L’Essentiel : L’appel dilatoire en matière de contrefaçon peut entraîner des sanctions sévères. Selon l’article 32-1 du code de procédure civile, une action en justice jugée dilatoire ou abusive expose son auteur à une amende civile pouvant atteindre 10 000 euros, en plus des dommages-intérêts. Ce droit d’agir devient abusif lorsque l’action est engagée en connaissance de son absence de mérite, ou par légèreté inexcusable, forçant l’autre partie à se défendre contre des accusations infondées. Dans le cas de la société NDE, le tribunal a conclu à un dépôt frauduleux des marques, entraînant le rejet de ses demandes et des condamnations pour procédure abusive.
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La présentation déloyale des faits dans l’exposé des conclusions peut être sanctionnée par une condamnation pour appel abusif.
En application de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. Le droit d’agir en justice dégénère en abus lorsqu’il est exercé en connaissance de l’absence totale de mérite de l’action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l’autre partie à se défendre contre une action ou un moyen que rien ne justifie sinon la volonté d’obtenir ce que l’on sait indu, une intention de nuire, ou l’indifférence aux conséquences de sa légèreté. Résumé de l’affaire :
Contexte de l’affaireLa société ‘NDE nouvelle distribution européenne’ (NDE) a commencé à distribuer en France, depuis 2002, un détergent « casher » sous les marques « Bagui » et « Shumanit », fabriqué par la société israélienne ‘Bagi professional cleaning products’ (Bagi). NDE a déposé les marques en France en mars 2002 pour des produits de nettoyage. Dépôts de marquesLa société Bagi avait précédemment déposé des marques en Israël en 1997 et détient également des marques internationales pour la France, enregistrées en 2011. Ces marques incluent ‘Bagi’ et ‘Shumanit’. Distribution concurrenteDepuis 2020, la société Eldai distribue des produits « Bagui shumanit » en France, par l’intermédiaire de la société israélienne ‘International private label products’ (IPL). NDE a alors assigné Eldai en contrefaçon de marques et en concurrence déloyale en août 2020. Procédures judiciairesLe juge a écarté les fins de non-recevoir soulevées par Eldai en avril 2022. Eldai a ensuite été placée en procédure de sauvegarde en avril 2023, convertie en redressement judiciaire en novembre 2023. L’instruction s’est close en juillet 2023. Prétentions des partiesNDE demande la reconnaissance de la contrefaçon de ses marques et des dommages-intérêts pour préjudice. Eldai, en réponse, demande l’annulation des marques de NDE et des dommages pour procédure abusive. Bagi demande le transfert de ses marques et des dommages pour concurrence déloyale. Décisions du tribunalLe tribunal a statué que les marques ‘Bagui’ et ‘Shumanit’ appartiennent à Bagi et ordonne leur transfert. Il rejette les demandes de NDE pour contrefaçon et concurrence déloyale, annule le procès-verbal de saisie-contrefaçon, et condamne NDE à payer des dommages à Bagi et Eldai pour procédure abusive et concurrence déloyale. REPUBLIQUE FRANÇAISE 25 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Paris RG n° 20/07661 TRIBUNAL
JUDICIAIRE DE PARIS ■ 3ème chambre N° RG 20/07661 N° MINUTE : Assignation du : JUGEMENT S.A.R.L. NOUVELLE DISTRIBUTION EUROPEENNE représentée par Maître Claire DE CHASSEY de l’AARPI TWELVE, avocat au barreau de PARIS, avocats postulant, vestiaire #C1212 et par Maître Jean-Marc MOINARD, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, #E1102 DÉFENDERESSES S.A. ELDAI représentée par Maître Jonathan ELKAIM, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0810 Société BAGI PROFESSIONAL CLEANING PRODUCTS représentée par Maître Floriane CODEVELLE de CASALONGA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0177 Copies éxecutoires délivrées le : Décision du 25 Octobre 2024 Société INTERNATIONAL PRIVATE LABEL PRODUCTS COMPANY – intervenante forcée défaillant COMPOSITION DU TRIBUNAL Madame Irène BENAC, Vice-Présidente assistée de Monsieur Quentin CURABET, Greffier DEBATS En application des l’articles L.212-5-1 du code de l’organisation judiciaire et 839 du code de procédure civile, et après avoir recueilli l’accord des parties, la procédure s’est déroulée sans audience. Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 04 Octobre 2024, puis prorogé en dernier lieu au 25 Octobre 2024. JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à dipsosition au greffe EXPOSÉ DU LITIGE
1. La société ‘NDE nouvelle distribution européenne’ (la société NDE) a distribué en France, à partir de 2002, un détergent « casher » identifié par les signes « Bagui » et « Shumanit », fabriqué par la société de droit israélien ‘Bagi professional cleaning products’ (la société Bagi). 2. Elle a déposé, le 13 mars 2002, les deux marques verbales françaises ‘Bagui’ numéro 3 153 315 et ‘Shumanit’ (ou ‘Shu manit’) numéro 3 153 316 et enregistrées [BOPI 2002-33] pour désigner les « préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser » en classe 3. 3. La société Bagi avait elle-même déposé en Israël, en 1997, des marques figuratives et verbales ‘Bagi’. 4. La société Bagi est également titulaire des marques internationales semi-figuratives désignant la France : 5. Depuis 2020, la société Eldai distribue en France des produits « Bagui shumanit » de la société Bagi, par l’intermédiaire de la société de droit israélien ‘International private label products’ (la société IPL). 