Tribunal judiciaire de Strasbourg, 26 novembre 2024, RG n° 23/04338
Tribunal judiciaire de Strasbourg, 26 novembre 2024, RG n° 23/04338

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Strasbourg

Thématique : Validité et effets d’une promesse unilatérale de vente en cas de non-enregistrement

Résumé

Contexte de l’affaire

L’affaire concerne une promesse unilatérale de vente entre la Sarl La Foncière du Rhin et les époux [P]. La Sarl n’ayant pas levé l’option, les époux [P] ont mis en demeure la société de payer une indemnité d’occupation de 73 000 € par lettre recommandée reçue le 10 mars 2023.

Procédures judiciaires

Suite à la mise en demeure, les époux [P] ont saisi le tribunal judiciaire de Strasbourg le 22 mai 2023 pour obtenir le paiement de l’indemnité d’immobilisation. Le 1er octobre 2023, M. [X] [P] est décédé, et Mme [P] a informé la Sarl de son décès le 8 janvier 2024. Le 22 janvier 2024, elle a demandé au juge de la mise en état de constater l’interruption de l’instance.

Intervention des héritiers

Les héritiers de M. [X] [P], M. [A] [P] et M. [D] [P], ont intervenu dans la procédure et ont repris l’instance par conclusions électroniques le 11 mars 2024. Ils ont formulé plusieurs demandes au tribunal, notamment la constatation de la reprise de l’instance et la reconnaissance de leur créance sur la Sarl La Foncière du Rhin.

Arguments des consorts [P]

Les consorts [P] soutiennent que toutes les conditions de la promesse unilatérale de vente sont remplies pour exiger le paiement de l’indemnité d’occupation. Ils contestent la demande de nullité de la promesse par la Sarl, arguant que celle-ci n’a pas fait inscrire sa demande au livre foncier et que la promesse n’est pas nulle.

Position de la Sarl La Foncière du Rhin

La Sarl La Foncière du Rhin a demandé la nullité de l’acte conclu avec les époux [P], affirmant que l’indemnité d’immobilisation n’est pas due. Elle a également soutenu que la promesse était caduque en raison de l’absence d’enregistrement dans les délais requis et a demandé une requalification de l’acte en promesse synallagmatique.

Décision du tribunal

Le tribunal a annulé la promesse unilatérale de vente sous seing privé conclue le 17 mars 2022, déboutant les consorts [P] de toutes leurs demandes. Il a également condamné Mme [P] à payer 2 000 € à la Sarl au titre de l’article 700 du code de procédure civile et a rappelé l’exécution provisoire du jugement.

N° RG 23/04338 – N° Portalis DB2E-W-B7H-L5IB

3ème Ch. Civile Cab. 1

N° RG 23/04338 – N° Portalis DB2E-W-B7H-L5IB

Minute n°

Copie exec. à :

Me Antoine MARCANTONI
Me Franck MERKLING

Le

Le greffier

Me Antoine MARCANTONI
Me Franck MERKLING

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE STRASBOURG

JUGEMENT DU 26 NOVEMBRE 2024

DEMANDEURS :

Monsieur [A] [P], en qualité d’héritier de Monsieur [X] [P] et venant aux droits de ce dernier
né le 21 Janvier 1973 à [Localité 5],
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Antoine MARCANTONI, avocat au barreau de STRASBOURG, vestiaire 297

Monsieur [D] [P], en qualité d’héritier de Monsieur [X] [P] et venant aux droits de ce dernier
né le 28 Juin 1978 à [Localité 5],
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Antoine MARCANTONI, avocat au barreau de STRASBOURG, vestiaire 297

Madame [Y] [I] épouse [P]
née le 23 Novembre 1944 à [Localité 5],
demeurant [Adresse 2] / FRANCE
représentée par Me Antoine MARCANTONI, avocat au barreau de STRASBOURG, vestiaire 297

DEFENDERESSE :

LA SARL FONCIERE DU RHIN, représentée par son gérant M. [G] [B], lui-même représenté par M. [F] [B], immatriculée au RCS de STRASBOURG sous le n° 395.037.336.,
dont le siège social est sis [Adresse 3] / FRANCE
représentée par Me Franck MERKLING, avocat au barreau de STRASBOURG, vestiaire 70

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Vincent BARRÉ, Vice-président, Président,

assisté de Aude MULLER, greffier

OBJET : Demande relative à l’exécution d’une promesse unilatérale de vente ou d’un pacte de préférence ou d’un compromis de vente

DÉBATS :

A l’audience publique du 08 Octobre 2024 à l’issue de laquelle le Président, Vincent BARRÉ, Vice-président, statuant en formation de juge unique a avisé les parties que le jugement serait prononcé par mise à disposition au greffe à la date du 26 Novembre 2024.

