Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris
Thématique : Responsabilité professionnelle d’un notaire dans le cadre d’une liquidation d’indivision
→ RésuméContexte de l’affaireM. [I] a assigné la Sarl [11] en responsabilité devant le tribunal le 10 juin 2022. L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 décembre 2023. Demandes de M. [I]Dans ses conclusions notifiées le 17 octobre 2023, M. [I] réclame 120.000 euros en dommages et intérêts, 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que le remboursement des dépens. Il évoque plusieurs manquements de la Sarl [11] ayant causé divers préjudices, dont une réduction de ses droits à l’indemnité d’occupation, des frais de procédure indus, et un préjudice moral. Réponse de la Sarl [11]Par conclusions notifiées le 11 décembre 2023, la Sarl [11] demande le déboutement de M. [I] et la condamnation de ce dernier à lui verser 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Elle conteste la réalité des fautes alléguées et leur lien de causalité avec les préjudices. Examen de l’affaireL’affaire a été examinée lors d’une audience publique collégiale le 18 décembre 2024 et mise en délibéré pour le 22 janvier 2025. Responsabilité du notaireLe notaire engage sa responsabilité civile en cas de manquement dans l’exercice de sa mission. Il doit établir un projet d’état liquidatif et faire preuve de compétence, diligence et impartialité. Fautes alléguées par M. [I]M. [I] a identifié onze manquements du notaire, notamment des erreurs dans l’évaluation du bien indivis, l’absence de fixation d’une date de jouissance divise, et le refus de fixer une indemnité d’occupation due par Mme [O]. Évaluation du bien indivisM. [I] reproche au notaire d’avoir retenu une évaluation obsolète et d’avoir refusé une expertise judiciaire. La Sarl [11] soutient que le notaire peut se baser sur des évaluations tierces et que la demande d’expertise doit être faite par les parties. Date de jouissance diviseM. [I] affirme que le notaire a omis de fixer la date de jouissance divise, tandis que la Sarl [11] argue que l’indivision n’avait pas cessé et qu’il n’y avait pas d’accord entre les ex-époux. Indemnité d’occupationM. [I] soutient que le notaire a omis de fixer une indemnité d’occupation à la charge de Mme [O] après le divorce. La Sarl [11] rétorque que les prétentions de M. [I] n’étaient pas arrêtées à la date concernée. Indemnité d’occupation et SciM. [I] conteste que le notaire ait pris en compte des éléments n’entrant pas dans l’indivision, tandis que la Sarl [11] affirme que les propositions de répartition ne mentionnaient pas d’indemnité à sa charge. Prise en compte des dépensesM. [I] reproche au notaire de ne pas avoir pris en compte certaines dépenses qu’il a engagées, tout en intégrant celles de Mme [O]. La Sarl [11] soutient que ces décisions étaient justifiées. Retard dans l’établissement du projetM. [I] affirme ne pas avoir été informé des reports dans l’établissement du projet d’état liquidatif, alors que la Sarl [11] indique que ces reports étaient convenus entre les parties. Tirage au sortM. [I] soutient que le notaire a omis de prévoir un tirage au sort des biens, mais la Sarl [11] argue qu’aucune obligation ne l’imposait. Procès-verbal de difficultésM. [I] dénonce le refus du notaire d’établir un procès-verbal de difficultés, alors que la Sarl [11] affirme que le document de carence était conforme aux exigences légales. Retard dans l’exécution de la missionM. [I] accuse le notaire de retards injustifiés dans l’exécution de sa mission, tandis que la Sarl [11] soutient que ces retards étaient dus aux désaccords des ex-époux. Obligation de loyauté et d’impartialitéM. [I] prétend que le notaire a favorisé son ex-épouse, mais la Sarl [11] réfute ces allégations, affirmant avoir agi avec impartialité. Préjudices et liens de causalitéM. [I] demande 120.000 euros pour divers préjudices, mais ne parvient pas à établir le lien de causalité avec les fautes du notaire. Il est débouté de ses demandes d’indemnisation, sauf pour un préjudice moral. Décision du tribunalLe tribunal condamne la Sarl [11] à verser 3.000 euros à M. [I] pour préjudice moral, ainsi qu’aux dépens et à 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’exécution provisoire du jugement est de droit. Les autres demandes sont rejetées. |
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
■
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 22/06921 – N° Portalis 352J-W-B7G-CXDIN
N° MINUTE :
Assignation du :
10 Juin 2022
JUGEMENT
rendu le 22 Janvier 2025
DEMANDEUR
Monsieur [P] [I]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
Représenté par Me Luc MENDIHARAT, avocat plaidant au barreau de BAYONNE, [Adresse 4], et par Me Jacques-michel FRENOT, avocat postulant au barreau de PARIS, vestiaire #P0322
DÉFENDERESSE
S.A.R.L. [11], NOTAIRES DE FAMILLES représentée par son gérant domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Barthélemy LACAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0435
Décision du 22 Janvier 2025
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 22/06921 – N° Portalis 352J-W-B7G-CXDIN
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Cécile VITON, Première vice-présidente adjointe
Présidente de formation,
Monsieur Benoit CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint
Madame Valérie MESSAS, Vice-présidente
Assesseurs,
assistés de Madame Marion CHARRIER, Greffier
DÉBATS
A l’audience du 18 décembre 2024, tenue en audience publique, devant Madame Cécile VITON et Monsieur Benoit CHAMOUARD, magistrats rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties en ont rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
Madame Valérie MESSAS a fait un rapport de l’affaire.