6. La société NDE, se prévalant de ses marques Bagui et Shumanit et se plaignant par ailleurs de ce que les produits vendus par la société Eldai reprennent à l’identique l’étiquette du produit, la société NDE a assigné la société Eldai en contrefaçon de marques et concurrence déloyale le 24 aout 2020. Celle-ci a assigné les sociétés Bagi et IPL en intervention forcée le 4 mars 2021. La société Bagi a comparu mais pas la société IPL. 7. Par ordonnance du 1er avril 2022 (confirmée le 29 mars 2023) le juge de la mise en état a écarté les fins de non-recevoir soulevées par la société Eldai et tirées de la forclusion par tolérance et du défaut d’usage sérieux. 8. La société Eldai a fait l’objet d’une procédure de sauvegarde le 27 avril 2023, convertie en redressement judiciaire le 23 novembre 2023. 9. L’instruction a été close le 6 juillet 2023. À l’audience du 16 mai 2024, le tribunal a invité les parties à justifier de la mise en cause des organes de la procédure collective de la société Eldai. L’avocat de la société Eldai a communiqué le même jour un courriel de l’administrateur judiciaire de cette société qui « confirm[e] » son accord pour que cet avocat représente « les organes de la procédure » dans la présente instance. Il a signifié le même jour des conclusions aux termes desquelles la société Eldai est représentée par son administrateur. Prétentions des parties 10. La société NDE, dans ses dernières conclusions (11 avril 2023), résiste aux demandes reconventionnelles et demande que soient reconnues la contrefaçon de ses marques et la concurrence déloyale distincte qu’elle impute à la société Eldai, que celle-ci soit condamnée à lui payer, au titre de la contrefaçon, 53 704,68 euros « à parfaire » en réparation de son préjudice patrimonial et 20 000 euros en réparation de son préjudice moral, 70 000 euros au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, outre un droit d’information, des mesures d’interdiction, de rappel, destruction, suppression de « toute reproduction des articles incriminés » et publication, sous astreintes, ainsi que 50 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et le recouvrement des dépens par son avocat. 11. La société Eldai, dans ses dernières conclusions (23 avril 2023), résiste aux demandes dirigées contre elle et reconventionnellement demande l’annulation du procès-verbal de saisie-contrefaçon, l’annulation des marques « Shu manit » et ‘Bagui’ déposées par la société NDE, la condamnation des sociétés Bagi et IPL à la garantir de toute condamnation, la condamnation de la société NDE à lui payer 15 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et 25 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. 12. La société Bagi, dans ses dernières conclusions (29 mai 2023), demande le transfert à son profit des marques françaises Shumanit et Bagui déposées par la société NDE, subsidiairement leur annulation, le rejet des demandes de la société NDE et de l’appel en garantie de la société Eldai, l’interdiction pour la société NDE d’utiliser les signes ‘Bagui’, ‘Bagi’ et ‘Shumanit’ et de commercialiser les produits litigieux sous la marque ‘Mac allister’, la condamnation de la société NDE à lui payer 50 000 euros pour concurrence déloyale, 50 000 euros pour procédure abusive et 40 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. MOTIVATION
I . Intervention de l’administrateur judiciaire de la société Eldai 13. L’article 802 du code de procédure civile prévoit que les interventions volontaires sont recevables même après la clôture de l’instruction. 14. Les conclusions du 16 mai 2024 de la société Eldai mentionnent, pour la première fois, que ces conclusions sont prises pour la société Eldai représentée par son administrateur judiciaire. Elles valent, dès lors, intervention volontaire de cet administrateur, ès qualités. Elles ne diffèrent pour le reste, en rien, des conclusions précédentes du 23 mai 2023. 15. Ainsi, les dernières conclusions de la société Eldai pouvant être prises en compte sur le fond sont les conclusions du 23 mai 2023 (dernières conclusions avant la clôture) mais celles du 16 mai 2023 sont recevables en ce qu’elles portent intervention volontaire de l’administrateur judiciaire. II . Demandes relatives aux marques françaises Bagui et Shumanit 1 . Revendication des marques Bagui et Shumanit par la société Bagi Moyens des parties 16. La société Bagi expose qu’elle exploitait déjà les signes Bagi ou Bagui (ce dernier n’étant selon elle que la transcription phonétique en français de « Bagi ») et Shumanit avant d’être approchée par la société NDE en 2001 pour distribuer ses produits. Elle indique n’avoir consenti à cette société une exclusivité que jusqu’au 31 décembre 2002, sans reconduction tacite, en vertu du contrat du 18 avril 2002. Elle soutient alors que la société NDE a déposé les marques avant même la signature de ce contrat, que rien ne l’autorisait à un tel dépôt, que ce dépôt avait pour but d’empêcher la pénétration d’autres distributeurs sur le marché français en la privant ainsi, avec ses distributeurs, d’un signe nécessaire à leur activité, ce dont le présent procès est la preuve, selon elle. 17. La société NDE, qui soutient que la fraude, motif de revendication de marque, se distingue de la mauvaise foi, motif de nullité, ne répond pas expressément à la demande de la société Bagi fondée sur la fraude mais expose, contre la demande en nullité fondée sur la mauvaise foi, que celle-ci s’apprécie au regard de la connaissance qu’un tiers utilise le signe, l’intention d’empêcher ce tiers de continuer à l’utiliser et le degré de protection juridique dont jouissent les signes en cause, et estime ces critères non réunis en l’espèce. Elle soutient en effet que les signes Bagi et Shumanit ne jouissaient d’aucune notoriété au moment du dépôt ; qu’au contraire, ses relations avec la société Bagi débutaient et l’activité de celle-ci était encore restreinte ; qu’elle n’était animée d’aucune intention de nuire mais de celle d’exploiter les marques, ayant elle-même fait connaitre le produit en France, traduit l’étiquette de l’hébreu vers le français, financé la mise aux normes de l’étiquetage et de l’emballage en 2019 et 2021 ; que l’accord de distribution exclusive de 2002 a été tacitement prolongé par la poursuite de l’exécution matérielle des obligations de chaque partie après le terme stipulé ; qu’elle a ainsi déposé les marques dans le but de sécuriser la distribution paisible des produits en France ; que lorsque la société Bagi a elle-même déposé des marques, elle ne s’y est pas opposée. Appréciation du tribunal 18. L’article L. 712-6, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle prévoit que si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut en revendiquer sa propriété en justice. 