Tribunal judiciaire de Versailles, 6 février 2025, RG n° 21/06139
Tribunal judiciaire de Versailles, 6 février 2025, RG n° 21/06139

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Versailles

Thématique : Conflit autour des obligations contractuelles et des garanties en période de crise économique.

Résumé

Contexte de l’Affaire

La présente affaire concerne un litige entre un bailleur, la SNC de [Localité 9] [Localité 7], et deux sociétés, un preneur, la société TELL ME, et une garante, la société IHEALTHLABS EUROPE. Un bail commercial a été signé le 12 avril 2018 pour un local commercial, permettant à la société TELL ME d’exploiter une activité de vente de produits électroniques. Ce bail, d’une durée de dix ans, a été consenti à compter du 1er août 2018.

Procédures Judiciaires

En novembre 2021, le bailleur a assigné les deux sociétés devant le tribunal judiciaire de Versailles. En juillet et août 2022, la société TELL ME a été placée en redressement puis en liquidation judiciaire, avec un liquidateur désigné. Les locaux ont été restitués au bailleur en septembre 2022.

Demandes du Bailleur

Le bailleur a formulé plusieurs demandes au tribunal, incluant la fixation de sa créance au passif de la société TELL ME à 416.756,40 euros, ainsi que le paiement d’arriérés de loyers et d’intérêts. Il a également demandé des indemnités forfaitaires et la capitalisation des intérêts. Le bailleur a soutenu que le preneur avait accumulé des impayés et que la garante n’avait pas respecté ses obligations.

Réponses des Défenderesses

Le liquidateur de la société TELL ME a contesté les demandes du bailleur, arguant que certaines sommes n’étaient pas dues et que les pénalités étaient excessives. La société IHEALTHLABS EUROPE a également demandé à être déboutée de l’appel en garantie du bailleur, affirmant que ce dernier avait manqué à ses obligations d’information et avait contribué à l’endettement de la société TELL ME.

Arguments des Parties

Le bailleur a fait valoir que la société IHEALTHLABS EUROPE avait accumulé des impayés et n’avait pas communiqué les aides reçues durant la crise sanitaire. De son côté, la société TELL ME a soutenu que la société IHEALTHLABS EUROPE avait cédé une activité déficitaire et imposé des charges financières non prévues, aggravant ainsi sa situation. La garante a également contesté la validité des pénalités et des intérêts réclamés par le bailleur.

Décision du Tribunal

Le tribunal a statué en faveur du bailleur en fixant une créance privilégiée au passif de la société TELL ME et en condamnant cette dernière à payer des sommes au bailleur. En revanche, le tribunal a également ordonné le paiement d’une somme à la société IHEALTHLABS EUROPE, reconnaissant ses droits sur le dépôt de garantie. Les parties ont été déboutées de leurs demandes excédentaires, et le jugement a été déclaré exécutoire de droit à titre provisoire.

Conclusion

Cette affaire met en lumière les complexités des relations contractuelles entre bailleurs et preneurs, ainsi que les implications des garanties dans le cadre de la cession de fonds de commerce. Les décisions du tribunal reflètent l’importance de la bonne foi et du respect des obligations contractuelles dans le cadre des baux commerciaux.

Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Troisième Chambre
JUGEMENT
06 FÉVRIER 2025

N° RG 21/06139 – N° Portalis DB22-W-B7F-QIXY
Code NAC : 30B
TLF

DEMANDERESSE :

La société [Localité 9] [Localité 7], société en nom collectif immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 784 815 623 dont le siège social est situé [Adresse 5] et prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Ali SAIDJI de la SCP SAIDJI & MOREAU, avocat plaidant au barreau de PARIS et par Maître Magali ROCHEFORT, avocat postulant au barreau de VERSAILLES.

DÉFENDEURS :

1/ Maître [R] [B] pris en sa qualité de Liquidateur Judiciaire de la société TELL ME (enseigne XIAOMI immatriculée au RCS de CRETEIL sous le numéro 879 438 802 dont le siège social est situé [Adresse 1]) et désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de Commerce de CRÉTEIL le 23 août 2022, domicilié [Adresse 4],

représenté par Maître Dan ZERHAT de l’AARPI OHANA ZERHAT, avocat postulant au barreau de VERSAILLES et par Maître Gilles GRINAL de L’AARPI GKA AVOCATS, avocat plaidant au barreau de PARIS.

