Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris
Thématique : Blocage des services non conformes aux régulations sur les actifs numériques en France
→ RésuméConstatation de l’illégalitéLe 16 octobre 2024, le président de l’Autorité des marchés financiers (AMF) a constaté qu’un site internet, accessible via les adresses immediateavita.com et www.immediateavita.com, offrait des services sur actifs numériques en France sans être enregistré auprès de l’AMF, ce qui constitue une violation des articles L.54-10-3 et L.54-10-4 du code monétaire et financier. Mise en demeure de l’éditeurLe 18 octobre 2024, le président de l’AMF a mis en demeure l’éditeur du site de cesser immédiatement ses activités en France et de fournir des observations dans un délai de cinq jours. Malgré cette mise en demeure, des constatations ultérieures le 3 novembre 2024 ont révélé que le site continuait à proposer ses services. Actions judiciaires contre les fournisseurs d’accèsLe 20 et 21 novembre 2024, le président de l’AMF a cité plusieurs fournisseurs d’accès à internet devant le tribunal judiciaire de Paris, demandant des mesures pour empêcher l’accès au site litigieux depuis le territoire français. L’AMF a justifié sa demande en soulignant son rôle de régulation des marchés financiers et la nécessité de protéger les consommateurs. Réponses des fournisseurs d’accèsLes fournisseurs d’accès, dont Orange et Free, ont répondu en demandant des clarifications sur la légitimité des demandes de l’AMF et en se réservant le droit de choisir les mesures techniques de blocage. Ils ont également demandé que toute mesure de blocage soit temporaire et limitée dans le temps, avec la possibilité de réévaluation après 12 mois. Fondement légal des demandesL’AMF a fondé ses demandes sur plusieurs articles du code monétaire et financier, précisant que les prestataires de services sur actifs numériques doivent être enregistrés auprès de l’AMF avant d’exercer. L’AMF a également rappelé que des sanctions peuvent être appliquées en cas de non-respect de ces obligations. Décision du tribunalLe tribunal a jugé que les mesures demandées par l’AMF étaient nécessaires et proportionnées, compte tenu des risques associés à l’accès à des services illégaux. Il a ordonné aux fournisseurs d’accès de mettre en œuvre des mesures pour bloquer l’accès au site dans un délai de 15 jours, tout en leur laissant le choix des méthodes à utiliser. Exécution et coûtsLe tribunal a précisé que les mesures de blocage devaient être exécutées rapidement et que les fournisseurs d’accès devaient informer l’AMF des actions entreprises. Il a également statué que les coûts des mesures de blocage ne seraient pas à la charge de l’AMF, mais que les fournisseurs d’accès pouvaient soumettre leurs factures pour remboursement éventuel. |
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
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N° RG 24/57833 – N° Portalis 352J-W-B7I-C6KKT
N° : 20/MM
Assignation du :
20,21 Novembre 2024
[1]
[1] 5 Copies exécutoires
délivrées le:
JUGEMENT RENDU SELON LA PROCEDURE ACCELEREE AU FOND
le 08 janvier 2025
par Lucie LETOMBE, Juge au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDERESSE
Madame la Présidente de l’AUTORITE DES MARCHES FINANCIERS (AMF), agissant au nom de l’Autorité des Marchés Financiers
[Adresse 5]
[Localité 9]
représenté par Maître Philippe JOUARY de l’ASSOCIATION AMIGUES, AUBERTY, JOUARY & POMMIER, avocats au barreau de PARIS – #J0114
DEFENDERESSES
Société SFR FIBRE
[Adresse 1]
[Localité 13]
non constituée
Société ORANGE
[Adresse 2]
[Localité 15]
représentée par Me Alexandre LIMBOUR, avocat au barreau de PARIS – #L0064
SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE – SFR
[Adresse 4]
[Localité 11]
non constituée
S.A.S. FREE
[Adresse 14]
[Localité 10]
et pour signification :
[Adresse 3]
[Localité 10]
représentée par Me Yves COURSIN, avocat au barreau de PARIS – #C2186
S.A. BOUYGUES TELECOM
[Adresse 8]
[Localité 12]
représentée par Maître François DUPUY de la SCP HADENGUE et Associés, avocats au barreau de PARIS – #B0873
S.A.S. COLT TECHNOLOGY SERVICES
[Adresse 7]
[Localité 16]
représentée par Maître Katia BONEVA-DESMICHT de l’AARPI BAKER & MC KENZIE, avocats au barreau de PARIS – #P0445
Société OUTREMER TELECOM
[Adresse 19]
[Localité 17]
non constituée
SOCIETE REUNIONNAISE DU RADIOTELEPHONE – SRR
[Adresse 6]
[Localité 18]
non constituée
DÉBATS
A l’audience du 11 Décembre 2024, tenue publiquement, présidée par Lucie LETOMBE, Juge, assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties,
EXPOSE DU LITIGE
Le 16 octobre 2024, le président de l’Autorité des marchés financiers (ci-après AMF) a fait constater par procès-verbal d’huissier qu’un site internet accessible à partir des adresses immediateavita.com et www.immediateavita.com proposait sur le territoire français des services sur actifs numériques alors que l’opérateur ne disposait d’aucun enregistrement auprès de l’AMF, en violation des dispositions des articles L.54-10-3 et L.54-10-4 du code monétaire et financier.
