Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Strasbourg
Thématique : Résiliation de bail et effets des clauses en matière locative : enjeux de la protection des locataires face aux impayés.
→ RésuméLa société ALSACE HABITAT a signé un bail d’habitation avec M. [P] [J] le 22 août 2018. En raison d’un arriéré locatif de 2086,48 euros, un commandement de payer a été délivré le 16 février 2024. Malgré une demande de suspension de la clause résolutoire, le tribunal a constaté la résiliation du bail depuis le 17 avril 2024, M. [P] [J] n’ayant pas réglé la somme due. Le juge a toutefois accordé des délais de paiement, permettant au locataire de s’acquitter de sa dette à raison de 160 euros par mois, tout en maintenant une indemnité d’occupation.
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N° RG 24/05260 – N° Portalis DB2E-W-B7I-MZ2T
Tribunal Judiciaire de STRASBOURG
TRIBUNAL DE PROXIMITE DE SCHILTIGHEIM
10 rue du Tribunal – CS 70097
67302 SCHILTIGHEIM CEDEX
SCHILTIGHEIM Civil
N° RG 24/05260 – N° Portalis DB2E-W-B7I-MZ2T
Minute n°
copie le 26 novembre 2024
à la Préfecture
copie exécutoire le 26 novembre
2024 à :
– ALSACE HABITAT
– M. [P] [J]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUGEMENT DU
26 NOVEMBRE 2024
DEMANDERESSE :
Société ALSACE-HABITAT (SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE)
ayant son siège social 4 rue Bartisch 67100 STRASBOURG
représentée par Mme [C] [D], gestionnaire contentieux, muni d’un pouvoir
DEFENDEUR :
Monsieur [P] [J]
né le 15 Avril 1984 à SCHILTIGHEIM (67300)
demeurant 17 rue Frédéric Mistral 67800 BISCHHEIM
comparant en personne
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Romain GRAPTON, Juge des Contentieux de la Protection
Evadné CHAPUS, Greffier lors des débats
Ophélie PETITDEMANGE, Greffier lors du délibéré
DÉBATS :
Audience publique du 22 Octobre 2024
JUGEMENT
Contradictoire rendu en premier ressort,
Mis à la disposition du public par le greffe, et signé par Romain GRAPTON, Juge des Contentieux de la Protection et par Ophélie PETITDEMANGE, Greffier
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 22 août 2018, la société ALSACE HABITAT a consenti un bail d’habitation à M. [P] [J] sur des locaux (logement et cave) situés au 17 Rue Frédéric Mistral à Bischheim (67800), moyennant le paiement d’un loyer mensuel de 290,18 euros et d’une provision pour charges de 86,39 euros.
Par acte de commissaire de justice du 16 février 2024, la bailleresse a fait délivrer au locataire un commandement de payer la somme principale de 2086,48 euros au titre de l’arriéré locatif dans un délai de deux mois, en visant une clause résolutoire.
La commission de coordination des actions prévention des expulsions locatives a été informée de la situation de M. [P] [J] le 08 février 2024.
Par assignation du 03 juin 2024, la société ALSACE HABITAT a ensuite saisi le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Schiltigheim pour faire constater l’acquisition de la clause résolutoire, être autorisée à faire procéder à l’expulsion de M. [P] [J] et obtenir sa condamnation au paiement des sommes suivantes :
– une indemnité mensuelle d’occupation d’un montant égal à celui du loyer et des charges, à compter de la résiliation du bail et jusqu’à libération des lieux,
– 1 815,22 euros au titre de l’arriéré locatif arrêté au 21 mai 2024, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision,
– 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
L’assignation a été notifiée au représentant de l’État dans le département le 05 juin 2024, et un diagnostic social et financier a été réalisé. Ses conclusions ont été reçues au greffe avant l’audience, à laquelle il en a été donné lecture.
Prétentions et moyens des parties
À l’audience du 22 octobre 2024, la société ALSACE HABITAT sollicite le bénéfice de son acte introductif d’instance en relevant que la dette est ancienne, que malgré son salaire, le locataire n’a pas déféré au commandement de payer.
M. [P] [J] sollicite la suspension des effets de la clause résolutoire pendant le cours des délais de paiement. Il propose de payer la somme de 160€ en sus du loyer courant.
En application de l’article 24 V de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, les parties ont été invitées à produire tous éléments relatifs à l’existence d’une procédure de traitement du surendettement au sens du livre VII du code de la consommation.
M. [P] [J] a indiqué ne pas faire l’objet d’une telle procédure.
À l’issue des débats, la décision a été mise en délibéré jusqu’à ce jour, où elle a été mise à disposition des parties au greffe.