2/ La société IHEALTHLABS EUROPE, société par actions simplifiée à associé unique immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 792 514 341 dont le siège social est situé [Adresse 3] et agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Michèle DE KERCKHOVE de la SELARL BVK AVOCATS ASSOCIES, avocat postulant au barreau de VERSAILLES et par Maître Typhaine DE PEYRONNET du Cabinet PEYRONNET AVOCATS, avocat plaidant au barreau de PARIS.

* * * * * *

ACTE INITIAL du 05 Novembre 2021 reçu au greffe le 18 Novembre 2021.

DÉBATS : A l’audience publique tenue le 03 Décembre 2024, Monsieur LE FRIANT, Vice-Président et Madame CELIER-DENNERY, Vice-Présidente, siégeant en qualité de juges rapporteurs avec l’accord des parties en application de l’article 805 du Code de procédure civile, assistés de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, ont indiqué que l’affaire sera mise en délibéré
au 06 Février 2025.

MAGISTRATS AYANT DÉLIBÉRÉ :
M. JOLY, Premier Vice-Président Adjoint
Monsieur LE FRIANT, Vice-Président
Madame CELIER-DENNERY, Vice-Présidente

GREFFIER : Madame LOPES DOS SANTOS

* * * * * *

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte sous seing privé en date du 12 avril 2018, la SNC DE [Localité 9] [Localité 7] a consenti à la société IHEALTHLABS EUROPE, aux droits de laquelle se trouve aujourd’hui la société TELL ME (anciennement dénommée MI STORES HOLDING) en vertu d’un acte de cession de fonds de commerce du 31 décembre 2020, un bail commercial sur un local n° 252, d’une surface de 192 m² environ, situé au niveau 2 du Centre Commercial Régional [10] (aujourd’hui [10]) sis [Adresse 2], pour y exploiter sous l’enseigne XIAOMI une activité, à titre principal, de vente de produits et service de téléphonie, de produits électroniques grand public, et à titre accessoire, de vente d’accessoires se rapportant à la téléphonie.

Ce bail a été consenti pour une durée de dix ans à compter du 1er août 2018, date de livraison du local n° 252.

Par actes d’huissier des 5 et 8 novembre 2021, la SNC de [Localité 9] [Localité 7] a assigné devant le tribunal judiciaire de Versailles la société TELL ME et la société IHEALTHLABS EUROPE.

Par jugements du 6 juillet 2022 puis du 23 août 2022, la société TELL ME a été placée en redressement puis en liquidation judiciaire et Maître [R] [B] a été désigné en qualité de liquidateur.

Les locaux ont été restitués au bailleur le 15 septembre 2022.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 octobre 2024.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 septembre 2024, la SNC de [Localité 9] [Localité 7] demande au tribunal, au visa du code de commerce, et notamment ses articles L. 622-16, L. 622-22 et suivants, L. 631-14, L. 641-3 ainsi que R. 622-20 et du code civil, et notamment ses articles 1103, 1104 et 1343-2 (anciennement 1134 et 1154), de :

– Fixer la créance de la SNC DE [Localité 9] [Localité 7] au passif de la société TELL ME à la somme de 416.756,40 euros TTC,

– Condamner solidairement la société TELL ME et la société IHEALTHLABS EUROPE à payer à la SNC DE [Localité 9] [Localité 7] :

– 518.509,84 euros TTC, correspondant à l’arriéré en principal figurant au décompte arrêté au 15 mars 2023 ;

– les intérêts au taux légal majoré de trois points sur cette somme en principal, à compter de la date de chaque défaut de paiement à son échéance contractuelle, avec capitalisation desdits intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;

– 51.850,98 euros, correspondant à l’indemnité forfaitaire de 10 % sur la dette en principal prévue à l’article 26.2.1. du Titre II du bail en cas de défaut de paiement aux échéances convenues,

– Ordonner la capitalisation des intérêts ci-dessus réclamés dans les termes de l’article 1343-2 du code civil.

– Condamner solidairement Maître [B] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société TELL ME et la société IHEALTHLABS EUROPE à payer à la SNC DE [Localité 9] [Localité 7] la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamner solidairement Maître [B] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société TELL ME et la société IHEALTHLABS EUROPE aux dépens.

