Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris
Thématique : La protection juridique des murs végétalisés
→ RésuméLa protection juridique des murs végétalisés soulève des questions complexes. En effet, un mur végétalisé ne bénéficie pas automatiquement du droit d’auteur, car ses caractéristiques, telles que la forme rectangulaire et l’agencement des cases, sont jugées banales. Bien que l’alternance de cases pleines et vides puisse sembler originale, elle s’inspire de mouvements artistiques antérieurs, comme celui de Mondrian. Toutefois, la protection des dessins ou modèles non enregistrés peut s’appliquer, à condition que l’œuvre présente un caractère individuel et soit nouvelle. La contrefaçon, quant à elle, engage la responsabilité civile de l’auteur en cas de violation des droits d’auteur.
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L’alternance de cases pleines, de cases vides et de cases grillagées (pour l’accrochage des plantes) est une organisation de la paroi qui n’est pas en soi originale et se retrouve au demeurant dans des exemples antérieurs.
Cette organisation s’inspire en outre clairement des peintures de Mondrian et d’autres artistes du XXe siècle.
La contrefaçon de modèle non enregistré est toutefois susceptible de s’appliquer (non retenu en la cause).
L’article 11 du règlement 6/2002 du 12 décembre 2001 assure une protection d’une durée de 3 ans, à compter de leur première divulgation au public dans l’Union européenne, aux dessins ou modèles non enregistrés, c’est-à-dire, selon les définitions posées par l’article 1er point a) et l’article 3, point a) du règlement, « l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit que lui confèrent, en particulier, les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui-même et/ou de son ornementation » et qui a été divulguée au public selon les modalités prévues par le règlement, c’est-à-dire « s’il a été publié, exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière de telle sorte que, dans la pratique normale des affaires, ces faits pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté » sauf le cas d’une divulgation secrète.
En vertu de l’article 4, paragraphe 1, du règlement, la protection d’un dessin ou modèle communautaire n’est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel.
La protection conférée par un dessin ou modèle communautaire non enregistré est régie par l’article 10 du règlement, selon lequel cette protection s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente, son étendue devant être appréciée en tenant compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.
En vertu de l’article L. 515-1 du code de la propriété intellectuelle, l’atteinte à ce droit est une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur.
Conformément à l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur l’œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial.
En application de la directive 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, l’existence d’une œuvre, qui conditionne la protection encadrée par ce texte, implique un objet original, c’est-à-dire une création intellectuelle propre à son auteur, qui en reflète la personnalité en manifestant ses choix libres et créatifs ; et cet objet doit être identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité, ce qui exclut une identification reposant essentiellement sur les sensations de la personne qui perçoit l’objet (CJUE, 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, points 29 à 35).
Eu égard à ses objectifs, la protection associée au droit d’auteur, dont la durée est très significativement supérieure à celle des dessins ou modèles, est réservée aux objets méritant d’être qualifiés d’oeuvres (CJUE, Cofemel précité, point 50).
Par ailleurs, la propriété littéraire et artistique ne protège pas les idées ou concepts, mais seulement la forme originale sous laquelle ils se sont exprimés (Cass. 1re Civ., 29 novembre 2005, n°04-12-721 ; 1re Civ., 16 janvier 2013, n°12-13.027).
Résumé de l’affaire
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
21/08407
DE PARIS
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3ème chambre
2ème section
N° RG 21/08407
N° Portalis 352J-W-B7F-CUVJ4
N° MINUTE :
Assignation du :
16 juin 2021
JUGEMENT
rendu le 21 juin 2024
DEMANDERESSE
Madame [P] [R]
[Adresse 5]
[Localité 4]
représentées par Maitre Agathe CAILLÉ, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #P512
et par Maître Jérome FERRANDO de la SARL SPE ETNA, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant.
