Tribunal judiciaire de Tours, 15 octobre 2024, RG n° 24/00005
Tribunal judiciaire de Tours, 15 octobre 2024, RG n° 24/00005

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Tours

Résumé

En mars 2015, M. [F] [R] a signé un bail rural avec M. [M] [W] pour 11 hectares. En mars 2022, M. [F] [R] a proposé de vendre les parcelles, mais en mai 2023, la SCI CABINET MÉDICAL CHATOU a acquis les terres sans en informer M. [M] [W]. En avril 2024, ce dernier a assigné M. [F] [R] et la SCI en nullité de la vente, invoquant son droit de préemption. Le tribunal a statué en faveur de M. [M] [W], prononçant la nullité de la vente et condamnant M. [F] [R] et la SCI aux dépens.

M. [F] [R] a signé un bail rural avec M. [M] [W] le 1er mars 2015 pour des parcelles de terres, d’une superficie totale de 11 hectares, pour une durée de neuf ans. En mars 2022, M. [F] [R] a proposé à M. [M] [W] d’acheter ces parcelles. En novembre 2023, M. [M] [W] a été informé que la SCI CABINET MÉDICAL CHATOU avait acquis les terres en mai 2023 et lui demandait de payer le fermage. En avril 2024, M. [M] [W] a assigné M. [F] [R] et la SCI en nullité de la vente, arguant qu’il n’avait pas été informé de la vente conformément à la loi sur le droit de préemption. Les parties ont été convoquées à une audience de conciliation, mais aucune solution n’a été trouvée. Lors de l’audience de jugement, M. [M] [W] a demandé la nullité de la vente et des dommages-intérêts. M. [R] a contesté la demande, tandis que la SCI a demandé l’irrecevabilité de l’action. Le tribunal a finalement prononcé la nullité de la vente, rejeté d’autres demandes de M. [M] [W], et condamné M. [F] [R] et la SCI aux dépens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

15 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Tours
RG n°
24/00005
TRIBUNAL PARITAIRE DES BAUX RURAUX DE TOURS

Minute n° : 2024/20
N° RG 24/00005 – N° Portalis DBYF-W-B7I-JGTF

Affaire : [W]-[R]

JUGEMENT PARITAIRE
DU : 15 OCTOBRE 2024

Notification des parties par L.R.A.R
JUGEMENT

DÉBATS : A l’audience publique du 17 septembre 2024

DÉCISION :

Prononcé publiquement le 15 OCTOBRE 2024 par mise à la disposition des parties au Greffe de ce Tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

Composition du Tribunal :

PRESIDENT : C. BELOUARD,

ASSESSEURS BAILLEURS :
Mme JOURDANNE Colette
M. MENEAU Jean-Claude

ASSESSEURS PRENEURS :
Mme BELLOY Elodie

GREFFIER : F. SONNET,

DANS LE LITIGE ENTRE:

DEMANDEUR

Monsieur [M] [W]
né le 27 Mars 1970 à [Localité 5], demeurant [Adresse 16]
comparant assisté de Me Jérôme BOURQUENCIER, avocat au barreau de TOURS, avocat plaidant

ET :

DEFENDEURS

Monsieur [F] [R]
né le 10 Octobre 1953 à [Localité 4], demeurant [Adresse 2]
comparant en personne
en présence de sa nièce madame [H] [R]

S.C.I. CABINET MEDICAL CHATOU
immatriculée au RCS de VERSAILLES sous le n° 847 838 075, dont le siège social est sis [Adresse 1]
en présence de madame [J] [Z], gérante de la SCI et monsieur [V] [N]

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte sous seing privé du 1er mars 2015, M. [F] [R] a consenti à M. [M] [W] un bail rural concernant les parcelles de terres suivantes situées sur la commune de [Localité 7]

Section et n°
Lieudit
[Cadastre 3]
[Localité 19]
[Cadastre 8]
[Localité 18]
[Cadastre 10]
[Localité 18]
[Cadastre 9]
[Localité 18]
[Cadastre 14]
[Localité 18]
[Cadastre 15]
[Localité 21]
[Cadastre 13]
[Localité 17]

pour une contenance totale de 11 ha pour une durée de neuf ans à compter du 1er février 2015 moyennant un fermage 1051,60 euros ( 4 quintaux Ha x prix blé fermage base 2014) payable le 1er novembre de chaque année.

