Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion
Thématique : Responsabilité délictuelle et causalité dans les transactions immobilières : enjeux de la négligence et de l’erreur professionnelle.
→ RésuméContexte de l’affaireLa SAS [10] fait partie d’un groupement immobilier qui a survécu à la faillite du groupe en 2016. Des soupçons de détournement de fonds ont conduit le Procureur de la République à demander la nomination d’un administrateur provisoire, ce qui a été fait en mars 2020. Procédure judiciaireEn janvier 2021, la SAS [10] a assigné Maître [F] [W], un notaire, pour obtenir le remboursement de 1 010 000 euros, montant qu’il aurait versé à la société [9] au lieu de la société [10]. Le juge a ordonné à la SAS [10] de fournir des preuves de son non-recouvrement de créance, notamment la déclaration de créance dans la procédure collective de [9]. Demandes de la SAS [10]Dans ses dernières conclusions, la SAS [10] a demandé la condamnation de Maître [W] à lui verser 1 010 000 euros, ainsi qu’une somme de 10 000 euros pour frais de justice. Elle l’accuse d’avoir versé des montants à la société [9] en connaissance de cause, causant ainsi un préjudice financier. Réponse de Maître [W]Maître [W] a contesté la demande, arguant que la SAS [10] n’avait pas justifié de sa qualité à agir et que la perte de chance invoquée était due à l’absence de déclaration de créance. Il a également demandé le rejet des demandes de la SAS [10] et la condamnation de celle-ci aux dépens. Éléments de preuve et responsabilitéLe tribunal a examiné les éléments de preuve, y compris les relevés bancaires et les communications entre les parties. Il a été établi que Maître [W] avait connaissance des instructions de paiement erronées, ce qui a conduit à un préjudice pour la SAS [10]. Décision du tribunalLe tribunal a rejeté la demande de Maître [W] concernant la qualité à agir de Maître [O] et a condamné Maître [W] à verser 675 000 euros à la SAS [10] pour dommages-intérêts, ainsi que 2 000 euros pour frais de justice. Le tribunal a également condamné Maître [W] aux dépens et a rappelé l’exécution provisoire du jugement. |
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REPUBLIQUE FRANCAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE ST DENIS
MINUTE N°
1ERE CHAMBRE
AFFAIRE N° RG 21/00212 – N° Portalis DB3Z-W-B7F-FWWW
NAC : 63B
JUGEMENT CIVIL
DU 26 NOVEMBRE 2024
DEMANDERESSE
[10] SAS, prise en la personne de Me [O], ès qualité d’administrateur provisoire
[Adresse 2]
[Localité 5]
Rep/assistant : Me Vanessa RODRIGUEZ, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
Rep/assistant : Me Driss FALIH, de MAC MAHON AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
DEFENDEUR
Maître [F] [W], notaire, exercant en qualité d’entrepreneur individuel sous la dénomination “M.[F] [W]” et “SCP [B] [W] et [F] [W]”
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Rep/assistant : Me Pierre HOARAU, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
Copie exécutoire délivrée le :26.11.2024
Expédition délivrée le :
à Me Driss FALIH
Me Pierre HOARAU
Me Vanessa RODRIGUEZ
COMPOSITION DU TRIBUNAL
LORS DES DEBATS :
Le Tribunal était composé de :
Madame Brigitte LAGIERE, Vice-Présidente
Madame Patricia BERTRAND, Vice-Présidente,
Madame Dominique BOERAEVE, Juge-Honoraire,
assistées de Madame Isabelle SOUNDRON, Greffier
Les débats ont eu lieu à l’audience tenue le 24 Septembre 2024.
MISE EN DELIBERE
A l’issue des débats, les parties présentes et leurs conseils ont été avisés que le
jugement serait mis à leur disposition le 26 Novembre 2024.
Le Tribunal était composé de :
Madame Brigitte LAGIERE, Vice-Présidente
Madame Patricia BERTRAND, Vice-Présidente,
JUGEMENT :contradictoire, du 26 Novembre 2024, en premier ressort
Prononcé par mise à disposition par Madame Brigitte LAGIERE, Présidente assistée de Madame Isabelle SOUNDRON, Greffier
En vertu de quoi, le Tribunal a rendu le jugement dont la teneur suit :
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La SAS [10] est l’une des trois sociétés du groupement immobilier [6] restées in boni lors de la déconfiture du groupe au tournant 2016.
Suspectant des irrégularités et des détournements de fonds au préjudice de cette entité, le Procureur de la République près le Tribunal Judiciaire de Saint-Denis a saisi le Tribunal mixte de commerce, par requête du 27 février 2020, aux fins de voir désigner un administrateur provisoire. Maître [O] a été nommé en cette qualité suivant ordonnance du 04 mars 2020.
Par assignation délivrée le 25 janvier 2021, la SAS [10] a cité Maître [F] [W] à comparaître devant le Tribunal judiciaire de Saint-Denis aux fins principales d’obtenir sa condamnation à lui verser la somme de 1 010 000 euros correspondant au montant que le notaire aurait versé à la société [9] au lieu et place de la société [10].