DÉFENDERESSES
G.A.E.C. TILLANDSIA PROD
[Adresse 1]
[Localité 3]
Association ORCHIDEE LANGUEDOC
[Adresse 6]
[Localité 2]
représentées par Maître Olivier GUIDOUX de la SELARL DEPREZ, GUIGNOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0221
Copies délivrées le :
– Maître CAILLÉ #P512 (ccc)
– Maître GUIDOUX #P221 (exécutoire)
Décision du 21 juin 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 21/08407 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUVJ4
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Vera ZEDERMAN, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge
assistés de Quentin CURABET, greffier
DEBATS
A l’audience du 29 Février 2024 tenue en audience publique, avis à été donné aux avocats que la décision serait rendue le 07 Juin 2024 puis prorogé au 21 juin 2024.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
1. Mme [R], invoquant des droits d’auteur et un dessin ou modèle communautaire non enregistré sur des parois métalliques ajourées et partiellement végétalisées, agit en contrefaçon, subsidiairement en concurrence déloyale et parasitisme, à raison de la fabrication puis de la communication au public de ce qu’elle estime être une reproduction de son oeuvre et de son modèle.
2. La société ‘Studio falaj’, dont Mme [R] est la gérante, et le groupement agricole d’exploitation en commun ‘Tillandsia prod’ (le groupement Tillandsia) ont fait partie de l’équipe ayant présenté, à un concours horticole à [Localité 4] en septembre 2018, une installation consistant en des panneaux verticaux métalliques partiellement ajourés, divisés en rectangles de tailles différentes dont certains étaient recouverts de plantes du genre tillandsia, les panneaux étant assemblés en deux ensembles de trois parois perpendiculaires dont le plan formait deux C (ou U) imbriqués face à face afin de laisser un espace central accueillant un cube doré ainsi qu’un cheminement de chaque côté (selon le plan reproduit ci-dessous). L’installation, dénommée ‘Out of the box’, a ensuite été présentée (dans un agencement différent) lors d’autres évènements début 2019, puis les relations entre la société et le groupement ont pris fin dans des circonstances sur lesquelles elles s’opposent.
3. Mme [R], se disant titulaire de modèles communautaires non enregistrés et de droits d’auteur sur les parois végétales ayant servi à cette installation et auxquelles elle donne le nom de ‘Moucharabiehs’, reproche au groupement Tillandsia d’en avoir fabriqué puis exposé une reproduction lors de plusieurs évènements ainsi que dans ses locaux, ce qu’elle qualifie à titre principal de contrefaçon de modèle et de droits d’auteur, à titre subsidiaire de concurrence déloyale et parasitisme. Elle reproche également ces faits à l’association Orchidée Languedoc (l’association Orchidée), dont les membres ont installé les plantes dans les panneaux végétaux litigieux et qui a organisé un « salon de l’orchidée » du 31 janvier au 2 février 2020 lors duquel ils ont été exposés.
4. Après deux mises en demeure puis une saisie-contrefaçon pratiquée le 1er juin 2021, Mme [R] a assigné le groupement Tillandsia et l’association Orchidée le 16 juin 2021 en contrefaçon et concurrence déloyale.
5. Les parties ayant expressément souhaité voir juger préalablement une partie seulement du litige, telle qu’elle s’est formalisée lors d’un incident portant sur des moyens qualifiés pour certains à tort de fins de non-recevoir, le présent tribunal, par jugement du 7 juillet 2023, a dit que Mme [R] n’était plus titulaire du droit de représentation de son oeuvre mais restait titulaire des autres droits, que son modèle avait un caractère individuel, qu’elle en était titulaire, qu’elle avait intérêt à agir en concurrence déloyale et parasitisme, imputé à l’un ou l’autre des défendeurs les faits litigieux sans préjudice de leur preuve et de leur qualification et révoqué la clôture pour poursuivre l’instruction sur le surplus des demandes.
6. L’instruction a été close le 25 janvier 2024.
Prétentions des parties
7. Mme [R], dans ses dernières conclusions (21 décembre 2023), demande :
– la destruction des installations litigieuses et l’interdiction aux défendeurs de les reproduire, sous astreinte ;
– la condamnation de l’association Orchidée à lui payer des indemnités de 5 000 euros pour la contrefaçon de modèle, 5 000 euros pour l’atteinte à ses droits moraux d’auteur et 3 000 euros pour l’atteinte à ses droits patrimoniaux d’auteur, subsidiairement la même somme totale pour concurrence déloyale et parasitisme ;
– la condamnation de la société Tillandsia à lui payer des indemnités de 10 000 euros pour la contrefaçon de modèle, 10 000 euros pour l’atteinte à ses droits moraux d’auteur et 8 000 euros pour l’atteinte à ses droits patrimoniaux d’auteur, subsidiairement la même somme totale pour concurrence déloyale et parasitisme ;
– la publication du jugement sur les sites internet des défendeurs et dans trois journaux ;
– outre 17 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et le recouvrement des dépens par son avocat.
