Tribunal judiciaire de Paris, 21 juin 2024
Tribunal judiciaire de Paris, 21 juin 2024

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris

Thématique : La contrefaçon d’un conditionnement

Résumé

La contrefaçon d’un conditionnement, en l’occurrence la boîte Klairview, est établie lorsque l’impression visuelle globale est identique pour l’utilisateur averti. Selon le règlement n°6/2002, un dessin ou modèle est protégé s’il est nouveau et présente un caractère individuel. La société Groupe Guillin accuse First FFC de commercialiser des boîtes reproduisant leur modèle, constituant ainsi des actes de contrefaçon. First FFC conteste la validité du modèle, arguant que les similitudes résultent de contraintes techniques. Le tribunal devra trancher sur la validité du modèle et la contrefaçon alléguée, ainsi que sur les demandes de dommages et intérêts.

La contrefaçon d’un conditionnement (boîte bi-matière carton/plastique à couvercle séparé nommée Klairview) est établie sur le terrain des dessins et modèles si l’impression visuelle globale est identique pour l’utilisateur averti.

En application de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n°6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires , la protection d’un dessin ou modèle communautaire n’est assurée que “dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel”.

L’article 5 du même règlement précise qu’un dessin ou modèle est considéré comme nouveau “si aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué au public” et l’article 6 qu’un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel “si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public (…) avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement. Pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle”.

L’examen s’effectue au regard des antériorités opposées, l’impression globale que le dessin ou modèle produit sur l’utilisateur averti devant être différente de celle produite sur un tel utilisateur non pas par une combinaison d’éléments isolés, tirés de plusieurs dessins ou modèles antérieurs, mais par un ou plusieurs dessins ou modèles antérieurs, pris individuellement (CJUE, 19 juin 2014, C-345/13, Karen Millen fashions ltd).

L’article 8, paragraphe 1, du règlement précise que : “un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l’apparence d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique.”

Interprétant cette disposition, la Cour de justice a dit pour droit que, pour apprécier si des caractéristiques de l’apparence d’un produit sont exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci, il y a lieu d’établir que cette fonction est le seul facteur ayant déterminé ces caractéristiques, ce qui doit être fait au regard de toutes les circonstances objectives pertinentes de chaque cas d’espèce, sans se fonder sur la perception d’un observateur objectif, et sans que l’existence de dessins ou modèles alternatifs soit déterminante (CJUE, 8 mars 2018, C-395/16, Doceram).

Aux termes de l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 6/2002 précité, le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser et d’interdire à tout tiers de l’utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation ou l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins.

L’étendue de la protection d’un dessin ou modèle communautaire est régie par l’article 10 du règlement 6/2002, dans les termes suivants :“1. La protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente.

Pour apprécier l’étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.”

Selon l’article L. 515-1 du code de la propriété intellectuelle, “Toute atteinte aux droits définis par l’article 19 du règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001,sur les dessins ou modèles communautaires constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur”.

Résumé de l’affaire

L’affaire oppose la société Groupe Guillin et sa filiale Alphaform à la société First FFC concernant la contrefaçon d’un modèle communautaire de boîtes d’emballage en carton/plastique. Les demanderesses accusent la société First FFC de commercialiser des boîtes Klairview reproduisant les caractéristiques de leur modèle, constituant ainsi des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale. Elles demandent des dommages et intérêts ainsi que des mesures d’interdiction et de rappel des produits contrefaisants. La société First FFC conteste la validité du modèle communautaire et nie toute contrefaçon, soutenant que les similitudes sont dues à des contraintes techniques et des éléments communs au domaine public. Elle demande également des dommages et intérêts pour procédure abusive. L’affaire est en attente de jugement.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

21 juin 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
22/06993
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

N° RG 22/06993
N° Portalis 352J-W-B7G-CW7ZK

N° MINUTE :

Assignation du :
27 mai 2022

JUGEMENT
rendu le 21 Juin 2024
DEMANDERESSES

S.A. GROUPE GUILLIN
[Adresse 6]
[Localité 1]

S.A.S. ALPHAFORM
[Adresse 3]
[Localité 2]

représentées par Maître Raphaëlle DEQUIRÉ-PORTIER de l’AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #T0003

DÉFENDERESSE

S.A.S. FIRST FFC
[Adresse 4]
[Localité 5]

représentée par Maître Pouya AMIRI de la SELARL L&KA AVOCATS – KAB, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0176

