Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris
Thématique : Responsabilité des établissements bancaires face aux obligations de vigilance dans les transactions internationales
→ RésuméContexte de l’AffaireM. [S] [T] a souhaité investir dans des parts de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) via la société Alch Invest, présentée comme un conseiller en gestion de patrimoine. Il a effectué deux virements depuis son compte à la société Ing Bank N.V., totalisant 84.989,50 euros, dont un montant de 80.075,50 euros a été transféré sur le compte d’une société portugaise, Benefit Tendency. Plainte et Démarches de RécupérationAprès avoir constaté l’absence de restitution des fonds, M. [T] a déposé une plainte pour escroquerie le 6 octobre 2020. Par la suite, il a mis en demeure les banques concernées, Ing Bank N.V. et Novo Banco S.A., de lui restituer les sommes investies, mais sans succès. Assignation en JusticeLe 14 et 17 octobre 2022, M. [T] a assigné les deux établissements bancaires devant le tribunal judiciaire de Paris, arguant qu’ils n’avaient pas respecté leurs obligations de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Il a demandé des réparations pour préjudice matériel et moral. Demande de Production de DocumentsLe 21 mai 2024, M. [T] a demandé à Novo Banco S.A. de produire des documents attestant des vérifications effectuées lors de l’ouverture et du fonctionnement du compte de Benefit Tendency. Il a également demandé des réparations financières pour les frais engagés. Réponse de Novo Banco S.A.La société Novo Banco S.A. a contesté la demande de M. [T], arguant que les documents étaient couverts par le secret bancaire, tant en vertu du droit portugais que français. Elle a également soutenu que la demande de M. [T] était inopérante et inutile. Décision du TribunalLe tribunal a statué que la loi portugaise était applicable au litige, en raison de la nature extracontractuelle de l’action de M. [T] et du lieu où le dommage s’était produit. Il a rejeté la demande de production de pièces, considérant que M. [T] n’avait pas démontré que sa demande s’inscrivait dans les exceptions au secret bancaire. Conséquences de la DécisionM. [T] a été condamné aux dépens de l’incident, et le tribunal a décidé de ne pas faire droit à sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’affaire a été renvoyée pour des conclusions au fond, invitant M. [T] à préciser les fondements juridiques de son action contre Novo Banco S.A. selon la législation portugaise. |
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copies délivrées le : 15/01/2025
Me CHANDLER – E0159 (certifiée conforme)
Me KLEIMAN – J014 (exécutoire)
Me BELLANCA – L0015 (certifiée conforme)
■
9ème chambre 2ème section
N° RG 22/12915 – N° Portalis 352J-W-B7G-CYCHD
N° MINUTE : 8
Assignation du :
17 Octobre 2022
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 15 Janvier 2025
DEMANDEUR
Monsieur [S] [T]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représenté par Maître Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0159, et Maître Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant
DEFENDERESSES
S.A. NOVO BANCO
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2] – PORTUGAL
représentée par Maître Rémi KLEIMAN du PARTNERSHIPS EVERSHEDS Sutherland (France) LLP, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #J0014
Société ING BANK N.V. prise en succursale de [Localité 5], prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Maître Frédéric BELLANCA de l’AARPI DARTEVELLE DUBEST BELLANCA, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #L0015
MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
Monsieur Alexandre PARASTATIDIS, Juge, assisté de Madame Alice LEFAUCONNIER, Greffière
DEBATS
A l’audience du 20 novembre 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 15 Janvier 2025.
ORDONNANCE
Prononcée en audience publique
Contradictoire
En premier ressort
FAITS ET PROCEDURE
Désireux d’investir dans des parts de sociétés civiles de placement immobilier (ci-après SCPI) par l’intermédiaire d’une société Alch Invest s’étant présentée à lui comme étant conseiller en gestion de patrimoine, M. [S] [T] a procédé depuis son compte ouvert dans les livres de la société Ing Bank N.V. à deux virements pour un montant total de 84.989,50 euros, le premier de 4.914 euros le 16 janvier 2020 et le second de 80.075,50 euros le 11 mars 2020, les fonds de la deuxième opération étant réceptionnés sur le compte bancaire d’une société dénommée Benefit Tendency domiciliée au Portugal au sein de l’établissement Novo Banco S.A.
N’ayant pas pu obtenir la restitution des fonds, M. [T] a déposé le 6 octobre 2020 une plainte auprès des services de gendarmerie de [Localité 3] du chef d’escroquerie.
Par lettres de son conseil du 24 janvier 2022, M. [T] a mis les sociétés Ing Bank N.V. et Novo Banco S.A. en demeure de lui restituer, pour la première, l’intégralité des fonds virés et, pour la seconde, la somme de 80.075,50 euros, et ce en vain.