Par lettre recommandée avec accusé de réception postée le 25 mars 2022, M. [F] [R] a proposé à M. [M] [W] l’achat des parcelles louées au prix de 4000 € par hectare hors frais de notaire.

Courant novembre 2023, M. [M] [W] a reçu un courrier de la SCI CABINET MÉDICAL CHATOU lui indiquant qu’elle était désormais la propriétaire des terres objets du bail depuis le 15 mai 2023 et lui demandait de procéder au paiement du fermage.

Le 12 avril 2024,M. [M] [W] a donné assignation au greffe du tribunal paritaire des baux ruraux afin de convoquer outre lui-même M. [F] [R] et la SCI CABINET MEDICAL afin de demander la nullité de la vente intervenue le 15 mai 2023 entre M. [F] [R] d’une part et la SCI CABINET MÉDICAL CHATOU d’autre part portant sur les parcelles objet du bail rural et condamner solidairement les défendeurs à lui régler la somme de 5000 € de dommages-intérêts.
Il soutenait qu’en application de l’article L412-8 du code rural,il n’a jamais reçu de notification de la vente projetée que d’ailleurs l’acte de vente ne mentionne nullement nature du droit de préemption.

Les parties ont régulièrement été convoquées par le greffe à l’audience de tentative de conciliation du 21 mai 2024, date à laquelle une non conciliation des parties a été constatée.

A l’audience de renvoi de jugement du 17 septembre 2024, M. [M] [W], assisté de son Conseil, au visa de l’article 885 du Code de procédure civile, des articles L 412-1, L412-8 et suivants du Code rural et de la pêche maritime, demande au tribunal paritaire de :
juger recevable et bien fondé la demande de Monsieur [M] [W],prononcer la nullité de la vente intervenue le 15 Mai 2023 publiée le 02/06/2023 volume 2023 P 10468 aux services de la publicité foncière de TOURS entre Monsieur [F] [R] et la SCI CABINET MEDICAL CHATOU portant notamment sur les parcelles objets du bail rural sur la commune de [Localité 6] :
Section et n°
Lieudit
Surface cadastrale
Nature
Classement fermage
[Cadastre 3]
[Localité 19]
2ha 63a 75ca
Terre
C
[Cadastre 8]
[Localité 18]
0ha 61a 75ca
Terre
C
[Cadastre 10]
[Localité 18]
0ha 12a 95ca
Terre
C
[Cadastre 9]
[Localité 18]
0ha 16a 70ca
Terre
C
[Cadastre 11]
[Localité 17]
04ha80a 27ca
Terre
C
[Cadastre 15]
[Localité 21]
1ha 26a 02ca
Terre