Copies délivrées le :
– Maître Raphaëlle DEQUIRÉ-PORTIER #T03
– Maître Pouya AMIRI #K176

Décision du 21 juin 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 22/06993 – N° Portalis 352J-W-B7G-CW7ZK

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Vera ZEDERMAN, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistés de Quentin CURABET, greffier

DEBATS

A l’audience du 05 Avril 2024 tenue en audience publique, avis à été donné aux avocats que la décision serait rendue le 21 juin

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Groupe Guillin est notamment titulaire du dessin et modèle communautaire n°005217049-0001 enregistré le 6 avril 2018 couvrant les 27 pays de l’Union européenne en classe 09.03 pour des “boîtes d’emballage en carton, boîtes d’emballage en matière plastique” sous la forme suivante :
Sa filiale, la SAS Alphaform, en est licenciée inscrite depuis le 3 octobre 2019 ; elle fabrique et distribue les produits.
Par acte du 27 mai 2022, elles ont fait assigner la SAS First FFC devant le tribunal judiciaire de Paris. Elles lui reprochent de commercialiser depuis le 23 septembre 2021 une boîte bi-matière carton/plastique à couvercle séparé nommée Klairview dans trois références, 210KVIEW500, 210KVIEW700 et 210KVIEW1000, incorporant selon elles le modèle communautaire ce qui constitue à la fois des actes de contrefaçon du modèle communautaire de la société Groupe Guillin et des actes de concurrence déloyale à l’égard de la société Alphaform.
Dans leurs dernières conclusions signifiées le 16 mai 2023, les sociétés Groupe Guillin et Alphaform demandent au tribunal de :A titre principal :
– condamner la société First FFC à payer à la société Guillin la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts provisionnels à valoir sur la réparation du préjudice lié à la perte de redevances résultant des actes de contrefaçon de son modèle communautaire n°005217049-0001,
– condamner la société First FFC, à payer à la société Alphaform la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts provisionnels, à valoir sur la réparation du préjudice commercial causé par les actes de contrefaçon du modèle communautaire qui constituent à son égard des actes de concurrence déloyale ;
A titre subsidiaire :
– condamner la société First FFC à leur payer les mêmes sommes sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire ;
En tout état de cause,
– nommer un expert pour fournir au tribunal tous éléments lui permettant de déterminer la masse contrefaisante et le préjudice jusqu’à la date de la décision définitive à intervenir et de tous documents détenus par la société First FFC portant sur les quantités des produits contrefaisants importées, commercialisées, livrées, reçues ou commandées dans l’ensemble du territoire de l’Union européenne, ainsi que le bénéfice réalisé sur celui-ci ;
– interdire à la société First FFC et à ses établissements toute fabrication, offre, mise sur le marché, importation, exportation, utilisation, distribution et vente en France, des boîtes Klairview référencées 210KVIEW500, 210KVIEW700 et 210KVIEW1000, et de tout autre produit identique vendu sous une référence différente sur le territoire français et sur le territoire de l’Union européenne, sous astreinte,
– ordonner le rappel, et la destruction des produits contrefaisants,
– condamner la société First FFC à payer à la société Groupe Guillin la somme de 75.000 euros en réparation du préjudice subi en raison de l’atteinte portée à son modèle communautaire n°005217049-0001, celles de 20.000 euros en réparation du préjudice moral,
– condamner la société First FFC à payer à la société Alphaform la somme de 20.000 euros en réparation du préjudice moral subi,
– les autoriser à faire publier le jugement à intervenir aux frais de la société First FFC,
– débouter la société First FFC de l’ensemble de ses demandes, la condamner la société First FFC aux dépens et à leur payer la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
sous le bénéfice de l’exécution provisoire.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 12 avril 2023, la société First FFC demande au tribunal de :- déclarer la nullité du modèle communautaire n°005217049-0001 déposé le 6 avril 2018 par
la société Groupe Guillin à l’EUIPO,
– débouter les sociétés Groupe Guillin et Alphaform de l’ensemble de leurs prétentions,
– condamner solidairement les sociétés Groupe Guillin et Alphaform à lui payer la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts pour agissements déloyaux,
– écarter l’exécution provisoire,
– condamner solidairement les sociétés Groupe Guillin et Alphaform aux dépens et à lui verser la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 1er juin 2023.