C’est dans ce contexte que par exploits de commissaire de justice des 14 et 17 octobre 2022, M. [T] a fait assigner les deux établissements bancaires devant le tribunal judiciaire de Paris auquel, aux visas des directives européennes n°91/308/CEE – n°2001/97/CE – n°2005/60/CE – n°2015/849 – n°2018/843, et des articles 1104, 1112-1, 1231-1, 1240 et 1241 du code civil, il est demandé de :
« A TITRE PRINCIPAL :
Juger que les sociétés ING BANK N.V. et NOVO BANCO, S.A. n’ont pas respecté leur obligation légale de vigilance au titre du dispositif de LCB-FT.
Juger que les sociétés ING BANK N.V. et NOVO BANCO, S.A. sont responsables des préjudices subis par Monsieur [T].
Condamner in solidum les sociétés ING BANK N.V. et NOVO BANCO, S.A. à rembourser à Monsieur [T] la somme de 80.075,50 €, correspondant à une partie de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
Condamner in solidum les sociétés ING BANK N.V. et NOVO BANCO, S.A. à verser à Monsieur [T] la somme de 16.997,90 €, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
Condamner la société ING BANK N.V. à rembourser à Monsieur [T] la somme de 4.914 €, correspondant au montant restant de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
Condamner in solidum les sociétés ING BANK N.V. et NOVO BANCO, S.A. à verser à Monsieur [T] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamner les mêmes, in solidum, aux entiers dépens.
A TITRE SUBSIDIAIRE ‘,
Juger que la société ING BANK N.V. a manqué à son devoir général de vigilance.
Juger que la société ING BANK N.V. est responsable des préjudices subis par Monsieur [T].
Condamner la société ING BANK N.V. à rembourser à Monsieur [T] la somme de 84.989,50 €, correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
Condamner la société ING BANK N.V. à verser à Monsieur [T] la somme de 16.997,90 €, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
Condamner la société ING BANK N.V. à verser à Monsieur [T] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamner la même aux entiers dépens.
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :
Juger que la société ING BANK N.V. n’a pas respecté son obligation d’information à l’égard de Monsieur [T].
Juger que la société ING BANK N.V. est responsable des préjudices subis par Monsieur [T].
Condamner la société ING BANK N.V. à rembourser à Monsieur [T] la somme de 84.989,50 €, correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel.
Condamner la société ING BANK N.V. à verser à Monsieur [T] la somme de 16.997,90 €, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance.
Condamner la société ING BANK N.V. à verser à Monsieur [T] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamner la même aux entiers dépens. »
Suivant sommation en date du 21 mai 2024, le conseil des demandeurs a sollicité auprès de la société Novo Banco S.A. la communication des pièces attestant des vérifications qu’elle a effectuées lors de l’ouverture et du fonctionnement du compte de la société Benefit Tendency.
Aux termes de ses dernières conclusions d’incident signifiées le 17 octobre 2024, aux visas des articles 11, 138, 142, 788 et 789 du code de procédure civile, et L.561-5 et suivants, et R.561-5 et suivants du code monétaire et financier, M. [T] demande au juge de la mise en état de :
« • Ordonner à la société NOVO BANCO SA de communiquer à Monsieur [T] :
– Tout document attestant de la vérification d’identité de sa cliente, la société BENEFIT TENDENCY, et de son représentant légal lors de l’ouverture du compte bancaire ayant pour IBAN le numéro [XXXXXXXXXX06] :
_ Une attestation de l’immatriculation de la société au registre du commerce portugais,
_ Les statuts de la société BENEFIT TENDENCY,
_ Une déclaration de résidence fiscale de la société,
_ Une copie de la carte d’identité ou du passeport du représentant légal de la société et du bénéficiaire effectif ;
_ La déclaration de bénéficiaire effectif.
– Tout document attestant de la nature des comptes ouverts :
_ La justification économique déclarée par le client ou le fonctionnement envisagé du compte bancaire.
Le relevé de compte bancaire intégral de la société BENEFIT TENDENCY pour le mois de mars 2020,
La facture émise par la société BENEFIT TENDENCY pour justifier de la prestation fournie au titre de l’encaissement des fonds.
Sous astreinte définitive de 1.000 € par jour de retard, passé un délai de 15 jours après la signification de l’Ordonnance à intervenir, durant 2 mois et L’Y CONDAMNER au besoin.
