Tribunal judiciaire de Paris, 19 novembre 2024, RG n° 24/53551
Tribunal judiciaire de Paris, 19 novembre 2024, RG n° 24/53551

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris

Thématique : Responsabilité et autorisation des opérations de paiement : enjeux de la négligence et du remboursement.

Résumé

Contexte de l’affaire

M. [R] a effectué deux virements de 6 000 euros chacun à M. [C] le 2 septembre 2022, pensant qu’il ne devait en faire qu’un seul. Il soutient que le second virement a été déclenché par une erreur de l’application bancaire, sans qu’il ait eu l’intention de l’initier. M. [R] a ensuite demandé le remboursement de cette somme, affirmant que M. [C] avait reconnu sa dette mais n’avait pas procédé au remboursement.

Arguments de M. [R]

M. [R] argue qu’il n’était pas tenu de vérifier auprès de sa banque si le premier virement avait été effectué avant de saisir à nouveau son mot de passe. Il réclame également 5 000 euros pour résistance abusive, invoquant l’article 1240 du code civil, en raison du refus de M. [C] de rembourser la somme due et de l’absence de réponse de la Société générale à ses mises en demeure.

Position de la Société générale

La Société générale conteste les demandes de M. [R], affirmant que ce dernier a autorisé le virement en saisissant son mot de passe. Elle soutient que la demande de remboursement est forclose, car elle a été faite plus de 13 mois après l’opération. La banque argue également qu’elle n’a commis aucune faute et que M. [R] a fait preuve de négligence en ne contactant pas sa banque immédiatement après le dysfonctionnement.

Analyse du juge des référés

Le juge des référés a examiné la situation en se basant sur les articles du code monétaire et financier. Il a constaté que le second virement, effectué 26 secondes après le premier, était le résultat d’une erreur manifeste de l’application. La Société générale a reconnu cette erreur dans ses communications ultérieures. Le juge a également noté que M. [R] avait signalé l’opération non autorisée dans le délai imparti.

Décision du tribunal

Le tribunal a condamné M. [C] et la Société générale à rembourser à M. [R] la somme de 6 000 euros, considérant que l’obligation de remboursement n’était pas sérieusement contestable. De plus, M. [C] a été condamné à verser 1 000 euros à M. [R] pour résistance abusive. La demande de la Société générale contre M. [C] a été déclarée irrecevable, et les deux parties ont été condamnées aux dépens de l’instance.

Conclusion

La décision a été rendue le 19 novembre 2024, avec des dispositions pour le remboursement et des intérêts, ainsi qu’une indemnisation pour le préjudice moral de M. [R].

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

N° RG 24/53551 – N° Portalis 352J-W-B7I-C4PR7

N° : 1

Assignation du :
09 et 16 Avril 2024

[1]

[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 19 novembre 2024

par Sophie COUVEZ, Vice-présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Pascale GARAVEL, Greffier.
DEMANDEUR

Monsieur [J] [R]
[Adresse 2]
[Localité 5]

représenté par Me Mohammed BENCHEKROUN, avocat au barreau de PARIS – #B0249

DEFENDEURS

1- Monsieur [Z] [C]
[Adresse 1]
[Localité 6]

non constitué

2- La S.A. SOCIETE GENERALE
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Me Caroline MEUNIER, avocat au barreau de PARIS – #K0126

DÉBATS

A l’audience du 07 Octobre 2024, tenue publiquement, présidée par Sophie COUVEZ, Vice-présidente, assistée de Pascale GARAVEL, Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les conseils des parties,

Soutenant avoir, à la suite d’une erreur de l’application de sa banque, la Société générale, procédé à deux virements d’un montant de 6 000 euros au profit de M. [C] le 2 septembre 2022, M. [R] a, par courriel en date du 23 septembre 2022, signalé l’erreur qui a été commise et a demandé le déclenchement des démarches nécessaires pour qu’il puisse se faire rembourser la somme de 6 000 euros.

Le 8 novembre 2022, la Société générale a demandé à la Banque postale le retour des fonds sur le compte de son client, dès lors que le « paiement a été effectué par erreur en double (même jour/même montant) ».

Le 15 janvier 2023, M. [R] a déposé plainte à l’encontre de M. [C] auprès du commissariat de police du [Localité 5] de [Localité 5].

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 28 avril 2023, M. [R] a, par l’intermédiaire de son conseil, mis en demeure M. [C] de lui restituer dans un délai de huit jours la somme de 6 000 euros qui lui a été versée par erreur.

Par courrier en date du 11 octobre 2023, la Société générale a informé M. [R] que la tentative de « recall interbancaire » a obtenu une réponse négative de la Banque postale.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 10 novembre 2023, M. [R] a mis en demeure la Société générale de lui rembourser, dans un délai de huit jours, la somme de 6 000 euros qui a été débitée de son compte sans son consentement.

