Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris
Thématique : Responsabilité d’un cabinet de conseil en matière de structuration patrimoniale et fiscale
→ RésuméContexte de la RestructurationMonsieur [O] [W] détenait la quasi-totalité du capital de la société [5], exploitant un hypermarché. En 2012, il a décidé de réorganiser son patrimoine professionnel en vue de sa cessation d’activité et de la transmission de son patrimoine à ses enfants, en faisant appel au cabinet [9]. Événements de la RestructurationLa restructuration a été réalisée à travers plusieurs étapes : la création d’une société holding, la SAS [11], suivie de la constitution d’une SCI [8] et d’une SNC [6]. Monsieur [O] [W] a apporté ses actions de la société [5] à la société [11] et a transmis des parts de cette dernière à ses enfants. En 2014, une société civile [7] a également été créée pour gérer un programme immobilier. Problèmes Fiscaux ÉmergentsL’administration fiscale a notifié à Monsieur [O] [W] des propositions de rectification concernant l’impôt sur la fortune (ISF) pour les années 2014 à 2017, remettant en cause la qualification de biens professionnels des droits sociaux détenus dans la société holding [11]. Monsieur [O] [W] a contesté ces rectifications, mais a finalement payé les sommes réclamées. Procédure JudiciaireMonsieur [O] [W] a assigné le cabinet [9] en responsabilité civile professionnelle en juin 2022. Les conclusions ont été déposées en juin 2023, et l’ordonnance de clôture a été rendue en novembre 2023. Demandes de Monsieur [O] [W]Monsieur [O] [W] a demandé au tribunal de se déclarer compétent, de condamner le cabinet [9] à lui verser 247 057 euros en dommages et intérêts, ainsi qu’une somme de 30 000 euros pour frais de justice. Il a également demandé que l’exécution provisoire de la décision soit maintenue. Arguments du Cabinet [9]Le cabinet [9] a soutenu qu’il avait pris en compte l’impact fiscal du projet et qu’il n’était pas tenu d’informer Monsieur [O] [W] d’une alternative de holding animatrice. Il a également affirmé qu’il n’avait pas manqué à son obligation de conseil et que le préjudice allégué ne pouvait être considéré que comme une perte de chance. Motivation du TribunalLe tribunal a examiné la responsabilité du cabinet [9] en se basant sur l’obligation de conseil et d’information. Il a conclu que le cabinet avait manqué à son devoir d’informer Monsieur [O] [W] des conséquences fiscales de la structure mise en place, ce qui a conduit à une imposition supplémentaire. Conclusion du TribunalLe tribunal a débouté Monsieur [O] [W] de ses demandes, l’a condamné aux dépens et à verser 3 000 euros au cabinet [9] pour frais de justice. |
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
■
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 22/08855 – N° Portalis 352J-W-B7G-CXFOK
N° MINUTE :
Assignation du :
21 Juin 2022
JUGEMENT
rendu le 22 Janvier 2025
DEMANDEUR
Monsieur [O] [W]
[Adresse 10]
[Localité 2]
Représenté par Me Stéphane RUFF, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE, [Adresse 1], et Me Xavier JARLOT, avocat postulant au barreau de PARIS, vestiaire #P0240
DÉFENDERESSE
S.E.L.A.S. [9] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège ;
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Catherine Marie DUPUY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0577
Décision du 22 Janvier 2025
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 22/08855 – N° Portalis 352J-W-B7G-CXFOK
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Cécile VITON, Première vice-présidente adjointe
Présidente de formation,
Monsieur Benoit CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint
Madame Valérie MESSAS, Vice-présidente
Assesseurs,
assistés de Madame Marion CHARRIER, Greffier
DEBATS
A l’audience du 18 décembre 2024, tenue en audience publique, devant Madame Cécile VITON et Monsieur Benoit CHAMOUARD, magistrats rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties en ont rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
Madame Cécile VITON a fait un rapport de l’affaire.
