Tribunal judiciaire de Rennes, 31 janvier 2025, RG n° 22/00430
Tribunal judiciaire de Rennes, 31 janvier 2025, RG n° 22/00430

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Rennes

Thématique : Compétence contestée d’un organisme de sécurité sociale dans le recouvrement d’indus liés à une aide exceptionnelle.

Résumé

Contexte de l’affaire

Monsieur [K] [X], chirurgien-dentiste à [Localité 4], a bénéficié du dispositif d’indemnisation de la perte d’activité (DIPA) durant la crise sanitaire liée à la covid-19, couvrant la période du 16 mars 2020 au 30 juin 2020.

Notification d’indu par la CPAM

Le 13 septembre 2021, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) d’Ille-et-Vilaine a notifié à M. [X] un indu de 35.351 euros relatif au DIPA. En réponse, M. [X] a contesté cette décision auprès de la commission de recours amiable de la CPAM, qui a rejeté sa contestation lors de sa séance du 24 février 2022.

Recours au tribunal judiciaire

M. [X] a ensuite saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Rennes le 3 mai 2022, introduisant deux recours contre les décisions de la commission. Le juge a ordonné la jonction des recours, et l’affaire a été enregistrée sous le numéro RG 22/00430.

Arguments de M. [X]

M. [X] soutient que la CPAM d’Ille-et-Vilaine n’avait pas compétence pour notifier l’indu, arguant que la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) est responsable de la gestion du DIPA. Il conteste également la méthode de calcul utilisée par la CPAM pour déterminer le montant de l’indu, affirmant que celle-ci a conduit à une évaluation erronée de ses honoraires.

Position de la CPAM

La CPAM d’Ille-et-Vilaine a défendu sa compétence pour notifier l’indu, affirmant qu’elle a agi conformément aux dispositions légales et que le montant réclamé était justifié. Elle a également précisé que la CNAM définit la stratégie nationale, mais que les CPAM sont chargées de sa mise en œuvre locale.

Décision du tribunal

Le tribunal a statué que la CPAM d’Ille-et-Vilaine n’avait pas compétence pour notifier l’indu, en raison de l’absence de convention ou de délégation de la CNAM pour le recouvrement des indus liés au DIPA. Par conséquent, la décision de la CPAM du 13 septembre 2021 a été annulée, et la CPAM a été déboutée de sa demande en paiement.

Conséquences financières

La CPAM a été condamnée aux dépens de l’instance et à verser à M. [X] la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Les demandes subsidiaires de M. [X] n’ont pas été examinées, étant donné que sa demande principale a été acceptée.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
PÔLE SOCIAL

MINUTE N°

AUDIENCE DU 31 Janvier 2025

AFFAIRE N° RG 22/00430 – N° Portalis DBYC-W-B7G-JZHT

88D

JUGEMENT

AFFAIRE :

[K] [X]

C/

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’ILLE ET VILAINE

Pièces délivrées :

CCCFE le :

CCC le :

PARTIE DEMANDERESSE :

Monsieur [K] [X]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Maître Bertrand MAILLARD, avocat au barreau de RENNES, substitué à l’audience par Maître Sheherazade GASMI, avocate au barreau de RENNES

PARTIE DEFENDERESSE :

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE D’ILLE ET VILAINE
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Madame [Y] [D], munie d’un pouvoir

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Présidente : Madame Guénaëlle BOSCHER
Assesseur : Monsieur Hervé BELLIARD, assesseur du pôle social du tribunal judiciaire de Rennes
Assesseur : Monsieur Laurent LE CORRE, assesseur du pôle social du tribunal judiciaire de Rennes
Greffière : Madame Rozenn LE CHAMPION

DEBATS :

Après avoir entendu les parties en leurs explications à l’audience du 03 Décembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré pour être rendu au 31 Janvier 2025 par mise à disposition au greffe.

