Tribunal judiciaire de Paris, 15 novembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris, 15 novembre 2024

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris

Thématique : Défaut de paiement de l’auteur : le préjudice d’anxiété indemnisé

Résumé

Dans cette affaire, Mme [D] a assigné Mme [J] pour défaut de paiement de son à-valoir et contrefaçon de ses illustrations. Le tribunal a constaté que Mme [J] n’avait pas respecté ses obligations contractuelles, notamment le paiement du solde de l’à-valoir et l’envoi des épreuves pour approbation. Ces manquements ont justifié la résiliation du contrat d’édition et ont causé à Mme [D] un préjudice moral, indemnisé à hauteur de 1.500 euros. De plus, la diffusion non autorisée des illustrations a été reconnue comme une contrefaçon, entraînant une indemnisation supplémentaire de 800 euros pour le préjudice moral.

L’Auteur qui n’a pas obtenu le paiement de son à-valoir est en droit d’obtenir la réparation de son préjudice moral de soucis et d’anxiété.

En la cause, l’Auteur démontre avoir relancé à maintes reprises son éditrice qui a toujours répondu qu’elle allait rapidement accéder à ses demandes sans le faire et en diffusant l’album réalisé sans droit et à rebours de ses engagements.Ces manquements contractuels sont à l’origine d’un préjudice moral que le tribunal a fixé à 1.500 euros.

Résumé de l’affaire :

Contexte du litige

Mme [S] [D] a signé un contrat d’édition avec Mme [K] [J] le 24 janvier 2022, cédant ses droits d’auteur sur des illustrations pour un livre pour enfants. Le contrat stipulait une rémunération proportionnelle et un à-valoir de 880 euros, dont la moitié devait être payée à la signature et l’autre à la remise des œuvres. Les illustrations ont été remises le 13 avril 2022, mais le solde de l’à-valoir n’a pas été réglé malgré plusieurs promesses de Mme [J].

Actions entreprises par Mme [D]

Après une mise en demeure restée sans réponse, Mme [D] a obtenu une ordonnance d’injonction de payer. Elle a ensuite mis en demeure Mme [J] à plusieurs reprises et a finalement assigné cette dernière en justice pour contrefaçon, résiliation du contrat et réparation des préjudices. Mme [D] demande notamment la cessation de la commercialisation de l’ouvrage, des dommages et intérêts pour contrefaçon et manquements contractuels, ainsi que la résiliation du contrat d’édition.

Arguments de Mme [D]

Mme [D] soutient que ses illustrations sont des œuvres originales protégées par le droit d’auteur. Elle affirme que Mme [J] a publié le livre sans paiement de l’à-valoir et sans son accord, et qu’elle a utilisé ses illustrations sans autorisation. Elle évoque également un préjudice moral lié à la publication sous un prénom mal orthographié et à la nature de son premier contrat d’édition.

Inexécution des obligations contractuelles

Mme [D] allègue que Mme [J] a manqué à plusieurs obligations contractuelles, notamment le paiement du solde de l’à-valoir, l’envoi des épreuves pour approbation, et la reddition de comptes. Elle souligne que ces manquements justifient la résiliation du contrat d’édition. Les échanges de SMS montrent que Mme [J] reconnaissait sa dette mais ne l’a pas réglée.

Contrefaçon de droit d’auteur

Le tribunal a constaté que Mme [D] a réalisé des illustrations protégées par le droit d’auteur. Bien que la diffusion de l’ouvrage ait été effectuée dans le cadre du contrat, la poursuite de l’exploitation après la résiliation du contrat constitue une contrefaçon. Mme [D] a également subi un préjudice moral en raison de cette exploitation non autorisée.

Résistance abusive

La demande de Mme [D] concernant la résistance abusive de Mme [J] a été rejetée. Le tribunal a estimé que les actions de Mme [J] ne constituaient pas des fautes distinctes des manquements contractuels déjà abordés.

Décision du tribunal

Le tribunal a prononcé la résiliation judiciaire du contrat d’édition, condamné Mme [J] à verser des dommages et intérêts à Mme [D] pour préjudice moral, et ordonné la cessation de la commercialisation de l’ouvrage. Mme [J] a également été condamnée aux dépens et à payer une somme supplémentaire en vertu de l’article 700 du code de procédure civile.

Q/R juridiques soulevées :

Quels sont les fondements juridiques de la résiliation du contrat d’édition ?