MOTIVATION
1. Sur la demande de constat de la résiliation du bail
1.1. Sur la recevabilité de la demande
La société ALSACE HABITAT justifie avoir notifié l’assignation au représentant de l’État dans le département plus de six semaines avant l’audience.
Elle justifie également avoir saisi la commission de coordination des actions prévention des expulsions locatives deux mois au moins avant la délivrance de l’assignation.
Son action est donc recevable au regard des dispositions de l’article 24 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989.
1.2. Sur la résiliation du bail
Aux termes de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 modifié par la loi du 27 juillet 2023, tout contrat de bail d’habitation contient une clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non-versement du dépôt de garantie. Cette clause ne produit effet que six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux.
Cependant, la loi du 27 juillet 2023 ne comprend aucune disposition dérogeant à l’article 2 du code civil, selon lequel la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif. Ainsi, il n’y a pas lieu de faire application aux contrats conclus antérieurement au 29 juillet 2023 de l’article 10 de cette loi, en ce qu’il fixe à six semaines – et non plus deux mois — le délai minimal accordé au locataire pour apurer sa dette, au terme duquel la clause résolutoire est acquise. Ces contrats demeurent donc régis par les stipulations des parties, telles qu’encadrées par la loi en vigueur au jour de la conclusion du bail.
En l’espèce, un commandement de payer reproduisant textuellement les dispositions légales et la clause résolutoire contenue dans le contrat de bail a été signifié au locataire le 16 février 2024. Or, d’après l’historique des versements, la somme de 2 086,48 euros n’a pas été réglée par ce dernier dans le délai de deux mois suivant la signification de ce commandement et aucun plan d’apurement n’a été conclu dans ce délai entre les parties.
La bailleresse est donc bien fondée à se prévaloir des effets de la clause résolutoire, dont les conditions sont réunies depuis le 17 avril 2024.
Cependant, selon l’article 24 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, le juge peut, à la demande du locataire, du bailleur ou d’office, à la condition que le locataire soit en situation de régler sa dette locative et qu’il ait repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience, accorder des délais de paiement dans la limite de trois années, par dérogation au délai prévu au premier alinéa de l’article 1343-5 du code civil, au locataire en situation de régler sa dette locative.
Lorsque le juge est saisi en ce sens par le bailleur ou par le locataire, et à la condition que celui-ci ait repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience, les effets de la clause de résiliation de plein droit peuvent être suspendus pendant le cours des délais ainsi accordés par le juge. Cette suspension prend fin dès le premier impayé ou dès lors que le locataire ne se libère pas de sa dette locative dans le délai et selon les modalités fixés par le juge. Ces délais et les modalités de paiement accordés ne peuvent affecter l’exécution du contrat de location et notamment suspendre le paiement du loyer et des charges. Si le locataire se libère de sa dette locative dans le délai et selon les modalités fixés par le juge, la clause de résiliation de plein droit est réputée ne pas avoir joué. Dans le cas contraire, elle reprend son plein effet.
En l’espèce, eu égard à l’accord des parties sur ce point et conformément à l’article 4 du code de procédure civile, la condition de reprise du paiement intégral du loyer courant avant la date de l’audience est réputée satisfaite.
Par ailleurs, il ressort des éléments du dossier, et notamment de l’audience et du diagnostic social et financier réalisé dans les conditions de l’article 24 III de la loi du 6 juillet 1989, que les revenus du foyer de M. [P] [J] lui permettent raisonnablement d’assumer le paiement d’une somme de 160 euros par mois en plus du loyer courant afin de régler sa dette.
Dans ces conditions, il convient de lui accorder des délais de paiement pour s’acquitter des sommes dues, selon les modalités prévues ci-après, et de faire droit à la demande de M. [P] [J] de suspension les effets de la clause résolutoire durant le cours de ces délais.
En cas de respect de ces modalités de paiement, la clause résolutoire sera donc réputée n’avoir pas joué, et l’exécution du contrat de bail pourra se poursuivre.
L’attention du locataire est toutefois attirée sur le fait qu’à défaut de paiement d’une seule échéance comprenant le loyer et la mensualité d’apurement, la clause résolutoire sera acquise, et le bail résilié de plein droit, sans qu’une nouvelle décision de justice ne soit nécessaire : dans ce cas, et pour le cas où les lieux ne seraient pas libérés spontanément, la bailleresse pourra faire procéder à son expulsion, et à celle de tout occupant de son chef.
2. Sur la dette locative
Aux termes de l’article 1353 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver tandis que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement.
L’article 1103 du même code prévoit, par ailleurs, que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
En l’espèce, la société ALSACE HABITAT verse aux débats un décompte démontrant qu’à la date du 22 octobre 2024, M. [P] [J] lui devait la somme de 3 433,12 euros, soustraction faite des frais de procédure.