8. Le groupement Tillandsia et l’association Orchidée, dans leurs dernières conclusions (24 janvier 2024), résistent aux demandes, y compris à l’exécution provisoire, et reconventionnellement demandent 10 000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Moyens des parties
9. Mme [R] soutient que ses « installations Moucharabiehs » sont des oeuvres de l’esprit, en ce que le contraste entre les parties pleines ou végétalisées et les parties vides (qui laissent passer la lumière et le regard vers le décor naturel du lieu) résulte d’un effort créateur en vue d’une dimension esthétique se détachant des cloisons traditionnelles, qu’avec leurs contours carrés et leurs faces composées de plusieurs formes donnant l’impression d’une disposition aléatoire, elles se distinguent nettement des cloisons marocaines dont elles s’inspirent et plus généralement de toute autre création, y compris du mouvement « De Stijl », outre que la nouveauté est inopérante pour apprécier l’originalité, qu’elles diffèrent encore par de nombreuses spécificités des cloisons classiques et des considérations techniques, résultent d’un travail personnel et d’un effort intellectuel personnalisé l’ayant poussée à faire de nombreux choix et constituant une combinaison originale, qu’elles sont ainsi « l’expression même » de sa personnalité, l’idée générale l’ayant guidée étant d’entrer en symbiose avec le décor naturel entourant les cloisons.
10. Elle estime que les installations que les défendeurs ont fabriquées et exposées lors du salon de l’orchidée à [Localité 7] du 31 janvier au 2 février 2020, puis exposées dans les locaux du groupement Tillandsia et « régulièrement présentées lors de manifestations » reproduisent la combinaison de caractéristiques originales, violant ainsi le droit de reproduction, produisent une impression globale identique aux siennes et sont ainsi contrefaisantes, la contrefaçon s’appréciant, fait-elle valoir, selon les ressemblances et non selon les différences, la finalité de l’usage qui en est fait étant également indifférente.
11. Sur le préjudice, elle soutient d’abord que l’oeuvre en cause est une vitrine de son travail, lui permettant d’attirer des clients pour son activité de designer, et que l’exposition illicite des installations litigieuses entraine nécessairement une perte de clientèle pour elle car les organisateurs d’expositions peuvent choisir d’accueillir les installations litigieuses plutôt que les siennes. Elle estime ensuite que les défendeurs en ont tiré des bénéfices en pouvant ainsi présenter dans un but commercial les fleurs du groupement Tillandsia avec un « design hautement esthétique », en faisant même l’objet d’une vidéo du Midi libre en ligne depuis 4 ans. Elle invoque également un sentiment de dépossession, outre un préjudice moral tenant à ce qu’elle voit le fruit de son travail personnel délibérément copié par les défendeurs et ainsi banalisé (faisant valoir également que la contrefaçon cause nécessairement un préjudice moral à la partie lésée). Elle ajoute que la présentation des panneaux ailleurs que dans des jardins ou un décor champêtre (en l’espèce, en intérieur ou dans des serres dans un décor qui les met peu en valeur) viole la philosophie initiale de l’oeuvre, sa destination et son contexte de présentation, portant ainsi selon elle atteinte à son droit moral, outre la violation de son droit à la paternité. Elle en déduit une indemnité au moins égale aux redevances normalement générées avec une licence de droits d’auteur et de modèles.
12. Subsidiairement, elle invoque d’abord une concurrence déloyale tirée de ce que les installations litigieuses imitent les siennes de telle sorte qu’il en résulte, selon elle, un risque de confusion sur leur origine, le public pouvant penser qu’elles proviennent du même designer, d’autant plus au regard de leurs circonstances d’exposition similaires, à savoir lors de salons, dans le sud de la France, en lien avec les jardins. Elle précise que là encore la différence d’usage (délimiter un espace buvette au cas présent) est indifférente. Elle ajoute que le fait, pour le groupement Tillandsia, « d’associer » à sa propre activité les ‘Moucharabiehs’ exposés à [Localité 4] en 2018 n’est pas conforme aux usages loyaux du commerce.
