Tribunal judiciaire de Strasbourg, 26 novembre 2024, RG n° 23/04338
Tribunal judiciaire de Strasbourg, 26 novembre 2024, RG n° 23/04338

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Strasbourg

Thématique : Validité et effets d’une promesse unilatérale de vente : enjeux d’enregistrement et de caducité.

Résumé

L’affaire oppose la Sarl La Foncière du Rhin aux époux [P] concernant une promesse unilatérale de vente. Après que la Sarl n’ait pas levé l’option, les époux ont réclamé une indemnité d’occupation de 73 000 €. Suite à la saisine du tribunal, le décès de M. [X] [P] a conduit à l’intervention de ses héritiers, qui ont demandé la reprise de l’instance. Le tribunal a finalement déclaré la promesse nulle pour défaut d’enregistrement, rejetant ainsi la demande d’indemnité des consorts [P] et les condamnant aux dépens. Le jugement est exécutoire à titre provisoire.

N° RG 23/04338 – N° Portalis DB2E-W-B7H-L5IB

3ème Ch. Civile Cab. 1

N° RG 23/04338 – N° Portalis DB2E-W-B7H-L5IB

Minute n°

Copie exec. à :

Me Antoine MARCANTONI
Me Franck MERKLING

Le

Le greffier

Me Antoine MARCANTONI
Me Franck MERKLING

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE STRASBOURG

JUGEMENT DU 26 NOVEMBRE 2024

DEMANDEURS :

Monsieur [A] [P], en qualité d’héritier de Monsieur [X] [P] et venant aux droits de ce dernier
né le 21 Janvier 1973 à [Localité 5],
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Antoine MARCANTONI, avocat au barreau de STRASBOURG, vestiaire 297

Monsieur [D] [P], en qualité d’héritier de Monsieur [X] [P] et venant aux droits de ce dernier
né le 28 Juin 1978 à [Localité 5],
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Antoine MARCANTONI, avocat au barreau de STRASBOURG, vestiaire 297

Madame [Y] [I] épouse [P]
née le 23 Novembre 1944 à [Localité 5],
demeurant [Adresse 2] / FRANCE
représentée par Me Antoine MARCANTONI, avocat au barreau de STRASBOURG, vestiaire 297

DEFENDERESSE :

LA SARL FONCIERE DU RHIN, représentée par son gérant M. [G] [B], lui-même représenté par M. [F] [B], immatriculée au RCS de STRASBOURG sous le n° 395.037.336.,
dont le siège social est sis [Adresse 3] / FRANCE
représentée par Me Franck MERKLING, avocat au barreau de STRASBOURG, vestiaire 70

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Vincent BARRÉ, Vice-président, Président,

assisté de Aude MULLER, greffier

OBJET : Demande relative à l’exécution d’une promesse unilatérale de vente ou d’un pacte de préférence ou d’un compromis de vente

DÉBATS :

A l’audience publique du 08 Octobre 2024 à l’issue de laquelle le Président, Vincent BARRÉ, Vice-président, statuant en formation de juge unique a avisé les parties que le jugement serait prononcé par mise à disposition au greffe à la date du 26 Novembre 2024.

JUGEMENT :

Contradictoire en Premier ressort,
Rendu par mise à disposition au greffe,
Signé par Vincent BARRÉ, Vice-président et par Aude MULLER, greffier

Par un acte authentique reçu par devant Maître [K] [N], notaire, le 11 mai 2021, M. [X] [P] et Mme [Y] [I] épouse [P] ont conclu une promesse unilatérale de vente au bénéfice de la Sarl La Foncière du Rhin, qui l’a acceptée, portant sur une maison à usage d’habitation située [Adresse 1] à [Localité 4], pour un prix de 730 000 €, sous condition suspensive d’obtention d’un permis de démolir l’immeuble et de construire et d’un certificat de non opposition, la promesse étant consentie pour une durée expirant le 31 janvier 2022 à 16 heures.

Le permis de démolir et construire a été délivré le 17 février 2022. 

Une seconde promesse, reprenant les mêmes termes que la première, a été conclue sous acte sous seing privé le 17 mars 2022 entre les mêmes parties, le bénéficiaire disposant d’un délai jusqu’au 29 juillet 2022 pour lever l’option.