C’est dans ce contexte que, par actes de commissaire de justice en date des 9 et 16 avril 2024, M. [R] a fait assigner M. [C] et la Société générale devant le juge des référés aux fins d’obtenir, au visa de l’article 835 du code de procédure civile, des articles 1302 et suivants du code civil, des articles L. 133-6, L. 133-18, L. 133-23 et L. 133-24 du code monétaire et financier, et des articles 1231-1 et suivant du code civil, la condamnation in solidum de M. [C] et de la Société générale à lui payer la somme de 6 000 euros, principalement à titre de remise en état, et subsidiairement à titre de provision, avec intérêts au taux légal à compter du 4 mai 2023 pour M. [C] et avec intérêts au taux légal majoré de cinq points à compter du 2 octobre 2022 à titre principal, ou à compter du 10 novembre 2023 à titre subsidiaire pour la Société générale, leur condamnation in solidum à lui payer la somme provisionnelle de 5 000 euros au titre de son préjudice moral découlant de la résistance abusive et la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

A l’audience qui s’est tenue le 7 octobre 2024, dans ses conclusions déposées et soutenues oralement, M. [R], représenté par son conseil, a maintenu ses demandes telles que contenues dans l’acte introductif d’instance.

A l’appui de ses demandes, M. [R] expose avoir versé à M. [C] la somme de 12 000 euros au lieu de la somme convenue de 6 000 euros en raison d’un dysfonctionnement de l’application de sa banque, la Société générale, de sorte que M. [C] a indument reçu la somme de 6 000 euros qu’il doit être condamné à lui restituer sur le fondement de l’article 1302-1 du code civil.

Il sollicite le remboursement de cette somme, à titre principal, au visa de l’article 835, alinéa 1, du code de procédure civile, le défaut de remboursement de cette somme par M. [C] constituant un trouble manifestement illicite, à titre subsidiaire, au visa de l’article 835, alinéa 2, l’obligation de restitution n’étant pas sérieusement contestable.

Il réclame, en outre, la condamnation in solidum de la Société générale au paiement de la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 1927 du code civil et des dispositions du code monétaire et financier, dès lors qu’une opération non autorisée par le titulaire d’un compte bancaire caractérise un trouble manifestement illicite résultant de la violation des règles du dépôt et de la convention de compte.

Il précise avoir signalé à la Société générale le paiement effectué en raison d’un dysfonctionnement de l’application immédiatement par téléphone, puis par courriel en date du 23 septembre 2022, soit avant l’expiration du délai de 13 mois prévu par l’article L. 133-24 du code monétaire et financier, de sorte qu’il appartient à la Société générale de rapporter la preuve qu’il a autorisé chacun des deux virements litigieux en donnant son consentement sous la forme convenue entre eux et suivant une authentification forte, que chacun des deux virements n’a pas été affecté par une déficience technique ou autre et, dans l’hypothèse où ces deux derniers éléments seraient démontrés que le doublon de virement découlerait d’une négligence grave de sa part.

Il explique qu’en l’espèce, le virement a été exécuté deux fois, sans que son consentement soit recueilli à deux reprises puisqu’il n’a renseigné les informations relatives au virement qu’une seule fois, qu’après avoir renseigné son code secret, l’application a planté, que lors de son redémarrage, il a renseigné à nouveau son code, pensant que cela validerait le seul ordre de paiement qu’il avait donné, sans se douter qu’un second virement serait déclenché.

Il relève que, dans ses propres conditions générales, la Société générale indique qu’il appartient à la banque de rapporter la preuve que l’opération a été authentifiée, ce qu’elle ne fait pas dès lors que la pièce qu’elle produit révèle qu’il ne s’est écoulé que 26 secondes entre l’exécution des deux virements, soit un temps manifestement insuffisant pour passer par l’ensemble des étapes nécessaires à l’émission d’un ordre de paiement.

Il note, en outre, que la Société générale a admis son erreur aux termes de son courriel de « recall interbancaire ».

Il conteste avoir commis la moindre négligence grave, la Société générale ne démontrant d’ailleurs pas en quoi les reproches qu’elle formule à son encontre constituerait une telle négligence.

Il réclame, par ailleurs, la condamnation de la Société générale au paiement de la somme de 6 000 euros sur le fondement de sa responsabilité contractuelle, dès lors qu’elle est tenue par un devoir de vigilance qui lui impose de relever les anomalies apparentes parmi les opérations qu’il lui est demandé d’effectuer.

Il soutient qu’en l’espèce son conseiller aurait dû relever l’anomalie apparente qui entache la seconde exécution de l’ordre de virement de 6 000 euros, les deux virements ayant le même motif et le même bénéficiaire, portant sur le même montant et ayant été effectués à la même heure.

Il souligne qu’il ne ressort d’aucune disposition légale qu’il aurait dû contacter sa banque pour vérifier que le premier virement était passé avant de saisir à nouveau son mot de passe, d’autant qu’il ne pouvait se douter que le renseignement de son mot de passe déclencherait un second virement alors qu’il n’est passé par les autres étapes nécessaires et indispensables à chaque opération de paiement qu’une seule fois.