19. Un dépôt de marque est entaché de fraude au sens de l’article L.712-6 du code de la propriété intellectuelle lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité (Cass. Com., 25 avril 2006, n° 04-15.641). Le transfert d’une marque pour fraude ne suppose pas la justification de droits antérieurs de la partie plaignante sur le signe litigieux, mais la preuve de l’existence d’intérêts sciemment méconnus par le déposant (Com., 19 décembre 2006, n° 05-14.431). 20. Cette notion doit également s’interpréter à la lumière de celle de mauvaise foi prévue (au titre des causes de nullité) par la directive 2015/2436 et, dans les mêmes termes, à la date du dépôt de la marque en cause, par la première directive 89/104, et qui est caractérisée lorsqu’il ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine (CJUE, 29 janvier 2020, Sky, C-371/18, point 75 et jurisprudence citée). 21. La logique commerciale du dépôt de la marque litigieuse au regard des activités du déposant est un facteur pertinent (CJUE, 12 septembre 2019, Koton, C-104/18 P, point 62 in fine), mais sans pouvoir déduire une mauvaise foi de la seule absence d’activité économique, le déposant disposant d’un délai de cinq ans pour débuter l’usage sérieux de sa marque (CJUE, Sky, précité, points 76 et 78). 22. Au cas présent, il est constant que la société NDE a distribué en France, à partir de 2002, le détergent fabriqué par la société israélienne Bagi, qui le commercialisait déjà ailleurs sous les signes ‘Bagi’ et ‘Shumanit’. Il n’est pas contesté que « Bagui » est la translittération phonétique française de « Bagi ». La société Bagi justifie par ailleurs avoir créé en 1998 l’étiquette, qui contient les signes ‘Bagui’ et ‘Shumanit’, ce que la société NDE ne conteste pas formellement (elle allègue seulement avoir financé la traduction de cette étiquette en français et sa « mise aux normes » en 2019 et 2021). Ainsi, le produit en cause et la façon dont il est identifié auprès du public est de la responsabilité de la société Bagi et les signes servant à cette identification, ‘Bagui’ et ‘Shumanit’ sont dès lors nécessaires à l’activité de cette société. 23. La société NDE affirme elle-même avoir été en relation avec la société Bagi dès 2001 et elle ne conteste pas avoir su, à la date du dépôt le 13 mars 2002, que les signes ‘Bagui’ et ‘Shumanit’ qu’elle déposait étaient ceux que son fournisseur avait déjà choisis auparavant pour identifier les produits qu’elle s’apprêtait à distribuer. Le fait que ces signes soient ou non connus par ailleurs est indifférent dès lors qu’elle, au moins, savait qu’ils étaient utilisés par son fournisseur pour les produits qu’elle allait distribuer et étaient de ce fait nécessaires à l’activité de celui-ci. 24. Ainsi, en déposant sciemment à titre de marque ces deux signes nécessaires à l’activité de son fournisseur sans l’accord de celui-ci, la société NDE s’est indument réservé, pour le territoire français, l’exclusivité définitive de la distribution, ou à tout le moins le contrôle de l’usage des signes nécessaires à cette distribution. 25. Si l’on peut envisager qu’à la date du dépôt, la société NDE n’ait eu pour intention que de sécuriser loyalement cette distribution afin de préserver à la fois les intérêts de la société Bagi (pour toute la durée d’existence des marques) et les siens (pour la seule durée d’une éventuelle exclusivité de la distribution, qui n’était pas encore convenue, le contrat de distribution exclusive n’ayant été conclu qu’en avril 2002), encore eût-il fallu qu’elle dépose la marque au nom de la société Bagi et non en son nom propre. 26. En toute hypothèse, son comportement ultérieur, à savoir l’assignation en 2020 de la société Eldai dès que celle-ci a commencé à distribuer les produits Bagui Shumanit et le maintien de ses demandes même après que la société Bagi elle-même a conclu pour confirmer qu’il s’agissait bien de son distributeur, démontre que le dépôt des marques avait pour but de s’assurer frauduleusement une exclusivité sur le signe de la société Bagi en empêchant définitivement celle-ci de se choisir un autre distributeur. 27. Ce dépôt est donc frauduleux et la demande en revendication de la société Bagi, qui a un droit sur ces marques, doit être accueillie. Conséquences de la revendication 28. La revendication de la propriété d’un bien a pour effet de reconnaitre le droit du propriétaire, qui par hypothèse est antérieur à la demande, donc de manière rétroactive. Il en va de même pour la revendication de la propriété d’une marque, appréciée à la date du dépôt, qui produit donc son effet rétroactivement dès le dépôt. 29. Par suite, la société NDE est réputée n’avoir jamais été titulaire des deux marques françaises Bagui et Shumanit sur lesquelles elle fonde ses demandes en contrefaçon (dommages et intérêts, communication d’information, publication, interdiction, rappel, destruction, suppression) lesquelles doivent par conséquent être rejetées. 30. La demande en nullité de ces marques formée par la société Eldai en tant qu’elles sont détenues par la société NDE se trouve, quant à elle, privée d’objet. 