Tribunal judiciaire d’Évreux, 8 janvier 2025, RG n° 24/00375
Tribunal judiciaire d’Évreux, 8 janvier 2025, RG n° 24/00375

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire d’Évreux

Thématique : Problématique de la validité des donations et de la protection des droits des parties dans le cadre d’une contestation notariale.

Résumé

Contexte de l’affaire

[O] [V] épouse [P] et [T] [P] sont propriétaires d’un terrain sur lequel se trouve leur maison, situé à [Adresse 1], [Localité 15]. [T] [P] a promis de donner une partie de ce terrain à sa fille [X] [P] et à son concubin [D] [S], désignés comme bénéficiaires d’une dotation cadastrée d’environ 950 m².

Demande de permis de construire

Le 1er mars 2019, [D] [S] a déposé une demande de permis de construire, qui a été accordée par la mairie le 4 juin 2019. Les concubins ont ensuite construit une maison financée par un prêt et des fonds propres.

Acte de donation contesté

Le 24 juillet 2021, un acte notarié a été établi, donnant à [X] [P] une parcelle résultant de la division d’une parcelle plus grande. [D] [S] conteste cet acte, affirmant qu’il a été dressé en fraude à ses droits, en raison d’un précédent acte de donation du 21 décembre 2019 qui le désignait également comme bénéficiaire.

Assignation en justice

Le 5 septembre 2024, [D] [S] a assigné [C] [R], la SCP [N] [R] ET [C] [R], et la SAS [13] devant le tribunal, demandant des mesures d’instruction pour obtenir des documents relatifs à la donation. Il a formulé des demandes précises concernant la recherche de documents et l’accès à des serveurs informatiques.

Réponse des défendeurs

Les défendeurs ont demandé au tribunal de se déclarer incompétent et de débouter [D] [S] de ses demandes. Ils ont également souligné que [D] [S] ne prouvait pas son droit de propriété sur la parcelle litigieuse et que la mesure sollicitée portait atteinte au secret professionnel du notaire.

Motifs de la décision

Le tribunal a statué sur la compétence du juge des référés, affirmant que la mesure sollicitée était une mesure d’instruction. Cependant, il a conclu que [D] [S] n’avait pas établi de motif légitime pour ordonner les mesures demandées, notamment en raison de doutes sur l’authenticité des documents présentés.

Conclusion du tribunal

Le tribunal a rejeté les demandes de [D] [S] et l’a condamné à payer des frais aux défendeurs. Les demandes de communication de documents et d’instruction ont été considérées comme non justifiées, entraînant le rejet de la demande de [D] [S].

Minute N° : 2025/1
N° RG 24/00375 – N° Portalis DBXU-W-B7I-H2U3

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL JUDICIAIRE D’ EVREUX

JURIDICTION DES RÉFÉRÉS

ORDONNANCE DU 08 JANVIER 2025

DEMANDEUR

Monsieur [D] [S]
né le [Date naissance 2] 1988 à [Localité 19],
demeurant [Adresse 5]
– [Localité 11]

Représenté par Maître Mahamadou NIAKATÉ, avocat au barreau de PARIS (avocat plaidant) et par Maître Emilie HILLIARD, avocat au barreau de l’EURE(avocat postulant)

DÉFENDEURS

S.A.S. [13]
Immatriculée au RCS d’EVREUX sous le numéro [N° SIREN/SIRET 10]
Prise en la personne de son gérant Maître [C] [R] domicilié en cette qualité audit siège
dont le siège social est sis:
[Adresse 8]
– [Localité 3]

Monsieur [C] [R]
né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 18],
Profession : notaire
demeurant [Adresse 8]
[Adresse 12]
– [Localité 3]

S.C.P. [N] [R] ET [C] [R],
Immatriculée au RCS d’EVREUX sous le numéro [N° SIREN/SIRET 6]
Prise en la personne de son gérant Maître [C] [R] domicilié en cette qualité audit siège
dont le siège social est sis :
[Adresse 16]
– [Localité 3]

Représentés par Me Laurent SPAGNOL, avocat au barreau de l’EURE

PRÉSIDENTE : Sabine ORSEL

GREFFIER: Christelle HENRY

DÉBATS : en audience publique du 27 novembre 2024

ORDONNANCE :

– contradictoire, rendue publiquement et en premier ressort,
– mise à disposition au greffe le 08 janvier 2025,
– signée par Sabine ORSEL, présidente et Aurélie HUGONNIER, greffier lors de la mise à disposition de la décision au greffe.

