Tribunal judiciaire de Versailles, 17 octobre 2024, RG n° 22/04618
Tribunal judiciaire de Versailles, 17 octobre 2024, RG n° 22/04618

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Versailles

Résumé

Le 18 juillet 2017, un incendie a ravagé les cultures de blé de Monsieur [Z], provoquant une assignation en justice contre Monsieur [U] et son assureur PACIFICA, cinq ans plus tard. Monsieur [Z] réclame 33.427,61 euros pour préjudice, arguant que l’incendie résulte d’étincelles de la moissonneuse-batteuse de Monsieur [U]. En revanche, la défense conteste cette responsabilité, soulignant l’absence de preuves et la fiabilité des témoignages. Finalement, le tribunal a débouté Monsieur [Z], concluant à l’absence de preuve de la faute de Monsieur [U], et l’a condamné à verser 2.000 euros à la partie adverse.

Le 18 juillet 2017, un incendie a éclaté sur la parcelle de Monsieur [U], se propageant aux cultures de blé de Monsieur [Z]. En conséquence, le 18 juillet 2022, Monsieur [Z] a assigné Monsieur [U] et son assureur PACIFICA en justice pour obtenir réparation de son préjudice. Monsieur [Z] réclame 33.427,61 euros pour le préjudice subi, invoquant la responsabilité spéciale liée à la communication d’incendie, ainsi que des demandes subsidiaires pour préjudice moral et en vertu de la loi du 5 juillet 1985. De leur côté, Monsieur [U] et PACIFICA contestent la responsabilité, arguant que Monsieur [Z] n’a pas prouvé la faute de Monsieur [U] ou l’implication de sa moissonneuse batteuse dans l’incendie. Le tribunal a finalement débouté Monsieur [Z] de toutes ses demandes et l’a condamné aux dépens, tout en accordant une somme de 2.000 euros à Monsieur [U] et PACIFICA au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

17 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Versailles
RG n°
22/04618
Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Quatrième Chambre
JUGEMENT
17 OCTOBRE 2024

N° RG 22/04618 – N° Portalis DB22-W-B7G-QYHE
Code NAC : 64B

DEMANDEUR :

Monsieur [H] [Z]
né le [Date naissance 3] 1963 à [Localité 8]
[Adresse 1]
[Localité 6]

représenté par Me Magali SALVIGNOL-BELLON, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat postulant, Me Emmeline PLETS-DUGUET, avocat au barreau d’ORLEANS, avocat plaidant

DEFENDEURS :

Monsieur [P] [U],
numéro de SIRET [Numéro identifiant 4],
[Adresse 2]
[Localité 6]

représenté par Me Jérôme CHARPENTIER, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, Me Christophe DEBRAY, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat postulant

Copie exécutoire à Me Christophe DEBRAY,
Copie certifiée conforme à l’origninal à Me Magali SALVIGNOL-BELLON
délivrée le

S.A. PACIFICA
immatriculée au RCS de PARIS sous le n° 352 358 865,
[Adresse 7]
[Localité 5]

représentée par Me Jérôme CHARPENTIER, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, Me Christophe DEBRAY, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat postulant

ACTE INITIAL du 18 Juillet 2022 reçu au greffe le 09 Août 2022.

DÉBATS : A l’audience publique tenue le 13 Septembre 2024 Monsieur BRIDIER, Vice-Président, siégeant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du Code de Procédure Civile, assistée de Madame GAVACHE, Greffier, a indiqué que l’affaire sera mise en délibéré au 17 Octobre 2024.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 18 juillet 2017, Monsieur [U] récoltait des pois protéagineux sur l’une de ses parcelles située sur la commune de [Localité 6], parcelle jouxtant celles de Monsieur [Z], cultivées quant à elles en blé non encore récolté.

Un incendie ayant pris naissance sur la parcelle de Monsieur [U] s’est étendu à celles de Monsieur [Z].