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort
Le [Date mariage 2] 1981, M. [I] et Mme [O] se sont mariés sous le régime de la séparation de biens.
Au cours de leur union, ils ont acquis indivisément par moitié un terrain à [Localité 12] sur une partie duquel ils ont fait construire une maison à usage d’habitation et ont constitué différentes sociétés civiles immobilières.
Le 9 novembre 2006, Mme [O] a assigné M. [I] en divorce.
Suivant ordonnance de non-conciliation du 27 juin 2006, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bayonne a :
– donné acte de l’intention des époux de mettre en vente l’immeuble sis à [Localité 12] sur la base d’une répartition de 70% pour madame et de 30% pour monsieur et, que dans cette hypothèse, il n’y aurait pas de prestation compensatoire pour madame ;
– attribué la jouissance du domicile conjugal à madame à titre gratuit au titre du devoir de secours ;
– condamné l’époux à payer à l’épouse la somme mensuelle de 2.500 euros au titre du devoir de secours.
Par jugement de divorce du 26 août 2008, devenu définitif le 27 octobre 2008, le même juge a :
– prononcé le divorce des époux ;
– fixé la date d’effet du divorce entre les époux à la date de leur séparation effective, soit au 1er janvier 2004 ;
– débouté Mme [O] de sa demande de prestation compensatoire;
– donné acte à M. [I], au vu de l’absence de prestation compensatoire, de son accord pour réaliser la vente de l’immeuble indivis d'[Localité 12] sur la base d’une répartition du prix de 70% pour madame et de 30% pour monsieur ;
– condamné M. [I] à payer à Mme [O] la somme mensuelle de 2.500 euros au titre du devoir de secours jusqu’à la vente de l’immeuble d'[Localité 12] et, dans l’hypothèse où la vente ne serait pas intervenue avant, jusqu’à ce que le jugement de divorce soit devenu définitif ;
– ordonné le partage et la liquidation de leurs intérêts patrimoniaux et désigné, pour y procéder, M. le président de la chambre des notaires de [Localité 9] avec faculté de délégation, sous le contrôle du juge commis.
La SCP [5], devenue Sarl [11], a été désignée à cette fin le 13 novembre 2008 et les opérations de liquidation ont été ouvertes le 22 janvier 2009.
Les ex-époux ne se sont pas entendus sur les termes du partage, leurs dissensions portant principalement sur l’évaluation du bien indivis situé à [Localité 12] et l’indemnité d’occupation due par madame à l’indivision. Une expertise, contestée par M. [I], a été réalisée par un tiers professionnel, [10].
Par plusieurs courriers adressés au cours de l’année 2011 (et notamment les 3 avril et 16 mai), Mme la vice-présidente de la chambre de la famille du tribunal de grande instance de Bayonne a demandé à Me [N] de lui adresser le projet d’état liquidatif ainsi qu’un procès-verbal reprenant les dires respectifs des parties ou notant leur carence. Sans information en retour sur l’état de la procédure, elle a saisi de la difficulté Mme le procureur de la République par courrier du 22 juillet 2011.
Constatant le blocage des opérations de liquidation, une comparution personnelle des parties a été organisée le 18 novembre 2011, en présence du conseil de Mme [O], de M. [I] et du notaire commis. Les parties se sont alors engagées à tenter de vendre le bien indivis avant le 30 juin 2012, puis passé ce délai, à faire établir un projet d’état liquidatif par le notaire liquidateur.
Par courriers des 6 février et 29 mai 2013, Mme la vice-présidente de la chambre de la famille du tribunal de grande instance de Bayonne a relancé Me [N] afin d’obtenir le projet d’état liquidatif et le procès-verbal de difficultés.