MOYENS DES PARTIES

Les demanderesses font valoir que :- le modèle enregistré combine une douzaine de caractéristiques visuelles de la base et du couvercle pris ensemble, ce qui n’est le cas d’aucune des 9 antériorités opposées, dont deux n’ont pas d’existence certaine (Panier et Samouraï), de sorte qu’il est nouveau,
– les antériorités prétendues produisent une impression visuelle globale très différente de par leurs proportions, angles, rabats, encoches etc. différents, en particulier pour les modèles les plus proches (modèles communautaires n°01186456-0001 devenu la boîte Fuzione de la société Colpac qui n’a pas de couvercle ou n°002718429-0001 comportant un couvercle intégré) de sorte qu’il a un caractère individuel,
– les caractéristiques du modèle ne sont pas dictées par leur fonction, comme en témoigne la variété des emballages alimentaires présents sur le marché.

Selon elles, la boîte Klairview reproduit toutes les caractéristiques de leur modèle et produit une impression visuelle d’ensemble identique sur l’observateur averti et l’affirmation de la défenderesse sur la distinction entre eux est insuffisamment détaillée de sorte que la contrefaçon est établie et constitue un acte de concurrence déloyale à l’égard de la société Alphaform qui distribue le produit sur ce modèle.La société Groupe Guillin indique que son préjudice est constitué par la banalisation et la dépréciation de son modèle, la perte de redevance qui aurait été due en cas de licence et un préjudice moral et la société Alphaform invoque son manque à gagner et un préjudice moral, pour lesquels elles demandent des provisions sur réparation et l’exercice d’un droit d’information sur les produits fabriqués pour le déterminer précisément.

A titre subsidiaire, elles soutiennent que la reprise servile des caractéristiques (formes, couleurs et dimensions) de leurs boîtes Luxifood par la société First FFC est de nature à créer une confusion, et constitue un agissement parasitaire vu les investissements considérables qu’elles ont faits pour le lancement et la promotion de 2018 à 2022 dans l’Union européenne, à quoi s’ajoute un effet de gamme.Il en est résulté des profits illicites de la société First FFC d’autant plus important que les copies sont réalisées dans des matériaux de moindre qualité et qui ne sont pas recyclables, au contraire des boites Luxifood.

Enfin, elles s’opposent aux demandes reconventionnelles injustifiées.
La société First FFC soutient que le modèle enregistré présente n’est pas nouveau, ni individuel, comme antériorisé par ses modèles Kray et Samouraï de 2009 et Panier de 2014 ou encore les modèles communautaires n°01186456-011 et n°001186456-001 de 2009 devenu la boîte Fuzione de la société Colpac, dont les différences avec le modèle sont insignifiantes ; elle ajoute que l’intégralité des caractéristiques revendiquées ne font que répondre aux exigences techniques imposées par la fonction des produits qui doivent ainsi être dotés d’une base rigide et étanche, qui puisse être fermée et contenir un certain volume d’aliments, de sorte que le modèle invoqué est nul.
Elle conteste la contrefaçon au motif que les boites Klarview se distinguent très nettement du modèle communautaire par leur couleur, taille, profondeur, forme des encoches de la base et du couvercle, les éventuelles similitudes s’expliquant par des emprunts communs au domaine public, par le caractère fonctionnel des éléments, par les règles de l’art et par le genre des produits concernés.
S’agissant du fondement subsidiaire de concurrence déloyale, la société First FFC conteste tout risque de confusion au regard des mêmes motifs que ceux soutenus à l’appui de la nulité du modèle ainsi que le parasitisme en ce qu’elle a elle-même élaboré ses produits et les a commercialisés sous sa marque qui jouit d’une réputation dans le secteur de l’emballage, et n’ aucunement bénéficié des investissements des demanderesses.
Elle justifie sa demande reconventionnelle à titre de dommages et intérêts au motif que la présente procédure a été engagée pour l’intimider et écarter ainsi un concurrent.