2 . Nullité de la saisie-contrefaçon 31. Le juge du fond, appréciant la régularité des éléments de preuve qui lui sont soumis, peut annuler un procès-verbal de saisie-contrefaçon pour des motifs tirés des conditions de délivrance de l’ordonnance sur requête (Cass. Com., 17 mars 2015, n°13-15.862). 32. En application de l’article L. 716-4 du code de la propriété intellectuelle, la saisie-contrefaçon ne peut être demandée que par une personne ayant qualité à agir en contrefaçon, c’est-à-dire, selon l’article L. 716-4-2, par le titulaire de la marque ou par le licencié avec le consentement du titulaire (ou sans action de la part de celui-ci dans un délai raisonnable lorsque la licence est exclusive). 33. Or la disparition rétroactive d’une condition de la saisie-contrefaçon entraine la nullité du procès-verbal de saisie, ne laisse rien subsister de celui-ci et emporte, en conséquence, l’impossibilité absolue de se prévaloir du contenu du procès-verbal et des produits saisis, ainsi que l’anéantissement de toute mesure qui en est la suite (par analogie, en cas d’annulation du titre, Cass. Com., 28 septembre 2022, n°20-16.874, point 21). 34. Il en résulte que, par l’effet de la revendication des deux marques en cause, la société NDE n’en était pas titulaire à la date de sa requête en saisie-contrefaçon fondée sur ces marques, de sorte qu’une condition à la délivrance de l’ordonnance autorisant cette mesure est manquante. 35. Par conséquent, la saisie-contrefaçon est annulée. III . Demande de la société NDE en concurrence déloyale Moyens des parties 36. La société NDE invoque la « reproduction servile » de son produit par la société Eldai, créant selon elle un risque de confusion. Contre l’affirmation de la société Eldai selon laquelle l’étiquette aurait été conçue par un tiers, elle critique la force probante des attestations produites pour le prouver, estime qu’il n’est pas déterminant qu’elle ait ou non originellement conçu l’étiquette aux motifs que c’est elle qui a pris en charge leur traduction et financé la mise aux normes de l’étiquette et de l’emballage en 2019 et 2021, qu’il suffit, pour caractériser la concurrence déloyale, que cette étiquette soit un élément d’identification des produits dont la reproduction crée un risque de confusion. Elle soutient alors que la société Eldai a délibérément reproduit à l’identique tous les éléments de l’étiquette, au-delà de la reprise des marques, notamment l’illustration, la charte graphique, les slogans, la disposition des informations. 37. Elle invoque par ailleurs un parasitisme tenant à ce que, au delà de la reprise des marques et de la concurrence déloyale déjà évoquée, l’emballage et l’étiquette des produits sont identiques à l’exception du nom de l’importateur, seul à être modifié, de sorte que, selon elle, la société Eldai profite sans bourse délier de ses investissements, de sa notoriété et de celle de ses marques alors qu’elle commercialise sans discontinuer ces produits depuis 2002, qu’elle veille au respect de la règlementation la plus récente, qu’à l’inverse elle ne peut pas vérifier la qualité et la sécurité que les produits de la société Eldai, ce qui entache sa réputation, que la société Eldai pratique en outre des prix plus attractifs en pillant ses efforts. 38. Elle estime inopérant le fait que la société Eldai s’approvisionne auprès du même fournisseur car il s’agit d’une contrefaçon et que les conditions de commercialisation précitées constituent une concurrence déloyale. 39. Elle se plaint également de la « captation » de la clientèle qu’elle estime avoir développé, avec la renommée des produits, en les distribuant et les promouvant depuis 2002. 40. En défense, la société Eldai se prévaut du principe de liberté du commerce et fait valoir que les produits sont les mêmes car ils proviennent du même fournisseur, auprès duquel elle se fournit licitement. Elle ajoute que l’étiquette était déjà la même en 2002 comme en atteste le catalogue de la société NDE. Elle invoque par ailleurs des contraintes techniques et fonctionnelles imposées par la nature du produit, faisant valoir que les étiquettes ont été créées en 1998 par un prestataire à la demande de la société Bagi, que la validation de la commercialisation est basée sur les documents fournis par le fabricant, lequel lui a remis des documents de mise aux normes répondant aux mêmes exigences. Elle soutient que la société NDE n’intervient pas dans la création du produit ni dans son aspect marketing. 41. Contre le parasitisme, elle fait valoir, entre autres, que la mise aux normes invoquée par la demanderesse est « basée sur les documents fournis par le fabricant » et que celle-ci s’est juste assurée auprès d’une société indépendante que le produit était conforme aux normes actuelles. Appréciation du tribunal 42. La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité civile édicté par l’article 1240 du code civil, consiste en des agissements s’écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre. L’appréciation de la faute doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits. 43. Constitue également une concurrence déloyale et est ainsi fautif au sens de l’article 1240 du code civil le fait, pour un agent économique, de se placer dans le sillage d’une entreprise en profitant indument des investissements consentis ou de sa notoriété, ou encore de ses efforts et de son savoir-faire ; qualifié de parasitisme, il résulte d’un ensemble d’éléments appréhendés dans leur globalité (Cass. Com., 4 février 2014, n°13-11.044 ; Cass. Com., 26 janvier 1999, n° 96-22.457), et qu’il faut interpréter au regard du principe de liberté du commerce et de l’industrie. 