Le 18 juillet 2022, Monsieur [Z] assignait Monsieur [U] et l’assureur PACIFICA devant le présent tribunal afin de les voir déclarer responsables de son préjudice.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 3 mai 2023, Monsieur [Z] demande au tribunal, au visa des articles 1240 et 1242 du code civil et de la loi du 5 juillet 1985, de
-Le déclarer recevable en ses demandes,
-Condamner Monsieur [U] et la S.A. PACIFICA à lui verser la somme de 33.427, 61 euros en réparation du préjudice subi, sur le fondement de la responsabilité spéciale du fait de la communication d’incendie (article 1242, alinéa 2 du code civil),

A titre subsidiaire :
-Condamner Monsieur [U] et la S.A. PACIFICA à lui verser la somme de 33.427,61 euros en réparation du préjudice moral subi, sur le fondement de la responsabilité du fait personnel (article 1240 du Code civil),

A titre très subsidiaire :
-Condamner Monsieur [U] et la S.A. PACIFICA à lui la somme de 33.427,61 euros en réparation du préjudice subi, sur le fondement de la responsabilité du fait des accidents de la circulation (loi du 5 juillet 1985).

En tout état de cause :
-Condamner les mêmes à lui verser la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice moral subi, sur le fondement de la responsabilité du fait personnel (article 1240 du code civil),
-Les condamner à lui verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
-Condamner Monsieur [U] et la S.A. PACIFICA aux entiers dépens,
-Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Dans leurs conclusions du 2 juin 2023, Monsieur [U] et la société PACIFICA, au visa de l’article 1242 du code civil, sollicitent du tribunal de :
-Statuer que Monsieur [Z] ne rapporte pas la preuve d’une faute de Monsieur [U] dans la survenance de l’incendie au sens de l’article susdit,
-Statuer que Monsieur [Z] ne rapporte pas la preuve d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil à l’encontre de Monsieur [U],
-Statuer qu’il n’est pas rapporté la preuve de l’implication de la moissonneuse batteuse de Monsieur [Z] dans la survenance de l’incendie survenu le 18 juillet 2017,
-Juger en tout état de cause que celui-ci ne justifie pas d’un préjudice moral indemnisable.

En conséquence, il est demandé au tribunal de :
-Débouter Monsieur [Z] de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions,
-Condamner Monsieur [Z] aux dépens et à verser aux défendeurs une somme de 3.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Ainsi que le permet l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions des parties pour l’exposé de leurs moyens.

L’instruction a été clôturée le 3 octobre 2023 et l’affaire a été évoquée à l’audience tenue en juge unique le 13 septembre 2024 et mise en délibéré à ce jour.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité de Monsieur [U] dans l’incendie survenu :

Monsieur [Z] fonde ses demandes sur la responsabilité du fait des choses, subsidiairement sur la responsabilité personnelle de Monsieur [U] et très subsidiairement sur la loi du 5 juillet 1985.

Sur la responsabilité au regard de l’article 1242 du code civil :

Monsieur [Z] expose que la parcelle où est né l’incendie est un bien immeuble détenu par Monsieur [U] et que le responsable des conséquences de la communication d’incendie est celui qui détient, à un titre quelconque, la chose où l’incendie a pris naissance. Il rappelle que l’expert, Monsieur [V], attribue nettement l’origine de l’incendie aux étincelles créées lors du déplacement de la moissonneuse-batteuse et que Monsieur [B] [Y] et Monsieur [R] [D] ont attesté avoir vu le feu démarrer de la moissonneuse de Monsieur [U]. Il ajoute à cet égard que la moissonneuse batteuse ayant été en mouvement, il est logique que cette machine soit à l’origine du feu tout en étant au moment de la propagation de ce feu, éloignée des flammes. Ce sont ces étincelles échappées de la moissonneuse-batteuse qui ont enflammé la parcelle de Monsieur [U] puis celle de Monsieur [Z].

Il considère qu’en conséquence, la réparation des préjudices subis à la suite de l’incendie relève du régime de l’article 1242, alinéa 2 qui nécessite cependant la démonstration d’une faute du détenteur de la chose.