La résiliation d’un contrat d’édition repose sur plusieurs articles du Code de la propriété intellectuelle et du Code civil.

L’article L.132-1 du Code de la propriété intellectuelle définit le contrat d’édition comme celui par lequel l’auteur cède à un éditeur le droit de fabriquer et de diffuser des exemplaires de son œuvre.

En cas d’inexécution des obligations contractuelles, l’article 1224 du Code civil prévoit que la résolution d’un contrat peut être demandée soit par l’application d’une clause résolutoire, soit par notification du créancier au débiteur, ou par décision de justice.

De plus, l’article 1227 précise que la résolution peut être demandée en justice, ce qui est pertinent dans le cas présent où Mme [D] a invoqué des manquements contractuels de Mme [J].

Les obligations spécifiques de l’éditeur, telles que le paiement de l’à-valoir et l’envoi des épreuves pour correction, sont également stipulées dans le contrat.

Les manquements de Mme [J] à ces obligations justifient la résiliation du contrat d’édition, car ils constituent des violations suffisamment graves des obligations essentielles.

Quelles sont les conditions de la contrefaçon selon le Code de la propriété intellectuelle ?

La contrefaçon est définie par plusieurs articles du Code de la propriété intellectuelle.

L’article L.113-1 stipule que la qualité d’auteur appartient, sauf preuve du contraire, à celui sous le nom de qui l’œuvre est divulguée.

L’article L.111-1 alinéas 1 et 2 précise que l’auteur jouit d’un droit de propriété incorporelle exclusif sur son œuvre, qui inclut des attributs d’ordre intellectuel et moral, ainsi que des attributs d’ordre patrimonial.

L’article L.122-4 indique que toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur est illicite. Cela inclut également la traduction, l’adaptation ou toute transformation de l’œuvre.

Enfin, l’article L.331-1-3 prévoit que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction doit prendre en compte les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, y compris le manque à gagner et le préjudice moral causé à la partie lésée.

Dans le cas présent, Mme [D] a démontré que ses illustrations étaient protégées par le droit d’auteur et que leur exploitation par Mme [J] sans autorisation constituait une contrefaçon.

Quels sont les recours possibles en cas de résistance abusive ?

La résistance abusive est régie par l’article 1240 du Code civil, qui stipule que tout fait de l’homme causant un dommage à autrui oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Dans le contexte de la résistance abusive, il est nécessaire de prouver que la partie défenderesse a agi de manière à entraver l’exécution des décisions judiciaires ou à créer une confusion délibérée.

Dans le cas présent, Mme [D] a allégué que Mme [J] entretenait une confusion sur son identité et celle de sa maison d’édition, ce qui aurait pu l’empêcher d’agir. Cependant, le tribunal a jugé que cette confusion ne constituait pas une faute distincte des manquements contractuels déjà évoqués.

Ainsi, bien que Mme [D] ait subi des préjudices, les éléments présentés n’ont pas suffi à établir une résistance abusive au sens de l’article 1240, ce qui a conduit à un rejet de cette demande.

Quels sont les critères pour l’évaluation des dommages et intérêts en cas de contrefaçon ?

L’évaluation des dommages et intérêts en cas de contrefaçon est régie par l’article L.331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle.

Cet article stipule que la juridiction doit prendre en compte distinctement les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, y compris le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée, ainsi que le préjudice moral causé à cette dernière.

Il est également prévu que les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels, doivent être pris en compte.

En outre, le second alinéa de cet article permet d’allouer, à titre alternatif et à la demande de la partie lésée, une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit en question.

Dans le cas de Mme [D], le tribunal a fixé le préjudice moral à 800 euros, en tenant compte des éléments de preuve fournis, mais a rejeté la demande de réparation pour le préjudice matériel, considérant qu’il n’existait pas de préjudice matériel résultant de la contrefaçon après la résiliation du contrat.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

15 novembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
24/07500
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

N° RG 24/07500
N° Portalis 352J-W-B7I-C4YES

N° MINUTE :

Assignation du :
14 Mai 2024

JUGEMENT
rendu le 15 Novembre 2024
DEMANDERESSE

Madame [S] [D]
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maîtres Salomé SOLET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0097

DÉFENDERESSE

Madame [C] [J]
[Adresse 3]
[Localité 2]

défaillant

Copies exécutoires délivrées le :
– Maître SOLET #B097

Décision du 15 Novembre 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 24/07500 – N° Portalis 352J-W-B7I-C4YES