Par courrier du 18 octobre 2024, le président de l’AMF a mis en demeure l’éditeur du site litigieux de cesser, sans délai, de proposer de fournir des services sur actifs numériques à destination du territoire français et de faire valoir toute observation utile dans un délai de cinq jours.
Le 3 novembre 2024, les mêmes constatations d’offres de services d’investissement en ligne ont été réalisées à la demande de l’AMF.
Par lettres du 4 novembre 2024, le président de l’AMF a dénoncé aux fournisseurs d’accès à internet les mises en demeure adressées aux opérateurs.
C’est dans ce contexte, et par actes délivrés les 20 et 21 novembre 2024, que le président de l’autorité des marchés financiers a fait citer, suivant la procédure accélérée au fond, la SAS SFR fibre, la SA Orange, la SA Société Française du radiotéléphone (SFR), la SCS Société réunionnaise du radiotéléphone (SRR), la SAS Free, la SA Bouygues Télécom, la SAS Colt Technology Services ainsi que la SAS Outremer Télécom devant le président du tribunal judiciaire de Paris.
***
A l’audience, le président de l’AMF sollicite, au visa des articles L. 54-10-1 à 4, L.572-23, L.621-13-5 du code monétaire et financier, et de l’article 481-1 du code de procédure civile, de :
– enjoindre aux défenderesses de mettre en œuvre ou faire mettre en œuvre dans un délai de quinze jours à compter de la signification de la présente ordonnance, toutes mesures propres à empêcher l’accès, à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés situés sur ce territoire, au service de communication en ligne accessible actuellement à partir des adresses immediateavita.com et www.immediateavita.com,
– les enjoindre de justifier et dénoncer sous sept jours, au président de l’AMF, ainsi qu’au président du tribunal judiciaire de Paris, des mesures prises et mises en œuvre pour empêcher l’accès, à partir du territoire français, au service de communication en ligne accessible actuellement à partir des adresses précitées,
– dire que la mesure de blocage ordonnée pourra être levée sur simple demande de sa part adressée par lettre recommandée avec accusé de réception aux défenderesses ou par décision du président du tribunal judiciaire en référé par toute personne intéressée,
– rappeler que l’exécution provisoire est attachée à la décision à intervenir,
– dire qui lui en sera référé en cas de difficulté d’exécution des mesures,
– statuer sur les dépens.
Au soutien de ses prétentions, l’AMF fait principalement valoir qu’elle est une autorité publique indépendante ayant notamment pour mission de contrôler et réglementer les marchés financiers ainsi que de veiller à la protection de l’épargne ; qu’en vertu de l’article L.54-10-3, avant d’exercer leur activité, les prestataires des services mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 54-10-2 établis en France ou fournissant ces services en France, sont enregistrés par l’Autorité des marchés financiers; que la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a introduit un nouvel article L. 621-13-5 du code monétaire et financier permettant de solliciter le blocage de sites proposant, sans enregistrement, des services sur actifs numériques ; qu’il importe en conséquence d’enjoindre aux sociétés défenderesses d’empêcher l’accès en France au service de communication en ligne accessible à partir des adresses relevées.