Il réclame, enfin la somme de 5 000 euros au titre de la résistance abusive, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, dès lors que M. [C] a promis le remboursement de la somme de 6 000 euros sans jamais y procéder, que la Société générale résiste sans justification à son obligation incontestable à lui restituer la somme de 6 000 euros et qu’aucun des deux n’ont répondu aux mises en demeure qu’il leur a adressées.

Il argue que cette faute lui a causé un préjudice moral, étant confronté au stress lié à la crainte de ne pas récupérer une somme importante et aux décisions qu’il a dû prendre dans ce litige.

Dans ses écritures déposées et soutenues à l’audience, la Société générale a demandé, à titre principal, qu’il soit dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes de M. [R], à titre subsidiaire, qu’il soit jugé que ses demandes se heurtent à la forclusion, à défaut, que M. [C] soit condamné à lui verser une somme égale au montant des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre et, en toute hypothèse, que M. [R] soit condamné à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La Société générale sollicite le rejet des demandes de M. [R] en ce qu’elle se heurtent à des contestations sérieuses, dès lors que le virement litigieux a été autorisé par M. [R] qui confirme l’avoir validé en saisissant son mot de passe, de sorte que les articles L. 133-18 et suivants du code monétaire et financier ne sont pas applicables et que la demande de remboursement n’a été présentée pour la première fois que le 10 novembre 2023, soit plus de 13 mois après l’opération litigieuse et se heurte, en conséquence, à la forclusion de l’article L. 133-24 du code monétaire et financier.

Elle conteste avoir commis la moindre faute, M. [R] ne rapportant pas la preuve ni du dysfonctionnement de l’application qu’il allègue, ni de ce que ce dysfonctionnement lui serait imputable.

Elle relève, en outre, que l’opération litigieuse ne présentait pas d’anomalie manifeste d’autant que M. [R] l’a autorisée en validant son mot de passe et qu’elle ne pouvait, en toute hypothèse, pas la suspendre s’agissant d’un virement instantané et ce d’autant plus que M. [R] ne l’a contactée pour lui faire état de ses difficultés que le 13 septembre, soit 11 jours après le virement litigieux.

Elle soutient, en conséquence, que M. [R] a commis une faute, ou à tout le moins, a fait preuve d’une grande négligence, dès lors qu’il n’a pas contacté sa banque à la suite du dysfonctionnement de l’application pour s’assurer si le premier virement était passé et qu’il ne l’a contactée que plusieurs jours après le virement litigieux.

Elle relève, enfin, que les demandes de M. [R] échappent à la compétence du juge des référés qui ne peut se prononcer sur une demande de dommages et intérêts qui implique d’avoir à apprécier les conditions d’une éventuelle responsabilité.

Si le juge des référés devait la condamner au paiement de la moindre somme, elle demande à ce que M. [C] soit condamné à lui verser une somme égale au montant des condamnations prononcées à son encontre, dès lors qu’il est celui qui a bénéficié du virement litigieux et qu’il doit in fine être tenu d’en supporter le remboursement.

Bien que régulièrement assigné à personne présente à domicile, M. [C] n’a pas constitué avocat, de sorte qu’il sera statué par décision réputée contradictoire.

Conformément à l’article 446-1 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé et des prétentions des parties, il est renvoyé à l’assignation introductive d’instance et aux écritures déposées et développées oralement à l’audience.

A l’issue de l’audience, la décision a été mise en délibéré au 19 novembre 2024. Il a été demandé en cours de délibéré à la Société générale qu’elle justifie de la signification de ses conclusions à M. [C] ce qu’elle n’a pas fait.

PAR CES MOTIFS

Statuant en référé, par mise à disposition au greffe, après débats en audience publique, par décision réputée contradictoire et en premier ressort,

Condamnons in solidum par provision M. [C] et la Société générale à payer à M. [R] la somme de 6 000 euros en remboursement du virement effectué par erreur le 2 septembre 2022 ;

Disons que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 4 mai 2023 à l’égard de M. [C] et au taux légal majoré de cinq points à compter du 10 novembre 2023 à l’égard de la Société générale ;

Condamnons par provision M. [C] à payer à M. [R] la somme de 1 000 euros au titre de la résistance abusive en indemnisation de son préjudice moral ;

Disons n’y avoir lieu à référé sur la demande de M. [R] formée à l’encontre de la Société générale au titre de la résistance abusive ;

Déclarons irrecevable la demande de condamnation de la Société générale formée à l’encontre de M. [C] ;

Condamnons in solidum M. [C] et la Société générale aux entiers dépens ;

Condamnons in solidum M. [C] et la Société générale à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejetons toutes autres demandes des parties ;

Rappelons que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.

Fait à Paris le 19 novembre 2024

Le Greffier, Le Président,

Pascale GARAVEL Sophie COUVEZ

 


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