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Véra ZEDERMAN, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistée de Monsieur Quentin CURABET, Greffier

DEBATS

En application des l’articles L.212-5-1 du code de l’organisation judiciaire et 839 du code de procédure civile, et après avoir recueilli l’accord des parties, la procédure s’est déroulée sans audience.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 15 Novembre 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Réputé contradictoire
En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Mme [S] [D] a conclu, le 24 janvier 2022, un contrat d’édition avec Mme [K] [J] (dont le prénom exact à l’état civil est [C]) portant cession de ses droits d’auteur sur les illustrations d’un livre pour enfants intitulé Les petites histoires de [B] : jour de vélo, étant convenus une rémunération proportionnelle calculée sur le prix public hors taxes et un à-valoir sur celle-ci de 880 euros, payable pour la moitié à la signature du contrat et moitié à la remise des oeuvres.
Les illustrations ont été remises le 13 avril 2022 mais, malgré de nombreuses promesses de Mme [J], le solde de l’à-valoir n’a pas été payé.
Après mise en demeure de payer infructueuse par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 mars 2023, Mme [D] a obtenu une ordonnance d’injonction de payer l’à-valoir tribunal judiciaire de Paris (pièce non communiquée mais mentionnée dans les mises en demeure des 28 novembre et 12 décembre 2023 comme ayant été signifiée le 27 septembre 2023).
Par lettres recommandées avec accusé de réception du 28 novembre 2023, du 12 décembre 2023 et du 30 avril 2024, Mme [D] a mis en demeure Mme [J] de régler les sommes dues, justifier du nombre d’exemplaires imprimés et retirer l’ouvrage des catalogues et de la vente, puis l’a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon, résiliation du contrat d’édition et réparation des préjudices en résultant.
Elle demande au tribunal de :- juger que Mme [J] a commis des actes de contrefaçon en reproduisant et utilisant les illustrations qu’elle a réalisées,
– ordonner à Mme [J] de cesser la commercialisation de l’ouvrage Les petites histoires de [B] : jour de vélo et de le retirer des catalogues et ventes, ainsi que d’utiliser ou reproduire ses illustrations, sous astreinte,
– condamner Mme [J] à lui payer la somme de15.000 euros au titre des dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon des illustrations et celle 10.000 euros en réparation de son préjudice moral,
– ordonner des mesures de publication du jugement,
– prononcer la résiliation judiciaire du contrat d’édition du 24 janvier 2022 aux torts exclusifs de Mme [J] à compter du 23 décembre 2022,
– ordonner à Mme [J] de cesser la commercialisation de l’ouvrage Les petites histoires de [B] : jour de vélo et de le retirer des catalogues et ventes, ainsi que d’utiliser ou reproduire ses illustrations, sous astreinte,
– condamner Mme [J] à lui payer la somme de15.000 euros au titre des dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel et celle 10.000 euros en réparation de son préjudice moral résultant des manquements contractuels,
– condamner Mme [J] à lui payer la somme de 5.000 euros pour résistance abusive,
– condamner Mme [J] aux dépens et à lui payer la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700,
sous le bénéfice de l’exécution provisoire.

La demanderesse affirme être recevable à agir en contrefaçon pour protéger les droits d’auteur dont elle est titulaire car, conformément à ce que prévoit le code de la propriété intellectuelle quant à la titularité des droits d’auteur, ses illustrations ont été divulguées sous son nom dans l’ouvrage ainsi que sur la page Instagram de la défenderesse.
S’agissant des actes de contrefaçon, elle indique que :- ses illustrations sont des œuvres originales, réalisées sur un IPad 11 Pro, dans lesquelles le choix particulier des couleurs et des traits des personnages, les formes de corps et de visages singuliers ainsi que leurs expressions traduisent un parti-pris esthétique empreint de sa personnalité de sorte qu’elles sont protégées par le droit d’auteur ;
– Mme [J] a publié l’ouvrage litigieux sans procéder au paiement de l’à-valoir et sans obtenir son accord et son bon-à-tirer prévus au contrat, allant même jusqu’à passer outre son refus de le publier exprimé par message du 29 décembre 2022 ;
– deux illustrations ont été reproduites et transformées sans son accord ;
– une de ses illustrations a été partagée sans son autorisation par la défenderesse sur un réseau social sous le nom d’un tiers ;
– Mme [J] a ainsi retiré un bénéfice financier indu de son travail et réalisé des économies d’investissements à l’origine d’un manque à gagner pour elle ;
– la publication sous un prénom mal orthographié porte atteinte à son droit de paternité ;
– elle subit un préjudice moral lié au fait que ce contrat d’édition était le premier de son activité professionnelle d’illustratrice.

