Tribunal judiciaire de Paris, 22 janvier 2025, RG n° 23/01354
Tribunal judiciaire de Paris, 22 janvier 2025, RG n° 23/01354

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris

Thématique : Responsabilité de l’État et dysfonctionnements du service public de la justice

Résumé

PROCÉDURE SANS AUDIENCE

Les parties ont convenu de procéder sans audience, et les avocats ont soumis leur dossier de plaidoirie le 8 novembre 2024. Un rapport sur l’affaire a été établi par Monsieur Benoit Chamouard.

JUGEMENT

Le jugement a été prononcé par mise à disposition, de manière contradictoire et en premier ressort. Le 17 décembre 2015, le juge aux affaires familiales a fixé des mesures provisoires pour Madame [T] [C] et Monsieur [R] [E], en instance de divorce, et a ordonné une expertise médico-psychologique des parents et des enfants.

Récusation de l’expert

Madame [C] a demandé la récusation de l’expert, le docteur [R] [S], en raison de son absence d’indépendance et de sa condamnation pour injures raciales. Cette demande a été rejetée par ordonnance du 7 décembre 2017, et l’appel de Madame [C] a été déclaré irrecevable par la cour d’appel de Paris le 7 février 2019.

Appels et décisions judiciaires

Madame [C] a également interjeté appel de l’ordonnance de non-conciliation. La cour d’appel a déclaré qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité concernant la désignation de l’expert radié. Le 16 mars 2021, la cour d’appel a infirmé l’ordonnance de non-conciliation relative à l’expert, tout en confirmant le reste de l’ordonnance.

Assignation de l’Agent judiciaire de l’Etat

Le 27 janvier 2023, Madame [C] a assigné l’Agent judiciaire de l’Etat, demandant 15 000€ de dommages et intérêts pour des dysfonctionnements du service public de la justice. Elle a listé plusieurs fautes, notamment la désignation de l’expert et le manque d’information sur sa radiation.

Réponse de l’Agent judiciaire de l’Etat

L’Agent judiciaire de l’Etat a demandé le rejet des demandes de Madame [C], arguant que l’action en responsabilité ne peut remettre en cause une décision judiciaire. Il a souligné que Madame [C] avait des voies de recours disponibles qu’elle n’avait pas exercées.

Conclusions du ministère public

Le ministère public a également conclu au rejet des demandes, précisant que le docteur [S] était inscrit sur la liste des experts au moment de la décision et que le juge n’était pas tenu d’informer Madame [C] de sa radiation.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Le tribunal a rappelé que l’Etat est responsable en cas de faute lourde ou de déni de justice. Cependant, il a déterminé qu’aucune faute lourde n’avait été prouvée par Madame [C], qui critiquait des décisions judiciaires et des manquements supposés sans établir de preuve suffisante.

Décision finale

Le tribunal a débouté Madame [C] de ses demandes, l’a condamnée aux dépens et à payer 750€ à l’Agent judiciaire de l’Etat. L’exécution provisoire du jugement a été ordonnée.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

1/1/1 resp profess du drt

N° RG 23/01354 – N° Portalis 352J-W-B7H-CYY5E

N° MINUTE :

Assignation du :
27 Janvier 2023

JUGEMENT
rendu le 22 Janvier 2025
DEMANDERESSE

Madame [T] [C]
[Adresse 4]
[Localité 2]

Représentée par Me Philippe LOSAPPIO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0533

DÉFENDEUR

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
[Adresse 1]
[Localité 3]

Représenté par Me Sophie SCHWILDEN, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire #PB139

MINISTÈRE PUBLIC

Monsieur Etienne LAGUARIGUE de SURVILLIERS,
Premier Vice-Procureur

Décision du 22 Janvier 2025
1/1/1 resp profess du drt
N° RG 23/01354 – N° Portalis 352J-W-B7H-CYY5E

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Benoit CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint
Président de formation,

Madame Cécile VITON, Première vice-présidente adjointe
Madame Valérie MESSAS, Vice-présidente
Assesseurs,

assistés de Madame Marion CHARRIER, Greffier

PROCÉDURE SANS AUDIENCE

Les parties ont donné leur accord pour que la procédure se déroule sans audience.
Les avocats ont déposé leur dossier de plaidoirie le 08 novembre 2024 au greffe de la chambre.
Monsieur Benoit Chamouard a fait un rapport de l’affaire.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort

Par ordonnance de non-conciliation du 17 décembre 2015, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris a fixé des mesures provisoires concernant Madame [T] [C] et Monsieur [R] [E], époux en instance de divorce. Ce juge a par ailleurs ordonné une mesure d’expertise médico-psychologique des parents et des enfants confiée au docteur [R] [S].

Par conclusions d’incident du 28 avril 2017, Madame [C] a sollicité la récusation de Monsieur [S]. Elle dénonçait notamment l’absence d’indépendance de l’expert, sa condamnation pour injures raciales et sa radiation de la liste des experts judiciaires de la cour d’appel de Paris. Le juge aux affaires familiales a rejeté cette demande de récusation par ordonnance du 7 décembre 2017.

Madame [C] a interjeté appel de cette ordonnance. Le 7 février 2019, la cour d’appel de Paris a déclaré son appel irrecevable. La Cour de cassation a déclaré son pourvoi irrecevable par arrêt du 30 janvier 2020.

