Tribunal judiciaire de Paris, 26 novembre 2024, RG n° 23/58586
Tribunal judiciaire de Paris, 26 novembre 2024, RG n° 23/58586

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris

Thématique : Usage toléré de marque et contrefaçon vraisemblable

Résumé

Présentation des parties

M. [V] est un entrepreneur individuel et le créateur d’un logiciel de comptabilité nommé “KoalaME”, pour lequel il détient la marque semi-figurative française n° 4391656, enregistrée le 27 septembre 2017. La société Nostrum Care est active dans le courtage d’assurance, tandis que la société [X] fournit des services d’administration de produits d’assurance santé. L’association Freelance Care regroupe des entrepreneurs et étudiants pour aborder des questions de santé mentale et de bien-être.

Contexte de la liquidation et acquisition

Suite à la liquidation judiciaire de la société KoalaME, le logiciel a été acquis par la société [X] le 19 décembre 2022. M. [V] a estimé que l’utilisation du signe “KoalaME” par Nostrum Care, [X], et Freelance Care portait atteinte à ses droits de marque et à son image. Il a donc mis en demeure ces entités de cesser leur utilisation et de l’indemniser pour son préjudice par une lettre recommandée datée du 1er septembre 2023.

Réactions des défendeurs

Le 2 novembre 2023, le conseil de Nostrum Care a contesté l’accusation d’usage abusif du signe “KoalaME”. En réponse, M. [V] a assigné les sociétés et l’association en référé pour obtenir une interdiction provisoire de l’usage du signe et une indemnisation de ses préjudices. L’audience initialement prévue pour le 5 février 2024 a été reportée au 15 octobre 2024 à la demande des parties.

Demandes de M. [V]

M. [V] a demandé au juge d’interdire l’utilisation de la marque “KoalaME” par les défendeurs, de leur ordonner de lui verser 28 000 euros pour dommages et intérêts, et d’interdire la diffusion d’une vidéo le représentant, avec des astreintes en cas de non-respect. Il a également réclamé des provisions pour préjudice lié à son droit à l’image et au parasitisme économique.

Arguments des défendeurs

Les sociétés et l’association ont contesté les demandes de M. [V], arguant qu’il n’avait pas qualité à agir en concurrence déloyale et que Nostrum Care n’était pas impliquée dans les faits reprochés. Elles ont également soutenu que l’usage du signe “KoalaME” était justifié par l’acquisition du logiciel et qu’il n’y avait pas de risque de confusion.

Décisions du juge des référés

Le juge a écarté la fin de non-recevoir soulevée par les défendeurs concernant l’intérêt à agir de M. [V]. Cependant, il a rejeté les demandes de M. [V] en contrefaçon et en atteinte à la renommée de la marque. Il a condamné la société [X] et l’association Freelance Care à verser 1 000 euros à M. [V] pour atteinte à son image, tout en rejetant le surplus de ses demandes.

Conséquences financières

Les sociétés [X] et Freelance Care ont été condamnées aux dépens et à payer 3 000 euros à M. [V] pour les frais non compris dans les dépens. En revanche, M. [V] a été condamné à verser 1 000 euros à Nostrum Care pour les frais non compris dans les dépens.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

N° RG 23/58586 – N° Portalis 352J-W-B7H-C3FSS

N° : 1/MM

Assignation du :
13,14 Novembre 2023

[1]

[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 26 novembre 2024

par Jean-Christophe GAYET, Premier Vice-Président adjoint
au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assisté de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDEUR

Monsieur [Z] [V]
[Adresse 4]
[Localité 5]

représenté par Maître Lucie CONTASSOT-VIVIER, Avocat au Barreau de ROUEN et Maître Chloé HUSSON-FORTIN de l’AARPI AARPI MOUNET, HUSSON – FORTIN, avocats au barreau de PARIS – #E0668

DEFENDERESSES

S.A.S. NOSTRUM CARE
[Adresse 3]
[Localité 1]

Association FREELANCE CARE
[Adresse 6]
[Localité 2]

S.A.S. PREVALOIS
[Adresse 6]
[Localité 2]

représentées par Me Pascal RENARD, avocat au barreau de PARIS – #E1578, Me Jessica BRON, avocat au barreau de LYON – #1246

DÉBATS

A l’audience du 15 Octobre 2024, tenue publiquement, présidée par Jean-Christophe GAYET, Premier Vice-Président adjoint, assisté de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les conseils des parties,

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [V] se présente comme entrepreneur individuel et créateur d’un logiciel de comptabilité intitulé “KoalaME”. Il est, également, titulaire de la marque semi-figurative française “KoalaME” n° 4391656, déposée le 27 septembre 2017 pour divers services en classes 35, 41 et 42 :

La société Nostrum Care se présente comme ayant une activité de courtage et d’intermédiation d’assurance et de réassurance de toute nature.
La société [X] se présente comme ayant pour activité la fourniture de services d’administration et de gestion de produits d’assurance santé, vie et prévoyance.
L’association Freelance Care est une communauté d’entrepreneurs individuels et d’étudiants qui apporte des solutions concrètes sur les thématiques de la santé mentale et du bien-être.
Dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société KoalaME, fondée par M. [V], la solution logicielle “KoalaME” a été rachetée par la société [X] le 19 décembre 2022.
Estimant que l’usage du signe “KoalaME” identique à sa marque n° 4391656, ainsi que l’exploitation d’une vidéo le représentant, par les sociétés Nostrum Care et [X] et par l’association Freelance Care a porté atteinte à ses droits sur cette marque et sur son image, M. [V] les a mises en demeure d’en cesser l’usage et d’indemniser son préjudice par lettre recommandée du 1er septembre 2023.
Par courriel officiel du 2 novembre 2023 le conseil de la société Nostrum Care a constesté tout usage abusif du signe “KoalaMe”.
Par acte de commissaire de justice du 13 et 14 novembre 2023 M. [V] a fait assigner les sociétés Nostrum Care et [X] et l’association Freelance Care à l’audience du 5 février 2024 du juge des référés de ce tribunal en interdiction provisoire d’usage du signe litigieux et indemnnisation provisionnelle de ses préjudices.
À cette audience, l’affaire a été renvoyée au 15 octobre 2024 à la demande conjointe des parties.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Se référant expressément à ses conclusions écrites visées à l’audience, M. [V] demande au juge des référés de :- interdire aux sociétés Nostrum Care et [X] et à l’association Freelance Care, jusqu’à ce qu’une décision au fond soit rendue, de faire usage, d’imiter ou de reproduire totalement ou partiellement, de quelque manière que ce soit et à quelque titre que ce soit, la marque “KoalaME” n° 4391656, ou subsidiairement le signe semi-figuratif et verbal “KoalaME”, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée et par jour de retard passé un délai de 48 heures à compter de la signification de la présente ordonnance
– ordonner aux sociétés Nostrum Care et [X] et à l’association Freelance Care de lui payer in solidum 28 000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts en réparation du préjudice subi résultant de la contrefaçon de marque ou, subsidiairement, des actes de concurrence déloyale et de parasitisme économique caractérisés par l’imitation du signe KoalaME
– interdire, jusqu’à ce qu’une décision au fond soit rendue, aux sociétés Nostrum Care et [X] et à l’association Freelance Care de diffuser sur leur site et sur tout support la vidéo constatée par commissaire de justice représentant son image, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard passé un délai de 48 heures à compter de la signification de la présente ordonnance
– ordonner aux sociétés Nostrum Care et [X] et à l’association Freelance Care de lui payer in solidum :
> 9000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre de son droit à l’image
> 10 000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre du parasitisme économique caractérisé par l’exploitation commerciale de la vidéo promotionnelle et de formation constatée par commissaire de justice
– se réserver la liquidation des astreintes
– condamner les sociétés Nostrum Care et [X] et l’association Freelance Care à lui payer in solidum 9000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

En réponse à la fin de non-recevoir opposée à ses demandes fondées sur la concurrence déloyale, M. [V] oppose qu’il exerce une activité économique susceptible de le rendre victime de contrefaçon ou d’acte concurrence déloyale.
Au soutien de ses demandes, M. [V] fait principalement valoir que :- la mise en cause de la société Nostrum Care et de l’association Freelance Care est justifiée par l’absence de mention des informations légales relatives à l’éditeur sur le site à la date à laquelle il a fait opérer le constat de commissaire de justice matérialisant la contrefaçon de sa marque
– les pièces qu’il produit démontrent que les sociétés Nostrum Care et [X] travaillent ensemble à la distribution et à la communication du logiciel “KoalaME” nouvellement désigné “The good count” en utilisant un signe similaire à sa marque n° 4391656, et l’association Freelance Care exploite le site internet et est financée par la société Nostrum Care, justifiant également la mise en cause de cette dernière
– l’usage par les défenderesses, sur divers supports et publications numériques, du signe “KoalaME” similaire à sa marque n° 4391656 pour des services identiques à ceux visés à son enregistrement constitue une contrefaçon vraisemblable de sa marque en raison de leurs similitudes visuelle, phonétique et conceptuelle générant un risque de confusion dans l’esprit des consommateurs, sans que l’exception de référence nécessaire opposée en défense, qui doit être interprétée restrictivement, soit légitime compte tenu de la multiplicité et de la variété des usages opérés
– sa marque “KoalaME” dispose d’une renommée étant largement connue du public pertinent à savoir les entrepreneurs individuels, en sorte que les défenderesses tirent un profit indu de sa marque “KoalaME” et portent préjudice à son caractère distinctif
– l’ensemble des atteintes à ses droits depuis février 2023 justifie les sommes réclamées à titre provisionnel, le coût d’une licence de sa marque pouvant être estimé à 3000 euros par an ainsi qu’une rémunération variable de 6%, les sociétés défenderesses ayant réalisé des économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels tirées de la contrefaçon pouvant être estimées forfaitairement à 16 000 euros, outre qu’il supporte un préjudice généré par l’avilissement de sa marque de 9000 euros
– la diffusion, sans son autorisation, par les défenderesses d’une vidéo promotionnelle de son logiciel constitue une atteinte à son droit à l’image et à son nom justifiant ses demandes d’interdiction et d’indemnisation provisionnelle de 6000 euros
– la diffusion de cette vidéo caractérise, également, des faits distincts de concurrence déloyale et parasitaire, comme constituant une utilisation de ses compétences, de sa notoriété et de la valeur produite par son travail sans avoir fourni d’effort financier, de même qu’un usage sans autorisation générant un risque de confusion avec sa propre activité qu’il exerce dans un secteur d’activité identique ou similaire, cette faute générant un préjudice économique devant être réparé par l’allocation de 10 000 euros à titre provisionnel et le retrait de la vidéo litigieuse.

Il fait valoir, à titre subsidiaire, qu’à défaut d’être qualifié de contrefaçon vraisemblable, l’usage par les défenderesses du signe “KoalaME” sur divers supports constitue un trouble manifestement illicite caractérisé par des actes de concurrence déloyale et de parasitisme économique, compte tenu du risque de confusion qui en résulte et et du placement des défenderesses dans son sillage afin de profiter, sans bourse délier, de la notoriété du signe “KoalaME” associée à son nom, l’ensemble justifiant les mesures réparatrices demandées.
Il estime, enfin, que la demande reconventionnelle des défenderesses en production de pièces est infondée, dans la mesure où il n’exploite pas le logiciel vendu et où il a le droit d’exercer ses compétences et fournir des conseils dans le cadre de son travail, n’étant tenu par aucune clause de non-concurrence.
Se référant expressément à leur conclusions visées à l’audience, les sociétés Nostrum Care et [X] et l’association Freelance Care demandent au juge des référés de :- déclarer irrecevable et à tout le moins infondées les demandes de M. [V]
– à titre liminaire juger que la société Nstrum Care est étrangère aux faits reprochés par M. [V] et la débouter de l’intégralité de ses demandes à l’égard de celle-ci
– déclarer irrecevables les demandes de M. [V] au titre de la concurrence déloyale et parasitaire pour défaut de qualité à agir
– débouter M. [V] de toutes ses demandes, tant à titre principal que subsidiaire
– condamner M. [V] à produire tout justificatif de la réalité et de la nature exacte de son activité professionnelle, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir
– se réserver la liquidation de l’astreinte
– condamner M. [V] à leur verser 6000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Les sociétés Nostrum Care et [X] et l’association Freelance Care estiment que les demandes fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme sont irrecevables, dès lors que M. [V] agit à titre personnel tandis que seul un opérateur économique victime de tels actes peut agir en justice, outre qu’il ne justifie pas exercer une quelconque activité professionnelle, les informations qu’il produit pour la justifier étant suspectes.
Elles opposent que :- la société Nostrum Care doit être mise hors de cause, n’étant pas la propriétaire du logiciel acquis lors de la liquidation de la société KoalaME et étant étrangère aux faits invoqués et les mention légales du site internet existant depuis son lancement et désignant la société [X] comme son éditrice
– la société [X] a acquis non seulement le logiciel “KoalaME”, mais également le fichier des clients et le fichier des prospects, les usages du signe litigieux qui lui sont reprochés ne s’inscrivant que leur nécessaire information à la suite de l’acquisition opérée, cette information étant rendue d’autant plus nécessaire du fait de celle effectuée de mauvaise foi par M. [V], alors qu’il se trouvait dessaisi de ses fonctions de dirigeant de la société KoalaME du fait de sa liquidation
– la communication de la société [X] a tendu à éviter tout risque de confusion avec l’ancienne dénomination du logiciel qu’elle a acquis, celui-ci ayant été rebaptisé et ayant fait l’objet d’une promotion sous cette nouvelle dénomination
– cette absence de confusion conduit à l’absence de faute de concurrence déloyale, outre que M. [V] ne justifie d’aucune activité concurrente aux leurs, ne démontre pas avoir développé un savoir-faire ou une notoriété particulière, ceux invoqués étant attachés au logiciel acquis, et les actes qui leur sont reprochés s’inscrivant dans le développement du logiciel et de la clientèle acquise lors de la liquidation de la société du demandeur, en sorte qu’aucune faute de parasitisme n’est constituée
– les demandes au titre du droit à l’image sont soumises à une condition d’urgence dont la démonstration fait défaut, outre que la vidéo litigieuse a été supprimée du site le 28 février 2024
– subsidiairement, la marque invoquée n’est plus exploitée et les préjudices invoqués, tant au titre de la contrefaçon que de la concurrence déloyale ou parasitaire ne sont pas démontrés.

Elles demandent reconventionnellement la production par le demandeur de tout justificatif de la réalité et de la nature exacte de son activité professionnelle sous astreinte, en raison de l’opacité des pièces produites à cet égard et de ce qu’il semble que ce soit M. [V] lui-même qui tente désormais de se placer dans leur sillage.

PAR CES MOTIFS

Le juge des référés :Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort ,

Écarte la fin de non-recevoir soulevée par les sociétés Nostrum Care, [X] et l’association Freelance Care tirée du défaut d’intérêt à agir de M. [V] en concurrence déloyale et en parasitisme ;

Rejette les demandes principales de M. [V] en contrefaçon vraisemblable et en atteinte à la renommée de la marque semi-figurative française “KoalaME” n° 4391656 ;

Condamne in solidum la société [X] et l’association Freelance Care à payer 1000 euros à M. [V] à titre de dommages et intérêts provisionnels en réparation de l’atteinte à son image ;

Rejette le surplus des demandes de M. [V] en atteinte à son image ;

Rejette les demandes principales et subsidiaires de M. [V] en concurrence déloyale et en parasitisme ;

Rejette la demande reconventionnelle des société [X] et Nostrum Care et de l’association Freelance Care en production de pièces ;

Condamne in solidum la société [X] et l’association Freelance Care aux dépens ;

Condamne in solidum la société [X] et l’association Freelance Care à payer 3000 euros à M. [V] en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [V] à payer 1000 euros à la société Nostrum Care en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait à Paris le 26 novembre 2024

Le Greffier, Le Président,

Minas MAKRIS Jean-Christophe GAYET

 


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