S’agissant de la résiliation du contrat d’édition, Mme [D] soutient que :- la défenderesse a manqué à ses obligations contractuelles de paiement du solde de l’à-valoir et de la rémunération proportionnelle au nombre d’ouvrages vendus, d’envoi des épreuves de l’ouvrage permettant en retour d’adresser un “bon à tirer”, d’information de la publication de l’ouvrage, d’envoi de deux exemplaires à l’illustratrice, de tirage minimum et de reddition de comptes,
– Mme [J] est au contraire passée outre son refus exprimé par SMS, a altéré ses illustrations sans son consentement, n’a fait figurer son nom, mal orthographié, que sur la couverture de l’ouvrage de l’album et dans aucun document promotionnel,
autant de manquements justifiant la résiliation judiciaire du contrat d’édition du 24 janvier 2022 et lui ayant causé un préjudice matériel et un préjudice moral.

Elle soutient enfin que Mme [J] “semble volontairement entretenir la confusion, voire semer le doute sur sa réelle identité et celle de sa maison d’édition” afin de l’empêcher d’agir à son encontre ou de voir exécuter les décisions obtenues, ce qui caractérise une “résistance abusive”.
Quoique régulièrement assignée à son domicile, Mme [J] n’a pas constitué avocat. Conformément à l’article 472 du code de procédure civile, le tribunal ne fera droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 septembre 2024 et Mme [D] a expressément accepté que la procédure ait lieu sans audience.

MOTIVATION

I . Sur la résiliation du contrat d’édition

L’article L.132-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que le contrat d’édition est le contrat par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’œuvre, à charge pour elle d’en assurer la publication et la diffusion.

L’article 1224 du code civil prévoit que la résolution « résiliation » qui est demandée
d’un contrat résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice et l’article 1227 précise que la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice.

Le contrat d’édition du 24 janvier 2022, ayant pour objet la réalisation d’illustrations pour l’album Les histoires de [B] : jour de vélo, prévoit diverses obligations de l’éditeur parmi lesquelles :- à l’article 3, la publication, l’exploitation permanente et suivie et la reddition de comptes le 30 juin de chaque année,
– à l’article 7, la condition selon laquelle les droits de reproduction, publication et exploitation de l’œuvre sont cédés sous réserve du parfait respect des obligations du contrat, plus particulièrement des articles 13 (paiement d’un à-valoir de 880 euros) et 25 (rémunération proportionnelle de 5 à 7% du prix de vente public),
– à l’article 8, l’envoi des épreuves de l’ouvrage pour correction si besoin et “bon à tirer”,
 – à l’article 9, l’engagement de ne pas modifier l’œuvre de l’illustratrice sans l’autorisation écrite de l’illustratrice et la mention de son nom sur la couverture de l’ouvrage et sur les documents promotionnels,
– à l’article 10, l’engagement de faire imprimer un premier tirage de minimum de 300 exemplaires et d’en remettre deux exemplaires à l’illustratrice.

La demanderesse justifie avoir réalisé treize illustrations destinées à l’ouvrage Les histoires de [B] : jour de vélo et les avoir remises à sa cocontractante le 13 avril 2022.
Les échanges de SMS entre les parties des 7 octobre 2022 au 13 mars 2023 témoignent de ce que, d’une part, que Mme [J] reconnaissait devoir 400 euros à ce titre et ne les a pas réglés et, d’autre part, qu’elle s’engageait à ne pas faire paraître l’album avant complet paiement.
Le dépôt légal du livre a eu lieu en septembre 2022, diverses captures d’écran démontrent qu’il pouvait être commandé sur le site Internet de la Fnac le 1er septembre 2023 et il s’évince des mêmes pièces que l’album en vente comporte les illustrations réalisées par Mme [D] qui est mentionnée en couverture comme suit “illustratrice [T] [D]” (alors que le prénom de Mme [D] s’orthographie [S]).
Mme [J] a donc publié l’ouvrage comprenant ces illustrations originales sans régler la totalité de l’à-valoir, sans obtenir son accord préalable par le “bon-à-tirer” et en passant outre l’opposition à la publication de Mme [D] exprimée par SMS du 29 décembre 2022 son dans les termes suivants “J’ai laissé le temps que tu mettes les choses en place. Je vois que t’as plein de projets à côté. Mais à côté moi j’attends d’être payée. Tu peux laisser tomber ce livre en tous cas”.Mme [D] ne communiquant pas aux débats l’album publié, les altérations qu’elle allègue sur deux de ses illustrations ne sont en revanche pas démontrées.