[Cadastre 13]
[Localité 17]
1ha 33a 70ca
Terre

CONDAMNER solidairement Monsieur [F] [R] et la SCI CABINET MEDICAL CHATOU à payer à Monsieur [M] [W] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts ;RAPPELER que l’exécution provisoire est de droit,ORDONNER la publication du jugement à intervenir,CONDAMNER in solidum Monsieur [F] [R] et la SCI CABINET MEDICAL CHATOU à payer à Monsieur [M] [W] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;CONDAMNER in solidum Monsieur [F] [R] et la SCI CABINET MEDICAL CHATOU aux dépens de l’instance qui comprendront les frais de publication.
Sur la recevabilité et la régularité de la procédure, il souligne que la demande en annulation de la vente est consignée dans son assignation et c’est cette assignation qui devait être publiée aux services de la publicité foncière; qu’il était donc impossible de publier « une demande ›› avant l’assignation comme le soutient la SCI CABINET MEDICAL CHATOU.
Il ajoute que la loi n’impose pas que la formalité de publicité qui relève du droit commun soit accomplie dans le délai de recours de 6 mois à compter du jour où la date de la vente est connue du preneur; qu’elle peut l’être au cours de l’instance et même pour la première fois en cause d’appel.
Il précise que le point de départ du délai de forclusion de 6 mois de l’action en nullité d’une vente réalisée en méconnaissance du droit de préemption du preneur, se place au jour de la connaissance de la date exacte de la vente en application l’article L. 412-12 du code rural et de la pêche maritime; qu’il a eu connaissance de l’acte de vente seulement au mois de novembre 2023 et en a eu confirmation suite à sa demande de RSU du 09 février 2024.
Sur le fond, au visa de l’article L412-1 du Code rural et de la pêche maritime, il rappelle qu’il était le preneur en place au moment de la vente et que l’acte de vente mentionne bien d’ailleurs l’existence d’un bail rural ; que la SCI CABINET MEDICAL CHATOU n’était pas un parent ou allié du propriétaire jusqu’au 3ème degré inclus de sorte que la vente était soumise au droit de préemption du fermier. Il soutient au regard de l’article L412-8 du Code rural et de la pêche maritime que son droit de préemption n’a pas été respecté puisque la notification aux fins de purge de ce droit n’a pas été réalisée par un notaire et les modalités de la vente ne lui ont pas été notifiées.
Au visa de l’article L 412-12 alinéa 3 du Code rural et de la pêche maritime, il estime qu’il a été évincé de cette vente en raison du prix de vente des terres agricoles. Il rappelle qu’il avait informé Monsieur [R] de ce qu’il ne souhaitait pas acquérir ces parcelles au prix proposé, souhaitant qu’il soit tenu compte des améliorations qu’il avait apporté au fond par l’installation d’un drainage, de travaux de défrichement et de remise en état de cultures des parcelles qui avaient partiellement été laissées à l’abandon.

M. [R] demande à ce que la vente ne soit pas annulée et sollicite le rejet de toutes les autres demandes formulées à son encontre soulignant les difficultés financières majeures qu’impliqueraient l’annulation de la vente.