Il soutient ainsi que Monsieur [U] est responsable d’une part d’une négligence fautive d’entretien de sa parcelle dans la mesure où le choix de la culture du pois protéagineux était inadaptée à une parcelle chargée de silex et de petits cailloux, ce qui est confirmé selon lui par l’expert, Monsieur [V], car les cultures de pois nécessitent de baisser fortement la barre de coupe générant un risque d’attraper des cailloux.
D’autre part, Monsieur [U] a manqué au devoir général de prudence et de diligence du bon agriculteur, en moissonnant une parcelle à l’heure la plus chaude d’une journée de canicule, alors que le risque d’incendie était déjà majoré par les mesures particulières de récolte des pois protéagineux.
Enfin, Monsieur [U] a commis une imprudence en abandonnant sans surveillance sa parcelle alors qu’il moissonnait celle-ci à l’heure la plus chaude d’une journée de canicule. Ce défaut de surveillance est confirmé par les attestations de Messieurs [Y] et [D].

Monsieur [Z] sollicite donc du tribunal de dire que la responsabilité de Monsieur [U] du fait de la communication d’incendie est engagée et de condamner ce dernier à réparer son préjudice qui s’élève à la somme de 33.427,61€.

-Monsieur [U] et PACIFICA répliquent que contrairement aux affirmations de Monsieur [Z], les opérations d’expertise n’ont pas permis de déterminer si le feu était dû au passage de la moissonneuse batteuse lors du battage, aux rafales de vent en cette période de haute température ou à une autre cause. Pareillement rien ne permet de déterminer précisément le point de départ du feu. Il argue que ce ne peut être la moissonneuse batteuse en tant que tel dans la mesure où aucun dégât n’a été constaté sur la machine et qu’elle était suffisamment à distance du sinistre pour être évacuée du champ. Selon les défendeurs, et à la lecture du rapport du SDIS, l’incendie aurait pris naissance à 100 m de la moissonneuse-batteuse, ce qui est confirmé par l’attestation de Monsieur [L]. Ils concluent qu’en tout état de cause rien ne permet de déterminer précisément le point de départ du feu.

Quant à la faute de Monsieur [U], les défendeurs relèvent que l’utilisation d’un élément d’équipement conformément à sa destination ne constitue pas une faute au sens de l’article 1242 alinéa 2 du code civil, que le 18 juillet 2017, comme tout agriculteur, Monsieur [U] a récolté sa parcelle de pois protéagineux à l’aide de sa moissonneuse batteuse et, une fois sa remorque remplie, est parti la vider, à l’instar de ses collègues. Il ne peut dès lors lui être reproché une défaut de surveillance de sa part.
Ils expliquent que la date de la moisson est en fonction de la maturité de celle-ci et qu’un agriculteur ne peut se permettre de moissonner trop en avance ou sur des cultures trop mures, sous peine de perdre le bénéfice de sa récolte, qu’il est également impossible de récolter par temps de pluie, les graines étant alors trop humides et entraînant un risque de fermentation des pois, et qu’il est en outre impossible de sillonner les champs avec une moissonneuse batteuse par temps de pluie. Enfin ils indiquent que Monsieur [U] cultive habituellement des pois oléagineux et que ce n’est pas la première fois qu’il plantait cette parcelle d’une telle culture.

Les défendeurs rappellent également qu’aucune faute ne peut être établie à l’encontre du propriétaire de l’immeuble dans lequel l’incendie a pris naissance lorsque les rapports indiquent que la cause première de l’incendie reste indéterminée et qu’il convient d’établir le lien de causalité entre l’incendie survenu le 18 juillet 2017 et l’intervention de Monsieur [U] par des présomptions graves, précises et concordantes.

Ils observent que les deux attestations de Messieurs [D] et [Y] ont été établies respectivement les 15 mars et 10 mai 2022, soit près de 5 ans après les faits, alors que leur présence le jour du sinistre n’avait jamais été évoquée précédemment et notent que Monsieur [Z] n’avait pas assuré ses récoltes contre le risque de l’incendie.

Ils concluent que Monsieur [Z] échoue à démontrer que Monsieur [U] aurait commis une faute à l’origine de l’incendie du 18 juillet 2017 et devra être débouté de sa demande de condamnation au paiement de la somme de 33.427,61€.

L’article 1242 du code civil dispose : « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde.
Toutefois, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable.

Cette disposition ne s’applique pas aux rapports entre propriétaires et locataires, qui demeurent régis par les articles 1733 et 1734 du code civil. (…) »

Il convient de démontrer l’existence d’un dommage, d’une faute et d’un lien de causalité entre la faute et le dommage.