JUGEMENT : contradictoire et en premier ressort

********

EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [K] [X] exerce la profession de chirurgien-dentiste à [Localité 4].
Dans le cadre de la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19, M. [X] a bénéficié du dispositif d’indemnisation de la perte d’activité (DIPA) pour la période du 16 mars 2020 au 30 juin 2020.
Par courrier du 13 septembre 2021, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) d’Ille-et-Vilaine a notifié à M. [X] un indu d’un montant de 35.351 euros au titre du DIPA.
Par courrier daté du 17 novembre 2021, M. [X] a saisi la commission de recours amiable de la CPAM d’Ille-et-Vilaine d’une contestation.
En sa séance du 24 février 2022, la commission de recours amiable a finalement rejeté la contestation de M. [X].
Par courrier recommandé avec accusé de réception réceptionné le 3 mai 2022, M. [X] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Rennes de deux recours, enregistrés sous les numéros RG 22/00430 et 22/00438, le premier à l’encontre de la décision implicite de rejet de la commission et le second à l’encontre de la décision explicite de rejet de la même commission.
Le juge de la mise en état a ordonné la jonction des deux recours, l’affaire étant désormais appelée sous le seul numéro RG 22/00430.
Selon jugement avant dire droit en date du 26 juin 2024, le tribunal a notamment sursis à statuer sur l’ensemble des demandes, ordonné la réouverture des débats et invité les parties à produire leurs observations quant à la compétence et la qualité à agir de la CPAM d’Ille-et-Vilaine dans le cadre de la notification et le recouvrement d’un indu au titre du DIPA mis en place par ordonnance n°2020-505 du 2 mai 2020.
L’affaire a été rappelée à l’audience du 3 décembre 2023.
A cette audience, M. [X], maintenant les termes de ses conclusions en date du 27 novembre 2024, demande au tribunal de :
A titre principal,
Dire et juger que la CPAM d’Ille-et-Vilaine n’avait pas compétence pour rendre la décision en date du 13 septembre 2021 ;En conséquence, annuler la décision de la CPAM en date du 13 septembre 2021 ;Annuler la décision explicite de rejet de la commission de recours amiable de la CPAM en date du 4 mars 2022 ;Condamner la CPAM d’Ille-et-Vilaine à payer à M. [X] la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens ;A titre subsidiaire,
Annuler la décision de la CPAM en date du 13 septembre 2021 ;Annuler la décision explicite de rejet de la commission de recours amiable de la CPAM en date du 4 mars 2022 ;Enjoindre à la CPAM d’Ille-et-Vilaine de procéder au calcul des sommes éventuellement dues par M. [X] sur la base de la méthode ci-dessus exposée ;En conséquence, réduire à de plus juste proportions la somme que devra éventuellement rembourser M. [X] à la CPAM d’Ille-et-Vilaine ;Condamner la CPAM d’Ille-et-Vilaine à payer à M. [X] la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.A l’appui de ses demandes, il fait essentiellement valoir que les CPAM sont des organismes de droit privé chargés d’une mission de service public et que, si la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) a, par la voix de son directeur, autorité sur les CPAM, les missions de la CNAM et des CPAM diffèrent. Il expose à ce titre que les articles 1er et 3 de l’ordonnance n°2020-1533 désignent nommément la CNAM pour gérer le dispositif, arrêter le montant définitif de l’aide et procéder, le cas échéant, au versement du solde dû ou à la récupération du trop-perçu. Il soutient que la CPAM d’Ille-et-Vilaine ne justifie d’aucune convention, délégation ou habilitation de la CNAM lui confiant la gestion du recouvrement des indus relevant du DIPA.
M. [X] estime en outre que le principe de non rétroactivité des lois et des actes administratifs s’oppose à l’application rétroactive du décret n° 2020-1807 du 30 décembre 2020 à l’égard de situations juridiques régulièrement constituées ou de droits acquis à la date de son entrée en vigueur, de sorte que la demande en répétition de l’indu de la caisse, qui se fonde sur des calculs réalisés au vu des méthodes de calcul fixées par le décret du 30 décembre 2020, soit bien après le versement des aides, est erroné.
