregistrés par un individu, M. [H]. Cela a été considéré comme une atteinte à la renommée des marques de Groupama, car ces noms de domaine ont été utilisés pour tromper les internautes, les amenant à croire qu’ils communiquaient avec Groupama alors qu’ils ne le faisaient pas. Cette exploitation malveillante des noms de domaine a justifié des mesures judiciaires, notamment le blocage de ces domaines et la condamnation de M. [H] pour contrefaçon de marques. Quels sont les critères pour qu’une marque soit considérée comme renommée ?Pour qu’une marque soit considérée comme renommée, elle doit être connue d’une fraction significative du public concerné par les produits ou services qu’elle désigne. Plusieurs critères sont pris en compte pour établir cette renommée : 1. Ancienneté de la marque : Plus une marque est ancienne, plus elle a de chances d’être reconnue par le public. 2. Succès commercial : Les ventes et la part de marché de la marque sont des indicateurs de sa notoriété. 3. Étendue géographique de l’usage : Une marque utilisée à une échelle nationale ou internationale est plus susceptible d’être reconnue. 4. Budget publicitaire : Un investissement important dans la publicité peut accroître la visibilité et la reconnaissance de la marque. 5. Référencement dans la presse et sur Internet : La couverture médiatique et la présence en ligne contribuent à la notoriété. 6. Sondages de notoriété : Des études montrant la reconnaissance de la marque par le public sont des preuves tangibles de sa renommée. Ces critères sont évalués dans leur globalité et non de manière cumulative, permettant ainsi de déterminer si la marque jouit d’une renommée suffisante pour bénéficier d’une protection juridique. Quels ont été les résultats de l’affaire Groupama contre M. [H] ?Dans l’affaire opposant Groupama à M. [H], le tribunal a rendu un jugement le 9 octobre 2024, condamnant M. [H] à verser 4000 euros à Groupama pour atteinte à la renommée de ses marques. Le tribunal a également ordonné le transfert des noms de domaine litigieux à Groupama, considérant que M. [H] avait agi de mauvaise foi en enregistrant ces noms de domaine similaires. En outre, la demande de publication du jugement a été rejetée, et M. [H] a été condamné aux dépens, ce qui signifie qu’il devra couvrir les frais de la procédure judiciaire. Cette décision souligne l’importance de la protection des marques renommées et les conséquences juridiques pour ceux qui tentent de tirer profit de leur réputation sans autorisation. Comment le règlement (CE) 40/94 protège les marques communautaires ?Le règlement (CE) 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 établit un cadre juridique pour la protection des marques communautaires au sein de l’Union européenne. Selon ce règlement, une marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif, lui permettant d’interdire à des tiers d’utiliser des signes identiques ou similaires dans la vie des affaires sans son consentement. Les principales protections offertes par ce règlement incluent : 1. Interdiction d’utilisation : Le titulaire peut interdire l’utilisation d’un signe identique pour des produits ou services identiques. 2. Risque de confusion : Si un signe est similaire à la marque et que les produits ou services sont également similaires, le titulaire peut interdire son utilisation en raison du risque de confusion dans l’esprit du public. 3. Renommée de la marque : Si la marque jouit d’une renommée, son titulaire peut interdire l’utilisation d’un signe similaire même pour des produits non similaires, si cela porte préjudice à la marque. Ces dispositions visent à protéger les droits des titulaires de marques et à prévenir les abus, comme le typosquatting, qui peuvent nuire à la réputation et à l’intégrité des marques établies. Quelles sont les implications de la décision du tribunal pour M. [H] ?La décision du tribunal a plusieurs implications significatives pour M. [H]. Tout d’abord, il a été condamné à verser 4000 euros à Groupama, ce qui représente une sanction financière pour l’atteinte à la renommée de ses marques. De plus, le tribunal a ordonné le transfert des noms de domaine litigieux à Groupama, ce qui signifie que M. [H] perdra tout droit sur ces domaines qu’il avait enregistrés. Cela peut également avoir des conséquences sur ses activités professionnelles, surtout si ces noms de domaine étaient liés à ses projets commerciaux. Enfin, M. [H] a été condamné aux dépens, ce qui implique qu’il devra couvrir les frais de la procédure judiciaire. Cette décision peut également avoir un impact sur sa réputation professionnelle, car elle souligne une conduite jugée malveillante et contraire aux principes de la propriété intellectuelle. En somme, cette affaire illustre les risques juridiques associés à l’enregistrement de noms de domaine similaires à des marques renommées et les conséquences qui en découlent. |
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