→ RésuméLa communication judiciaire de documents comptables est refusée en raison de l’incertitude quant à l’obligation de payer la moitié des revenus d’exploitation d’un jeu vidéo, en l’absence de contrat écrit. Un tel partage, sans limitation de durée et sans tenir compte des charges d’exploitation, semble économiquement peu cohérent. De plus, la contestation sur l’apport de M. [W] dans la création et le caractère original de l’œuvre soulève des doutes sérieux. Il est donc préférable de trancher d’abord sur le principe de responsabilité avant d’examiner les conséquences pécuniaires. La demande de communication est ainsi rejetée. |
Communication judiciaire de documents comptables
La communication judiciaire de documents comptables n’est pas possible si l’existence de l’obligation de payer la moitié des revenus de l’exploitation de l’œuvre (un jeu vidéo) doit faire l’objet d’une analyse par les juges du fond, qui parait incertaine, en l’absence de contrat écrit, et alors qu’un tel partage, qui prévoirait sans limitation de durée l’attribution d’une partie très importante des produits d’exploitation, sans tenir compte des charges d’exploitations, parait a priori économiquement peu cohérent.
Demande d’éléments de preuve
Il résulte des articles 142, 138 et 139 du code de procédure civile que si, dans le cours d’une instance, une partie entend faire état d’un élément de preuve détenu par une autre partie, le juge saisi de l’affaire peut, à sa demande, en ordonner la délivrance s’il estime cette demande fondée, dans les conditions et sous les garanties qu’il fixe, au besoin à peine d’astreinte.
Réseaux de distribution de la contrefaçon
En application de l’article L. 331-1-2 du code de la propriété intellectuelle, si la demande lui est faite, et s’il n’existe pas d’empêchement légitime, la juridiction saisie au fond ou en référé d’une procédure civile prévue aux livres Ier, II et III peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des marchandises et services qui portent prétendument atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de telles marchandises ou fournissant de tels services ou a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces marchandises ou la fourniture de ces services.
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 3ème chambre 3ème section No RG 20/10831 – No Portalis 352J-W-B7E-CTD2D No MINUTE : Assignation du : 13 octobre 2020 Incident ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT rendue le 13 septembre 2022 DEMANDEUR Monsieur [F] [W] [Adresse 2] [Localité 3] représenté par Me Arnault GROGNARD, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E1281, et par Me Quentin MOUTIER de la SELARL ONELEGAL, avocat au barreau de TOURS, avocat plaidant DEFENDERESSE Société REAL GAMES [Adresse 4] [Localité 1] (ITALIE) représentée par Me Olivier SAMYN de l’AARPI LMT AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0169 MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT Arthur COURILLON-HAVY, juge, assisté de Quentin CURABET, greffier lors des débats et de Caroline REBOUL, greffière lors de la mise à disposition. DEBATS A l’audience sur incident du 06 juillet 2022, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 13 septembre 2022. ORDONNANCE Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire En premier ressort Exposé du litige 1. M. [F] [W], qui a créé avec M. [Y] [M] un jeu vidéo divulgué en 2014 et intitulé « Real drift car racing », reproche à la société de droit italien Real games, dont l’associé unique et le dirigeant est M. [M], d’avoir cessé de lui payer les redevances qu’il estime dues au titre de l’exploitation du jeu en vertu d’un contrat de licence « tacite », à hauteur de la moitié des « recettes ». 2. Après plusieurs échanges entre les parties au cours des années 2017 à 2020, M. [W] a, le 7 septembre 2020, assigné la société Real games en paiement de redevances et dommages et intérêts en responsabilité contractuelle, subsidiairement dommages et intérêts et cessation de la commercialisation du jeu pour contrefaçon de droits d’auteur. Le juge de la mise en état a proposé, le 12 mars 2021, une médiation aux parties, mais constaté le 21 mai que cela n’avait pas abouti. 3. Puis, par ordonnance du 22 février 2022, le juge de la mise en état a écarté les exceptions de nullité et d’incompétences soulevées par la société Real games, sauf à préciser que la demande subsidiaire en contrefaçon ne pouvait porter que sur le dommage causé en France. 4. Enfin, par conclusions du 23 mai 2022, M. [W] a formé un nouvel incident, pour demander à la défenderesse de communiquer des informations relatives aux revenus tirés de l’exploitation du jeu. 5. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 5 juillet 2022, M. [F] [W] demande d’ordonner à la défenderesse de lui communiquer sous astreintes, pour les périodes allant de juin à décembre 2017 et de mars 2019 à aujourd’hui, ? les rapports financiers se rapportant aux ventes réalisées sur les plateformes Google play et Apple store des deux versions du jeu « Real drift car racing » et « Real drift car racing lite » ; ? les recettes publicitaires générées par ces deux versions du jeu via la plate-forme Google play (AdMob) Et de la condamner à lui payer 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. 6. Contestant tout caractère tardif à sa démarche, il fait valoir qu’il avait déjà demandé des données financières et d’exploitation du jeu devant le juge des référés mais avait dû y renoncer face à une difficulté de signification en Italie et parce que le juge de la mise en état avait entre temps été saisi de l’instance au fond, de sorte qu’il a alors attendu la confirmation de la compétence du présent tribunal. Il soutient ensuite, au visa des articles 138, 142 et 143 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 331-1-2 et L. 332-1-1 du code de la propriété intellectuelle, que tant en droit commun qu’en droit d’auteur, les seules conditions à la mesure demandée sont, d’une part, que le principe d’action allégué soit vraisemblable et étayé, d’autre part que la mesure d’instruction soit proportionnée à la démonstration qu’elle poursuit (citant notamment un arrêt de la CJUE, référencé C-597/19). 7. Sur la vraisemblance du principe d’action, il estime à titre principal que la convention le liant à la défenderesse, prévoyant un partage par moitié des revenus, est démontrée par les intitulés des virements qu’il a reçus, ainsi que par des courriers, tandis que l’affirmation du caractère ponctuel de ces paiements n’apparait qu’après la naissance du différend en 2017 et serait donc inopérante. 8. À titre subsidiaire, sur le droit d’auteur, il soutient que le jeu en cause est une oeuvre complexe, dont l’originalité ne fait aucun doute ; qu’en effet, il a opéré des choix arbitraires observables dans les éléments graphiques, pris distinctement ou dans leur ensemble ; que les caractéristiques ornementales des véhicules ne sont pas stéréotypées, avec des couleurs vives et claires, des jeux d’ombres et lumière créant un effet métallisé donnant dynamisme et élégance, des formes de carrosserie, de jantes, des feux, des pare-brises et vitres, particulières, avec des logos ; que les garages du jeu ont des murs et sols gris avec des « tags », des éléments donnant un aspect usé, des poutres apparentes, le tout donnant un effet sombre contrastant avec la vivacité des véhicules ; que les vues extérieures présentent elles aussi des contrastes voulus et sont réalistes ; que l’argent est représenté avec un effet brillant. Sa titularité sur cette oeuvre est, selon lui, établie par sa désignation en tant que coauteur dans les crédits du jeu (par son surnom « Sipon »), mais aussi par l’accès qu’il a eu à plusieurs projets de création en association avec la société Real games, la reconnaissance de son rôle par M. [M] lui-même, qui a écrit que M. [W] était l’artiste des graphismes du jeu et a dû être remplacé dans ce rôle quand il n’était pas disponible ; et par les paiements effectués par la société Real games (et les exploitants précédents du jeu). S’agissant, expose-t-il, d’une oeuvre de collaboration dont les coauteurs disposent de droits indivis, M. [M] n’avait pas le pouvoir, seul, d’autoriser la société Real games à l’exploiter, celle-ci commettant donc une contrefaçon. 9. Sur la nécessité de la mesure demandée, il soutient qu’il n’a reçu que des redevances partielles pour la période de 2017 et aucune redevance pour la période postérieure à avril 2019 ; que les captures d’écran qu’il a obtenues de la plate-forme Apple store montrent des revenus de 23 400 et 26 700 euros pour chaque période, respectivement, mais qu’il s’agit d’une preuve précaire et n’allant que jusqu’au 31 mars 2020 ; qu’il n’a aucune information sur les ventes par la plate-forme Google play, dont l’accès lui a été retiré, ni des revenus publicitaires sur cette plate-forme ; que les ventes sur cette plate-forme sont pourtant les recettes les plus importantes du jeu 10. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 1er juillet 2022, la société Real games résiste aux demandes, subsidiairement demande de limiter la communication à la seule exploitation sur le territoire français, et réclame elle-même 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens avec recouvrement par son avocat. 