Copie exécutoire délivrée le :

Copie délivrée le :

Service expertise le :

**************

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

[O] [V] épouse [P] et [T] [P] sont propriétaires d’un terrain, sur lequel se trouve leur maison, situé [Adresse 1], lieu-dit [Adresse 17], à [Localité 15].

Selon lettre d’intention d’achat de biens immobiliers, [T] [P] a promis de consentir à [X] [P], sa fille, et [D] [S], concubin de sa fille, désigné comme bénéficiaires, la dotation d’une partie de leur terrain, cadastrée section ZB n°[Cadastre 9] et d’une superficie d’environ 950 m².

Le 1er mars 2019, [D] [S] a déposé une demande de permis de construire auprès de la mairie, qui a été accordé par arrêté du maire de [Localité 15] du 4 juin 2019.

Les concubins ont fait construire une maison qui a été financée par un prêt et des fonds propres de chacun d’entre eux.

Selon acte notarié du 24 juillet 2021 établi par maître [N] [R], notaire au sein de la SAS [13], [O] [V] épouse [P] et [T] [P] ont donné à [X] [P] la parcelle cadastrée section ZB n°[Cadastre 7], résultant de la division de la parcelle cadastrée section ZB n°[Cadastre 9], située [Adresse 4], lieu-dit [Adresse 17], à [Localité 15].

Invoquant que l’acte authentique de donation du 24 juillet 2021 a été dressé en fraude à ses droits, et notamment d’un précédent acte de donation du 21 décembre 2019 qui le désignerait également comme bénéficiaire de la donation, [D] [S] a, par actes du 5 septembre 2024, fait assigner [C] [R], la SCP [N] [R] ET [C] [R] et la SAS [13] devant le président de ce tribunal, statuant en référé. Dans ses dernières conclusions, signifiées électroniquement le 25 novembre 2024, il lui demande de :
A titre principal,
-désigner tel commissaire de justice, en qualité de mandataire de justice assisté de tout commissaire de justice territorialement compétent pour les besoins de la signification et de la réquisition de la force publique, avec pour mission de :
-se rendre :
-au siège social de la SAS [13] situé au [Adresse 8] à [Localité 3], office notarial de maître [C] [R] ;
-au siège social de la SCP [N] [R] ET [C] [R] situé
[Adresse 16] à [Localité 3], office notarial de maître [C] [R] ;
-de façon plus générale, en tout autre domicile ou siège permettant un accès direct et immédiat aux serveurs informatiques et/ou aux postes informatiques ou dossiers et archives de la SAS [13] SAS, de la SCP [N] [R] ET [C] [R] et de maître [C] [R] ;
-se faire remettre ou rechercher et prendre copie de la donation à [D] [S] et [X] [P], consentie par [T] [P] et [O] [P] suivant acte reçu par l’office notariale « SCP [N] et [C] [R], Notaires Associés » le 21 décembre 2019, figurant sur tout support physique, imprimé ou non, et notamment tout disque dur, messagerie électronique ou tout autre support externe ou interne de données informatiques ;
-vérifier, et le cas échéant, exclure des éléments appréhendés ceux qui seraient couverts par le secret professionnel du notaire ou revêtiraient un caractère « personnel » ;
-autoriser le commissaire de justice à se faire communiquer les codes d’accès notamment informatiques ou téléphoniques, nécessaires à l’exécution de sa mission ;
-autoriser le commissaire de justice à accomplir toutes diligences propres à lui permettre de vérifier qu’aucun des documents et/ou courriels et/ou messages susceptibles d’être appréhendés en exécution de l’ordonnance n’a été supprimé et procéder le cas échéant à toute opération propre à restaurer les éléments éventuellement supprimés ;
-dire que le commissaire de justice pourra, dans le cadre de la recherche des documents et informations susvisées, en plus de l’intitulé des documents recherchés, utiliser les « mots clés » suivants associés au terme « [D] [S] » (en minuscules ou en majuscules avec ou sans accent) :
-donation ;
-donataire ;
-FNA-27030_48264 ;
-[X] [P] ;
-[T] [P] ;
-[O] [P] ;
-[N] [R] ;
-[C] [R]
-[B] [E] ;
-SCP [N] et [C] [R] ;
-[13] ;
-terrain à bâtir ;
-ZB [Cadastre 7] ;
-[Adresse 14] ;
-ZB [Cadastre 9] ;
-[Adresse 17] ;
-permis de construire ;
-PC 27203 19 F0008 ;
-accord de prêt n°E8579460 ;
-division foncière n°2720319F004 ;
-promesse de donation / don ;
-authentique ;