Elle fait valoir que :
– le preneur a accumulé des impayés de loyers, charges et accessoires,
– elle a mis en place des mesures d’accompagnement dans le cadre de la crise sanitaire permettant suivant protocole du 1er octobre 2020 au preneur de payer mensuellement, puis en n’appliquant pas la majoration de 15 % du loyer dans le cadre de la cession du fonds de commerce et en accordant un abattement
de 263.300 euros sur le loyer de base sur la période du 1er août 2021 au
31 juillet 2022,
– les deux défenderesses n’ont jamais communiqué les aides reçues pendant la période sanitaire,
– sa créance est assortie du privilège du bailleur d’immeuble prévu par les articles 2332 du code civil, L. 622-16 et L. 631-14 du code de commerce,
– la société IHEALTHLABS EUROPE s’est expressément engagée au moment de la cession à demeurer garante solidaire du preneur envers le bailleur au titre du paiement des loyers et indemnités d’occupation dus en vertu du bail pendant une durée de trois années à compter du 31 décembre 2020,
– cette garantie a conditionné le transfert du bail au profit de la société TELL ME en substitution de la société IHEALTHLABS EUROPE ,
– la société IHEALTHLABS EUROPE résiste de très mauvaise foi à son obligation de paiement dont elle avait parfaitement conscience comme le démontre son courriel officiel du 26 juillet 2022,
– elle a déclaré sa créance au passif de la société TELL ME en tant que garante solidaire,
– elle ne peut à la fois avoir déclaré sa créance et estimer que celle-ci n’existerait pas,
– la société IHEALTHLABS EUROPE est redevable tant des loyers, charges et accessoires que de l’indemnité forfaitaire de 10 % prévue au contrat,
– les demandes de mainlevée des saisies conservatoires ont été rejetées par le juge de l’exécution de Paris et les parties se sont entendues sur la mise en place d’un séquestre conventionnel,
– le bailleur a lui aussi souffert financièrement des conséquences de la pandémie de covid-19 et, en sa qualité d’acteur économique, il n’est pas moins légitime que son locataire à préserver ses intérêts économiques et ses équilibres financiers,
– la renonciation du bailleur au sein du protocole d’accord des 28 juillet et
31 août 2021 est devenue caduque pour trois raisons distinctes (justifiant chacune, et indépendamment les unes des autres, cette caducité) :
– en raison des manquements de la société TELL ME à ses obligations locatives de paiement ;
– en raison de l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de la société TELL ME ;
– et en raison de la date du report du congé.
– le bail a été résilié le 15 septembre 2022, date de réception par le bailleur de la lettre RAR de résiliation du liquidateur judiciaire datée du 14 septembre 2022, et non le 11 août 2022,
– le relevé de compte de locataire produit aux débats par le bailleur tient bien compte de cette date de résiliation,
– contrairement à ce que tente de faire accroire la société IHEALTHLABS EUROPE, le retard mis par le bailleur à informer la garante des manquements locatifs de la société TELL ME n’a eu aucun effet préjudiciable,
– l’accumulation de la dette de la société TELL ME ne résulte ni d’une négligence fautive du bailleur, ni d’une stratégie de sa part comme cela est soutenu de façon péremptoire et inexacte, le bailleur ayant recherché une approche amiable ayant abouti aux protocoles des 28 juillet et 31 août 2021,
– il ne peut lui être reproché de ne pas avoir fait jouer une clause résolutoire qui n’aurait pas arrêté le cours des impayés du locataire pour l’avenir,
– cette procédure aurait été irrecevable puisque le congé délivré par la société TELL ME n’a pas été contesté et seul son terme a été décalé d’une année,
– elle ne porte pas la moindre responsabilité dans les difficultés financières de la société TELL ME qui impute celles-ci aux manœuvres frauduleuses de la société IHEALTHLABS EUROPE à son égard,
– à la date de signature des avenants des 28 juillet et 31 août 2021, la société IHEALTHLABS EUROPE n’était plus titulaire du bail et ne peut donc revendiquer un manquement à « exécuter de bonne foi » un bail dont elle n’était plus titulaire,
– la société IHEALTHLABS EUROPE n’avait donc pas son mot à dire sur la fixation de la date du congé donné par la société TELL ME qui est un droit propre,
– l’argument fondé sur un manquement du bailleur à son obligation d’assurer à son locataire une jouissance paisible ne repose sur aucun fait matériel,
– le preneur ne s’est heurté à aucune impossibilité absolue d’user de son local commercial et il n’y a surtout pas eu d’impossibilité définitive d’user des locaux loués car les périodes de fermetures administratives n’ont été que provisoires, et par ailleurs très limitées dans le temps,
– les sociétés défenderesses ont été régulièrement mises en demeure de sorte que la clause pénale est due et son montant n’est pas excessif,
– l’article 1171 du code civil ne peut trouver à s’appliquer puisque de nombreuses stipulations du bail ont bien fait l’objet d’une négociation entre les parties, lesquelles sont récapitulées à l’article 11 du Titre I dudit bail,
– les travaux de remise en état n’ont pas été contestés par la société TELL ME en qualité de nouvelle locataire,
– la société IHEALTHLABS EUROPE ne justifie pas avoir transmis ses chiffres d’affaires certifiés, transmission qui conditionne la restitution de son dépôt de garantie,
– elle ne saurait demander la compensation du dépôt de garantie déposé par la société TELL ME sur lequel elle n’a aucun droit,