Par un avenant des 26 et 27 juillet 2022, le délai de validité et la date extrême de réalisation de la promesse a été prorogée au 30 septembre 2022 à 17 heures.
 
Par un courrier électronique du 28 septembre 2022, la greffière en chef du tribunal administratif de Strasbourg a confirmé que le permis de construire n’avait pas fait l’objet d’un recours.

L’option n’a pas été levée par la Sarl La Foncière du Rhin. 

Par lettre recommandée avec avis de réception reçue le 10 mars 2023, le conseil des époux [P] a mis en demeure la Sarl La Foncière du Rhin de payer une somme de 73 000 € au titre de l’indemnité d’occupation prévue à la promesse unilatérale de vente.

Par un acte de commissaire de justice délivré à la Sarl La Foncière du Rhin le 22 mai 2023, M. et Mme [P] ont saisi le tribunal judiciaire de Strasbourg d’une demande en paiement d’une indemnité d’immobilisation.

M. [X] [P] est décédé le 1er octobre 2023.

Mme [P] a fait signifier à la Sarl La Foncière du Rhin l’acte de décès de M. [X] [P] le 8 janvier 2024.

Mme [P] a saisi le juge de la mise en état par conclusions transmises par voie électronique le 22 janvier 2024 d’une demande tendant à ce que l’interruption de l’instance soit constatée.

Par ordonnance du 24 janvier 2024, le juge de la mise en état a constaté l’interruption de l’instance à l’égard de M. [X] [P] et a invité la partie la plus diligente à régulariser la procédure à l’égard des héritiers.

M. [A] [P] et M. [D] [P] en leur qualité d’héritiers de M. [X] [P] sont intervenus volontairement à la procédure et par conclusions transmises par voie électronique le 11 mars 2024, M. [A] [P] et M. [D] [P] ès qualités et Mme [Y] [P] ont repris l’instance.

Par conclusions transmises par voie électronique le 19 juin 2024, M. [A] [P] et M. [D] [P], en leur qualité d’héritiers de M. [X] [P], et Mme [P] demandent au tribunal de :
– constater et ordonner la reprise de l’instance interrompue du fait du décès de M. [X] [P],
– dire et juger qu’ils sont recevables et fondés en leur action,
– dire et juger que leur créance sur la Sarl La Foncière du Rhin est établie,

– débouter la Sarl La Foncière du Rhin de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner la Sarl La Foncière du Rhin à leur verser la somme de 73 000 €,
– condamner la Sarl La Foncière du Rhin aux entiers dépens de l’instance et à leur verser la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dire et juger qu’aucun motif de fait obstacle à l’exécution provisoire de droit.

A l’appui de leurs prétentions, ils soutiennent que les conditions prévues par la promesse unilatérale de vente sont toutes remplies pour rendre exigible le paiement de l’indemnité d’occupation.

Ils exposent que la Sarl La Foncière du Rhin est irrecevable à demander à titre reconventionnel la nullité de la promesse unilatérale, dans la mesure où elle n’a pas faire inscrire au livre foncier sa demande.

Ils contestent que la promesse soit nulle, faisant valoir qu’elle l’a régulièrement enregistrée et que dans la mesure où il ne s’agit pas de vendre un terrain à bâtir, l’obligation de préciser si le bien a fait l’objet d’un bornage est inapplicable.

Ils contestent que la promesse soit caduque dans la mesure où toutes les conditions suspensives stipulées à l’acte ont été levées avant son terme.

Ils s’opposent encore à toute requalification de la promesse unilatérale en promesse synallagmatique.

Ils relèvent que l’acte s’inscrit dans le régime de la promesse unilatérale, une option étant donnée à la Sarl La Foncière du Rhin, qui n’était dès lors pas définitivement engagée dans la vente.

Ils contestent en conséquence que l’indemnité d’immobilisation puisse être requalifiée en clause pénale et, par conséquent, qu’elle puisse être modulée par le tribunal. 