A titre subsidiaire,
-désigner tel commissaire de justice, en qualité de mandataire de justice assisté de tout commissaire de justice territorialement compétent pour les besoins de la signification et de la réquisition de la force publique, avec pour mission de :
-au siège social de la SAS [13] situé au [Adresse 8] à [Localité 3], office notarial de maître [C] [R] ;
-au siège social de la SCP [N] [R] ET [C] [R] situé [Adresse 16] à [Localité 3], office notarial de maître [C] [R] ;
-se faire remettre une copie de la donation à [D] [S] et [X] [P], consentie par [T] [P] et [O] [P] suivant acte reçu par l’office notarial « SCP [N] et [C] [R], Notaires Associés » le 21 décembre 2019, figurant sur tout support physique, imprimé ou non, et notamment tout disque dur, messagerie électronique ou tout autre support externe ou interne de données informatiques ;
-ordonner la communication par la SAS [13], la SCP [N] [R] ET [C] [R] et maître [C] [R] au commissaire de justice désigné, de l’acte notarié de la donation à [D] [S] et [X] [P], consentie par [T] [P] et [O] [P] suivant acte reçu par l’office notarial « SCP [N] et [C] [R], Notaires Associés » le 21 décembre 2019 ;
-assortir cette obligation d’une astreinte de 1 000 euros par jour calendaire passé un délai de huit jours calendaires après la signification de la décision à intervenir ;
-se réserver le pouvoir de liquider l’astreinte ;

En tout état de cause,
-débouter [C] [R], la SCP [N] [R] ET [C] [R] et la SAS [13] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
-condamner solidairement [C] [R], la SCP [N] [R] ET [C] [R] et la SAS [13] à lui payer la somme de 5000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
-condamner solidairement [C] [R], la SCP [N] [R] ET [C] [R] et la SAS [13] aux entiers dépens.

Il fait valoir que :

-il existe un faisceau d’indice qui démontre que l’acte authentique du 24 juillet 2021 a été dressé en fraude à ses droits, alors même que maître [N] [R] avait reçu la première donation du 21 décembre 2019 ;
-le fond d’archives de la SCP [N] ET [C] [R] ayant été transmis à la SAS [13], maître [W] [R]-[U], notaire en son sein, ne pouvait également ignorer, lorsqu’elle a dressé l’attestation du 29 août 2023, qu’elle agissait en fraude à ses droits ;
-ainsi, ils ont manqué à leur devoir général de loyauté, de prudence et de diligence ;
-la mauvaise foi de [X] [P] a pour conséquence de rendre inopposable aux tiers l’acte de donation publié ;
-dès lors, il dispose d’un motif légitime à ce que soit ordonné une mesure d’instruction pour que lui soit communiqué le premier acte de donation et qu’il puisse établir la preuve des manquements du notaire ;
-l’existence d’une éventuelle contestation sérieuse n’est pas de nature à faire obstacle à une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ;