En l’espèce, le dommage réside dans la destruction de la récolte de Monsieur [Z], ce qui n’est pas contesté. Il n’est par ailleurs pas contesté que l’incendie a pris naissance dans le champ de Monsieur [U] est s’est étendu au champ voisin de Monsieur [Z]. L’article 1242 al.2 est donc bien applicable au présent litige.

Il ressort des conclusions du demandeur qu’aucune violation d’une disposition administrative n’est reprochée à Monsieur [U], ni aucune pratique professionnelle inhabituelle ou dangereuse. Si l’expert note un vent moyen de
10,8 km/h à 15h le 18 juillet 2017, rien n’indique qu’il s’agirait d’une vitesse de vent justifiant l’arrêt du travail avec la moissonneuse-batteuse. Pareillement, le demandeur affirme sans le démontrer qu’il s’agissait d’une période de canicule et au demeurant n’expose pas en quoi cela aurait induit la nécessité de ne pas moissonner ce jour-là. La circonstance que Monsieur [U] n’ait pas surveillé sa parcelle après l’avoir moissonnée ne peut être constitutif d’une imprudence fautive en l’absence de toute démonstration de l’existence de préconisations professionnelles en la matière. Au demeurant, il ressort de l’attestation de Monsieur [L] rédigée en 2017 que lorsqu’il a aperçu de la fumée dans le champ de Monsieur [U], la moissonneuse-batteuse était à une centaine de mètres du point de départ de l’incendie. S’agissant des attestations de Messieurs [Y] et [D], le tribunal constate qu’elles ont été rédigées prés de 5 années après les faits et qu’elles sont en contradiction avec celle de Monsieur [L] s’agissant du lieu de départ du feu.

Il n’est pas plus démontré de dysfonctionnement de la moissonneuse-batteuse ou d’étincelle qui serait partie de celle-ci.

Il apparaît qu’il ne peut dès lors être reproché aucune faute à Monsieur [U]. Monsieur [Z] sera donc débouté de sa demande de réparation sur le fondement de l’article 1242-2 du code civil.

A titre subsidiaire : sur la responsabilité au titre de l’article 1240 du code civil :

L’article 1240 du code civil dispose que « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à la réparer. »

En l’absence de faute démontrée, la responsabilité de Monsieur [U] ne peut pas plus être admise sur le fondement de l’article 1240 que sur celui de l’article 1242 al.2.

La demande sera rejetée.

A titre très subsidiaire : sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 :

Aux termes de son article 1er, cette loi s’applique aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur.

Il est constant qu’une moissonneuse-batteuse est reconnue comme étant un véhicule terrestre à moteur et que la loi du 5 juillet 1985 est applicable lorsque celle-ci se déplace dans un champ.

Pour autant dans le cas d’espèce, le tribunal a déjà indiqué qu’il écartait les attestations de Messieurs [Y] et [D], celles-ci ayant été rédigées prés de 5 années après les faits et étant en contradiction avec celle de Monsieur [L], apparaissant ainsi des attestations d’opportunité. Par ailleurs, il convient de rappeler que l’incendie a semble t’il démarré alors que la moissonneuse-batteuse était à l’arrêt et à une centaine de mètres de celle-ci. Si l’expert émet une hypothèse, force est de constater qu’elle ne permet pas de démontrer avec certitude que l’incendie a été causé par la moissonneuse-batteuse en mouvement.

La victime ne rapporte ainsi pas la preuve de l’implication du véhicule de Monsieur [U] dans l’incendie au sens de la loi du 5 juillet 1985.

En l’absence de démonstration de la responsabilité de Monsieur [U] dans le dommage subi par Monsieur [Z], celui-ci sera donc débouté de toutes ses demandes.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire rendu en premier ressort et mis à disposition au greffe,

Déboute Monsieur [H] [Z] de l’ensemble de ses demandes ;

Condamne Monsieur [H] [Z] aux dépens ;

Condamne Monsieur [H] [Z] à verser à Monsieur [P] [U] et la société PACIFICA la somme de 2.000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 OCTOBRE 2024 par Monsieur BRIDIER, Vice-Président, assistée de Madame GAVACHE, greffier, lesquelles ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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