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 9 septembre 2024, la Sarl La Foncière du Rhin demande au tribunal de :
– prononcer la nullité de l’acte conclu avec les époux [P],
– juger que le paiement de l’indemnité d’immobilisation n’est pas dû,
– débouter en conséquence « les époux [P] » de toutes leurs demandes,
– à titre subsidiaire, constater, au besoin prononcer, la caducité de l’acte conclu avec les époux [P], les conditions suspensives n’ayant pas été réalisées et n’en ayant pas empêché la réalisation ;
– juger que le paiement de l’indemnité d’immobilisation n’est pas dû, n’ayant pas empêché la réalisation des conditions suspensives,
– débouter en conséquence « les époux [P] » de toutes leurs demandes,
– à titre infiniment subsidiaire, requalifier l’acte conclu avec les époux [P] en promesse synallagmatique de vente,
– juger en conséquence que l’indemnité d’immobilisation stipulée s’analyse en une clause pénale,
– juger que le paiement d’une clause pénale n’est pas dû, n’ayant commis aucune faute,
– débouter « les époux [P] » de toutes leurs demandes,
– à titre infiniment subsidiaire, réduire le montant de la clause pénale à l’euro symbolique,
– condamner « les époux [P] » à payer la somme de 3 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner « les époux [P] » aux entiers frais et dépens de la procédure.

À l’appui de ses prétentions, elle soutient être recevable à demander la nullité de la promesse, dans la mesure où l’inscription au livre foncier ne s’impose qu’aux demandes en nullité d’actes qui doivent eux-mêmes être publiés, ce qui n’est pas le cas de l’acte en l’espèce.

La Sarl La Foncière du Rhin fait valoir que le contrat est nul en raison de l’absence de mention d’un bornage, conformément à l’article L. 115-4 et L. 115-5 du code de l’urbanisme et en raison de l’absence d’enregistrement dans les dix jours suivant la conclusion de la promesse unilatérale de vente, conformément à l’article 1589-2 du code civil.

Elle précise subsidiairement que la promesse unilatérale de vente est caduque à défaut de preuve de l’accomplissement à temps des conditions suspensives stipulées à l’acte.

Encore subsidiairement, elle expose que le contrat doit être requalifiée en promesse synallagmatique de vente et, par conséquent que l’indemnité d’immobilisation doit être requalifiée en clause pénale.

Elle fait valoir que celle-ci n’est pas applicable, n’ayant commis aucune faute, et en tout état de cause que la clause pénale doit être ramenée à une somme symbolique. 

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties visées ci-dessus quant à l’exposé du surplus de leurs prétentions et moyens.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 24 septembre 2024. L’affaire a été évoquée à l’audience du 8 octobre 2024 et mise en délibéré au 26 novembre 2024.

MOTIFS

A titre liminaire :

En application de l’article 768 du code de procédure civile, le tribunal ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif.

Or, ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir « constater » ou « dire et juger » en ce que, hors les cas prévus par la loi, elles ne sont pas susceptibles d’emporter de conséquences juridiques, mais constituent en réalité des moyens ou arguments, de sorte que le tribunal n’y répondra qu’à la condition qu’ils viennent au soutien de prétentions formulées dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans le dispositif de la décision, mais dans ses motifs.

De même, si les consorts [P] exposent dans les motifs de leurs conclusions que la demande reconventionnelle formée par la Sarl La Foncière du Rhin tendant à obtenir la nullité de la promesse unilatérale de vente est irrecevable pour ne pas avoir été inscrite au livre foncier par application de l’article 38-4 de la loi du 1er juin 1924, aucune prétention n’est formée à ce titre au dispositif de leurs conclusions, les consorts [P] demandant que la sarl La Foncière du Rhin soit déboutée de ses demandes, de sorte que le tribunal n’est pas saisi de cette prétention.

Il sera en tout état de cause ajouté, à supposer que la demande de nullité de la promesse unilatérale de vente soit une demande reconventionnelle et non une défense au fond, que selon l’article 789 du code de procédure civile, le juge de la mise en état est, à compter de sa désignation et, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : […]
6° statuer sur les fins de non-recevoir…

Ainsi, faute de saisine du juge de la mise en état, exclusivement compétent pour statuer sur une fin de non-recevoir, les consorts [P] n’étaient plus recevables à soulever une telle fin de non-recevoir devant le tribunal.