Maître [W] a constitué avocat.
Saisi par conclusions d’incident notifiées le 10 décembre 2021 dans les intérêts de Maître [W], le juge de la mise en état a, par ordonnance du 12 juillet 2022, enjoint la SAS [10] de communiquer, au plus tard pour le 30 août 2022, les pièces justifiant du non-recouvrement de sa créance et en particulier la déclaration de créance de la société [10] dans la procédure collective de [9] et tout élément sur le sort réservé à cette déclaration.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par message RPVA en date du 10 mars 2023, la SAS [10] sollicite le Tribunal de :
-CONDAMNER Maître [F] [W] à payer à la société [10] la somme de d’UN MILLION DIX MILLE EUROS, à parfaire, en application des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil ;
-DIRE ni avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;
-CONDAMNER Maître [F] [W] à payer à la société [10] la somme de 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;
-CONDAMNER Maître [F] [W] aux entiers dépens de l’instance et de ses suites, conformément à l’article 699 du même code.
Elle fait grief à Maître [W] d’avoir, s’agissant de cinq transactions immobilières en date des 04 août, 30 septembre, 28 octobre, 27 décembre 2016 et 20 janvier 2017, versé, en toute connaissance de cause, les prix de vente sur un compte bancaire détenu par la société [9] en lieu et place de la société [10].
Partant, elle reproche au notaire instrumentaire des ventes de lui avoir causé un appauvrissement, en contrevenant à la charge qui lui aurait incombé de veiller à la légalité et à l’efficacité des conventions.
Elle expose, par ailleurs, que la société [9] ayant fait l’objet d’une liquidation judiciaire suivant jugement du Tribunal mixte de commerce de Saint-Denis en date du 12 décembre 2019, le recouvrement des sommes auprès de [9] se serait avéré très problématique.
En réponse, et en l’état de ses dernières conclusions notifiées électroniquement le 26 décembre 2023, Maître [W] demande au Tribunal de :
-JUGER que Maître [O] doit justifier de sa qualité à agir, son mandat devant précédemment expirer depuis mars 2023 ;
-JUGER que la perte de chance invoquée par Maître [O] es-qualité n’est que la conséquence de l’absence de déclaration de la créance de [10] dans la procédure collective de [9] alors que tous les créanciers de cette dernière ont été désintéressés ;
-JUGER que les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de Maître [W] en l’espèce font défaut ;
-DÉBOUTER Maître [O] es-qualité et la société [10] de l’ensemble de leurs demandes ;
-Les CONDAMNER aux dépens et au paiement de 10.000€ de frais irrépétibles.
Ce faisant, il entend tirer argument de ce que, en l’absence de réponse faite sur injonction du juge de la mise en état, aucune déclaration de créance n’aurait été faite par la SAS [10] au passif de la société [9], alors que l’entier passif du Groupe [6] aurait été payé par la cession des actifs.
Bien qu’il reconnaisse avoir commis une erreur, il soutient que le lien de causalité nécessaire au succès de l’action en responsabilité ferait défaut : la perte de chance qui serait invoquée par la SAS [10] n’aurait de lien qu’avec l’absence de déclaration de créance.
Il expose, surabondamment, que si ses erreurs ont pu entraîner l’absence de prix de vente dans la comptabilité de la SAS [10], un temps, le recouvrement de ces sommes n’aurait pas été problématique si ce n’est à cause du défaut de déclaration de créance. Aussi, les actes des notaires n’auraient pas de lien de causalité avec l’absence de recouvrement actuel de la créance de [10].
Conformément aux termes de l’article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux écritures des parties pour le surplus des moyens développés au soutien de leurs prétentions.
Par ordonnance en date du 11 mars 2024, la juge de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure d’instruction et fixé l’affaire à l’audience de plaidoirie du 23 avril 2024. À cette date, l’affaire a été renvoyée à l’audience du 24 septembre 2024 pour plaidoirie in situ du Conseil de la SAS [10]. En son absence imprévue à l’audience du 24 septembre 2024, la cause a été retenue et les parties ont été informées que le jugement de l’affaire sera rendu le 26 novembre 2024 par mise à disposition au greffe.
La SAS [10] n’a pas daigné déposé de dossier de plaidoirie.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
REJETTE la demande tardive de Maître [F] [W] visant à voir juger que Maître [O] doit justifier de sa qualité à agir, son mandat devant précédemment expirer depuis mars 2023 ;
CONDAMNE Maître [F] [W] à payer à la SAS [10] la somme de 675.000 (six cents soixante-quinze mille) euros à titre de dommages-intérêts délictuels ;
CONDAMNE Maître [F] [W] à payer à la SAS [10] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toute demande plus ample ou contraire ;
CONDAMNE Maître [F] [W] aux entiers dépens ;
RAPPELLE l’exécution provisoire de plein droit du présent jugement ;
Et le présent jugement a été signé par Brigitte LAGIERE, Présidente et Isabelle SOUNDRON, Greffière.
La Greffière La Présidente
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