En réponse, la société Orange demande au président du tribunal judiciaire de :
– lui donner acte de ce qu’elle s’en remet à l’appréciation du président sur le caractère manifestement illicite des contenus dénoncés par le président de l’AMF ainsi que sur la recevabilité des demandes au regard des dispositions de l’article L. 621-13-5 du code monétaire et financier,
– lui donner acte de ce qu’elle serait libre, si elle devait faire droit à une injonction correspondante, de choisir la mesure technique de blocage qu’elle juge adaptée et efficace,
– dire et juger que les mesures de blocage éventuellement ordonnées prendraient fin, sur notification du président de l’AMF aux fournisseurs d’accès internet dans l’hypothèse (i) d’un changement d’état des sites objets de la mesure justifiant la levée de celle-ci ou (ii) de l’adoption par l’hébergeur et/ou de l’éditeur du site internet accessible aux adresses litigieuses de toutes mesures ayant pour effet d’en interdire l’accès à partir du territoire français,
– en tout état de cause, dire et juger que toute mesure de blocage qui serait ordonnée serait provisoire et limitée à une durée de 12 mois à l’issue de laquelle le président de l’AMF devrait saisir le président du tribunal judiciaire afin de lui permettre d’apprécier la situation et de décider s’il convient ou non de reconduire lesdites mesures de blocage,
– dire et juger que les parties pourront saisir le président du tribunal judiciaire en cas de difficulté ou d’évolution du litige,
– dire et juger que les coûts afférents aux mesures qui seraient prises en exécution de l’ordonnance devront être mis à la charge du demandeur sur présentation des factures correspondantes,
– débouter le président de l’AMF de ses plus amples demandes et mettre à sa charge les dépens.
La société Free sollicite de :
– donner acte à la présidente de l’autorité des marchés financiers des démarches préalables qu’elle a effectuées pour obtenir de l’éditeur du site en ligne litigieux, ainsi que de l’hébergeur, de prendre toutes mesures utiles pour rendre inaccessibles, sur le territoire français, les adresses / noms de domaine litigieux ;
– apprécier si les demandes formulées par la présidente de l’autorité des marchés financiers à l’encontre des fournisseurs du service d’accès à internet, dont la société Free, sont proportionnées, adéquates et strictement nécessaires,
– lui laisser un délai raisonnable, d’au moins quinze jours à compter de la signification de la décision à intervenir, pour mettre en œuvre d’éventuelles mesures de blocage des noms de domaine et/ou adresses litigieux,
– ordonner que ces éventuelles mesures de blocage seront prises pour une durée déterminée,
– ordonner que la présidente de l’autorité des marchés financiers devra communiquer sans délai aux fournisseurs du service d’accès à internet, dont la société FREE, toute information utile relative à la nécessité éventuelle de lever les blocages qui seraient ordonnés, notamment si le site ou les noms de domaine et/ou adresses venaient à être interrompus/désactivés,
– lui donner acte qu’elle se réserve la possibilité de demander à la présidente de l’autorité des marchés financiers le remboursement des mesures de blocage qui seraient susceptibles d’être ordonnées,
– ordonner qu’en cas de difficulté, la partie la plus diligente pourra vous en référer,
– laisser la charge des dépens à la présidente de l’autorité des marchés financiers.
Enfin, la société Colt Technology Services demande au président du tribunal judiciaire de lui donner acte de ce qu’elle s’en rapporte à justice quant à la nécessité et la proportionnalité des mesures sollicitées par le président de l’AMF au regard des risques de trouble à l’ordre public et social, et de mettre les dépens à la charge de ce dernier.
Bien que régulièrement citées, les sociétés Bouygues Telecom, SFR Fibre, SFR, SRR et Outremer Télécom n’ont pas constitué avocat.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, selon la procédure accélérée au fond, par décision réputée contradictoire et en premier ressort,
Enjoint à la SAS SFR Fibre, la SA Orange, la SA Société Française du radiotéléphone, la SCS Société réunionnaise du radiotéléphone, la SAS Free, la SA Bouygues Télécom, la SAS Colt Technology Services ainsi qu’à la SAS Outremer Télécom de mettre en œuvre, ou de faire mettre en œuvre toutes mesures propres à empêcher l’accès, à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés situés sur ce territoire, au service de communication en ligne accessible actuellement à partir des adresses immediateavita.com et www.immediateavita.com;
Dit que la présente injonction doit être exécutée dans les meilleurs délais et au plus tard 15 jours à compter de la signification de la présente décision, délai au-delà duquel il pourra en être référer ;
Les invite à informer le président de l’AMF des diligences effectuées par elles dans les 8 jours de leur réalisation ;
Invite le président de l’Autorité des marchés financiers à aviser, sans délai, les fournisseurs d’accès à internet visés dans la présente procédure de ce que la mesure de blocage peut être levée par lettre recommandée avec accusé de réception ;
Dit qu’en cas de difficulté ou d’évolution du litige, il pourra en être référer au président de ce tribunal ;
Rejette le surplus des demandes ;
Laisse les dépens à la charge du président de l’Autorité des marchés financiers ;
Rappelle que la présente décision est exécutoire par provision ;
Fait à Paris le 08 janvier 2025
Le Greffier, Le Président,
Minas MAKRIS Lucie LETOMBE
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