11. Elle expose que la demande principale en responsabilité contractuelle relève du droit commun, qui ne prévoit pas de droit à l’information comme en droit d’auteur ; qu’au demeurant aucun contrat ne lie les parties, M. [W] ayant lui-même refusé la formalisation contractuelle de leur collaboration en juillet 2017 sans faire de contre-proposition, et les paiements de 50% des revenus ayant toujours été ponctuels, liés à une participation ponctuelle, précise-t-elle. 12. Sur le droit d’information fondé sur le droit d’auteur, elle soutient que la demande au fond n’est pas vraisemblable En premier lieu, s’agissant de la titularité des droits invoqués : le jeu serait une oeuvre collective n’appartenant pas à M. [W], car il aurait été développé à l’initiative et sous la direction de M. [M], qui aurait également fortement participé à la réalisation de ses graphismes, avec d’autres prestataires, et à partir d’éléments préexistants, soit créés par M. [M] (le moteur « UnityCar ») soit achetés à des tiers (11 modèles de voitures du jeu prêts à l’emploi), tandis que M. [W] n’aurait pas travaillé à plein temps sur le jeu, et sans véritable autonomie. 13. En deuxième lieu, la société Real games estime que l’originalité des oeuvres invoquées n’est pas vraisemblable, car M. [W] procèderait par voie d’affirmations générales, sans caractériser subjectivement ses partis pris et l’empreinte de sa personnalité, sans distinguer individuellement les oeuvres invoquées, ni l’originalité de chacune ; au contraire, poursuit-elle, ces créations viennent de véhicules existant réellement, et M. [W] n’aurait, dans l’ensemble, apporté que des ajouts insignifiants, et fourni qu’une prestation technique, contrôlée et selon les instructions de M. [M]. 14. L’incident a été entendu à l’audience du 6 juillet 2022. MOTIFS 1) Demande 15. Il résulte des articles 142, 138 et 139 du code de procédure civile que si, dans le cours d’une instance, une partie entend faire état d’un élément de preuve détenu par une autre partie, le juge saisi de l’affaire peut, à sa demande, en ordonner la délivrance s’il estime cette demande fondée, dans les conditions et sous les garanties qu’il fixe, au besoin à peine d’astreinte. 16. En application de l’article L. 331-1-2 du code de la propriété intellectuelle, si la demande lui est faite, et s’il n’existe pas d’empêchement légitime, la juridiction saisie au fond ou en référé d’une procédure civile prévue aux livres Ier, II et III peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des marchandises et services qui portent prétendument atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de telles marchandises ou fournissant de tels services ou a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces marchandises ou la fourniture de ces services. 17. Au cas présent, l’existence de l’obligation de payer la moitié des revenus de l’exploitation du jeu devra faire l’objet d’une analyse qui parait incertaine à ce stade, en l’absence de contrat écrit, et alors qu’un tel partage, qui prévoirait sans limitation de durée l’attribution d’une partie très importante des produits d’exploitation, sans tenir compte des charges d’exploitations, parait a priori économiquement peu cohérent. 18. De même, l’étendue de l’apport de M. [W] dans la création, et le caractère original de celle-ci, font l’objet d’une contestation qui n’est pas dénuée de sérieux. 19. Plus généralement, il est plus opportun de trancher en premier lieu le principe de responsabilité, et de laisser dans un second temps les parties régler entre elles les conséquences pécuniaires en ordonnant la communication des éléments pertinents. 20. La communication demandée doit par conséquent être refusée. 21. Les frais exposés par les parties pour cet incident, où elles ont principalement développé la même argumentation que sur le fond, ne sont pas distinguables des frais exposés plus généralement pour le procès dans son ensemble. Il n’y a donc pas lieu à une indemnité de procédure spéciale. PAR CES MOTIFS Le juge de la mise en état REJETTE les demande de communication ; REJETTE les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens ; RENVOIE l’affaire à la mise en état dématérialisée du 13 octobre 2022 pour dernières conclusions du demandeur, puis ultime réplique le 10 novembre et clôture le 17 novembre 2022 ; Faite et rendue à Paris le 13 septembre 2022 La Greffière Le Juge de la mise en état | |
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