JUGEMENT :

Contradictoire en Premier ressort,
Rendu par mise à disposition au greffe,
Signé par Vincent BARRÉ, Vice-président et par Aude MULLER, greffier

Par un acte authentique reçu par devant Maître [K] [N], notaire, le 11 mai 2021, M. [X] [P] et Mme [Y] [I] épouse [P] ont conclu une promesse unilatérale de vente au bénéfice de la Sarl La Foncière du Rhin, qui l’a acceptée, portant sur une maison à usage d’habitation située [Adresse 1] à [Localité 4], pour un prix de 730 000 €, sous condition suspensive d’obtention d’un permis de démolir l’immeuble et de construire et d’un certificat de non opposition, la promesse étant consentie pour une durée expirant le 31 janvier 2022 à 16 heures.

Le permis de démolir et construire a été délivré le 17 février 2022. 

Une seconde promesse, reprenant les mêmes termes que la première, a été conclue sous acte sous seing privé le 17 mars 2022 entre les mêmes parties, le bénéficiaire disposant d’un délai jusqu’au 29 juillet 2022 pour lever l’option.

Par un avenant des 26 et 27 juillet 2022, le délai de validité et la date extrême de réalisation de la promesse a été prorogée au 30 septembre 2022 à 17 heures.
 
Par un courrier électronique du 28 septembre 2022, la greffière en chef du tribunal administratif de Strasbourg a confirmé que le permis de construire n’avait pas fait l’objet d’un recours.

L’option n’a pas été levée par la Sarl La Foncière du Rhin. 

Par lettre recommandée avec avis de réception reçue le 10 mars 2023, le conseil des époux [P] a mis en demeure la Sarl La Foncière du Rhin de payer une somme de 73 000 € au titre de l’indemnité d’occupation prévue à la promesse unilatérale de vente.

Par un acte de commissaire de justice délivré à la Sarl La Foncière du Rhin le 22 mai 2023, M. et Mme [P] ont saisi le tribunal judiciaire de Strasbourg d’une demande en paiement d’une indemnité d’immobilisation.

M. [X] [P] est décédé le 1er octobre 2023.

Mme [P] a fait signifier à la Sarl La Foncière du Rhin l’acte de décès de M. [X] [P] le 8 janvier 2024.

Mme [P] a saisi le juge de la mise en état par conclusions transmises par voie électronique le 22 janvier 2024 d’une demande tendant à ce que l’interruption de l’instance soit constatée.

Par ordonnance du 24 janvier 2024, le juge de la mise en état a constaté l’interruption de l’instance à l’égard de M. [X] [P] et a invité la partie la plus diligente à régulariser la procédure à l’égard des héritiers.

M. [A] [P] et M. [D] [P] en leur qualité d’héritiers de M. [X] [P] sont intervenus volontairement à la procédure et par conclusions transmises par voie électronique le 11 mars 2024, M. [A] [P] et M. [D] [P] ès qualités et Mme [Y] [P] ont repris l’instance.

Par conclusions transmises par voie électronique le 19 juin 2024, M. [A] [P] et M. [D] [P], en leur qualité d’héritiers de M. [X] [P], et Mme [P] demandent au tribunal de :
– constater et ordonner la reprise de l’instance interrompue du fait du décès de M. [X] [P],
– dire et juger qu’ils sont recevables et fondés en leur action,
– dire et juger que leur créance sur la Sarl La Foncière du Rhin est établie,

– débouter la Sarl La Foncière du Rhin de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner la Sarl La Foncière du Rhin à leur verser la somme de 73 000 €,
– condamner la Sarl La Foncière du Rhin aux entiers dépens de l’instance et à leur verser la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dire et juger qu’aucun motif de fait obstacle à l’exécution provisoire de droit.

A l’appui de leurs prétentions, ils soutiennent que les conditions prévues par la promesse unilatérale de vente sont toutes remplies pour rendre exigible le paiement de l’indemnité d’occupation.

Ils exposent que la Sarl La Foncière du Rhin est irrecevable à demander à titre reconventionnel la nullité de la promesse unilatérale, dans la mesure où elle n’a pas faire inscrire au livre foncier sa demande.