44. Au cas présent, il est constant que les sociétés NDE et Eldai commercialisent les mêmes produits, fabriqués par la société Bagi, et l’identité de chacune, en tant qu’importateur, est indiquée au dos de l’étiquette de ceux que chacune distribue respectivement. 45. La société Bagi produit une attestation du représentant d’une société tierce, dont un avocat israélien certifie l’identité, selon laquelle cette société a créé dès 1998, pour le compte de la société Bagi, le format de l’emballage et l’étiquette du produit Shumanit en hébreux, anglais et français. Sont jointes des photographies du produit revêtu de ces étiquettes en anglais et en français, dont il ressort que cette étiquette est identique à celle dont la société NDE critique la reprise par la défenderesse. Cette attestation n’est contestée par la société NDE que pour des motifs généraux portant, d’une part, sur la perte de crédibilité venant d’une erreur qui affecterait une autre attestation, mais cette première critique est infondée (cette autre attestation contiendrait l’affirmation selon laquelle la société Bagi n’aurait « jamais » consenti d’exclusivité en France alors que le contrat du 18 avril 2002 prévoyait une exclusivité jusqu’au 31 décembre 2002 mais, précisément, l’attestation critiquée, qui date de 2020, affirme seulement, au present perfect en anglais, c’est-à-dire un temps traduisant l’effet présent de faits passés, que la société Bagi « n’a pas consenti » d’exclusivité, ce qui n’exclut pas que tel ait pu être le cas 18 ans plus tôt) ; motifs portant, d’autre part, sur le fait que l’avocat israélien ayant certifié l’attestation ne saurait lui conférer la force d’un acte authentique, mais cette critique est inopérante, la preuve d’un fait pouvant être rapportée par tout moyen. La société NDE n’allègue aucun fait concret qui mettrait en doute la véracité du contenu de l’attestation, laquelle est, à l’inverse, corroborée par le propre catalogue 2002 de la société NDE qui montre la face avant du produit Shumanit, dont l’étiquette est déjà la même. 46. Cette attestation démontre ainsi que la société Bagi est non seulement à l’origine des éléments visuels de l’étiquette (ce que la société NDE ne conteste pas expressément au-delà de la critique de l’attestation) mais aussi de sa traduction en français, contrairement à ce qu’affirme, sans preuve, la société NDE. 47. S’agissant de la mise en conformité alléguée par la société NDE en 2019 et 2021, celle-ci communique seulement, pour le prouver, en premier lieu, un échange de courriels avec le centre antipoison de [Localité 9] qui lui a réclamé des informations sur le produit, ce qui ne prouve que la réponse ponctuelle à une autorité sanitaire sur les caractéristiques du produit et non un investissement dans la mise aux normes de ce produit ou de son étiquette. Elle communique, en second lieu, l’analyse faite en mars 2019 par une société tierce quant à la conformité de l’étiquette mais, d’une part, elle associe cette analyse à une étiquette manifestement différente de l’étiquette réellement exploitée telle qu’elle ressort des propres catalogues de la société NDE de 2002 ou de 2011 (elle mentionne ainsi la marque « Bagi » sans u au lieu de « Bagui » et elle contient plusieurs erreurs de traduction ou d’orthographe qui n’apparaissent pas sur la face avant de l’étiquette visible dans les catalogues antérieurs), de sorte que cette consultation n’a manifestement pas porté sur l’étiquette réellement exploitée et créée par la société Bagi en 1998, qui est celle qui figure sur les produits dont la vente est reprochée à la société Eldai ; d’autre part, en toute hypothèse, la société NDE n’expose pas en quoi cette analyse demandée à une société tierce aurait profité à la société Bagi et, à travers elle, à la société Eldai qui n’a fait que revendre les produits de cette société. L’argument tiré de la mise aux normes est ainsi infondé et, en toute hypothèse, inopérant. 48. Quant au développement de la clientèle, il n’est que le résultat normal de l’activité de distributeur qu’a exercée la société NDE depuis 2002, ce qui ne lui donne pas en soi un droit sur cette clientèle ni ne lui permet en soi d’interdire à son fournisseur de choisir un autre distributeur : cette question relève d’éventuelles prévisions contractuelles telles qu’une exclusivité, sur l’existence de laquelle, au cas présent, les parties s’opposent mais sans que la société NDE ne soulève expressément une telle exclusivité contractuelle au soutien de ses demandes (au demeurant le contrat du 18 avril 2002 accordait une exclusivité courant seulement jusqu’au 31 décembre 2002 sans envisager de reconduction tacite et stipulait au contraire qu’une telle exclusivité pourrait être « discutée » à certaines conditions, ce qui n’a pas été fait, de sorte que la poursuite des relations commerciales, même sans autre distributeur pendant 18 ans donc avec une exclusivité de fait, ne permet pas de conclure que l’exclusivité contractuelle initiale, limitée dans le temps sans que les conditions de sa prolongation ne soit convenues, aurait été tacitement reconduite). En toute hypothèse, à supposer qu’en contribuant par ses efforts initiaux à développer les débouchés du produit sur le territoire français à l’époque où il n’était pas connu, le distributeur ait créé une valeur économique individualisée, cette valeur n’a pas été indument perçue par le fabricant, au cas présent, dès lors que la société NDE a pu, pendant 18 ans d’une distribution exclusive de fait, largement rentabiliser les efforts qui auraient pu être consentis dans les premières années pour lancer le produit. 