Sur la nullité de la promesse unilatérale de vente :

L’article 1589-2 du code civil dispose qu’est nulle et de nul effet toute promesse unilatérale de vente afférente à un immeuble […] si elle n’est pas constatée par un acte authentique ou par un acte sous seing privé enregistré dans le délai de dix jours à compter de la date de son acceptation par le bénéficiaire. Il en est de même de toute cession portant sur lesdites promesses qui n’a pas fait l’objet d’un acte authentique ou d’un acte sous seing privé enregistré dans les dix jours de sa date.

Il résulte des éléments du dossier que M. et Mme [P] et la Sarl La Foncière du Rhin ont signé :
– un acte authentique de promesse unilatérale de vente le 11 mai 2022 devant notaire,
– une promesse unilatérale de vente par un acte sous seing privé du 17 mars 2022,
– un avenant signé les 26 et 27 juillet 2022 enregistré au service départemental de l’enregistrement de [Localité 5] le 4 août 2022.

La promesse unilatérale de vente du 11 mai 2022, qui par sa forme n’était pas soumise à l’enregistrement prévu à l’article 1589-2 du code civil précité, est caduque pour avoir expiré avant l’accomplissement de l’une de ses conditions suspensives.

La promesse unilatérale de vente du 17 mars 2022 sur laquelle ne figure aucun nom de notaire ni aucune signature de notaire est un acte sous seing privé soumis aux dispositions de l’article 1589-2 du code civil.

Or, les consorts [P] ne rapportent pas la preuve que la promesse unilatérale de vente du 17 mars 2022 a été enregistrée au service de l’enregistrement compétent, aucune mention à cet effet apparaissant sur ledit acte.

Si l’avenant signé les 26 et 27 juillet 2022 par les époux [P] et par la Sarl La Foncière du Rhin, ayant pour seul objet de proroger la date de réalisation de la promesse unilatérale de vente au 30 septembre 2022 et ne modifiant pas l’économie substantielle de la promesse, a été dûment enregistré le 4 août 2022, soit dans le délai de dix jours de l’article 1589-2 du code civil, cet enregistrement ne peut avoir pour effet de régulariser l’absence d’enregistrement de la promesse unilatérale de vente du 17 mars 2022 sur laquelle la demande de paiement de l’indemnité d’immobilisation est fondée.

Un avenant à un acte nul ne saurait en effet produire d’effet à lui seul, étant rappelé que l’avenant avait pour seul objet de proroger le délai de validité de la promesse sans modifier une quelconque autre clause de la promesse.

La promesse unilatérale de vente du 17 mars 2022 est ainsi nulle pour défaut d’enregistrement.

La promesse unilatérale de vente du 17 mars 2022 étant nulle, la demande en paiement d’une indemnité d’immobilisation sur le fondement de cet acte par les consorts [P] ne peut en conséquence qu’être rejetée.

Sur les dépens et les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile :

Les consorts [P], qui succombent, seront condamnés aux frais et dépens de l’instance, conformément à l’article 696 du code de procédure civile.

Mme [P] – la demande de la Sarl La Foncière du Rhin étant dirigée à l’encontre des « époux [P] » – sera condamnée à payer à la Sarl La Foncière du Rhin la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La demande formée à ce titre par les consorts [P] sera rejetée.

Sur l’exécution provisoire :

L’article 514 du code de procédure civile dispose que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.

En l’espèce, aucune raison ne justifie d’écarter l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire rendu en premier ressort par mise à disposition au greffe,

ANNULE la promesse unilatérale de vente sous seing privé conclue le 17 mars 2022 entre, d’une part, M. [X] [P] et Mme [Y] [I] épouse [P] et, d’autre part, la Sarl La Foncière du Rhin,

DÉBOUTE M. [A] [P] et M. [D] [P], tous deux en leur qualité d’héritiers de M. [X] [P], et Mme [Y] [I] épouse [P] de l’ensemble de leurs demandes,

CONDAMNE M. [A] [P] et M. [D] [P], tous deux en leur qualité d’héritiers de M. [X] [P], et Mme [Y] [I] épouse [P] aux dépens,

CONDAMNE Mme [Y] [I] épouse [P] à payer à la Sarl La Foncière du Rhin la somme de deux mille euros (2 000 €) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

RAPPELLE l’exécution provisoire du jugement.

Le Greffier Le Président
Aude MULLER Vincent BARRÉ

 


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