La SCI CABINET MÉDICAL CHATOU, représentée, au visa de l’article 30-5 du Décret n°55-22 du 4janvier1955 portant réforme de la publicité foncière, demande au tribunal paritaire des baux ruraux de Tours de :
JUGER irrecevable la demande de M.[W].CONFIRMER la validité de la vente intervenue le 15 Mai 2023 publiée le 02/06/2023 volume 2023 P 10468 aux services de la publicité foncière de TOURS entre Monsieur [F] [R] et la SCI CABINET MEDICAL CHATOU.DEBOUTER Monsieur [M] [W] de sa demande de dommages et intérêts et indemnité au titre de l’article 700.CONDAMNER Monsieur [M] [W] aux entiers dépens de l’instance qui comprendront les frais de publication.
Elle explique qu’elle a acquis en 2020 la ferme de [Localité 17] dans le but d’installation de sa gérante, son mari et leurs enfants, après avoir effectué les travaux nécessaires à sa réhabilitation, et dans le but de la création d’un écogîte; que le projet était également de pouvoir racheter une partie des terres adjacentes afin d’éloigner la maison des parcelles cultivées à long terme.
Elle indique avoir été informée par Mme [B] [R], nièce de M. [F] [R], de la mise en vente des terres ; que cette dernière lui a précisé s’occuper de la purge du droit de préemption directement d’où le courrier transmis à M. [W] en tant que preneur par M.[F] [R] le 25 mars 2022 ; que lorsqu’elle a été informée que M. [W] ne souhaitait pas acquérir les terres, elle a pris contact avec ce dernier pour lui faire une proposition à savoir l’achat par M. [W] de deux tiers des terres et l’achat du dernier tiers par la concluante; que M. [W] lui a indiqué qu’il ne souhaitait pas acquérir et a alors été informé de l’intention de la concluante d’acheter l’ensemble des terres.
Elle soulève l’irrégularité de la saisine du tribunal paritaire des baux ruraux au motif que l’assignation n’a été publique et enregistrée que le 27/06/2024 au service de la publicité foncière d’Indre et Loire or la publication doit précéder l’assignation; que de plus l’article 30-5 précise bien qu’il doit être justifié dans l’assignation de cette publication par “un certificat du service chargé de la publicité foncière ou de la demande revêtue de la mention de publicité”; que l’assignation ne comporte pas ce justificatif. Elle ajoute qu’au jour de l’assignation, le notaire avait déjà publié la vente le 02 juin 2023 au service de la publicité foncière de [Localité 22] 1, volume 2023P numéro 10468 soit dans le mois de la cession. Elle affirme que l’article 30-5 du décret du 4 janvier 1955 impose dans le cadre d’une action en justice visant l’annulation d’une vente la publication de l’action préalablement à l’assignation et la justification de cette publication de manière cumulative. Elle soutient que la formalité de publicité a été effectuée alors que M. [M] [W] était forclos à agir puisqu’il indique lui-même avoir été informé de la date de la vente en novembre 2023 et qu’il n’a pas agi dans les 6 mois de cette vente.
Elle ne conteste pas que M. [W] soit bénéficiaire du droit de préemption mais affirme que ce droit a été purgé dans les faits et sans aucune malice, par le courrier du 25 mars 2022 de M. [F] [R] auquel M. [W] n’a pas souhaité donner suite. Elle souligne que M. [W] connaissait parfaitement la division de la parcelle [Cadastre 14] puisque l’avenant au bail rural signé le 25 janvier 2020 mentionne explicitement la division de la parcelle [Cadastre 14] en deux parcelles. Elle ajoute que si seul le prix à l’hectare est indiqué dans le courrier, il est aussi indiqué la surface globale objet du bail ce qui permettait facilement à M. [M] [W] de calculer le prix à l’hectare sollicité.
Sur le prix de vente, elle précise que les parcelles dites inexploitables par M. [M] [W] sont déclarées en jachère dans le bail et ne sont donc pas sans valeur puisqu’elles permettent de toucher des indemnités. Il justifie de quatre ventes de cession intervenues à proximité entre le 1er janvier 2019 et le 31/12/2023 qui prouvent la valeur des terres sur le secteur et la pertinence du prix payé. Sur les améliorations alléguées par M. [M] [W], elle souligne que l’annexe au bail datée du 1er mars 2015 prévoit que le preneur bénéficie d’une franchise de fermage pour prise en compte de travaux de défrichage et remise en état des parcelles [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et que si M. [M] [W] renégociait le prix d’acquisition des terres en invoquant cet argument cela ne serait pas honnête.
Elle fait valoir que M. [M] [W] ne justifie d’aucun préjudice; que si la forme de la purge du droit de préemption n’a pas été celle requise, les parcelles ont été proposées au preneur dans les mêmes conditions que celles de la vente et que le prix proposé est conforme aux prix pratiqués dans de pareilles cessions de terres agricoles dans le secteur. Elle rappelle en outre que le bail est conservé et se renouvelle en novembre 2024 pour 9 années; qu’une proposition très honnête a été faite au preneur avant la vente puis une seconde a été transmise au preneur suite à la conciliation à laquelle il n’a pas été donné suite ; que le plaignant ne demande que l’annulation de la vente mais pas la substitution.

La décision a été mise en délibéré au 15 octobre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’article L. 412-12, alinéa 3, du Code rural et de la pêche maritime énonce que : “Celui qui a fait usage du droit de préemption est tenu aux obligations mentionnées aux articles L. 411-58 à L. 411-63 et L. 411-67. A défaut, l’acquéreur évincé peut prétendre à des dommages-intérêts prononcés par les tribunaux paritaires. Il est privé de toute action après expiration de la période d’exploitation personnelle de neuf années prévues aux articles L. 411-59, L. 411-60 et L. 411-63.

Toutefois, celui qui a fait usage du droit de préemption peut faire apport du bien préempté à un groupement foncier agricole, à la condition de se consacrer personnellement à l’exploitation des biens du groupement, dans les conditions prévues aux articles L. 411-59 et L. 411-60.