49. Ainsi, la société NDE n’est à l’origine ni du produit, ni de son étiquette, ni de sa traduction en français et il n’est pas établi que les dépenses qu’elle a pu engager pour en vérifier la conformité et plus généralement pour vendre le produit aient créé une valeur économique individualisée dont le fabricant du produit et, par suite, ses autres distributeurs, auraient bénéficié indument. Quant au risque de confusion, il est exclu dès lors que les seuls éléments pouvant légitimement identifier la société NDE, en tant que distributeur, par rapport aux autres distributeurs, sont bien identifiés en l’espèce (chacun indique être l’importateur des produits concernés). 50. Les griefs de concurrence déloyale par risque de confusion et de parasitisme ne reposent donc, en définitive, que sur l’existence d’une distribution concurrente des mêmes produits fournis par le même fournisseur, ce que rien n’interdit. 51. Par conséquent, cette demande, manifestement infondée et qui tend, à l’instar de la demande en contrefaçon, à détourner le cadre juridique pour imposer une exclusivité commerciale non consentie par le fournisseur, est rejetée. IV . Demande reconventionnelle de la société Bagi en concurrence déloyale Moyens des parties 52. La société Bagi reproche à la société NDE d’avoir, depuis l’introduction du présent procès, commercialisé un autre détergent que le sien, sous une marque « Mac allister » avec une étiquette ressemblant très fortement à la sienne, reprenant tous ses éléments caractéristiques engendrant, selon elle, un risque de confusion. 53. En réponse, la société NDE soutient que la société Bagi, en l’absence de commercialisation effective par ses soins sur le territoire français, est irrecevable et malfondée à former une telle demande. Elle ajoute que le succès des produits provient de ses propres efforts depuis 2002 et qu’on ne peut ainsi lui reprocher aucune « captation » de la clientèle ainsi attachée aux produits Shumanit, qui est en réalité sa clientèle. Appréciation du tribunal 54. La société NDE ne conteste pas commercialiser en France un détergent sous la marque Mac Allister (et Shumanit), dont les sociétés Bagi et Eldai justifient l’apparence par une photographie non contestée du produit acheté dans un magasin et dont le dos de l’étiquette indique qu’il est importé par la société NDE (la photographie la plus nette se trouve en pièce Eldai n° 31). 55. La face avant du produit Bagui Shumanit provenant de la société Bagi est reproduite ci-dessous à gauche (image issue des conclusions de la société NDE, p. 38), la face avant du produit Mac Allister Shumanit vendue par la société NDE (pièce Eldai n° 31) est reproduite ci-dessous à droite. 56. Au-delà de la forme banale du conditionnement, de la représentation d’une gazinière banale indiquant la destination du produit et du volume contenu, qui ne sont pas appropriables, ainsi que de la reprise de la marque Shumanit, que la société Bagi n’incrimine pas et qui n’est donc pas prise en compte, l’emballage litigieux (à droite) reprend une même disposition d’ensemble, exactement les mêmes bandeaux colorés, dans les mêmes couleurs (jaune orangé et noir), dans la même orientation et les mêmes positions, les mêmes slogans à un mot près (« le dissolvant des graisses », « agit de façon efficace [au lieu de « effective »] sans qu’il soit nécessaire de chauffer », « formule exclusive », aux mêmes positions, dans les mêmes couleurs et la même typographie ou presque (un bandeau noir à texte blanc de biais, en haut sous la marque, un bandeau jaune orangé à fond noir, de biais, en bas, une pastille rouge à texte blanc et bords dentelés, l’indication de la contenance dans un même (quasi-) rectangle jaune dans la moitié supérieure duquel est écrit « nouveau » en blanc sur fond rouge. 57. Les seules différences entre les produits sont l’apparence concrète de la gazinière, qui est banale et donc très peu distinctive, et la marque Bagui remplacée par la marque Mac Allister. 58. Au regard de cette quasi-identité des étiquettes, dans des éléments visuellement marquants, nombreux et jusque dans les détails, comme tels susceptibles d’être perçus comme identifiant le produit et son origine commerciale, le public cherchant à acheter un détergent tel que celui en cause est susceptible de croire acheter un produit en achetant l’autre, compte-tenu de l’attention au mieux moyenne qu’il apportera à la présentation du produit, ou, a minima, de croire que le flacon Mac Allister contient le même produit que le flacon Bagui et a fait l’objet d’un transfert d’une société à l’autre ou est commercialisé par plusieurs entreprises. 59. L’offre à la vente de ce produit constitue donc une concurrence déloyale dont la société Bagi est victime dès lors qu’elle commercialise en France les produits Bagui Shumanit par l’intermédiaire d’un distributeur. 60. Son interdiction doit, par conséquent, être ordonnée, une astreinte étant nécessaire. En revanche, l’interdiction ne peut pas porter, comme le demande la société Bagi, de manière abstraite sur les signes Bagui, Bagi ou Shumanit, dès lors qu’elle n’a pas allégué l’illicéité de ces signes en soi, mais doit seulement correspondre aux faits allégués et jugés illicites, à savoir l’offre à la vente du produit identifié ci-dessus au point 55. 61. La société Bagi n’expose pas concrètement les éléments permettant de justifier le préjudice qu’elle a subi. Néanmoins, il est établi que la concurrence déloyale a débuté en juin 2022 (date de l’achat objet de la pièce Eldai n° 31 précitée), durait encore en mai 2023 (pièce Bagi n° 9) et que la société NDE n’allègue pas expressément l’avoir cessée donc qu’elle a eu lieu depuis plus de 2 ans ; la société NDE expose elle-même avoir donné au produit Bagui Shumanit une certaine connaissance auprès du public, de sorte que les faits visant la confusion avec ce produit ont pu détourner une clientèle relativement importante, dans le cadre toutefois restreint du marché des produits casher, dont il est constant que les produits en cause relèvent. L’ampleur de ce marché peut être appréciée au regard du volume de 10 000 unités commandées par la société Eldai à la société Bagi en 2020. Vu la position que la société NDE se donne elle-même, les quantités qu’elle est en mesure de vendre peuvent être appréciées au moins à ces montants (mais pas à davantage en l’absence de toute preuve). La société NDE allègue elle-même le fait que les ventes du produit en cause sont surtout faites au printemps, pour les fêtes de Pâques. 