-l’acte de donation du 21 décembre 2019, dont l’authenticité est contestée, est corroboré par la promesse de donation du 23 janvier 2019, dont il résulte une identité de parties et d’objet, ce qui n’est pas le cas de l’acte de vente du 24 juillet 2021, et par la désignation de la SCP [N] ET [C] [R] ;
-la faute de frappe dans l’attestation du 20 mai 2020 n’est pas de nature à lui conférer un caractère litigieux, d’autant que des fautes similaires peuvent être observées dans des documents émanant de l’office notarial ;
-les contenus de l’attestation du 20 mai 2020 et de l’acte de donation du 24 juillet 2021 diffèrent puisque l’attestation est relative à une situation antérieure ;
-l’acte de donation du 24 juillet 2021 stipule que la parcelle de terrain, objet de la donation, est un terrain à bâtir, alors que la maison était déjà construites ;
-le nouvel acte de donation rédigé en fraude à ses droits pourrait avoir pour motifs une volonté de réduire les conséquences fiscales de la donation, puisque n’étant pas membre de la famille, elle aurait entraîné des droits de mutation, à la charge des donateurs ;

-une ordonnance du président du tribunal judiciaire lève le secret professionnel auquel est astreint le notaire vis-à-vis des tiers ;
-en matière de donation, l’acte apparent peut être analysé comme un commencement de preuve par écrit permettant l’accès à des modes de preuve imparfaits ;
-la mesure portant sur des documents précis, utiles à la démonstration de la responsabilité du notaire et excluant toute information de nature personnelle, est légalement admissible.

Dans leurs dernières conclusions signifiées électroniquement le 25 novembre 2024, [C] [R], la SCP [N] [R] ET [C] [R] et la SAS [13] demandent au président de ce tribunal, statuant en référé, de :
A titre principal,
-se déclarer incompétent au profit du tribunal judiciaire d’Évreux statuant au fond ;
A titre subsidiaire,
-débouter [D] [S] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
En tout état de cause,
-condamner [D] [S] à leur payer, à chacun, la somme de 700 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
-condamner [D] [S] aux entiers dépens, en ce compris les frais d’exécution forcée.

Ils font valoir que :
-étant donné que [D] [S] succombe à démontrer un droit de propriété sur la parcelle litigieuse, la mesure n’est pas légalement admissible et contrevient aux dispositions de l’article 146 du code de procédure civile ;
-la mesure sollicitée porte atteinte au secret professionnel du notaire, qui lui proscrit de communiquer tout acte à un tiers, conformément aux dispositions du code de déontologie de la profession et de la loi du 25 ventôse an IX, sauf accord de l’autorité judiciaire de communiquer à un tiers les actes qu’il a établi ;
-[D] [S] affirme qu’un acte de donation aurait été reçu en 2019 mais, faute de preuve, une mesure d’instruction ne peut être ordonnée ;
-l’acte dont se prévaut [D] [S] ne peut valoir donation qu’à condition d’être enregistré à la conservation des hypothèques, ce qui n’est pas le cas ;
-en tout état de cause, l’attestation du 20 mai 2020 dont il se prévaut est fausse puisque n’a pas été rédigé par les soins de maître [N] [R] ;
-la remise en cause par [D] [S] de l’acte de donation de 2021 par la production d’un acte antérieur relève du juge du fond ;
-la mesure est injustifiée puisque [D] [S] ne démontre pas avoir demandé à [X] [P] la communication des documents réclamés ;
-les consorts [P] n’ont en réalité jamais consenti une donation au profit de [D] [S], dont ils n’auraient pu supporter le coût fiscal, et c’est pour cela qu’ils n’ont pas donné suite à l’éventualité d’une donation à [D] [S].

PAR CES MOTIFS

La présidente du tribunal judiciaire,

REJETTE les demandes de [D] [S] ;

CONDAMNE [D] [S] à payer à [C] [R], la SCP [N] [R] ET [C] [R] et la SAS [13] 500 euros chacun ;

CONDAMNE [D] [S] aux entiers dépens.

Le greffier, La présidente,

 


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