Au cas où le droit de préemption n’aurait pu être exercé par suite de la non-exécution des obligations dont le bailleur est tenu en application de la présente section, le preneur est recevable à intenter une action en nullité de la vente et en dommages-intérêts devant les tribunaux paritaires dans un délai de six mois à compter du jour où la date de la vente lui est connue, à peine de forclusion. Toutefois, lorsque le bailleur n’a pas respecté les obligations mentionnées à l’article L. 412-10, le preneur peut intenter l’action prévue par cet article.(…)”.

Il est constant que M. [M] [W] bénéficie en qualité de preneur d’un bail rural consenti par M. [F] [R] sur des parcelles vendues par ce dernier à la SCI CABINET MEDICAL CHATOU le 15 mai 2023 et que vente de ces parcelles était soumise en conséquence à la purge du droit de préemption du preneur en place.

I- Sur les fins de non recevoir soulevées

1- Sur la fin de non recevoir tirée sur la forclusion de l’action

En droit positif, pour l’exercice, par un preneur à bail rural en place, de l’action en nullité prévue par l’article L. 412-12 du code rural et de la pêche maritime, ni la publication de l’acte de vente à la conservation des hypothèques, ni la connaissance par le preneur de la réalisation d’actes préparatoires à la vente ne font, à elles seules, courir le délai de forclusion de six mois imparti par ce texte, ce délai ne courant qu’à compter de la connaissance effective de la date de la vente (voir notamment sur ce point Civ. 3e, 22 sept. 2016, n°15-20.783 ).

En l’espèce, il ressort de la procédure que la date de la vente exacte des parcelles a été communiquée au plus tôt lorsque la SCI CABINET MEDICAL CHATOU a informé M. [M] [W] de ce que les fermages devaient lui être payés courant novembre 2023 au regard des pièces 4 et 5 du demandeur. Le délai de forclusion expirait en conséquence au plus tôt le 30 mai 2024 à 24h00.

L’action a été introduite par une assignation signifiée au greffe du tribunal paritaire des baux ruraux le 12 avril 2024, soit dans le délai de 6 mois. Le moyen d’irrecevabilité tiré de la forclusion sera rejeté.

2- Sur la fin de non recevoir fondée sur l’article 30 du décret n°55-22 du 04 janvier 1955

L’article 30 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955, dans sa version découlant de l’ordonnance du 10 juin 2010 énonce notamment que “5. les demandes tendant à faire prononcer la résolution, la révocation, l’annulation ou la rescision de droits résultant d’actes soumis à publicité ne sont recevables devant les tribunaux que si elles ont été elles-mêmes publiées conformément aux dispositions de l’article 28-4°, c, et s’il est justifié de cette publication par un certificat du service chargé de la publicité foncière ou la production d’une copie de la demande revêtue de la mention de publicité”.
Le défaut de publicité de la demande constitue une fin de non-recevoir. L’obligation de publier une assignation en nullité de vente immobilière dans les registres du service chargé de la publicité foncière, prévue à peine d’irrecevabilité de la demande, ne porte pas atteinte à la substance même du droit d’accès au juge dont elle encadre les conditions d’exercice dans le but légitime d’informer les tiers et d’assurer la sécurité juridique des mutations immobilières au regard de l’article 6 de la CEDH. En effet, cette formalité pouvant être régularisée à tout moment jusqu’à ce que le juge statue, il ne résulte pas de la sanction de son omission une disproportion dans la considération des intérêts respectifs (voir sur ce point Civ., 22 juin 2017, pourvoi n° 16-13.651, Bull. 2017, III, n° 80).
Ainsi, en droit positif, cette formalité peut être accomplie même en cours de procédure judiciaire. Il sera précisé que la demande en justice est formée suivant les procédures soit par assignation soit par requête.

En l’espèce, l’assignation valant saisine du tribunal paritaire des baux ruraux a été publiée le 27 juin 2024 au service de publicité foncière d’Indre et Loire (pièce 10) soit avant l’audience de plaidoirie du 17 septembre 2019. Le moyen d’irrecevabilité tiré du défaut de publicité sera en conséquence rejeté.