3 saisons de vente ont donc eu lieu (2022, 2023, 2023). Le prix de vente de son produit par la société Bagi à ses distributeurs français est d’environ 2 euros (selon la facture de 2020 en pièce Eldai n° 8). Dans un tel marché restreint et au regard de la quasi-identité des étiquettes donc du degré élevé du risque de confusion, mais en l’absence d’élément probant, un taux de report de 40% peut être retenu, appliqué à une marge estimée là encore de façon restrictive en l’absence d’éléments probants, soit 10%. En considérant que les deux années durant lesquels les faits se sont produits ont permis la vente de 20 000 produits illicites, la perte de marge de la société Bagi peut être estimée à 2 400 euros. 62. Rien ne démontre, ici, que la société NDE aurait réalisé sur ces ventes un bénéfice dont la société Bagi aurait pu s’approprier un montant supérieur à cette marge de 2 400 euros. Elle a enfin subi la dilution de sa marque, qui, au regard des volumes de vente et de sa marges tels qu’ils viennent d’être estimés, n’excède pas davantage ce montant. 63. Par conséquent, la société NDE est condamnée à payer à la société Bagi 2 400 euros de dommages et intérêts en réparation de la concurrence déloyale. V . Demandes reconventionnelles pour procédure abusive Moyens des parties 64. La société Bagi estime que l’action a été engagée par la société NDE dans le but d’éliminer un concurrent en connaissance de l’absence de droit valable sur les produits. Elle en déduit un préjudice tenant à l’atteinte à sa réputation sur le marché à l’obligation de cesser la commercialisation de ses produits en France, donc une perte de chiffre d’affaires, et qu’elle estime à 50 000 euros. 65. La société Eldai soutient que la saisie-contrefaçon a eu pour effet de causer un trouble auprès des clients et salariés présents. Elle en déduit un préjudice de 15 000 euros. 66. En réponse, la société NDE estime que ces demandes relèvent d’une attitude dilatoire adoptée par la société Eldai tout au long du procès. Elle fait valoir que la saisie-contrefaçon qu’elle a demandée était limitée au « strict nécessaire », que la société Bagi ne démontre pas son préjudice et qu’au demeurant l’action n’a pas été engagée contre cette société. Appréciation du tribunal 67. En application de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. 68. Le droit d’agir en justice dégénère en abus lorsqu’il est exercé en connaissance de l’absence totale de mérite de l’action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l’autre partie à se défendre contre une action ou un moyen que rien ne justifie sinon la volonté d’obtenir ce que l’on sait indu, une intention de nuire, ou l’indifférence aux conséquences de sa légèreté. 69. L’action en contrefaçon engagée par la société NDE est l’exploitation du dépôt frauduleux des marques Bagui et Shumanit ; elle procède de la même intention de détourner le cadre légal pour obtenir une exclusivité qui n’était pas prévue par ailleurs. Il en va de même pour l’action en concurrence déloyale visant à reprocher, sur le terrain d’un risque de confusion, l’existence d’une distribution parallèle des mêmes produits venant d’un même fournisseur. Le caractère intentionnel de ce détournement est confirmé par la présentation déloyale des faits dans l’exposé des conclusions de la société NDE, qui se présente seulement comme titulaire des marques Bagui et Shumanit et distributrice de produits sous ce nom sans indiquer que ces produits lui sont fournis par la société Bagi (directement ou par l’intermédiaire de la société IPL), alors même qu’elle prétend par ailleurs que son dirigeant connait personnellement celui de la société Bagi. 70. L’action est donc abusive. Les défenderesses ne caractérisent concrètement aucun préjudice et l’action a permis à la société Bagi de reprendre possession des marques déposées en fraude ses droits ; elle lui a donc été bénéfique. S’agissant de la société Eldai, mise en cause seule pour la distribution du produit, l’action a causé un préjudice moral pouvant être estimé à 4 000 euros. Enfin, l’action ayant indirectement permis, grâce à l’intervention de la société Bagi, de corriger le registre des marques, et n’étant ainsi pas entièrement dépourvue d’intérêt pour l’ordre public, une amende civile n’est pas opportune. VI . Dispositions finales 71. Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. L’article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu’il détermine, en tenant compte de l’équité et de la situation économique de cette partie. 72. La société NDE perd le procès et est donc tenue aux dépens et doit indemniser les défenderesses des frais qu’elles ont dû exposer à ce titre et que l’équité permet d’estimer, en l’absence de justificatif mais au regard de l’ampleur et l’utilité perceptibles des diligences accomplies ainsi que de la propre demande de la société NDE (50 000 euros), à 20 000 euros pour la société Eldai et 15 000 euros pour la société Bagi. 73. L’exécution provisoire est de droit et rien ne justifie de l’écarter au cas présent (sauf pour l’inscription du transfert de propriété au registre des marques qui ne peut avoir lieu qu’une fois le jugement passé en force de chose jugée, c’est-à-dire qu’il ne sera plus susceptible d’appel). PAR CES MOTIFS