M. [X] affirme que les honoraires à prendre en compte pour le calcul de l’aide sont ceux issus de l’entente directe réalisés mensuellement, dans la limite de 8.650 €, et qu’il n’y avait pas lieu, comme l’a fait la caisse, d’effectuer une prise en compte globale des honoraires sur toute la période à hauteur de 30.275 €. Il expose que la globalisation réalisée par la CPAM, qui a conduit à « gonfler » artificiellement le montant des honoraires réalisés et baisser le montant de l’aide à laquelle il pouvait prétendre, ne figure pas dans le décret du 30 décembre 2020.
M. [X] soutient en outre que si les calculs réalisés par la CPAM lors de la régularisation des aides sont exacts, cela signifie que ceux réalisés lors des demandes d’aides initiales étaient erronés. Il indique que la CPAM a engagé sa responsabilité en faisant une application erronée des modalités de calcul qu’elle s’est elle-même fixées et en recourant à des outils de calculs dont les praticiens n’avaient aucun moyen de vérifier l’exactitude en l’absence de toute définition légale des modalités de calcul, estimant en définitive qu’en versant une aide selon ses propres calculs et sans aucune base légale, la caisse a pris une décision créatrice de droit à son endroit.
La CPAM d’Ille-et-Vilaine, régulièrement représentée, soutenant oralement ses conclusions du 4 novembre 2024, prie le tribunal de :
A titre liminaire,
Déclarer qu’il relevait du champ de compétence dévolu à la CPAM d’Ille-et-Vilaine de notifier à M. [X] un indu d’un montant de 35.351 euros au titre du versement à tort de prestations en lien avec le DIPA ;Déclarer que la CPAM d’Ille-et-Vilaine a qualité à agir pour recouvrer auprès de M. [X] un indu d’un montant de 35.351 euros au titre du versement à tort de prestations en lien avec le DIPA ;Déclarer que c’est à bon droit que la CPAM d’Ille-et-Vilaine a notifié à M. [X] un indu d’un montant de 35.351 euros au titre du versement à tort de prestations en lien avec le DIPA ;A titre principal,
Déclarer que la mise en œuvre par la caisse de la procédure de notification d’indu qui a été faite à M. [X] est parfaitement régulière ;Déclarer que compte tenu des éléments de rémunération à prendre en compte, M. [X] était éligible aux bénéfices du dispositif exceptionnel d’accompagnement économique des professionnels de santé pour un montant de 4.139,67 euros ;Déclarer que la caisse est, par conséquent, fondée à réclamer à M. [X] la somme totale de 35.351 euros au titre du versement à tort de prestations en lien avec le DIPA ;Condamner M. [X] à verser à la CPAM d’Ille-et-Vilaine la somme de 34.498,63 euros ;Débouter M. [X] de l’ensemble de ses demandes ;Condamner M. [X] aux dépens de l’instance.A l’appui de ses prétentions, elle expose principalement que la CNAM est un gestionnaire de l’assurance maladie et qu’elle définit la stratégie au niveau national que les CPAM sont chargées de mettre en œuvre au plan local. Elle estime que l’article 3 de l’ordonnance du 2 mai 2020 la désigne en qualité d’exécutante de la prestation, ajoutant qu’en tout état de cause, tout professionnel de santé conventionné est rattaché à une CPAM et que l’article 30 de la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie signée le 25 août 2016 prévoit expressément que le praticien « effectue les démarches nécessaires auprès de sa caisse de rattachement ».
La caisse estime qu’ayant fait une juste application des dispositions relatives au DIPA, elle n’a commis aucune faute engageant sa responsabilité. Elle détaille le calcul de l’aide qu’elle a réalisé à partir des déclarations du praticien.
Conformément à l’article 455 du Code de procédure civile, il convient de se référer aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et arguments.
A l’issue des débats, la décision a été mise en délibéré au 31 janvier 2025 et rendue à cette date par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l’article 450 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe de la juridiction,
ANNULE la décision de la Caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine du 13 septembre 2021, notifiant à Monsieur [K] [X] un indu d’un montant de 35.351 euros au titre du dispositif d’indemnisation de la perte d’activité ;
DEBOUTE la Caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine de sa demande en paiement de l’indu ;
CONDAMNE la Caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine aux dépens ;
CONDAMNE la Caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine à payer à Monsieur [K] [X] la somme de 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
REJETTE les demandes plus amples ou contraires des parties.

La Greffière La Présidente

 


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