II- Sur la demande de nullité fondée sur l’absence de purge du droit de préemption du fermier

L’article L412-8 du Code rural et de la pêche maritime dispose [surligné en gras par le Tribunal]:
“après avoir été informé par le propriétaire de son intention de vendre, le notaire chargé d’instrumenter doit faire connaître au preneur bénéficiaire du droit de préemption, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte d’huissier de justice, le prix, les charges, les conditions et les modalités de la vente projetée, ainsi que, dans l’hypothèse prévue au dernier alinéa du présent article, les nom et domicile de la personne qui se propose d’acquérir.
Cette communication vaut offre de vente aux prix et conditions qui y sont contenus. Les dispositions de l’article 1589, alinéa 1er, du code civil sont applicables à l’offre ainsi faite.
Le preneur dispose d’un délai de deux mois à compter de la réception de la lettre recommandée ou de l’acte d’huissier pour faire connaître, dans les mêmes formes, au propriétaire vendeur, son refus ou son acceptation de l’offre aux prix, charges et conditions communiqués avec indication des nom et domicile de la personne qui exerce le droit de préemption. Sa réponse doit être parvenue au bailleur dans le délai de deux mois ci-dessus visé, à peine de forclusion, son silence équivalant à une renonciation au droit de préemption. (…)”

L’article L. 412-12, alinéa 3, du code rural et de la pêche maritime dispose que : « Au cas où le droit de préemption n’aurait pu être exercé par suite de la non-exécution des obligations dont le bailleur est tenu en application de la présente section, le preneur est recevable à intenter une action en nullité de la vente et en dommages-intérêts ». Dans tous les cas qui ne sont pas visés à l’article L. 412-10, la sanction est la seule nullité avec dommages-intérêts, sans qu’il puisse alors être sollicité une nullité avec substitution.
Il ressort de l’article L412-8 susvisé que le notaire dans le cadre de la notification au preneur en place de la vente envisagée et des conditions à ce titre est investi d’une mission légale afin de purger le droit de préemption (cf notamment sur ce point 3e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-20.252).

En l’espèce, suivant acte authentique du 15 mai 2023, M. [F] [R] a vendu à la SCI CABINET MÉDICAL CHATOU les parcelles suivantes :

à [Localité 7] [Localité 19]
Section et n°
Lieudit
Surface cadastrale
[Cadastre 3]
[Localité 19]
2ha 63a 75ca
[Cadastre 8]
[Localité 18]
0ha 61a 75ca
[Cadastre 13]
[Localité 17]
01h 33a 70ca
[Cadastre 9]
[Localité 18]
0ha 16a 70ca
[Cadastre 10]
[Localité 18]
0ha 12a 95ca
[Cadastre 15]
[Localité 21]
01ha 26 a 02ca
[Cadastre 11]
[Localité 17]
04ha 80 a27ca

TOTAL
10ha 95a 14 ca
étant précisé que la parcelle section [Cadastre 11] provient de la division de la parcelle cadastrée section [Cadastre 14] lieudit [Localité 17] de 04ha 80a 27 ca en deux parcelles section [Cadastre 11] et [Cadastre 12].

à [Localité 20] [Localité 17]
Section et n°
Lieudit
Surface cadastrale
[Cadastre 23]
[Localité 17]
00ha 06a 59ca

pour un prix total de 44.000 €.

Il est bien stipulé à l’acte bien que “le bien est actuellement loué au profit de M. [M] [W]”, le bail rural étant d’ailleurs annexé à l’acte de vente. L’acte de vente mentionnait au titre du droit de préemption que “le notaire soussigné a notifié au preneur le prix, les charges, les conditions et le modalités de la vente projetée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception dont la copie et l’avis de réception sont annexées” et précisait que cet acte était en annexe 9.

Or les défendeurs reconnaissent que l’annexe 9 correspond au seul courrier adressé par M. [F] [R] lui-même le 25 mars 2022 soit plus d’une année avant la vente. Le courrier n’a donc pas été adressé par le notaire instrumentaire. Surtout, si ce courrier mentionne bien toutes les parcelles objets de la vente du 15 mai 2023, le prix est donné à l’hectare (4000 €/ha) non pour la totalité des parcelles (contrairement à l’acte de vente). Il s’en déduit une petite différence de prix. Dès lors, à défaut d’avoir été informé par le notaire tant de l’intention des bailleurs de vendre que des conditions et de la date de cette vente, M. [M] [W] n’a pas été mis en mesure de pouvoir faire usage de son droit de préemption.