M. [P] [J] ne conteste pas cette dette, il sera condamné à payer cette somme à la bailleresse, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision.
Toutefois, eu égard aux délais de paiement évoqués ci-avant, il convient de différer l’exigibilité de cette somme en autorisant M. [P] [J] à se libérer de cette dette selon les modalités détaillées ci-après.
3. Sur l’indemnité d’occupation
En cas de maintien dans les lieux du locataire ou de toute personne de son chef malgré la résiliation du bail, une indemnité d’occupation sera due. Au regard du montant actuel du loyer et des charges, son montant sera fixé à la somme mensuelle de 539,58 euros.
L’indemnité d’occupation est payable et révisable dans les mêmes conditions que l’étaient le loyer et les charges, à partir du 17 avril 2024, et ne cessera d’être due qu’à la libération effective des locaux avec remise des clés à la société ALSACE HABITAT ou à son mandataire.
4. Sur les frais du procès et l’exécution provisoire
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité et de la situation économique de la partie condamnée.
M. [P] [J], qui succombe à la cause, sera condamné aux dépens de la présente instance, conformément à l’article 696 du code de procédure civile.
L’équité, ainsi que l’ancienneté de la dette, commande par ailleurs de faire droit à hauteur de 250 euros à la demande de la société ALSACE HABITAT concernant les frais non compris dans les dépens, en application des dispositions précitées.
Selon l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.
Toutefois, selon l’article 514-1 du même code, le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire. Il statue, d’office ou à la demande d’une partie, par décision spécialement motivée.
En l’espèce, compte tenu du montant et de l’ancienneté de la dette et de l’octroi de délais de paiement, il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire de la présente décision.
PAR CES MOTIFS
Le juge des contentieux de la protection,
CONSTATE que la dette locative visée dans le commandement de payer du 16 février 2024 n’a pas été réglée dans le délai de deux mois ;
CONSTATE, en conséquence, que le contrat conclu le 22 août 2018 entre la société ALSACE HABITAT, d’une part, et M. [P] [J], d’autre part, concernant les locaux (logement et cave) situés au 17 Rue Frédéric Mistral à Bischheim (67800) est résilié depuis le 17 avril 2024 ;
CONDAMNE M. [P] [J] à payer à la société ALSACE HABITAT la somme de 3 433,12 euros (trois mille quatre cent trente-trois euros et douze centimes) au titre de l’arriéré locatif arrêté au 22 octobre 2024, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision ;
AUTORISE M. [P] [J] à se libérer de sa dette en réglant chaque mois pendant 22 mois, en plus du loyer courant, une somme minimale de 160 euros (cent soixante euros), la dernière échéance étant majorée du solde de la dette en principal, intérêts et frais ;
DIT que le premier règlement devra intervenir dans les dix jours suivant la signification de la présente décision, puis, pour les paiements suivants, en même temps que le loyer, au plus tard le dixième jour de chaque mois, sauf meilleur accord entre les parties ;
SUSPEND les effets de la clause résolutoire pendant l’exécution des délais de paiement accordés à M. [P] [J] ;
DIT que si les délais accordés sont entièrement respectés, la clause résolutoire sera réputée n’avoir jamais été acquise ;
DIT qu’en revanche, pour le cas où une mensualité, qu’elle soit due au titre du loyer et des charges courants ou de l’arriéré, resterait impayée quinze jours après l’envoi d’une mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception :
– le bail sera considéré comme résilié de plein droit depuis le 17 avril 2024,
-le solde de la dette deviendra immédiatement exigible,
– la bailleresse pourra, à défaut de libération spontanée des lieux et dès l’expiration d’un délai de deux mois suivant la délivrance d’un commandement d’avoir à libérer les lieux, faire procéder à l’expulsion de M. [P] [J] et à celle de tous occupants de son chef, au besoin avec l’assistance de la force publique,
– le sort des meubles sera régi conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d’exécution,
– M. [P] [J] sera condamné à verser à la société ALSACE HABITAT une indemnité d’occupation mensuelle égale au montant des loyers et charges qui auraient été dus en cas de poursuite du bail, et ce, jusqu’à la date de libération effective et définitive des lieux ;
CONDAMNE M. [P] [J] aux dépens comprenant notamment le coût du commandement de payer du 16 février 2024 et celui de l’assignation du 03 juin 2024 ;
CONDAMNE M. [P] [J] à payer à la société ALSACE HABITAT la somme de 250 euros (deux cent cinquante euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DIT n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire de droit de la présente décision ;
Ainsi jugé par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024, et signé par le juge et la greffière susnommés.
Le Greffier Le Juge
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