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 avril 2024, Maître [R] [B] en qualité de liquidateur de la société TELL ME, demande au tribunal, vu les articles L.622-7 du code de commerce et 1231-5 du code civil, vu les pièces produites, vu l’adage fraus omnia corrumpit, de :

– juger que la somme de 5.298,10 euros au titre des intérêts de retard au taux légal majoré de trois points n’est pas due ;

– juger que l’indemnité forfaitaire de 10% constitue une clause pénale exorbitante, de sorte que la somme de 19.695,50 euros n’est pas due ;

– juger que les sommes relatives aux intérêts de retard ne sont pas dues,

– débouter la SNC DE [Localité 9] [Localité 7] de sa demande d’article 700 du code de procédure civile d’un montant de 10.000 euros;

En conséquence

– débouter la SNC DE [Localité 9] [Localité 7] de sa demande à voir fixer sa créance au passif de la société TELL ME à la somme de 416.756,40 euros ;

Sur les sommes de 518.509,84 euros et 51.850,98 euros dont il est réclamé le paiement

– juger que la somme de 416.756 euros composant la somme de
518.509,84 euros correspond au montant déclaré au passif de la société
TELL ME,

– juger que le solde, soit la somme de 101.743,44 euros n’est pas justifié,

– juger que l’indemnité forfaitaire de 10% constitue une clause pénale,

– juger que la somme de 51.850,08 euros n’est pas due,

En conséquence,

– débouter la SNC DE [Localité 9] [Localité 7] de sa demande de paiement des sommes de 518.509, 84 euros TTC au titre des arriérés ainsi que des intérêts au taux légal majoré de trois points sur cette somme, et de la capitalisation des intérêts ;

– débouter la SNC DE [Localité 9] [Localité 7] de sa demande de paiement de la somme de 51.850 euros au titre de l’indemnité forfaitaire;

– débouter la SNC DE [Localité 9] [Localité 7] de sa demande de capitalisation des intérêts ;

– condamner la société IHEALTHLABS EUROPE à payer toutes les sommes dont serait redevable la société TELL ME;

– débouter la société IHEALTHLABS EUROPE de l’ensemble de ses demandes dirigées à l’encontre de la société TELL ME et du liquidateur judicaire;

– débouter la SNC DE [Localité 9] [Localité 7] de toutes ses demandes, fins et prétentions;

– condamner la société IHEALTHLABS EUROPE à verser à Maître [B] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société SAS TELL ME la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

– condamner la société IHEALTHLABS EUROPE aux entiers dépens de l’instance.