• CONDAMNER la société NOVO BANCO SA à verser à Monsieur [T] la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
• CONDAMNER la même aux entiers dépens. »
A l’appui de ses prétentions, le demandeur expose à titre liminaire que sa demande ne tend pas à invoquer à son profit les dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (ci-après dispositif de LCB-FT) codifiées aux articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier, mais à s’assurer du respect par la banque étrangère de ses obligations de vigilance et de surveillance dans le cadre de sa relation avec sa cliente. Il soutient que bien que tiers à la relation contractuelle existant entre ces deux parties, il est en droit d’invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un préjudice. Il ajoute que la jurisprudence a dégagé récemment plusieurs exceptions permettant d’écarter le secret bancaire qui peut être opposé en principe par la banque à la condition que la partie qui formule la demande de mainlevée du secret démontre son caractère indispensable à l’exercice de son droit à la preuve et le caractère proportionné aux intérêts antinomiques en présence, incluant la protection dûe à son bénéficiaire. Il fait ainsi valoir que sa demande de communication de pièces sous astreinte aux fins de connaître les vérifications effectuées lors de l’ouverture du compte litigieux et au cours de son fonctionnement constitue le seul moyen pour lui d’établir ou non le respect par la banque de ses obligations. Il souligne le caractère précis de sa demande qui porte sur des pièces expressément visées et identifiées comme celles devant être réclamées par l’établissement dans le cadre du contrôle que lui impose le code monétaire et financier et qui sont nécessaires à l’appréciation par le tribunal de la responsabilité de la défenderesse.
Aux termes de ses dernières conclusions d’incident signifiées par voie électronique le 22 octobre 2024, aux visas du règlement (CE) N° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (dit « Rome II »), du règlement (UE) N° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit « Bruxelles I bis »), des articles 10 et 1353 du code civil, de l’article 700 du code de procédure civile, et des articles 78 et 79 du décret-loi portugais n° 298/92, la société Novo Banco S.A. demande au juge de la mise en état de :
« A titre principal,
– DEBOUTER Monsieur [S] [T] de ses demandes tendant à la production de documents par la société NOVO BANCO, en ce que :
o il n’a pas encore été statué sur le droit applicable dans la présente affaire ; et
o les articles du Code Monétaire et Financier sur lesquels Monsieur [S] [T] fonde ses demande sont territorialement inapplicables aux opérations litigieuses reprochées à la société NOVO BANCO et ne permettent pas à Monsieur [S] [T] d’en engager la responsabilité ;
A titre subsidiaire,
– DEBOUTER Monsieur [S] [T] de ses demandes tendant à la production de documents par la société NOVO BANCO, ceux-ci étant couverts par le secret bancaire de droit portugais ;
A titre infiniment subsidiaire :
– DEBOUTER Monsieur [S] [T] de ses demandes tendant à la production de documents par la société NOVO BANCO, ceux-ci étant couverts par le secret bancaire de droit français ;
En tout état de cause,
– CONDAMNER Monsieur [S] [T] au paiement de la somme de 3.000 euros à la société NOVO BANCO S.A. au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens. »
A l’appui de ses prétentions, la société Novo Banco S.A. fait valoir à titre principal le caractère inutile de la production des documents sollicités, le fondement de l’action intentée par M. [T], à savoir une prétendue violation de son obligation de vigilance sur le fondement des articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier ne pouvant conduire à une condamnation. Elle soutient ensuite l’impossibilité pour le juge de la mise en état de trancher l’incident avant qu’il n’ait statué sur le droit applicable au litige.
A titre subsidiaire, elle conclut à l’application au litige de la loi portugaise sur le fondement de l’article 4 du règlement « Rome II » et du principe selon lequel les lois relatives au secret bancaire sont territoriales et, par conséquence, au rejet de la demande de production de pièces qui ne se fonde sur aucune des exceptions permettant d’écarter le secret bancaire portugais.
A titre infiniment subsidiaire, dans l’hypothèse où le droit français trouverait à s’appliquer, elle fait valoir que le secret bancaire ne saurait être écarté dès lors qu’elle a démontré que le fondement de l’action de M. [T] est inopérant et que la production des pièces serait en conséquence inutile à la solution du litige.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour l’exposé des moyens et arguments venant au soutien de leurs demandes.
L’incident a été évoqué à l’audience de plaidoiries du 20 novembre 2024 et mis en délibéré au 15 janvier 2025.
PAR CES MOTIFS
Le juge de la mise en état, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
DIT la loi portugaise applicable au litige opposant M. [S] [T] à la société Novo Banco S.A. ;
DEBOUTE M. [S] [T] de sa demande de communication de pièces sous astreinte ;
CONDAMNE M. [S] [T] aux dépens de l’incident ;
DIT n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
RENVOIE l’affaire à l’audience de mise en état électronique de la 9ème chambre 2ème section du 12 mars 2025 à 13h30 pour les conclusions récapitulatives au fond de M. [T], ce dernier étant invité à préciser les fondements textuels et moyens de droit soutenant son action à l’encontre de la société Novo Banco SA au regard de la législation portugaise.
Faite et rendue à Paris le 15 Janvier 2025
La Greffière Le Juge de la mise en état
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