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Monsieur [O] [W] détenait la quasi-totalité du capital et des droits de vote de la société [5] (ci-après [5]) qui exploite un hypermarché sous l’enseigne [12].
En 2012, Monsieur [O] [W] a souhaité réorganiser la détention de son patrimoine professionnel dans la perspective de sa cessation d’activité et de la transmission de son patrimoine à ses enfants. Dans cet objectif, il a fait appel aux services de Maîtres [D] [I] et [R] [Y] du cabinet [9].
Cette restructuration s’est articulée autour des évènements suivants :
– le 31 octobre 2012, constitution d’une société holding, la SAS [11] (ci-après [11]) ayant pour objet la gestion de participation et pour associé majoritaire et président Monsieur [O] [W] ;
– le 17 décembre 2012, constitution de la SCI [8] ayant pour objet la gestion locative immobilière et pour associé majoritaire la société [11] ;
– le 7 février 2013, apport à la société [11] par Monsieur [O] [W] des actions qu’il détenait dans la société [5] ;
– le 13 février 2013, constitution de la SNC [6] ayant pour objet la gestion d’une collection de véhicules automobiles et pour associé majoritaire la société [11] ;
– en octobre 2013, transmission par Monsieur [O] [W] à chacun de ses trois enfants des parts de la société [11] ;
– le 17 février 2014, constitution de la société civile [7] ayant pour objet la réalisation et la gestion d’un programme immobilier portant sur des locaux professionnels et pour associé majoritaire la société [11].
A l’issue de cette restructuration, Monsieur [O] [W] détenait :
– 75,34% du capital de la société [11] laquelle détenait 73% du capital de la société [5] et 99% du capital des sociétés [8], [6] et [7] ;
– 5,84% du capital de la société [5].
Dans le cadre de cette restructuration, le cabinet [9] a rédigé les statuts des sociétés [11] et [6] et le contrat d’apport de titres ainsi que l’acte de reconnaissance de dons manuels et deux engagements collectifs de conservation pour bénéficier de l’avantage fiscal du pacte » Dutreil »
L’administration a notifié à Monsieur [O] [W] deux propositions de rectification en date du 8 juillet 2020 portant rappel de l’impôt sur la fortune (ci-après ISF) pour les années 2014 à 2017 pour un montant total de 247 057 euros, remettant en cause la qualification de biens professionnels de la fraction des droits sociaux qu’il détenait dans la société holding [11] excédant la fraction correspondant à la participation de ladite société dans la société [5] au motif que la société [11] était une société holding pure n’exerçant aucune activité d’animatrice de groupe.
Après rejet de ses réclamations par l’administration fiscale, Monsieur [O] [W] s’est acquitté de l’intégralité des sommes réclamées le 1er décembre 2021.
Procédure
Par acte de commissaire de justice du 21 juin 2022, Monsieur [O] [W] a assigné la société [9] devant le tribunal judiciaire de Paris afin de voir engager sa responsabilité civile professionnelle.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 novembre 2023.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions du 14 juin 2023, Monsieur [O] [W] demande au tribunal de :
– se déclarer territorialement compétent pour connaître du litige ;
– condamner la société [9] à lui payer la somme de 247 057 euros à titre de dommages et intérêts ;
– condamner la société [9] à lui payer la somme de 30 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;
– condamner la société [9] aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, Monsieur [O] [W] fait valoir que :
– le cabinet [9] a commis une faute en n’assurant pas une pleine effectivité au montage suggéré, non seulement en parvenant à satisfaire les objectifs élémentaires d’optimisation patrimoniale et d’anticipation de la transmission de l’entreprise mais également en prenant en considération l’impact fiscal du montage pour Monsieur [O] [W] et en lui recommandant d’animer son groupe par le truchement d’une holding animatrice alors que la société [11] aurait pu avoir cette nature pour autant qu’elle ait été configurée comme telle ;
– le cabinet [9] a, à tout le moins, manqué à son obligation de conseil en s’abstenant de sensibiliser Monsieur [O] [W] sur les risques attachés à l’organisation patrimoniale suggérée puisque par l’effet de celle-ci, il se voyait assujetti à une contribution dont il aurait pu être en totalité exonéré ;
– la mission du cabinet [9] intégrait une recherche de sécurisation et d’optimisation fiscale et le cœur du sujet résidait justement dans la constitution d’une société holding, y inclus l’assujettissement à l’ISF des titres de ladite société ;
– le pacte ISF Dutreil présenté par le cabinet [9] est étranger au débat, est une option en l’espèce non méritoire, ne répond pas à l’objectif recherché, n’a jamais été expliqué pas plus que le mérite de recourir à une holding animatrice et était aussi risqué que le recours à une holding animatrice ;
– le préjudice subi est constitué par le paiement d’une contribution au titre de l’ISF du fait que la société [11] ne s’est pas vu conférer le statut de holding animatrice alors que ce statut ne posait aucune difficulté et nécessitait seulement d’être formalisé ;
– il n’a nullement contribué à la survenance de son préjudice, le motif du redressement tenant exclusivement à l’absence de caractère animateur de la holding.