MOTIVATION

I . Sur la demande principale en contrefaçon de modèle communautaire enregistré

1 . Sur la validité du modèle

En application de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n°6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires , la protection d’un dessin ou modèle communautaire n’est assurée que “dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel”. L’article 5 du même règlement précise qu’un dessin ou modèle est considéré comme nouveau “si aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué au public” et l’article 6 qu’un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel “si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public (…) avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement. Pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle”.
L’examen s’effectue au regard des antériorités opposées, l’impression globale que le dessin ou modèle produit sur l’utilisateur averti devant être différente de celle produite sur un tel utilisateur non pas par une combinaison d’éléments isolés, tirés de plusieurs dessins ou modèles antérieurs, mais par un ou plusieurs dessins ou modèles antérieurs, pris individuellement (CJUE, 19 juin 2014, C-345/13, Karen Millen fashions ltd).
L’article 8, paragraphe 1, du règlement précise que : “un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l’apparence d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique.”
Interprétant cette disposition, la Cour de justice a dit pour droit que, pour apprécier si des caractéristiques de l’apparence d’un produit sont exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci, il y a lieu d’établir que cette fonction est le seul facteur ayant déterminé ces caractéristiques, ce qui doit être fait au regard de toutes les circonstances objectives pertinentes de chaque cas d’espèce, sans se fonder sur la perception d’un observateur objectif, et sans que l’existence de dessins ou modèles alternatifs soit déterminante (CJUE, 8 mars 2018, C-395/16, Doceram).
Le modèle enregistré représenté au point 1 supra est une boîte constituée d’une base en carton rigide et d’un couvercle indépendant en plastique transparent.La base est en forme de trapèze évasé et comportant un rabat extérieur dont les angles sont biseautés et comportent chacun 2 encoches rectangulaires.
Le couvercle est en forme de deux trapèzes superposés dont le trapèze supérieur est plus petit que celui sur lequel il est posé qui épouse la taille du rabat de la base et dont les 4 angles sont biseautés et comportent chacun 2 reliefs au niveau des encoches du rabat permettant de le fixer sur la base en carton.

Le modèle enregistré portant sur la base et le couvercle adapté, sa validité sera examinée au regard de cet ensemble, et il est indifférent que la société Alphaform offre à la vente ses boites Luxifood aussi bien couvercle et base ensemble que séparés.
L’utilisateur averti est ici le public professionnel ou non intéressé par ou usager des récipients pour la vente d’aliments ou la restauration rapide. La liberté de création est au moins moyenne car les formes, les volumes et le mode de fixation du couvercle sont très variables ; quant aux contraintes d’étanchéité ou de rigidité des matériaux à employer, elles n’influent pas au cas présent sur l’aspect extérieur, seul protégé par le modèle.
La société First FFC invoque divers emballages alimentaires à titre d’antériorités.
– “des modèles de la gamme Kray”figurant dans le catalogue Fusion nomade de septembre 2009 (sa pièce n°11)Sur les 3 photographies de la page 9 des conclusions de la société First FFC, une seule se retrouve dans la pièce produite (ce que les conclusions adverses avaient expressément relevé) ; elle ne présente aucune ressemblance avec le modèle : la forme de la base, ni celle du couvercle ne sont trapézoïdales, il n’y a pas de rabat, de biseaux, ni d’encoches.

– un modèle “Panier” figurant dans le catalogue Packnwood printemps hiver 2014 (sa pièce n°12) Le tribunal ne retrouve pas l’unique photographie de la page 10 des conclusions de la société First FFC (ce que les conclusions adverses avaient expressément relevé) dans la pièce produite qui représente en revanche les modèles Kray précités.
– un modèle “Samouraï” figurant dans le catalogue Fusion nomade de septembre 2009 (sa pièce n°6) Ici encore, le tribunal ne retrouve pas l’unique photographie de la page 10 des conclusions de la société First FFC (ce que les conclusions adverses avaient expressément relevé) dans la pièce produite qui présente sous ce nom des modèles dont la base trapézoïdale n’a pas de rabat, dont le couvercle est un trapèze simple et non double, qui ne présente pas d’encoche pour la fixation du couvercle.

– le modèle communautaire n°01186456-0001 devenu la boîte “Fuzione hybrid” de la société Colpac (ses pièces n°2 et 4) Ce modèle de barquette ne comporte pas de couvercle et présente un rabat échancré dans les angles (et non biseauté) dans lequel aucune encoche n’est pratiquée, produisant un effet bien différent du large rabat biseauté à angles vifs caractéristique du modèle de la société Groupe Guillin.
La boîte Fuzione présente le même rabat échancré mais comporte un couvercle. Celui-ci n’a pas la forme d’un double trapèze et se ferme par insertion du rabat dans un pli extérieur du couvercle, système décrit comme “snap the lid” (claque le couvercle) sans encoche. Contrairement aux affirmations de la société First FFC, le couvercle ne se bloque pas dans ce qu’elle qualifie improprement d’encoche ouverte (ce ne serait d’ailleurs plus une encoche).