Ces éléments démontrent l’inexécution par Mme [J] des obligations précitées résultant des articles 3, 13 et 8 du contrat dont dépendait la cession des droits d’auteur puisque l’à-valoir n’a pas été payé, le “bon-à-tirer” n’a pas été demandé dès lors que Mme [D] n’aurait pas laissé passer l’orthographe incorrecte de son prénom en couverture et l’ouvrage a néanmoins été diffusé et vendu sans aucune information à l’illustratrice.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 novembre 2023, reçue le 30, le conseil de Mme [D] a mis en demeure Mme [J] de lui verser les sommes dues contractuellement, de lui faire part du nombre d’exemplaires de l’ouvrage imprimés, de lui fournir des informations sur la disponibilité de l’ouvrage, de procéder au retrait des ouvrages et à leur destruction sous huitaine, en vain. Ces manquements ne sont pas contestés par Mme [J] dans ses courriels des 14 et 15 décembre 2023.
Toutefois, quoique cette pièce ne soit pas versée aux débats, il résulte des échanges entre les parties que Mme [D] a demandé et obtenu en septembre 2023 un titre exécutoire de paiement du solde de l’à-valoir. Ayant demandé en justice l’exécution forcée de ce paiement qui correspond au paiement de ses droits d’auteur, elle ne saurait demander la résiliation du contrat pour l’inexécution de cette obligation.
En revanche, le retard de paiement, la publication de l’album sans accord de l’illustratrice et la mention erronée de son nom constituent des violations suffisamment graves des obligations contractuelles essentielles de l’éditeur pour justifier la résiliation à ses torts du contrat d’édition du 24 janvier 2022 à la date du 6 décembre 2023, date d’échéance de la mise en demeure du 28 novembre 2023.
S’agissant des conséquences dommageables, Mme [D] invoque un “évident manque à gagner” et un détournement éventuel d’autres éditeurs du fait que ses dessins auraient été signés par un tiers mais ces faits, également invoqués au titre de la contrefaçon, ne sont pas rattachés à Mme [J] (point 34 infra). La demande de réparation de 15.000 euros formulée à ce seul titre est donc rejetée.

Elle invoque également un préjudice moral de soucis et d’anxiété. Elle démontre avoir relancé à maintes reprises Mme [J] qui a toujours répondu qu’elle allait rapidement accéder à ses demandes sans le faire et en diffusant l’album réalisé sans droit et à rebours de ses engagements.Ces manquements contractuels sont à l’origine d’un préjudice moral que le tribunal fixe à 1.500 euros.

II . Sur la contrefaçon de droit d’auteur

En vertu de l’article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée.
Aux termes de l’article L.111-1 alinéas 1 et 2 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres I et III du présent code.
Aux termes de l’article L.122-4 du même code, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.
En vertu de l’article L. 331-1-3 du code de propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en compte distinctement les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée, le préjudice moral causé à cette dernière, et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.Le second alinéa de cet article prévoit, à titre alternatif et à la demande de la partie lésée, la possibilité d’allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire, supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte et qui n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

L’article L. 331-1-4 du code de la propriété intellectuelle prévoit notamment le rappel des produits contrefaisants des circuits commerciaux, ou leur destruction, et toute mesure appropriée de publicité, aux frais du contrefacteur.

Mme [D] démontre avoir réalisé 13 illustrations, dans le cadre du contrat d’édition du 24 janvier 2022, destinées à l’album jeunesse Les histoires de [B] : Jour de vélo, ainsi qu’il est indiqué sur la couverture de celui-ci.

Ces oeuvres graphiques représentent des personnages, enfants et adultes, selon des parti-pris esthétiques particuliers leur donnant un aspect singulier et dans des attitudes expressives et des décors résultant de choix arbitraires et créatifs portant l’empreinte de la personnalité de leur auteur. Elles sont donc protégées par le droit d’auteur.
La diffusion de l’ouvrage a été effectuée dans le cadre du contrat d’édition de sorte qu’elle ne constitue pas une contrefaçon. Si la cession des droits d’auteur était subordonnée au complet paiement de l’à-valoir et à l’approbation par “bon-à-tirer”, comme indiqué au point 21 supra, Mme [D] ne saurait à la fois solliciter l’exécution forcée du contrat d’édition et soutenir des faits de contrefaçon de droit d’auteur.