Madame [C] a par ailleurs interjeté appel de l’ordonnance de non-conciliation. Par arrêt du 29 mai 2018, la cour d’appel a dit n’y avoir lieu à statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité déposée le 21 novembre 2017 par Madame [C] au sujet de la désignation d’un expert radié des listes. Par arrêt du 7 décembre 2020, la cour d’appel a refusé de transmettre cette question à la cour de cassation.

Le 16 mars 2021, la cour d’appel a infirmé l’ordonnance de non-conciliation concernant la désignation de l’expert, dit n’y avoir lieu à désignation d’un expert et confirmé l’ordonnance pour le surplus.

Par acte du 27 janvier 2023, Madame [C] a fait assigner l’Agent judiciaire de l’Etat devant ce tribunal sur le fondement de l’article L141-1 du code de l’organisation judiciaire.

Par dernières conclusions du 4 octobre 2023, Madame [C] demande au tribunal de condamner l’Agent judiciaire de l’Etat au paiement de 15 000€ de dommages et intérêts. Elle sollicite également sa condamnation aux dépens et au paiement de 5 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Madame [C] expose avoir été victime de dysfonctionnement du service public de la justice, caractérisant une faute lourde. Elle fait état des fautes suivantes, caractérisant ensemble une faute lourde :
– la désignation du docteur [S] comme expert ;
– le fait qu’aucune information ne lui a été apportée concernant la radiation du docteur [S] de la liste des experts antérieurement à sa désignation ;
– le refus de récuser le docteur [S] et sa condamnation au paiement de frais irrépétibles ;
– la connivence du juge avec le docteur [S] dans la décision de rejet de la récusation ;
– les manœuvres déloyales de l’expert qui a fait état de difficultés de comportement la concernant alors qu’il ne l’a jamais rencontrée ;
– le caractère défectueux des dispositions légales et réglementaires autorisant le juge à désigner un expert radié de la liste des experts et à ne pas en informer le justiciable ;
– le défaut de protection des enfants et des femmes en autorisant le juge à désigner un expert radié pour des faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes mœurs ;
– la problématique générale du rôle des experts psychiatres.

Par dernières conclusions du 27 juin 2023, l’Agent judiciaire de l’Etat demande au tribunal de débouter Madame [C] de ses demandes, de la condamner aux dépens et au paiement de 750€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’Agent judiciaire de l’Etat rappelle que l’action en responsabilité de l’Etat ne peut avoir pour effet de remettre en cause une décision judiciaire, les voies de recours devant permettre de corriger la méconnaissance d’une règle de droit dans une décision juridictionnelle. Il souligne qu’il n’y a pas de faute lourde de l’Etat si les voies de recours ouvertes au justiciable n’ont pas été exercées.

L’Agent judiciaire de l’Etat expose que Madame [C] disposait d’une voie de recours contre l’arrêt du 16 mars 2021. Cette voie de recours est ouverte avec la décision à venir sur le fond, en application des articles 606 à 608 dommages et intérêts code de procédure civile. L’Agent judiciaire de l’Etat conteste la possibilité d’un recours immédiat, ouvert en cas d’abus de pouvoir, ce que ne constitue pas le fait d’ordonner une mesure d’expertise.

A titre surabondant, il expose que les juridictions saisies ont fait une application exacte du droit. Il précise notamment que la radiation du docteur [S] ne lui ôtait pas nécessairement toute crédibilité professionnelle et que les sanctions disciplinaires le concernant avaient été exécutées. Il estime que les éléments soulevés par Madame [C] n’entraient pas dans les causes de récusation prévues par l’article L111-6 du code de l’organisation judiciaire. Il ajoute que la désignation d’expert a été annulée par la cour d’appel et que Madame [C] ne peut donc se prévaloir d’un quelconque dysfonctionnement tiré de la désignation de ce professionnel.
Il estime que Madame [C] n’établit pas la nature et le quantum de son préjudice et qu’elle ne peut obtenir réparation d’une mesure d’expertise infirmée par la cour d’appel.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, comme le permet l’article 455 du code de procédure civile.

Par avis du 2 janvier 2024, le ministère public conclut au rejet des demandes.
Il souligne que le docteur [S] n’a pas fait l’objet d’une procédure disciplinaire et était inscrit sur la liste nationale des experts dressée par la Cour de cassation, liste publique, à la date de l’ordonnance de non-conciliation.
Il ajoute que le juge aux affaires familiales aurait également pu le désigner s’il ne figurait pas sur cette liste et que ce magistrat n’était pas tenu d’informer la demanderesse de la radiation.
Il relève qu’une partie des critiques revient à contester une décision juridictionnelle. Il estime que le courrier adressé par le juge à l’expert n’est pas fautif et rappelle que les fautes éventuelles de l’expert ne peuvent engager la responsabilité de l’Etat.
Enfin, le ministère public soutient que le tribunal judiciaire n’est pas compétent pour statuer sur les demandes visant à critiquer le caractère défectueux de dispositions législatives ou réglementaire.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, comme le permet l’article 455 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 8 janvier 2024.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant par mise à disposition, par jugement contradictoire et susceptible d’appel,

DÉBOUTE Madame [T] [C] de ses demandes,

CONDAMNE Madame [T] [C] aux dépens,

CONDAMNE Madame [T] [C] à payer 750€ à l’Agent judiciaire de l’Etat sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

RAPPELLE que l’exécution de provisoire de ce jugement est de droit.

Fait et jugé à Paris le 22 Janvier 2025

Le Greffier Le Président
Marion CHARRIER Benoit CHAMOUARD

 


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