– le modèle communautaire n°002718429-0001 (sa pièce n°5) La pièce versée au dossier ne montre pas la figure représentée sur la page 13 des conclusions de la société First FFC mais celles reproduites ci-dessous : c’est un modèle de contenant alimentaire (packaging for foodstuffs) avec un couvercle transparent intégré qui se rabat et se fixe à l’avant grâce à deux encoches. La base trapézoïdale comporte un petit rabat dissimulé par un couvercle plat et se fixe sur un seul côté par seulement 2 encoches et non 8. 

Elle présente enfin plusieurs modèles de couvercles dont aucun n’a la forme de double trapèze ni ne comporte de reliefs destinés à s’imbriquer dans des encoches de la base.
La société First FFC ne démontre pas que les caractéristiques décrites au point 19 seraient exclusivement imposées par la fonction technique de la boîte et il apparaît au contraire que le large rabat à encoches et de la forme générale de trapèzes empilés ne sont pas des choix fonctionnels.
Aucun des modèles invoqués par la société First FFC et examinés ci-dessus n’est identique au modèle, qui est donc nouveau, et aucun ne produit une impression visuelle globale identique au vu des nettes différences d’aspect également explicitées ci-dessus, de sorte qu’il a un caractère individuel.
La demande de nullité du modèle est donc rejetée.
2 . Sur la contrefaçon

Aux termes de l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 6/2002 précité, le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser et d’interdire à tout tiers de l’utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation ou l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins.
L’étendue de la protection d’un dessin ou modèle communautaire est régie par l’article 10 du règlement 6/2002, dans les termes suivants :“1. La protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente.
2. Pour apprécier l’étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.”

Selon l’article L. 515-1 du code de la propriété intellectuelle, “Toute atteinte aux droits définis par l’article 19 du règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001,sur les dessins ou modèles communautaires constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur”.
La société Groupe Guillin a fait constater par commissaire de justice le 10 mars 2022 que, sur le site internet dont la société First FFC est éditrice, celle-ci offrait notamment à la vente trois modèles nommés Klairview ainsi décrits :

Tout comme le modèle enregistré de la société Groupe Guillin représenté au point 1 supra, la boîte Klairview est une boîte constituée d’une base en carton rigide et d’un couvercle indépendant en plastique transparent.La base est en forme de trapèze évasé et comporte un rabat extérieur dont les angles sont biseautés et comportent chacun 2 encoches rectangulaires très apparentes.
Le couvercle est transparent, en forme de deux trapèzes superposés dont le trapèze supérieur est plus petit que celui sur lequel il est posé qui épouse la taille du rabat de la base et dont les 4 angles sont biseautés et comportent chacun 2 reliefs au niveau des encoches du rabat permettant de le fixer sur la base en carton.

Les différences alléguées en deux lignes par la société First FFC de couleur, taille, profondeur, forme des encoches de la base et du couvercle ne sont pas explicitées. Le tribunal observe que les 8 encoches sont plus courtes et que les angles sont moins vifs sur la boite Klairview que sur le modèle.
S’agissant de la couleur, le carton de la boîte Klairview est de beige et non blanc cassé mais le modèle n’est pas déposé en couleurs et le rabat caractéristique de la base est blanc dans la boîte Clairview et non beige.
S’agissant des dimensions, elles ne sont pas précisées dans le modèle déposé qui présente plusieurs tailles (images 2 et 3 du point 1). Les trois modèles offerts à la vente présentent des formes similaires.

Les différences avec celles du modèle n’atténuent donc pas l’impression visuelle globale identique pour l’utilisateur averti.
La contrefaçon est établie.
3 . Sur la réparation

L’article L. 521-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit que “Si la demande lui en est faite, la juridiction saisie au fond ou en référé d’une procédure civile prévue au présent titre peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits argués de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argués de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services.La production de documents ou d’informations peut être ordonnée s’il n’existe pas d’empêchement légitime.”