Le tribunal : Dit que les marques françaises ‘Bagui’ numéro 3 153 315 et ‘Shumanit’ numéro 3 153 316 sont depuis leur dépôt la propriété de la société de droit israélien ‘Bagi professional cleaning products’ et en ordonne le transfert à son profit ; Dit que cette décision sera inscrite au registre à l’initiative de la partie la plus diligente lorsqu’elle aura force de la chose jugée ; Rejette les demandes de la société NDE fondées sur la contrefaçon de ces marques (dommages et intérêts, communication, publication, interdiction, rappel, destruction, suppression) ; Annule le procès-verbal de la saisie-contrefaçon du 31 juillet 2020 autorisée par ordonnance du 16 juillet 2020 ; Rejette la demande de la société NDE fondée sur la concurrence déloyale et parasitaire ; Ordonne à la société ‘NDE nouvelle distribution européenne’ de cesser l’offre à la vente des produits « Mac Allister Shumanit » identifiés ci-dessus au point 55, qui constitue une concurrence déloyale, et ce sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée qui courra dans la limite maximale de 20 000 euros, et rejette les demandes d’interdiction de la société Bagi pour le surplus ; Condamne la société ‘NDE nouvelle distribution européenne’ à payer 2 400 euros à la société ‘Bagi professional cleaning products’ en réparation de la concurrence déloyale constituée par la vente de ces produits ; Condamne la société ‘NDE nouvelle distribution européenne’ à payer 4 000 euros à la société Eldai pour procédure abusive et rejette la demande de la société ‘Bagi professional cleaning products’ ; Condamne la société ‘NDE nouvelle distribution européenne aux dépens ainsi qu’à payer 20 000 euros à la société Eldai et 15 000 euros à la société ‘Bagi professional cleaning products’ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; Dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire sauf en ce qui concerne l’inscription du transfert des marques au registre. Fait et jugé à Paris le 25 Octobre 2024 Le Greffier La Présidente |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le contexte de l’affaire entre NDE et Bagi ?La société ‘NDE nouvelle distribution européenne’ (NDE) a commencé à distribuer en France, depuis 2002, un détergent « casher » sous les marques « Bagui » et « Shumanit », fabriqué par la société israélienne ‘Bagi professional cleaning products’ (Bagi). NDE a déposé les marques en France en mars 2002 pour des produits de nettoyage. En revanche, Bagi avait précédemment déposé des marques en Israël en 1997 et détient également des marques internationales pour la France, enregistrées en 2011. Ces marques incluent ‘Bagi’ et ‘Shumanit’, ce qui a conduit à des conflits de propriété intellectuelle entre les deux sociétés. Quelles sont les procédures judiciaires engagées dans cette affaire ?NDE a assigné Eldai en contrefaçon de marques et en concurrence déloyale en août 2020, après que cette dernière a commencé à distribuer des produits similaires. Le juge a écarté les fins de non-recevoir soulevées par Eldai en avril 2022. Eldai a ensuite été placée en procédure de sauvegarde en avril 2023, convertie en redressement judiciaire en novembre 2023. L’instruction s’est close en juillet 2023, et le tribunal a rendu son jugement le 25 octobre 2024. Quelles étaient les prétentions des parties impliquées dans le litige ?NDE demandait la reconnaissance de la contrefaçon de ses marques et des dommages-intérêts pour préjudice. En réponse, Eldai demandait l’annulation des marques de NDE et des dommages pour procédure abusive. Bagi, quant à elle, demandait le transfert de ses marques et des dommages pour concurrence déloyale. Ces demandes ont été au cœur des débats judiciaires, illustrant les tensions entre les droits de propriété intellectuelle et les pratiques commerciales. Quelle a été la décision du tribunal concernant les marques ‘Bagui’ et ‘Shumanit’ ?Le tribunal a statué que les marques ‘Bagui’ et ‘Shumanit’ appartiennent à Bagi et a ordonné leur transfert à cette société. Il a également rejeté les demandes de NDE pour contrefaçon et concurrence déloyale, annulé le procès-verbal de saisie-contrefaçon, et condamné NDE à payer des dommages à Bagi et Eldai pour procédure abusive et concurrence déloyale. Cette décision a des implications significatives pour la protection des marques et la concurrence sur le marché. Quelles sanctions ont été imposées à NDE pour procédure abusive ?NDE a été condamnée à payer 4 000 euros à la société Eldai pour procédure abusive. Le tribunal a également noté que l’action en contrefaçon engagée par NDE était abusive, car elle était fondée sur un dépôt frauduleux des marques. Cette décision souligne l’importance de la bonne foi dans les actions judiciaires et les conséquences d’une utilisation abusive du système judiciaire. Quels ont été les résultats financiers pour Bagi suite à la décision du tribunal ?La société Bagi a été condamnée à recevoir 2 400 euros de la part de NDE en réparation de la concurrence déloyale. Cette somme a été déterminée en tenant compte des pertes potentielles dues à la confusion sur le marché causée par la commercialisation des produits par NDE. Cela montre comment les tribunaux évaluent les dommages dans des cas de concurrence déloyale et l’importance de la protection des marques. Quelles sont les implications de cette affaire pour le droit des marques en France ?Cette affaire met en lumière les enjeux liés à la propriété intellectuelle et à la concurrence déloyale dans le cadre du droit des marques en France. Elle souligne l’importance de la bonne foi lors du dépôt de marques et les conséquences d’un dépôt frauduleux. Les décisions du tribunal peuvent également influencer la manière dont les entreprises gèrent leurs marques et leurs relations commerciales, en renforçant la nécessité de respecter les droits des tiers. |
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