Il fait valoir que :
– la société IHEALTHLABS EUROPE a cédé à la société TELL ME une activité largement déficitaire moyennant un prix négatif de 2,4 millions d’euros,
– en sus elle lui a imposé le rachat de son stock pour 2,1 millions d’euros reprenant ainsi d’une main ce qu’elle avait donné d’une autre main,
– elle a exigé que la société TELL ME reconstitue les dépôts de garantie auprès des différents bailleurs, faisant supporter à celle-ci une charge de trésorerie non prévue de 734.000 euros,
– pour contourner la clause de solidarité contenue dans les baux, la société IHEALTHLABS EUROPE a exigé que la société TELL ME résilie les baux qu’elle venait de lui céder,
– la seule intention d’IHEALTHLABS EUROPE était de céder l’activité déficitaire au plus vite pour la faire sortir de son compte de résultat, éviter de payer le coût de la fermeture, désigner un repreneur qui supporterait lui les coûts liés à cette fermeture,
– l’opération avec la société TELL ME devait ainsi permettre à IHEALTHLABS Europe, en ne déboursant qu’une somme de 2.390.000 euros uniquement (et encore, somme qu’elle a récupéré en vendant son stock à TELL ME…), de clôturer à moindre coût, et en principe sans risque, l’activité de boutiques tout en conservant le seul actif significatif, à savoir les magasins des [Localité 6] et de la gare [8],
– la société IHEALTHLABS a imaginé se substituer la société TELL ME dans l’execution du bail commercial, tout en sachant que les contraintes financieres qu’elle lui imposait ne permettraient aucunement à TELL ME de poursuivre l’activite des boutiques,
– elle a assigné en responsabilité la société IHEALTHLABS EUROPE devant le Tribunal de commerce de Créteil, procédure dans le cadre de laquelle la société TELL ME établit que non seulement le montant apporté au véhicule de reprise était manifestement insuffisant, mais qu’en outre la société IHEALTLABS EUROPE s’est rendue coupable d’agissements dolosifs qui n’ont fait qu’aggraver la situation financière de TELL ME. Les agissements dolosifs commis par IHEALTHLABS Europe ont pour conséquence que l’opération réalisée, de même que les contrats conclus, doivent être considérés comme nuls et les sommes sollicitées par le bailleur devront être intégralement supportées par la société IHEALTHLABS EUROPE,
– la demanderesse ne peut solliciter les intérêts de retard pour 5.299,10 euros alors que cette somme est déjà comptabilisée dans la somme de
401.457,30 euros,
– le cumul des pénalités prévues au contrat est excessif, a fortiori dans un contexte de fermeture des centres commerciaux ayant privé la société TELL ME de la possibilité de réaliser tout chiffre d’affaires,
– le bailleur ne justifie pas de lettre recommandée avec accusé de réception, de sorte que les intérêts de retard ne sauraient être applicables.
– compte tenu de la situation de la société TELL ME et des manœuvres de la société IHEALTHLABS qui l’ont conduite à ne pas pouvoir faire face à ses obligations et à ce qu’une procédure collective soit ouverte à son encontre, le rejet de la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile est justifié,
– le dépôt de garantie viendra compenser les sommes dues au titre des loyers conformément à l’article 5.4 du Contrat de bail,
– le 21 avril 2022, la société IHEALTHLABS EUROPE a pratiqué cinq saisies relatives à son recours subrogatoire pour les loyers dus aux bailleurs des différents sites exploités par la société TELL ME ce qui justifie que les sommes saisies soient compensées avec celles dont serait redevable la société
TELL ME,
– le bailleur ne peut demander le paiement de la somme de 416.756,40 euros qui est une créance antérieure,
– à compter du 11août 2022, elle n’est redevable d’aucune somme,
– aucun justificatif n’est produit concernant les acomptes sur charges, les travaux, les « honos analyse » et autres accessoires,
– IHEALTHLABS n’a jamais respecté ses engagements de solidarité, ce qui a eu pour conséquence la mise en œuvre de plusieurs saisies conservatoires initiées par les différents bailleurs à l’encontre de TELL ME,
– En application de l’adage fraus omnia corrumpit et s’il devait juger exigibles les sommes réclamées par le Bailleur, le Tribunal condamnera intégralement et exclusivement la société IHEALTHLABS EUROPE à s’en acquitter.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 septembre 2024, la société IHEALTHLABS EUROPE demande au tribunal, au visa des articles 1103, 1104, 1231-5, 1343-2 et 1353 du code civil, et de l’ordonnance du Juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Paris en date du 6 janvier 2023, de :

– Débouter la société [Localité 9] [Localité 7] de son appel en garantie à l’encontre de la société IHEALTHLABS EUROPE en ce que la société [Localité 9] [Localité 7] n’a pas respecté son obligation d’information de la société IHEALTHLABS EUROPE prévue à l’article 12.3.1 des Conditions Générales du bail,

– Débouter la société [Localité 9] [Localité 7] de son appel en garantie à l’encontre de la société IHEALTHLABS EUROPE en ce que la société [Localité 9] [Localité 7] a commis une négligence fautive envers la société IHEALTHLABS EUROPE en ne mettant pas en œuvre la clause résolutoire du bail et en prorogeant les effets du congé délivré par la société TELL ME et en laissant ainsi s’accroître la dette locative de la société TELL ME,

– Débouter la société [Localité 9] [Localité 7] de son appel en garantie à l’encontre de la société IHEALTHLABS EUROPE compte tenu du fait que sa faute a causé un préjudice à la société IHEALTHLABS EUROPE qui justifie la levée totale de la garantie de la société IHEALTHLABS EUROPE,