Après avoir établi trois projets les 20 mars, 18 et 25 juin 2013, Me [N] a rédigé un procès-verbal de carence le 12 juillet 2013 en la seule présence de Mme [O], transmis le 29 juillet 2013 au tribunal.
Le juge commis a alors convoqué les parties à une comparution personnelle à laquelle M. [I] ne s’est pas présenté suivant procès-verbal du 27 septembre 2013.
Par ordonnance du 7 avril 2014, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bayonne, statuant comme juge de la mise en état, s’est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes de M. [I] visant à remplacer Me [N] et à rectifier les opérations de liquidation et a ordonné une expertise judiciaire de l’immeuble sis à Urrugne.
Par ordonnance du 2 décembre 2014, le même juge a débouté Mme [O] de sa demande d’extension de la mission de l’expert à l’évaluation des parts sociales des ex-époux dans la Sci [8].
Le rapport d’expertise judiciaire a été rendu le 28 mai 2015.
Par jugement du 20 septembre 2016, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bayonne a :
– fixé la valeur du bien indivis à la somme de 1.102.000 euros conformément aux conclusions du rapport d’expertise judiciaire ;
– rejeté l’exception de prescription soulevée par madame s’agissant de l’indemnité de jouissance privative due par elle à l’indivision et fixé cette indemnité à 30.800 euros pour la période du 27 octobre 2008 au 31 décembre 2009 ;
– fixé à 9.898 euros la créance détenue par madame sur l’indivision au titre des dépenses effectuées ;
– fixé à 753,48 euros la créance détenue par monsieur sur l’indivision au titre des dépenses effectuées ;
– dit n’y avoir lieu à inscrire au passif de l’indivision le solde des emprunts consentis aux Sci ;
– dit n’y avoir lieu à inclure dans le patrimoine indivis et dans la liquidation de l’indivision les parts détenus par les époux dans les Sci par eux constituées ;
– ordonné la répartition de l’actif indivis net à concurrence de 70% pour madame et de 30% pour monsieur ;
– renvoyé les parties devant M. le président de la chambre des notaires avec faculté de délégation aux fins d’établissement de l’état liquidatif au vu des énonciations du présent jugement ;
– et ordonné préalablement la vente sur licitation du bien indivis sis à [Localité 12].
M. [I] a relevé appel de cette décision sur certaines de ses dispositions.
Suivant ordonnance du conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Pau rendu le 31 janvier 2017, les parties ont accepté une médiation et un protocole d’accord a été signé le 20 juin 2017, homologué par arrêt du 17 août 2017.
***
C’est dans ce contexte que, par acte du 10 juin 2022, M. [I] a assigné devant ce tribunal en responsabilité la Sarl [11].
L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 décembre 2023.
***
Par conclusions notifiées le 17 octobre 2023, M. [I] demande au tribunal de condamner la Sarl [11] à lui payer :
– 120.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
– 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens avec recouvrement direct.
M. [I] expose que la Sarl [11] a commis de nombreux manquements à l’origine des préjudices suivants :
– épuisé par la longueur de la procédure et les erreurs du notaire, il a accepté, aux termes du protocole du 20 juin 2017, de réduire de moitié ses droits résultant de l’indemnité d’occupation due par Mme [O], soit un préjudice 112.110 euros ;
– il a fait face à des honoraires et frais de procédure indus à hauteur de 25.000 euros ;
– et il a souffert d’un préjudice moral qu’il évalue à la somme de 30.000 euros.
Par conclusions notifiées le 11 décembre 2023, la Sarl [11] demande au tribunal de débouter M. [I] de toutes ses demandes et de le condamner au paiement d’une indemnité de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens avec recouvrement direct.
La Sarl [11] soutient que le demandeur ne démontre ni la réalité des fautes alléguées ni leur lien de causalité avec les préjudices sollicités.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions dans les conditions de l’article 455 du code de procédure civile.
***
L’affaire a été examinée à l’audience publique collégiale du 18 décembre 2024 et mise en délibéré au 22 janvier 2025.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
CONDAMNE la SARL [11] à payer à M. [I] la somme de 3.000 euros en réparation de son préjudice moral ;
CONDAMNE la SARL [11] aux dépens, avec recouvrement au profit de Me FRENOT dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SARL [11] à payer à M. [I] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que l’exécution provisoire de l’entier jugement est de droit;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Fait et jugé à Paris le 22 Janvier 2025
Le Greffier Le Président
Marion CHARRIER Cécile VITON
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