Il y a lieu de prononcer la nullité de la vente intervenue le 15 Mai 2023 publiée le 02/06/2023 volume 2023 P 10468 aux services de la publicité foncière de TOURS entre M. [F] [R] et la SCI CABINET MEDICAL CHATOU portant notamment sur les parcelles objets du bail rural sur la commune de [Localité 6] :

Section et n°
Lieudit
[Cadastre 3]
[Localité 19]
[Cadastre 8]
[Localité 18]
[Cadastre 10]
[Localité 18]
[Cadastre 9]
[Localité 18]
[Cadastre 11]
[Localité 17]
[Cadastre 15]
[Localité 21]
[Cadastre 13]
[Localité 17]

III- Sur la demande de nullité fondée sur l’absence de purge du droit de préemption du fermier

Il ressort des pièces au dossier que M. [F] [R] n’a nullement eu l’intention de frauder les droits de M. [M] [W], l’ayant informé de son intention de vendre, ayant informé le notaire de l’existence d’un bail rural. M. [F] [R] et la SCI CABINET MÉDICAL CHATOU pouvaient légitimement penser que le courrier du 25 mars 2022 suffisait à purger le droit de préemption puisque le notaire lui-même l’avait annexé à l’acte de vente.

Il a été constaté par ailleurs que M. [F] [R], âgé de 71 ans, avait besoin d’être aidé pour les démarches administratives et il est acquis aux débats que le courrier du 25 mars 2022 a été certes signé par lui mais rédigé par sa nièce. Il est également acquis aux débats que la SCI CABINET MEDICAL CHATOU a proposé elle-même courant 2022 à M. [W] de lui laisser racheter deux tiers des terres environ. Dans ce contexte, aucune faute de M. [F] [R] ou de la SCI CABINET MEDICAL CHATOU n’est caractérisée. Au surplus, le demandeur ne justifie d’aucun préjudice indemnisable opposable aux défendeurs.

La demande de dommages et intérêts sera rejetée.

IV- Sur les mesures de fin de jugement

L’exécution provisoire est de droit pour les instances introduites à compter du 1er janvier 2020.

Perdant le procès, M. [F] [R] et la SCI CABINET MEDICAL CHATOU seront tenus in solidum aux dépens qui comprendront les frais de publication.

Au regard du contexte du présent dossier, n’est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charges des frais et honoraires non compris dans les dépens et exposés à l’occasion de la présente instance. Il convient de dire n’y avoir lieu à application de l’article 700 du Code de procédure civile. La demande formulée au titre de l’article 700 du Code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS
Le Tribunal statuant publiquement par décision contradictoire et en premier ressort,

Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,

Rejette les fins de non recevoir tirées de la forclusion et du défaut de publicité foncière soulevées par la SCI CABINET MÉDICAL CHATOU ;

Prononce la nullité de la vente intervenue le 15 Mai 2023 publiée le 02/06/2023 volume 2023 P 10468 aux services de la publicité foncière de TOURS entre M. [F] [R] d’une part et la SCI CABINET MEDICAL CHATOU d’autre part, vente portant pour rappel notamment sur les parcelles situées sur la commune de [Localité 7] suivantes, objets du bail rural:

Section et n°
Lieudit
[Cadastre 3]
[Localité 19]
[Cadastre 8]
[Localité 18]
[Cadastre 10]
[Localité 18]
[Cadastre 9]
[Localité 18]
[Cadastre 11]
[Localité 17]
[Cadastre 15]
[Localité 21]
[Cadastre 13]
[Localité 17]

Rejette le surplus des demandes de M. [M] [W] ;

Condamne in solidum M. [F] [R] et la SCI CABINET MEDICAL CHATOU aux dépens qui comprendront les frais de publication ;

Rejette la demande formulée par M. [M] [W] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Ainsi jugé par mise à disposition de la décision au greffe,

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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