– Débouter la société [Localité 9] [Localité 7] de sa demande de condamnation solidaire de la société IHEALTHLABS EUROPE pour la dette principale, les intérêts, leur capitalisation et l’indemnité forfaitaire de 10 %,

– Ordonner la restitution du dépôt de garantie d’un montant de 133.007,23 € à la société IHEALTHLABS EUROPE,

– Condamner la société [Localité 9] [Localité 7] à payer à la société IHEALTHLABS EUROPE les intérêts au taux légal sur cette somme en principal, à compter de la date de prise d’effet de la cession, soit le 1er janvier 2021,

– Ordonner la capitalisation des intérêts ci-dessus réclamés dans les termes de l’article 1343-2 du code civil,

– Débouter la société TELL ME de ses demandes de condamnations à l’encontre de la société IHEALTHLABS EUROPE en ce qu’elle n’apporte pas la preuve d’une fraude et qu’elle a saisi le Tribunal de commerce de Créteil de cette même demande, étant précisé que cette procédure est radiée faute de diligence du liquidateur judiciaire,

– Débouter la société TELL ME de sa demande de condamnation de la société IHEALTHLABS EUROPE,

A titre subsidiaire,

– Ordonner la compensation des dépôts de garantie de la société IHEALTHLABS EUROPE et de la société TELL ME avec le montant garanti par la société IHEALTHLABS EUROPE,

– Débouter la société [Localité 9] [Localité 7] de sa demande d’appel en garantie de la société IHEALTHLABS EUROPE pour les périodes comprises entre le 1er août 2021 et le 31 juillet 2022, conformément aux stipulations de l’avenant des 28 juillet et 31 août 2021,

– Réputer non écrites les clauses de pénalités prévues aux articles 8 et 26.2.1 du Titre II du bail,

– Débouter la société [Localité 9] [Localité 7] de sa demande de remboursement des frais de travaux de remise en état du local,

– Débouter la société [Localité 9] [Localité 7] de sa demande de condamnation à l’encontre de la société IHEALTHLABS EUROPE.

A titre infiniment subsidiaire,

– Débouter la société [Localité 9] [Localité 7] de sa demande de condamnation de la société TELL ME à son arriéré locatif et de son appel en garantie à l’encontre de la société IHEALTHLABS EUROPE en ce que ledit arriéré locatif est inexigible compte tenu de l’exception d’inexécution invoquée par la société IHEALTHLABS EUROPE pour le compte de la société TELL ME au titre du manquement par la société [Localité 9] [Localité 7] à ses obligations de délivrance et de jouissance paisible pendant la crise sanitaire,

– Débouter la société [Localité 9] [Localité 7] de sa demande de condamnation de la société TELL ME à son arriéré locatif et de son appel en garantie à l’encontre de la société IHEALTHLABS EUROPE en ce que ledit arriéré locatif est inexigible en raison de la perte de la chose louée pendant la crise sanitaire de la Covid-19,

En toutes hypothèses,

– Débouter la société [Localité 9] [Localité 7] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– Débouter la société TELL ME de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– Condamner la société [Localité 9] [Localité 7] au paiement de la somme de 10 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile et autoriser Maître Michèle de KERCKHOVE à les recouvrer conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

– Condamner la société [Localité 9] [Localité 7] aux dépens.

Elle fait valoir que :
– la société [Localité 9] [Localité 7] a commis une faute en informant après le délai contractuellement prévu au bail le cédant, la société IHEALTHLABS EUROPE, garante solidaire de l’accumulation de dettes de la société TELL ME, en prorogeant les effets du congé signifié par la société TELL ME et en ne demandant pas l’acquisition de la clause résolutoire prévue au bail. Ce n’est que parce que les clefs des locaux ont été restituées le 11 août 2022 que l’accumulation exorbitante d’impayés de la société TELL ME s’est arrêtée,
– en contravention avec les stipulations du bail, la société [Localité 9] [Localité 7] refuse de rembourser le montant du dépôt de garantie versé par la société IHEALTHLABS EUROPE alors que cette dernière était à jour de l’ensemble de ses règlements au jour de la cession et qu’elle a communiqué ses chiffres d’affaires certifiés conformes par son expert-comptable,