13. Elle invoque ensuite un parasitisme tiré des mêmes faits au regard du contexte de la création des installations et de l’intervention du groupement Tillandsia (qui a fourni les plants de tillandsias pour l’exposition à [Localité 4], a eu les installations originales en sa possession pour une autre exposition, puis met sa copie à disposition de l’association Orchidée) et de ce que les défendeurs, éloignés du design et de l’architecture, n’auraient jamais pu réaliser ces modules par eux-mêmes, alors qu’elle-même a consacré un travail important à la réflexion, aux plans, aux tests réalisés par le fabricant, qu’elle a payé. Le fait qu’elle « ait pu » bénéficier de financements pour réaliser l’installation ‘Out of the box’ d’origine est encore indifférent selon elle, outre que les investissements protégeables peuvent être seulement intellectuels.
14. Elle en déduit le même préjudice.
15. En défense, le groupement Tillandsia et l’association Orchidée, après avoir rappelé que la demanderesse n’était pas titulaire du droit de représentation, contestent l’originalité de l’oeuvre invoquée, dont ils critiquent également l’imprécision en ce que la demanderesse ne clarifie pas l’objet (les seuls panneaux végétalisés ou l’installation ‘Out of the box’ dans son ensemble). Ils soutiennent ainsi que la description technique ne suffit pas à établir l’originalité, que les caractéristiques invoquées ici sont purement techniques, la demanderesse soulignant elle-même les « nombreuses contraintes techniques », font valoir que de nombreuses caractéristiques de l’installation ‘Out of the box’ sont passées sous silence, que les panneaux reprennent les caractéristiques des oeuvres de Piet Mondrian et plus largement du mouvement constructiviste De Stijl (succession de rectangles et carrés agencés dans un format rectangulaire, séparés par des lignes noires épaisses, utilisant trois couleurs et du noir).
16. Ils estiment qu’en toute hypothèse les paravents litigieux ne constituent pas une contrefaçon de l’installation ‘Out of the box’ (avec laquelle ils estiment que leurs paravents doivent être comparés car seule cette installation dans son ensemble a été divulguée au public, estiment-ils) ni même des panneaux qui la composent. En effet, exposent-ils, alors que l’installation de Mme [R], comme elle le dit elle-même, n’est pas utilitaire, se distingue des « simples cloisons » et « donn[e] à voir des plantes cultivées par l’homme fixées sur des parois et permettant de contempler les paysages alentours grâce aux cases vides des cloisons », leurs paravents sont conçus pour délimiter l’espace de la buvette lors du salon de l’orchidée en 2020, sont détachables et utilisables individuellement, ne forment pas un ensemble, ne reprennent pas l’esprit ayant présidé à la réalisation de l’installation immersive ‘Out of the box’.
17. S’agissant des panneaux eux-mêmes, les défendeurs soutiennent que leurs paravents n’ont pas les mêmes caractéristiques, qu’ils sont plus hauts que larges, ne s’imbriquent pas, ont un agencement de carrés et rectangles différent (presque uniquement rectangulaire et vertical), avec des cases de dimensions plus hétéroclites, sans cases pleines en métal noir mat mais avec des motifs ajourés, des cases grillagées, des fausses pierres, des miroirs ou du bois flotté, que les points communs correspondent à des caractéristiques largement répandues (végétaux dans des cases rectangulaires afin de former une paroi), alors que le droit d’auteur ne peut protéger une idée, un concept ou un genre.
18. Sur le modèle non enregistré, les défendeurs contestent que Mme [R] en soit titulaire, soutiennent qu’en toute hypothèse le modèle, divulgué le 21 septembre 2018, a expiré le 21 septembre 2021 de sorte qu’aucune interdiction ne peut plus être prononcée pour l’avenir, contestent encore son caractère individuel faute pour la demanderesse d’identifier les éléments lui conférant ce caractère. Ils contestent quoiqu’il en soit la contrefaçon, faute selon eux d’impression globale identique.
19. Contre les moyens subsidiaires tirés de la concurrence déloyale et parasitaire, ils font valoir que les idées sont de libre parcours de sorte que leur reprise n’est pas fautive et que la concurrence déloyale doit reposer sur une faute distincte, des faits distincts. Contre le risque de confusion allégué, ils font valoir que les paravents fabriqués pour le salon de l’orchidée à [Localité 7], petit évènement local, n’ont eu pour but que de délimiter l’espace buvette, sans but commercial et sans diffusion à un large public. Contre le parasitisme, ils font valoir que l’installation ‘Out of the box’ a bénéficié d’un financement participatif et que Mme [R] n’a engagé aucune dépense, tandis que le groupement Tillandsia, à l’inverse, a mobilisé plusieurs salariés pour préparer et accrocher les tillandsias de l’installation d’origine ; qu’au demeurant les structures fabriquées à l’origine sont toujours en possession de la société Studio falaj qui peut donc encore les exploiter, outre que la demanderesse ne démontre pas la valeur économique de cette installation, estiment-ils.
20. Enfin, ils estiment le préjudice non démontré.
I . Demandes en contrefaçon de droit d’auteur
21. Conformément à l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur l’œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial.
22. En application de la directive 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, l’existence d’une œuvre, qui conditionne la protection encadrée par ce texte, implique un objet original, c’est-à-dire une création intellectuelle propre à son auteur, qui en reflète la personnalité en manifestant ses choix libres et créatifs ; et cet objet doit être identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité, ce qui exclut une identification reposant essentiellement sur les sensations de la personne qui perçoit l’objet (CJUE, 12 septembre 2019, Cofemel, C-683/17, points 29 à 35).
23. Eu égard à ses objectifs, la protection associée au droit d’auteur, dont la durée est très significativement supérieure à celle des dessins ou modèles, est réservée aux objets méritant d’être qualifiés d’oeuvres (CJUE, Cofemel précité, point 50).
24. Par ailleurs, la propriété littéraire et artistique ne protège pas les idées ou concepts, mais seulement la forme originale sous laquelle ils se sont exprimés (Cass. 1re Civ., 29 novembre 2005, n°04-12-721 ; 1re Civ., 16 janvier 2013, n°12-13.027).
25. Mme [R] invoque la combinaison des caractéristiques suivantes :
– les modules rectangulaires imposants de 2 mètres en métal noir
– qui peuvent s’imbriquer entre eux,
– qui sont posés sur le sol à la verticale
– qui peuvent s’assembler pour réaliser des formes géométriques dans lesquelles le public peut déambuler,
– les « formes cubiques (rectangulaires et carrées) » composant la vue de face de ces modules
– qui alternent des cases pleines de métal mat noir, des cases vides et des cases grillagées,
– les cases grillagées étant destinées à la fixation de plantes à la verticale
– le placement de ces formes cubiques dans un cadre de 2 m sur 2,1 m de telle sorte qu’il donne l’impression d’une disposition aléatoire et naturelle, ce qui a requis de l’ingéniosité dans l’agencement, la dimension, la forme et le placement compte tenu des contraintes techniques.
26. Il en résulte d’abord que l’oeuvre invoquée n’est pas l’installation ‘Out of the box’ dans son ensemble mais le panneau végétalisé ‘Moucharabieh’ pris individuellement (dont une représentation de quelques exemplaires figurant aux conclusions de la demanderesse est reproduite ci-dessous, l’image de gauche montrant un exemplaire unique tandis que l’image de droite en montre plusieurs assemblés).
27. La forme rectangulaire, sa taille d’environ 2 mètres de côté, la station verticale, la capacité d’imbrication pour former de longues parois (délimitant au besoin un espace), sont des caractéristiques banales. L’alternance de cases pleines, de cases vides et de cases grillagées (pour l’accrochage des plantes) est une organisation de la paroi qui n’est pas en soi originale et se retrouve au demeurant dans des exemples antérieurs tels que ceux communiqués par les parties et examinés dans le jugement du 7 juin 2023 (par exemple celui représenté à nouveau ci-dessous, intitulé Le Mur vert).
28. Cette organisation s’inspire en outre clairement des peintures de Mondrian et d’autres artistes du XXe siècle cités par les défendeurs (tels que [E] [O], dont une oeuvre figurant à leurs conclusions est reproduite ci-dessous).
29. L’application de cette esthétique à une paroi verticale de 2m sur 2,1m, en incorporant des végétaux, n’est donc pas propre à Mme [R] et n’est donc pas originale. Le choix particulier d’une couleur noir mate est également un caractéristique usuelle. Quant au fait d’évider certains rectangles pour créer une transparence partielle, il s’agit certes d’une innovation mais elle ne suffit pas à refléter la personnalité de son auteur, les effets de transparence partielle étant au demeurant relativement courants. Même combinées, les caractéristiques invoquées ne sont donc pas originales.
30. Par conséquent, la paroi végétalisée ‘Moucharabieh’ de Mme [R] n’est pas protégeable par le droit d’auteur et les demandes formées à ce titre sont rejetées.
II . Demandes en contrefaçon de modèle non enregistré
31. L’article 11 du règlement 6/2002 du 12 décembre 2001 assure une protection d’une durée de 3 ans, à compter de leur première divulgation au public dans l’Union européenne, aux dessins ou modèles non enregistrés, c’est-à-dire, selon les définitions posées par l’article 1er point a) et l’article 3, point a) du règlement, « l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit que lui confèrent, en particulier, les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui-même et/ou de son ornementation » et qui a été divulguée au public selon les modalités prévues par le règlement, c’est-à-dire « s’il a été publié, exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière de telle sorte que, dans la pratique normale des affaires, ces faits pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté » sauf le cas d’une divulgation secrète.
32. En vertu de l’article 4, paragraphe 1, du règlement, la protection d’un dessin ou modèle communautaire n’est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel.
33. Au cas présent, le tribunal a jugé entre les parties que le modèle non enregistré correspondant aux panneaux ‘Moucharabieh’ en cause présentait un caractère individuel. Il en résulte a fortiori qu’il est nouveau. Le tribunal a également jugé entre les parties que Mme [R] en était titulaire.
34. La protection conférée par un dessin ou modèle communautaire non enregistré est régie par l’article 10 du règlement, selon lequel cette protection s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente, son étendue devant être appréciée en tenant compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.
35. Dans ce cadre, en vertu de l’article 19 du règlement, le dessin ou modèle non enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser, ce qui inclut la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation ou l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins, mais seulement à condition que l’utilisation contestée résulte d’une copie du dessin ou modèle protégé. L’utilisation contestée n’est pas considérée comme résultant d’une copie du dessin ou modèle protégé si elle résulte d’un travail de création indépendant réalisé par un créateur dont on peut raisonnablement penser qu’il ne connaissait pas le dessin ou modèle divulgué par le titulaire.
36. En vertu de l’article L. 515-1 du code de la propriété intellectuelle, l’atteinte à ce droit est une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur.
37. Les parois litigieuses (telles qu’elles sont visibles dans la vidéo réalisée par le Midi libre dans les serres du groupement Tillandsia lors de l’accrochage sur elles des plants de tillandsia en janvier 2020 ainsi que sur les photographies prises lors de la saisie-contrefaçon et telles qu’elles sont décrites dans le procès-verbal de saisie) consistent en des structures métalliques noires de 2 mètres de haut sur 1,51 mètre de large formant un cadre dans lequel des barres métalliques noires assez fines (de même largeur environ que le cadre) délimitent des espaces vides (majoritaires) ou remplis soit d’une plaque métallique noire pleine, soit d’une plaque métallique noire parsemée de petits trous rectangulaires (de tailles variables), soit de plants de tillandsia, soit d’autres matières (ressemblant à du bois ou de la pierre), soit d’un miroir, soit enfin partiellement occupés par des morceaux de bois blanc. Les différentes parois ne contiennent pas toutes les mêmes éléments (toutes n’ont pas de miroir ou de plaque métallique pleine, notamment). Ces espaces sont le plus souvent rectangulaire mais ont aussi, dans certains cas, une forme irrégulière (à 6 côtés). Deux exemples comparés extraits des conclusions de la demanderesse sont reproduits ci-dessous (à gauche le modèle de Mme [R], à droite deux parois litigieuses).
38. Ces modèles, au-delà de leur verticalité et de la présence de plantes qui relève de leur nature de paroi végétale et sont donc indifférentes, et indépendamment de la possibilité de les emboiter qui est une caractéristique exclusivement technique (dont au demeurant l’impact visuel n’est pas explicité), ont en commun un cadre métallique noir assez fin délimitant des espaces variables contribuant à une impression de faible épaisseur et de légèreté.
39. Néanmoins, pour le reste, ces modèles se distinguent par de nombreux éléments contribuant également à l’impression globale qu’ils produisent sur l’utilisateur averti. Les rectangles des modèles de Mme [R] apparaissent plus petits que ceux des modèles litigieux, plus souvent remplis de plantes et d’orientations plus variées alors que dans les modèles litigieux l’orientation majoritaire est verticale et la plus grande taille des espaces, eux-mêmes pas toujours rectangulaires, donne une plus grande importance visuelle au vide. L’effet de cette différence de structure est renforcé par la plus grande variété des matières et des éléments utilisés (plaque à trou, morceaux de bois, plaque de pierre ou de bois, miroir). Il se dégage ainsi de chaque paroi litigieuse prise dans son ensemble une impression visuelle nettement moins dominée par les plantes, le sentiment d’une structure différente, moins précise, plus fragile que dans les modèles de la demanderesse.
40. Il en résulte que malgré leur inspiration commune, les modèles litigieux ne produisent pas sur l’utilisateur averti la même impression globale que les modèles de Mme [R].
41. Par conséquent, les demandes fondées sur la contrefaçon de modèle sont rejetées.
III . Demandes subsidiaires en concurrence déloyale et parasitaire
42. La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité civile édicté par l’article 1240 du code civil, consiste en des agissements s’écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre. L’appréciation de la faute doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits.
43. Constitue également une concurrence déloyale et est ainsi fautif au sens de l’article 1240 du code civil le fait, pour un agent économique, de se placer dans le sillage d’une entreprise en profitant indument des investissements consentis ou de sa notoriété, ou encore de ses efforts et de son savoir-faire ; qualifié de parasitisme, il résulte d’un ensemble d’éléments appréhendés dans leur globalité (Cass. Com., 4 février 2014, n°13-11.044 ; Cass. Com., 26 janvier 1999, n° 96-22.457), et qu’il faut interpréter au regard du principe de liberté du commerce et de l’industrie.
44. Dès lors qu’elle est invoquée à titre subsidiaire, la concurrence déloyale peut se fonder sur les mêmes faits que la contrefaçon.
45. Les éléments communs entre les objets en cause portent sur leur nature (des parois en partie végétalisées) et leur style (un cadre et des délimitations en métal noir assez fines). Ces éléments ne sont pas distinctifs ou identifiants, en ce sens qu’ils ne sont pas associés, par les personnes à qui ils sont présentés (organisateurs d’évènements et personnes intéressées par les jardins), comme rattachant l’objet à une entreprise déterminée. Ces similitudes ne créent donc pas de risque de confusion.
46. S’agissant du parasitisme, les objets litigieux ne reprennent pas les investissements allégués par la demanderesse qui portent sur la fabrication de ses parois et la réflexion nécessaire au détail de leur agencement harmonieux, deux éléments non repris par les modèles litigieux qui procèdent d’une fabrication indépendante et résultent d’un autre choix. Ils ne sont en définitive que l’imitation du style, qui n’est pas en soi fautive, même si elle résulte de la participation antérieure à un projet commun. Les faits reprochés aux défendeurs ne sont donc pas constitutifs de parasitisme.
47. Enfin, Mme [R] reproche au groupement Tillandsia « d’associer » les « installations Moucharabiehs » de 2018 à sa propre activité. Toutefois, outre qu’elle n’invoque pour le prouver que le résultat d’une recherche Google « Tillandsia prod » montrant, parmi les résultats d’images, une photographie de l’installation ‘Out of the box’, ce qui ne permet pas de démontrer que c’est bien le groupement Tillandsia qui est à l’origine de cette association, une telle association est en toute hypothèse licite dès lors que le groupement Tillandsia a participé à l’élaboration de cette installation et est donc légitime à s’en prévaloir pour présenter son activité et ses réalisations.
48. Par conséquent, les demandes sont rejetées.
IV . Dispositions finales
49. Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. L’article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu’il détermine, en tenant compte de l’équité et de la situation économique de cette partie.
50. Mme [R] perd le procès et est donc tenue aux dépens. Elle doit également indemniser les défendeurs de leurs frais, en tenant compte du fait qu’il s’agit d’une association et d’une petite entreprise. En l’absence, toutefois, de tout justificatif de leur montant, le montant doit être estimé à 7 000 euros pour chacun des deux défendeurs soit 14 000 euros au total.
51. L’exécution provisoire est de droit et rien ne justifie de l’écarter ici.
Le tribunal :
Rejette l’ensemble des demandes de Mme [R] ;
Condamne Mme [R] aux dépens ainsi qu’à payer 7 000 euros au groupement Tillandsia prod et 7 000 euros à l’association Orchidée Languedoc au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 21 Juin 2024
Le greffierLa Présidente
Quentin CURABETIrène BENAC
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