Par conclusions du 16 octobre 2023, la société [9] demande au tribunal de la mettre hors de cause, de débouter Monsieur [W] de l’intégralité de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, la société [9] fait valoir que :
– elle a pris en considération l’impact fiscal du projet mis en œuvre au regard du but poursuivi par Monsieur [O] [W] aux motifs que:
* le dispositif mis en œuvre, à savoir une société interposée, lui a permis de bénéficier d’une exonération partielle des droits de mutation sur la valeur des parts ou actions détenues et des actions détenues au sein de la société [11] à l’ISF ;
* l’objectif patrimonial poursuivi par Monsieur [O] [W], à savoir la réorganisation de son patrimoine et sa transmission à ses enfants, n’impliquait pas pour le cabinet [9] l’obligation de l’informer de l’existence d’un schéma fiscal alternatif consistant dans la mise en œuvre d’une holding animatrice, répondant quant à elle à un objectif purement commercial ;
– elle n’a pas manqué à son obligation de conseil au regard, en 2012 et 2013, du type de filiales composant la holding, à savoir les parts dans deux sociétés civiles et dans la société [6] dénuée d’activité commerciale, et de l’objectif patrimonial recherché par Monsieur [O] [W], à savoir financer le compte courant détenu dans sa société civile immobilière via la perception des dividendes reçus de la société [5] et transmettre une partie de son patrimoine constitué notamment des titres de ladite société à ses héritiers dans le cadre d’un engagement collectif de conservation permettant de bénéficier du pacte » Dutreil » ;
– Monsieur [O] [W] n’établit pas que l’animation de ses filiales par la holding [11] pouvait être aisément caractérisée et démontrée ;
– au regard du droit positif en vigueur au moment de l’intervention de la société [9], Monsieur [O] [W] était dans une situation où il n’aurait de toute façon pas pu échapper à l’imposition qu’il conteste de sorte que le rappel d’impôt litigieux n’est pas en lien de causalité avec une éventuelle faute ;
– le paiement des intérêts de retard est la conséquence de l’absence de mention sur la déclaration ISF des parts détenues dans le capital de la société [11] ;
– en tout état de cause, le préjudice allégué ne peut s’analyser qu’en une perte de chance dès lors que la mise en œuvre d’une holding animatrice aux fins de bénéficier d’une exonération de l’ISF au titre des biens professionnels aurait pu, en l’état de la doctrine fiscale applicable au jour de la réalisation du schéma, être remise en cause par l’administration fiscale et cette perte de chance est nulle dès lors qu’il n’est pas démontré que Monsieur [W] aurait opté avec certitude pour une solution alternative qui se serait avérée fiscalement plus favorable.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
DÉBOUTE Monsieur [O] [W] de ses demandes.
CONDAMNE Monsieur [O] [W] aux dépens.
CONDAMNE Monsieur [O] [W] à payer à la société [9] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 22 Janvier 2025
Le Greffier Le Président
Marion CHARRIER Cécile VITON
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