– la société [Localité 9] [Localité 7] a contractuellement imposé à son locataire d’augmenter de trois mois le délai légal d’un mois édicté à l’article L.145-16-1 du code de commerce,
– la société [Localité 9] [Localité 7] aurait dû informer la société IHEALTHLABS EUROPE des impayés trois mois après le défaut de paiement de la société TELL ME,
– la société [Localité 9] [Localité 7] n’a pas respecté son obligation d’information et a participé activement à l’endettement important de la société TELL ME, à ce titre, il conviendra de retenir la responsabilité de la société [Localité 9] [Localité 7],
– la société [Localité 9] [Localité 7] aurait donc dû informer la société IHEALTHLABS EUROPE du premier défaut de paiement au plus tard le
30 mai 2021,
– ce n’est qu’incidemment, et en réponse à un courrier de la société IHEALTHLABS EUROPE demandant le remboursement de son dépôt de garantie, que la société [Localité 9] [Localité 7] l’a informé, le 15 juillet 2021, de l’arriéré locatif de la société TELL ME qui s’élevait à cette époque à
268.519 euros TTC,
– même si la dette a diminué, il n’en demeure pas moins qu’il existait toujours une dette et que son montant demeurait important,
– si la société IHEALTHLABS EUROPE avait été informée avant de ces impayés, elle aurait pu mettre en place des mesures conservatoires afin de garantir son recours subrogatoire, rendu nécessaire par les procédures judiciaires intentées par les foncières du groupe Unibail-Rodamco-Westfield à l’encontre de la société IHEALTHLABS EUROPE, avant le placement en liquidation judiciaire de la société TELL ME,
– compte tenu de son information tardive, la société IHEALTHLABS EUROPE a seulement pu diligenter une saisie conservatoire et inscrire des nantissements provisoires sur les fonds de commerce de TELL ME au début de l’année 2022,
– conformément aux termes du protocole des 28 juillet et 31 août 2021, la société [Localité 9] [Localité 7] a renoncé à appeler la garantie de la société IHEALTHLABS EUROPE en tant que garante solidaire pour une période limitée entre le 1er août 2021 et le 31 juillet 2022, période pendant laquelle la société IHEALTHLABS EUROPE n’aurait de toutes façons plus été garante solidaire de la société TELL ME si cette dernière n’avait pas prorogé unilatéralement le bail qui aurait dû prendre fin le 31 juillet 2021 conformément aux accords conclus entre les sociétés TELL ME et IHEALTHLABS EUROPE,
– malgré la clause résolutoire prévue à l’article 26.1 des Conditions Générales du bail, la société [Localité 9] [Localité 7] n’a pas signifié de commandement de payer visant la clause résolutoire, causant un préjudice au garant qui doit conduire à l’exonération de la totalité ou d’une partie de la dette,
– la SNC de [Localité 9] [Localité 7] n’a assigné la société TELL ME que quatre mois après la mise en demeure du 15 juillet 2021 alors qu’elle n’avait réglé aucune somme durant ce délai, ce qui constitue là encore une négligence de la bailleresse,
– la société [Localité 9] [Localité 7] a participé activement à l’état de cessation des paiements de la société TELL ME et son comportement fautif a causé un préjudice important à la société IHEALTHLABS EUROPE qui se retrouve débiteur final de la dette locative de la société TELL ME sans recours subrogatoire,
– la société [Localité 9] [Localité 7] n’aurait pas agi de cette manière si elle n’avait pas eu la possibilité de solliciter l’appel en garantie de la société IHEALTHLABS EUROPE,
– elle demande à être indemnisée de son préjudice à hauteur de la dette locative de la société TELL ME, soit 570.360,82 euros TTC, ce qui justifie la levée totale de la garantie de la société IHEALTHLABS EUROPE,
– selon les règles d’imputation contractuelles prévues à l’article 4.2.4. des Conditions Générales du bail, notamment celles relatives aux loyers dus, les paiements réalisés par la société TELL ME doivent impérativement être imputés sur les loyers impayés des plus anciens aux plus récents.
– elle a déclaré sa créance au passif de la société TELL ME sans pour autant que cette déclaration vaille renonciation aux contestations émises à l’encontre de son appel en garantie,
– le protocole des 28 juillet et 31 août 2021 prévoit la renonciation par la bailleresse à appeler en garantie la société IHEALTHLABS EUROPE en tant que garante solidaire pour la période comprise entre le 1er août 2021 et le
31 juillet 2022, dès lors la garantie de la société IHEALTHLABS EUROPE a été suspendue pendant cette période de sorte que les sommes dues au titre du troisième trimestre 2021 doivent être calculées au prorata de la période où IHEALTHLABS EUROPE est garante, soit jusqu’au 31 juillet 2021,
– les clefs des locaux ont été restituées à la société [Localité 9] [Localité 7] le 11 août 2022, il convient donc d’arrêter le décompte locatif à cette date,
– la société IHEALTHLABS EUROPE n’est redevable d’aucune somme vis-à-vis de la société [Localité 9] [Localité 7] au titre de sa jouissance des locaux et ses chiffres d’affaires certifiés ont été transmis à la société bailleresse,
– les impayés de la société TELL ME ne peuvent justifier la rétention de son dépôt de garantie conformément à l’article 5.3 des conditions générales du bail,
– le dépôt de garantie versé par la société TELL ME doit être restitué ou compensé avec sa dette,
– à défaut de respecter le formalisme contractuel qui impose l’envoi d’une mise en demeure préalable pour permettre l’application des pénalités contractuelles, la bailleresse ne peut s’en prévaloir,
– s’agissant des clauses pénales, elles peuvent être réduites par le juge à zéro,
– ces clauses pénales entraînent un déséquilibre significatif de sorte qu’elles doivent être réputées non-écrites,
– la somme au titre des frais de remise en état n’est pas justifiée,
– la société TELL ME n’apporte aucun élément de preuve d’une faute,
– la cession du fonds du commerce a une existence juridique et la SNC de [Localité 9] [Localité 7] est une société tierce à ce contrat,
– la société TELL ME est effectivement titulaire du bail commercial,
– la société IHEALTHLABS EUROPE est étrangère au choix de la société
TELL ME de reporter d’une année la date d’effet du congé signifié pour
le 31 juillet 2021,
– la société TELL ME l’a assignée devant le tribunal de commerce de Créteil pour le même motif mais la procédure a été radiée depuis plus de deux ans de sorte que la péremption d’instance est acquise et sa demande est irrecevable,
– à titre subsidiaire, les loyers ne sont pas exigibles en raison du défaut de délivrance et de jouissance paisible ou de la perte de la chose louée du fait de la crise sanitaire,