Ils contestent que la promesse soit nulle, faisant valoir qu’elle l’a régulièrement enregistrée et que dans la mesure où il ne s’agit pas de vendre un terrain à bâtir, l’obligation de préciser si le bien a fait l’objet d’un bornage est inapplicable.

Ils contestent que la promesse soit caduque dans la mesure où toutes les conditions suspensives stipulées à l’acte ont été levées avant son terme.

Ils s’opposent encore à toute requalification de la promesse unilatérale en promesse synallagmatique.

Ils relèvent que l’acte s’inscrit dans le régime de la promesse unilatérale, une option étant donnée à la Sarl La Foncière du Rhin, qui n’était dès lors pas définitivement engagée dans la vente.

Ils contestent en conséquence que l’indemnité d’immobilisation puisse être requalifiée en clause pénale et, par conséquent, qu’elle puisse être modulée par le tribunal. 

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 9 septembre 2024, la Sarl La Foncière du Rhin demande au tribunal de :
– prononcer la nullité de l’acte conclu avec les époux [P],
– juger que le paiement de l’indemnité d’immobilisation n’est pas dû,
– débouter en conséquence  » les époux [P]  » de toutes leurs demandes,
– à titre subsidiaire, constater, au besoin prononcer, la caducité de l’acte conclu avec les époux [P], les conditions suspensives n’ayant pas été réalisées et n’en ayant pas empêché la réalisation ;
– juger que le paiement de l’indemnité d’immobilisation n’est pas dû, n’ayant pas empêché la réalisation des conditions suspensives,
– débouter en conséquence  » les époux [P]  » de toutes leurs demandes,
– à titre infiniment subsidiaire, requalifier l’acte conclu avec les époux [P] en promesse synallagmatique de vente,
– juger en conséquence que l’indemnité d’immobilisation stipulée s’analyse en une clause pénale,
– juger que le paiement d’une clause pénale n’est pas dû, n’ayant commis aucune faute,
– débouter  » les époux [P]  » de toutes leurs demandes,
– à titre infiniment subsidiaire, réduire le montant de la clause pénale à l’euro symbolique,
– condamner  » les époux [P]  » à payer la somme de 3 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner  » les époux [P]  » aux entiers frais et dépens de la procédure.

À l’appui de ses prétentions, elle soutient être recevable à demander la nullité de la promesse, dans la mesure où l’inscription au livre foncier ne s’impose qu’aux demandes en nullité d’actes qui doivent eux-mêmes être publiés, ce qui n’est pas le cas de l’acte en l’espèce.

La Sarl La Foncière du Rhin fait valoir que le contrat est nul en raison de l’absence de mention d’un bornage, conformément à l’article L. 115-4 et L. 115-5 du code de l’urbanisme et en raison de l’absence d’enregistrement dans les dix jours suivant la conclusion de la promesse unilatérale de vente, conformément à l’article 1589-2 du code civil.

Elle précise subsidiairement que la promesse unilatérale de vente est caduque à défaut de preuve de l’accomplissement à temps des conditions suspensives stipulées à l’acte.

Encore subsidiairement, elle expose que le contrat doit être requalifiée en promesse synallagmatique de vente et, par conséquent que l’indemnité d’immobilisation doit être requalifiée en clause pénale.

Elle fait valoir que celle-ci n’est pas applicable, n’ayant commis aucune faute, et en tout état de cause que la clause pénale doit être ramenée à une somme symbolique. 

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties visées ci-dessus quant à l’exposé du surplus de leurs prétentions et moyens.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 24 septembre 2024. L’affaire a été évoquée à l’audience du 8 octobre 2024 et mise en délibéré au 26 novembre 2024.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire rendu en premier ressort par mise à disposition au greffe,

ANNULE la promesse unilatérale de vente sous seing privé conclue le 17 mars 2022 entre, d’une part, M. [X] [P] et Mme [Y] [I] épouse [P] et, d’autre part, la Sarl La Foncière du Rhin,

DÉBOUTE M. [A] [P] et M. [D] [P], tous deux en leur qualité d’héritiers de M. [X] [P], et Mme [Y] [I] épouse [P] de l’ensemble de leurs demandes,

CONDAMNE M. [A] [P] et M. [D] [P], tous deux en leur qualité d’héritiers de M. [X] [P], et Mme [Y] [I] épouse [P] aux dépens,

CONDAMNE Mme [Y] [I] épouse [P] à payer à la Sarl La Foncière du Rhin la somme de deux mille euros (2 000 €) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

RAPPELLE l’exécution provisoire du jugement.

Le Greffier Le Président
Aude MULLER Vincent BARRÉ

 


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