En revanche, en poursuivant l’exploitation de l’ouvrage au-delà du délai de huit jours mentionné sur la mise en demeure du 28 novembre 2023 invoquant la résiliation du contrat, Mme [J] a exploité les illustrations originales de Mme [D] en contrefaçon des droits d’auteur de celle-ci.

S’agissant du dessin que Mme [J] aurait diffusé sur son compte Instagramle 22 mars 2024, le tribunal constate qu’il s’agit d’une reproduction des personnages et objets représentés sur la 4ème illustration de Mme [D], dans la même attitude, avec les mêmes couleurs dans une tonalité plus sombre avec les traits du visage de l’adulte sensiblement modifiés et sous la signature d’un tiers mais la pièce communiquée ne caractérise aucun rattachement de cette publication à Mme [J].
Les faits de contrefaçon établis au point 33 supra justifient l’interdiction de poursuite de la vente de l’ouvrage litigieux et de rappel des albums en circulation tels que demandés.

Mme [D] demande l’indemnisation forfaitaire de son préjudice, ne sollicite pas de droit d’information et ne communique aucune donnée sur le tirage et les bénéfices de la vente.Il résulte du dossier que le prix public de vente hors taxes de l’album est de 13,23 euros, de sorte que le montant de l’à-valoir couvre la redevance sur la vente de 1135 exemplaires selon l’article 13 du contrat (198,45 euros pour les 300 premiers exemplaires au taux de 5%, 556,50 pour les 700 suivants au taux de 6% et 125,05 pour 135 exemplaires au taux de 7%) alors que le premier tirage devait être de 300 exemplaires.
Dans ces conditions, il n’existe aucun préjudice matériel résultant de la contrefaçon de droits d’auteurs pour la poursuite de l’exploitation après le 6 décembre 2023.
Elle est cependant à l’origine d’un préjudice moral que le tribunal fixe à 800 euros.

La publication demandée à titre de réparation complémentaire n’est pas justifiée et il y a lieu de la rejeter.
III . Sur la résistance abusive

L’article 1240 du code civil prévoit que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le grief fait à Mme [J] d’entretenir la confusion quant à son identité et celle de sa maison d’édition afin d’empêcher les actions à son encontre ou l’exécution des décisions obtenues ne repose que sur la différence de prénom de Mme [J] sur son état civil et sur le contrat, ce qui ne saurait caractériser une faute.
Il résulte des pièces du dossier que la défenderesse a bien eu connaissance des nombreux SMS et des quatre courriers de mise en demeure qui lui ont adressés et qu’elle a temporisé sans jamais s’exécuter tout en exploitant les oeuvres de Mme [D] mais il ne s’agit pas de fautes distinctes des manquements qui lui sont reprochés et ont été réparés supra.
Il y a donc lieu de rejeter cette demande.
IV. Sur les demandes finales

Mme [J], qui succombe, est condamnée aux dépens et à payer à Mme [D] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
En vertu de l’article 514 du code de procédure civile, le présent jugement est de droit assorti de l’exécution provisoire et rien ne justifie de l’écarter au cas présent.

PAR CES MOTIFS

Prononce la résiliation judiciaire du contrat d’édition conclu le 24 janvier 2022 entre Mme [C] [J] et Mme [S] [D] à la date du 6 décembre 2023 ;

Condamne Mme [C] [J] à payer à Mme [S] [D] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant des manquements contractuels ;

Ordonne à Mme [C] [J] de cesser la commercialisation de l’ouvrage Les petites histoires de [B] : jour de vélo et de le retirer des catalogues et ventes, ainsi que d’utiliser ou reproduire ses illustrations, sous astreinte de 100 euros par infraction constatée courant pendant 60 jours à partir du 15ème jour à compter de la signification du présent jugement ;

Condamne Mme [C] [J] à payer à Mme [S] [D] la somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant de la contrefaçon des illustrations originales du livre précité ;

Condamne Mme [C] [J] aux dépens de l’instance ;

Condamne Mme [C] [J] à payer à Mme [S] [D] la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 15 Novembre 2024

Le Greffier La Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC

 

 


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