– la SNC de [Localité 9] [Localité 7] a manqué à son obligation de bonne foi en ne proposant pas d’abandon de loyers pour permettre à la société TELL ME de passer la crise sanitaire,
– la SNC de [Localité 9] [Localité 7] demande sa condamnation à payer une somme de 20.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile alors qu’elle a déjà intégré cette demande dans sa demande principale.

L’affaire a été évoquée à l’audience du 3 décembre 2024 et mise en délibéré au 6 février 2025.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal judiciaire statuant par décision contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe après débats en audience publique,

Fixe au passif de la société TELL ME, à titre de créance privilégiée, la somme de 231.385,71 euros, au titre des loyers, charges et taxes dus au 5 juillet 2022, somme qui ne sera pas assortie d’intérêts ;

Condamne la société TELL ME, représentée par son liquidateur Maître [R] [B], à payer à la SNC de [Localité 9] [Localité 7] la somme de 48.995,45 euros au titre des créances de loyers, charges et taxes postérieures au jugement d’ouverture de redressement judiciaire, somme qui sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 2024 ;

Ordonne la capitalisation des intérêts échus pour une année entière sur la somme de 48.995,45 euros ci-dessus fixée ;

Condamne la société TELL ME, représentée par son liquidateur Maître [R] [B], à payer à la SNC de [Localité 9] [Localité 7] la somme de 15.000 euros au titre de l’indemnité contractuelle forfaitaire ;

Condamne la SNC de [Localité 9] [Localité 7] à payer à la société IHEALTHLABS EUROPE la somme de 133.007,23 euros qui sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2021 ;

Ordonne la capitalisation des intérêts échus pour une année entière sur la somme de 133.007,23 euros ci-dessus fixée ;

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;

Condamne la société TELL ME, représentée par Maître [R] [B], aux dépens à l’exception des frais d’assignation de la société IHEALTHLABS EUROPE et de tout autre frais engagé par la société IHEALTHLABS EUROPE conformément à l’article 695 du code de procédure civile qui resteront à la charge de la SNC de [Localité 9] [Localité 7] ;

Condamne la SNC de [Localité 9] [Localité 7] à payer à la société IHEALTHLABS EUROPE une somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la SNC de [Localité 9] [Localité 7] et de la société TELL ME ;

Rappelle que le présent jugement est exécutoire de droit à titre provisoire.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 FÉVRIER 2025 par M. JOLY, Premier Vice-Président Adjoint, assisté de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, lesquels ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Carla LOPES DOS SANTOS Eric JOLY

 


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