L’article L. 521-7 du même code prévoit, en application de l’article 13 de la directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée, le préjudice moral causé à cette dernière et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
L’article L. 521-8 ajoute qu’en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants, les matériaux et instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée.
L’article L. 521-2 prévoit que toute partie à un contrat de licence est recevable à intervenir à l’action en contrefaçon afin d’obtenir réparation du préjudice qui lui est propre.
Ces textes sont applicables également aux modèles communautaires en vertu de l’article L. 522-1 du code de la propriété intellectuelle.
Les chefs de préjudice économique énoncés par la société Groupe Guillin du fait de la contrefaçon (banalisation et dépréciation de son modèle et perte de redevance) apparaissent fondés dans leur principe, de même que la réalité d’un préjudice moral.
Le manque à gagner et le préjudice moral invoqués par la société Alphaform sont consécutifs à la contrefaçon du modèle dont elle est licenciée et recevable à agir sur ce fondement de sorte que la référence à la concurrence déloyale est ici inutile. Ils sont bien fondés dans leur principe.
Au vu de l’article L. 521-7 précité, le préjudice résultant de la contrefaçon est fixé globalement au regard de plusieurs paramètres et les demanderesses sont mal fondées à demander la liquidation de certains aspects de leur préjudice et une provision sur d’autres.
Les parties ne fournissent aucun élément sur la masse contrefaisante ni sur les quantités, prix et marges relatives aux produits en litige de sorte que le tribunal ne dispose d’aucun élément de nature à évaluer les provisions à accorder au titre du préjudice économique.
Les sociétés Groupe Guillin et Alphaform ne demandent pas à exercer directement leur droit d’information sur les produits fabriqués pour déterminer le préjudice, demandant à ce que cette diffusion ait lieu dans le cadre d’une expertise judiciaire. Cependant l’analyse des éléments dont il est demandé communication n’apparaît pas nécessiter les lumières d’un technicien, de sorte qu’il y a lieu d’ordonner seulement la communication des pièces nécessaires à la détermination du préjudice selon les modalités précisées au dispositif.
Il est justifié par les éléments du débat et le préjudice moral d’allouer à la société Groupe Guillinet à la société Alphaform chacune une somme de 6.000 euros à titre de provision à valoir sur l’indemnisation de leur préjudice.
Au regard de la contestation des faits, il y a lieu de faire droit à la demande d’interdiction de la commercialisation des boites Klairview référencées 210KVIEW500, 210KVIEW700 et 210KVIEW1000, sous astreinte, et d’ordonner la destruction des stocks de ces produits sous contrôle d’un commissaire de justice.
La mesure de publication demandée n’apparaît pas nécessaire à la réparation du préjudice.
II . Sur la demande reconventionnelle

Dans la mesure où il est fait droit à toutes les demandes principales, la demande reconventionnelle en réparation du préjudice consécutif à un abus de procédure est manifestement mal fondée et elle est rejetée.
III . Dispositions finales

La société First FFC, qui succombe, est condamnée aux dépens, qui incluent partiellement les frais de saisie-contrefaçon, et à payer à la société A.R. la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aucune circonstance ne justifie d’écarter l’exécution provisoire de droit du présent jugement.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Déboute la société First FFC de sa demande de nullité du modèle communautaire n°005217049-0001 enregistré le 6 avril 2018 de la société Groupe Guillin ;

Interdit à la société First FFC toute fabrication, offre, mise sur le marché, importation, exportation, utilisation, distribution et vente en France, des boîtes Klairview référencées 210KVIEW500, 210KVIEW700 et 210KVIEW1000, et de tout autre produit identique vendu sous une référence différente, et ce sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter d’un délai de 15 jours à compte de la signification du jugement à intervenir sur le territoire de l’Union européenne ;

Ordonne à la société First FFC de communiquer à la société Groupe Guillin et la société Alphaform une attestation certifiée conforme par un expert-comptable indépendant des quantités des produits référencés 210KVIEW500, 210KVIEW700 et 210KVIEW1000 importés, commercialisés, livrées, reçues ou commandées sur le territoire de l’Union européenne depuis le 6 avril 2018, ainsi que le bénéfice réalisé sur les ventes de ces produits sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne par la société First FFC et ses établissements dans les 60 jours de la signification du présent jugement ;

Ordonne le rappel et la destruction sous contrôle de commissaire de justice aux frais de la société First FFC dans les 30 jours de la signification du présent jugement des boîtes Klairview référencées 210KVIEW500, 210KVIEW700 et 210KVIEW1000 sur le territoire de l’Union européenne;

Condamne la société First FFC à payer à la société Groupe Guillin une provision de 6.000 euros à valoir sur l’indemnisation de son préjudice ;

Condamne la société First FFC à payer à la société Alphaform une provision de 6.000 euros à valoir sur l’indemnisation de son préjudice ;

Déboute les sociétés First FFC de sa demande reconventionnelle ;

Déboute la société Groupe Guillin et la société Alphaform de leur demande de publication ;

Condamne la société First FFC aux dépens de l’instance ;

Condamne la société First FFC à payer à la société Groupe Guillin et la société Alphaform en semble la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 21 Juin 2024

Le greffierLa Présidente
Quentin CURABETIrène BENAC

 

 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon